COUR D'APPEL DE CAYENNE
[Adresse 2]
Chambre Civile
ARRÊT N°
N° RG 22/00066 - N° Portalis 4ZAM-V-B7G-BARC
LS-PG/JA
Organisme COLLECTIVITE TERRITORIALE DE GUYANE
C/
[Z] [M]
[P] [M]
[T] [M]
[D] [M]
[A] [M]
[C] [M]
[Y] [M]
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAYENNE, décision attaquée en date du 06 Décembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00751
APPELANTE :
Organisme COLLECTIVITE TERRITORIALE DE GUYANE
[Adresse 9]
[Localité 7]
représentée par Me Patrick LINGIBE, avocat au barreau de GUYANE
INTIMES :
Madame [Z] [M]
[Adresse 1]
[Localité 12]
représentée par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Madame [P] [M]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentée par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Madame [T] [M]
[Adresse 13]
[Localité 12]
représentée par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Madame [D] [M]
[Adresse 11]
[Localité 12]
représentée par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Monsieur [A] [M]
[Adresse 11]
[Localité 12]
représenté par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Monsieur [C] [M]
[Adresse 11]
[Localité 12]
représenté par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
Monsieur [Y] [M]
[Adresse 6]
[Localité 12]
représenté par Me Adrien GRELET, avocat au barreau de GUYANE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mars 2023 en audience publique et mise en délibéré au 12 juin 2023 avancé au 26 avril 2023, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
M. Yann BOUCHARE, Président de chambre
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Mme Fanny MILAN, Greffier, présente lors des débats et Mme Johanna ALFRED, Greffier, présente lors du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon convention en date du 22 novembre 1988, le Département de la Guyane a loué une parcelle de terre cadastrée AS [Cadastre 4] d'une superficie de 3 ha 51 a et 94 ca, dépendant du domaine départemental du [Localité 10], situé à [Localité 12], à Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et à Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M], ci-après désignés les consorts [M], pour une durée de trois années renouvelables, étant précisé que la parcelle avait déjà été louée du 13 juillet 1979 au 12 juillet 1988 par leur père Monsieur [B] [M], lequel avait réalisé la construction d'une maison et la plantation d'arbres fruitiers.
Le 10 septembre 2010, une délibération n° AP/10/SPI-89-5-1 de l'assemblée délibérante du conseil général de la Guyane a approuvé la vente aux consorts [M] de la parcelle concernée, en décidant de passer outre l'avis de France Domaine n°428/2009 du 30 avril 2009 tenant compte de la plus-value apportée par l'intéressé soit 18,40€ le m2 (réévaluation en cours) et a fixé le prix de vente du terrain à 2€ le m2.
Le 3 décembre 2010, le Président du Conseil Général a fait part aux consorts [M] de la décision de l'assemblée plénière de leur vendre une partie du terrain loué et a sollicité dans les meilleurs délais leur accord sur la transaction.
Le 3 janvier 2011, les consorts [M] ont confirmé au Président du Conseil Général leur souhait d'acheter aux conditions arrêtées par l'assemblée délibérante lors de sa séance du 10 septembre 2010, à savoir 35 000 m2 à 2€ le m2, précisant le nom des acheteurs et joignant une copie du plan de bornage réalisé en janvier 2006.
Par courrier du 18 avril 2018, la Collectivité Territoriale de Guyane a indiqué aux consorts [M] que la vente à leur profit d'une partie du terrain cadatré AS [Cadastre 3] à [Localité 12] serait rééxaminée par l'assemblée plénière de la Collectivité Territoriale de Guyane.
Après plusieurs années et suite à de nombreux échanges, la délibération du 10 septembre 2010 n'étant pas suivie d'une signature par le Président du conseil général, les consorts [M] ont sollicité la Collectivité Territoriale de Guyane (ci-après désignée CTG) venant aux droits et obligations de l'ancien département et de l'ancienne région de la Guyane de procéder à l'application de cette délibération, et ont assigné par acte du 3 juin 2020 cette dernière devant le tribunal judiciaire de Cayenne aux fins de réalisation forcée de la vente.
Par jugement du 6 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Cayenne a :
- déclaré que la vente de la parcelle cadastrée AS [Cadastre 4] d'une superficie totale de 3ha 51a 94ca entre Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et à Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M] et la Collectivité Territoriale de Guyane est parfaite,
-condamné sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la présente décision et pour une durée de six mois la Collectivité Territoriale de Guyane à procéder à la signature de l'acte authentique de vente au sein de l'étude de Maître [E], notaire, dans les conditions prévues dans la délibération du 10 septembre 2010,
- condamné la Collectivité Territoriale de Guyane à verser à Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et à Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M] la somme de 10 162,01 €,
- rejeté la demande des consorts [M] relative au préjudice moral,
- condamné la Collectivité Territoriale de Guyane à verser à Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et à Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Collectivité Territoriale de Guyane aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 15 février 2022, la Collectivité Territoriale de Guyane a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement.
Aux termes des dernières conclusions transmises au greffe par son conseil en date du 8 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, la Collectivité Territoriale de Guyane sollicite l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement rendu le 6 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Cayenne, et statuant à nouveau,
A titre reconventionnel et par voie d'exception:
- qu'il soit fait droit à la résolution de la vente pour vileté du prix de vente demandée sur le fondement de l'article 1658 du code civil,
Sur le fond :
- que les consorts [M] soient déboutés de leurs conclusions, fins et moyens,
En tout état de cause :
- que les consorts [M] soient condamnés à payer solidairement à la Collectivité Territoriale de Guyane la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre leur condamnation aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, la CTG fait valoir l'exception tirée de la vileté du prix de vente, en constatant que le coût de 2 euros par m2 pour acquérir la parcelle a été bradé en faveur du père des consorts [M] en violation de l'estimation faite par le service des domaines avec un écart de 5 euros en faveur de ce dernier et au détriment des fonds publics de la CTG. Elle estime ainsi que la vente se heurte aux dispositions de l'article 1658 du code civil, et soutient que le prix de vente est si dérisoire qu'il équivaut à une absence de prix rendant l'opération assimilable à une sorte de donation déguisée. Elle ajoute que la vente convenue avec le père [M] trouvait son fondement dans l'exercice du développement d'une activité agricole, et que les consorts [M] nourrissent des projets immobiliers n'ayant rien à voir avec cette activité agricole, la vente ayant ainsi perdu l'objet qui la présidait originellement.
La CTG sollicite également la rescision de la vente en faisant valoir sur le fondement des dispositions de l'article 1674 du code civil l'exception tirée de la lésion du prix de vente, laquelle est selon elle imprescriptible comme l'est la nullité pour vil prix compte tenu des dispositions de l'article 1185 du code civil.
S'agissant de la délibération litigieuse, la CTG se prévaut de ce que l'exécution de cette dernière se heurte à l'évolution récente du droit imposant la mise en concurrence des cessions du domaine privé des collectivités publiques.
Elle soutient que contrairement à ce qu'a retenu le juge de première instance, la jurisprudence Promoimpresa (CJUE 14 juillet 2016 n° C-458/14) ne distingue pas selon que le titre d'occupation concerne le domaine public ou le domaine privé, une réponse ministérielle du 29 janvier 2019 considérant que les titres d'occupation délivrés en vue de l'exercice d'une activité économique sur le domaine privé devraient être attribués au terme d'une procédure de sélection préalable et transparente. Elle souligne que le juge de l'union considère qu'une telle mise en concurrence s'impose si en raison de la rareté de la ressource sollicitée, le nombre d'autorisations qu'il est possible d'octroyer s'avère limité, et affirme que la réforme d'origine communautaire vise justement a éviter que le patrimoine foncier soit bradé à vil prix. Elle précise que le terrain était précédemment loué pour y développer une activité agricole, et que la zone [Adresse 11] est devenue une zone résidentielle, le terrain jouissant d'un emplacement privilégié et rare étant aujourd'hui classé en zone Uda du Plan Local d'Urbanisme de [Localité 12]. Elle estime en conséquence nécessaire au regard des principes du droit communautaire, de non discrimination et de libre concurrence de garantir aux acquéreurs éventuels la possibilité de présenter une offre, et ce d'autant plus que l'acquisition d'un terrain est susceptible de faire l'objet d'une valorisation foncière et d'une opération de plus-value à la revente, s'agissant aujourd'hui d'une parcelle qui bénéficie d'un très bon emplacement et dont la situation traduit sans ambiguités les raisons d'une spéculation foncière.
L'appelante fait par ailleurs valoir que les méconnaissances par une personne publique de ses obligations et de mise en concurrence et de publicité peuvent être constitutives d'un délit de favoritisme prévu à l'article 432-14 du code pénal. Elle relève qu'il ne peut être envisagé que l'action des consorts [M] pour posséder 30 000 mètres carrés de foncier dans une zone résidentielle ne vise pas une opération spéculative qui consistera à la revente à un promoteur immobilier en faisant un bénéfice sur le dos de la collectivité publique de Guyane et la population guyanaise, ceci impliquant que la CTG procède au retrait de la délibération AP/10/SPI 89-12.
La CTG ajoute que les demandes d'indemnisation des consorts [M] qui s'inscrivent dans la logique de pure spéculation financière doivent être rejetées.
Aux termes des écritures de son avocat transmises par RPVA le 8 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M],ci-après désignés les consorts [M],sollicitent que la cour:
- à titre principal, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et déboute la Collectivité Territoriale de Guyane de ses demandes formulées à titre reconventionnel et par voie d'exception,
- à titre subsidiaire, dise et juge qu'ils sont fondés à se voir allouer la somme de 10 162,01€ au titre du préjudice financier qui devra être réévalué à la date de l'arrêt à intervenir et d'une indemnité de 150 000€ au titre de la rupture injustifiée de la vente de ladite parcelle,
- en tout état de cause, condamne en cause d'appel la Collectivité Territoriale de Guyane à leur verser la somme de 7000€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux entiers dépens.
Les consorts [M] font valoir que la décision de première intance a exactement jugé le caractère parfait de la vente en application de l'article 1582 du code civil, compte tenu de l'existence de l'accord des parties sur la chose et le prix, en suivant la procédure requise par les dispositions de l'article L3211-14 du code général de la propriété des personnes publiques et selon une délibération votée au visa de l'autorité compétente de l'Etat. Ils exposent que la délibération a été votée sans réserve et est devenue définitive, et soulignent que le Conseil Général de la Guyane ne disposait que d'un délai de quatre mois pour la retirer si elle avait été illégale.
Concernant les exigences du droit de l'union européenne, telles qu'issues de la jurisprudence Promoimpresa, les intimés rappellent que l'objet du litige concerne une cession d'une parcelle de terrain sur laquelle a été construite une habitation, et que la cession du domaine d'une collectivité n'est pas assimilable à une autorisation d'occupation du domaine public. Ils soutiennent que la jurisprudence visée et la réponse ministérielle citée ne s'appliquent pas aux cessions de biens immobiliers mais à la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine, le Conseil d'Etat ayant récemment jugé qu'aucune disposition n'impose à une collectivité territoriale de faire précéder la vente d'un bien de son domaine privé d'une mise en concurrence préalable, à moins de décider de faire précéder la vente d'un appel à projet.
Ils soulignent que l'appelante n'apporte aux débats aucun élément permettant de soutenir que la cession de la parcelle est souhaitée dans le but d'une exploitation économique, précisant qu'il n'est pas question en l'espèce de l'exercice d'une activité économique sur ladite parcelle. Ils en concluent que le critère de la rareté de la parcelle sur le marché immobilier est vain dès lors qu'il n'exerce aucune influence sur la légalité de la cession d'un bien immobilier mais seulement sur la délivrance d'un titre d'occupation. Ils ajoutent que le moyen tiré du risque pénal doit être écarté en ce que la cession immobilière n'est ni un marché public, ni un contrat de concession, ni un titre d'occupation.
Sur le préjudice subi, les consorts [M] indiquent qu'ils ont, par versements échelonnées depuis 2015, séquestré la totalité du prix de vente y compris les frais de notaire pour un montant de 75393,58 euros en vue de la transaction. Ils estiment avoir dès lors par le seul comportement fautif de la CTG été privés des intérêts produits par la somme séquestrée, lesquels calculés au taux légal sur la période du 21 décembre 2015 au 29 février 2020 s'élèvent à 10 162,01€.
S'agissant des demandes reconventionnelles de la CTG tendant à la résolution de la vente par voie d'exception pour vileté du prix de vente sur le fondement de l'article 1658 du code civil, ils font valoir que cette demande est irrecevable pour la première fois en cause d'appel au regard des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, et que la demande de résolution est frappée de prescription à deux égards, le délai de cinq ans de la prescription de l'action en nullité étant expiré, et la demande de l'appelante invoquée par la voie d'action dans le cadre d'une demande reconventionnelle étant également prescrite par l'effet de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil. Les consorts [M] affirment par ailleurs que la vente ne saurait être considérée comme intervenir à vil prix, le conseil général ayant fait réaliser quelques années avant la délibération de 2010 une estimation par les services fiscaux à hauteur de 1,52€/m2.
Les intimés soutiennent en outre que la demande en rescision de la vente est également prescrite, l'imprescriptibilité de l'exception de nullité posée par l'article 1185 du code civil étant inapplicable à l'action en rescision pour lésion.
Enfin, subsidiairement, les consort [M] estiment avoir subi par la faute de la CTG un préjudice découlant de la perte de chance de mettre en oeuvre des projets immobiliers familiaux.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 novembre 2022 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 13 mars 2023, puis mise en délibéré au 12 juin 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la légalité de la délibération du 10 septembre 2010
La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Promoimpresa en date du 14 juillet 2016 et la réponse ministérielle du 29 janvier 2019 visée par l'appelante posent le principe de ce que les titres d'occupation délivrés en vue de l'exercice d'une activité économique sur le domaine privé d'une administration devraient respecter une procédure de mise en concurrence, la notion de titre d'occupation englobant l'ensemble des titres permettant la possession d'un bien immobilier.
En l'espèce, l'objet du litige concerne une cession d'une parcelle de terrain appartenant au domaine privé de la CTG sur laquelle a été construite une habitation, ce qui n'est pas assimilable à une autorisation d'occupation du domaine public.
Par ailleurs, les consorts [M] ont échangé de nombreux courriers versés aux débats entre 2001, moment où la vente est envisagée, et 2018, avec le Président du conseil général puis avec le Président de la Collectivité Territoriale de Guyane.
Dans un courrier en date du 2 mai 2007 versé aux débats par les intimés (pièce n°8), les consorts [M] ont indiqué au Président du Conseil Général de Guyane qu'ils disposaient du financement nécessaire à l'acquisition de la parcelle de terrain situé à [Adresse 11] en exprimant les doléances suivantes :
'Comme nous vous l'avions déjà exposé depuis longtemps, nous sommes l'objet de nombreux vols et nous souhaiterions habiter sur place.
Nous sommes également pénalisés par une interdiction de construire à cause d'un PPR-M (plan de prévention des risques mouvement de terrain) depuis la catastrophe de Cabassou, sur un bien foncier dont nous avons réalisé un lotissement sur la commune de Montjoly.
Notre inquiétude est d'autant plus grande car nous atteignons un certain âge et les organismes de prêt à la constuction refusent de répondre favorablement à nos demandes.
Vu ces raisons, nous profitons de ce courrier pour vous demander l'autorisation de construire notre maison au nom de : [M] [C] -[A] -[Y] - [Z] -[P] - [T] et [D].'
Ce courrier démontre l'objectif poursuivi par les consorts [M] en acquérant la parcelle litigieuse qui est celui de construire leur propre maison d'habitation, et ce depuis plusieurs années, et non celui de se livrer à une activité économique.
Aucun des nombreux courriers échangés et aucun élément produit par la CTG ne permet d'appuyer les allégations de cette dernière aux termes desquelles les consorts [M] souhaitent acuérir la parcelle dans le but d'exercer une activité économique.
Il peut en outre être relevé qu'il n'est pas contesté que le père des consorts [M] a apporté initialement une plus-value au terrain initial pour y développer des terres agricoles et y construire une maison d'habitation.
La CTG excipe par ailleurs de la nécessité pour une personne publique de respecter ses obligations de mise en concurrence et de publicité. Cependant, le délit de favoritisme prévu par les dispositions de l'article L432-14 du code pénal ne s'applique qu'aux marchés publics et aux contrats de concession, ce qui n'est pas le cas en l'espèce du titre d'occupation que constitue la vente du terrain concerné.
Dans ces conditions, et au vu de l'ensemble de ces éléments, la cession par la Collectivité Territoriale de Guyane du terrain concerné faisant partie de son domaine privé ne poursuit aucun objectif lié à l'exercice d'une activité économique, et n'est pas soumise à un formalisme de mise en concurrence préalable, et ce nonobstant un critère de rareté qui pourrait s'y attacher.
A titre surabondant, il peut être souligné que l'arrêt Promoimpresa de la CJUE a été rendu le 14 juillet 2016, soit 6 ans après la délibération du conseil général de Guyane ayant approuvé la vente aux consorts [M].
La décision de première instance sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a exactement constaté la légalité de la délibération de l'assemblée du conseil général de la Guyane du 10 septembre 2010.
C'est également à juste titre par des motifs que la cour approuve que la décision déférée a constaté le caractère parfait de la vente, en relevant que ladite délibération décrit avec précision la parcelle objet de la vente, et l'accord des parties, tant concernant la chose que son prix.
Sur la demande reconventionnelles de la CTG tendant à la résolution de la vente par voie d'exception pour vileté du prix de vente sur le fondement de l'article 1658 du code civil
Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle
La CTG sollicite à titre reconventionnel et par voie d'exception dans le dispositif de ses conclusions la résolution de la vente pour vileté du prix de vente sur le fondement de l'article 1658 du code civil.
Selon les dispositions de l'article 1658 du code civil, indépendamment de causes de nullité ou de résolution, le contrat de vente peut être résolu par la vileté du prix.
Les consorts [M] soutiennent que cette demande tendant à la résolution de la vente est irrecevable pour la première fois en cause d'appel comme étant une demande nouvelle qui ne peut être soumise à la cour au regard des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.
Aux termes de ce dernier article, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. L'article 565 du code de procédure civile précise qu'une prétention n'est pas nouvelle dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que celles soumise au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Selon les dispositions de l'article 567 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel. Ainsi, une demande reconventionnelle émanant d'un défendeur en première instance est recevable pour la première fois en cause d'appel à la condition posée par l'article 70 du même code de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, la CTG a sollicité en première instance le débouté des consorts [M] de leur demande tendant à voir prononcer la vente de la parcelle parfaite et à la condamner à procéder à la signature de l'acte authentique de vente dans les conditions prévues dans la délibération du 10 septembre 2010.
Il convient de constater que la demande reconventionnelle de la CTG tendant à la résolution de la vente de la parcelle présente un lien évident avec ses demandes originaires sollicitant le rejet des demandes tendant à procéder à la signature de l'acte authentique de cette vente. La demande reconventionnelle de la CTG est par conséquent recevable pour la première fois en cause d'appel.
Sur la prescription de la demande reconventionnelle tendant à la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1658 du code civil
Les consorts [M] font valoir que la demande de la CTG est prescrite, en faisant valoir :
- d'une part que le délai de cinq ans de prescription de l'action en nullité de la vente par voie d'exception est expiré (article 2224 du code civil), la vente ayant reçu plusieurs commencements d'exécution par les deux parties,
- d'autre part que la demande reconventionnelle est prescrite par l'effet de la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil.
Le CTG soutient pour sa part être fondée à soulever par voie d'exception la nullité qui ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n'a reçu aucune exécution.
Selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Aux termes des dispositions de l'article 1304 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à la délibération litigieuse, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
En application de l'article 1185 du code civil, l'exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n'a reçu aucune exécution. A contrario, la demande tendant à voir constater la résolution du contrat formée par voie d'exception n'est plus recevable si l'acte a reçu un commencement d'exécution, lequel s'apprécie indépendamment de la partie qui l'a effectué.
La CTG soutient que la délibération du 10 septembre 2010 n'a reçu aucune exécution, alors que les consorts [M] affirment que la vente a reçu plusieurs commencements d'exécution.
Par courrier en date du 3 février 2011 (pièce n°13 versée aux débats par les consorts [M]), le président du Conseil Général a adressé aux consorts [M] un questionnaire d'état civil communiqué par le notaire en vue des formalités à accomplir pour la vente et leur a demandé de le compléter et de le retourner à ses services. Ce courrier leur demandait également de prendre attache avec un géomètre afin de réaliser un bornage de terrain.
Par courrier en date du 26 octobre 2011 (pièce n°14 versée aux débats par les consorts [M]), les consorts [M] onts sollicité un rendez-vous avec le Président du conseil général afin d'évoquer la délibération décidant de la vente, la situation n'ayant pas évolué depuis le vote de ladite délibération. Par courrier en réponse du 22 décembre 2011 (pièce n°15 versée aux débats par les consorts [M]), le Président du Conseil Général a invité les consorts [M] d'une part a prendre attache avec un géomètre pour établir un document d'arpentage et d'autre part à s'adresser à Maître [G] [E], notaire, pour la rédaction de l'acte de vente.
Suite aux démarches effectuées, un plan d'arpentage a été réalisé par Monsieur [W] [L], géomètre expert (pièce n°16 versée aux débats par les consorts [M]), et une déclaration d'intention d'aliéner la parcelle concernée par le Département de la Guyane aux consorts [M] a été établie par Maître [G] [E], notaire, le 1er septembre 2015 ( pièce n°17 versée aux débats par les consorts [M]) .
L'ensemble des pièces susvisées produites au dossier démontrent que la vente prévue par la délibération du 10 septembre 2010 a reçu plusieurs commencements d'exécution.
Dans ces conditions, il sera constaté que la demande reconventionnelle tendant à la résolution de la vente par voie d'exception sur le fondement de l'article 1658 du code civil intervenue plus de cinq ans après la date de la délibération et après plusieurs commencements d'exécution de la vente autorisée par cette dernière est prescrite.
Sur la demande reconventionnelle de la CTG en rescision de la vente
La demande en rescision de la vente n'étant formée que dans les motifs des conclusions de la CTG et n'étant pas reprises dans le dispositif de ces dernières, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions des parties énoncées au dispositif.
Sur l'exécution de la vente autorisée par la délibération de l'assemblée du conseil général de la Guyane
La demande reconventionnelles en résolution de la vente formée par la CTG par voie d'exception étant prescrite, au vu du caractère parfait de la vente confirmé ci-dessus, la décision déférée sera également confirmée en ce qu'elle a condamné la CTG à procéder à la signature de l'acte authentique de vente au sein de l'étude de Maître [E], notaire, dans les conditions prévues dans la délibération du 10 septembre 2010.
Cette condamnation sera assortie d'une astreinte dont le montant sera toutefois ramenée à de plus justes proportions, soit 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision, et ce pour une durée de six mois.
Sur les demandes de dommages et intérêts formées par les consorts [M]
Sur la demande au titre du préjudice financier des consorts [M]
Le jugement déféré a considéré que l'inexécution pendant plus de dix années par la CTG de son obligation de délivrance de la parcelle litigieuse constitue une faute de nature contractuelle, et et que la séquestration de la somme correspondant au prix de vente par les consorts [M] dans l'attente de la signature définitive de la vente a entraîné un préjudice financier pour ces derniers tiré de l'impossibilité d'obtenir les intérêts qu'aurait pu produire un tel montant.
Les consorts [M] estiment avoir, par le seul comportement fautif de la CTG, été privés des intérêts produits par la somme qu'ils ont séquestrée en vue de procéder à l'achat de la parcelle, lesquels intérêts calculés au taux légal sur la période du 21 décembre 2015 au 29 février 2020 s'élèvent à 10 162,01€.
En l'absence d'éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée qui a condamné la CTG à verser aux consorts [M] la somme de 10 162,01€ au titre de leur préjudice financier.
Sur la demande au titre du préjudice moral des consorts [M]
Le jugement critiqué a rejeté la demande des consorts [M] au titre de leur préjudice moral en relevant que ces derniers ne fournissaient aucun élément de nature à justifier ce préjudice spécifique.
Les consorts [M] sollicitent la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions. En l'absence d'éléments nouveaux, le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au regard de la solution apportée au règlement du litige en cause d'appel, la Collectivité Territoriale de GUYANE sera déboutée de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée à payer la somme de 5 000 euros sur ce fondement aux consorts [M] au titre des frais exposés en appel.
La Collectivité Territoriale de GUYANE sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe le 12 juin 2023,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de CAYENNE en toutes ses dispositions, hormis en ce qui concerne le montant de l'astreinte assortissant la condamnation de la CTG à procéder à la signature de l'acte authentique de vente au sein de l'étude de Maître [E], notaire, dans les conditions prévues dans la délibération du 10 septembre 2010,
Statuant à nouveau
DIT que cette astreinte sera de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision , et ce pour une durée de six mois,
Y ajoutant,
DIT que la demande reconventionnelle formée par la Collectivité Territoriale de Guyane par voie d'exception en résolution de la vente pour vileté du prix de vente est recevable, et CONSTATE que cette demande reconventionnelle est prescrite,
CONDAMNE la Collectivité Territoriale de Guyane à payer à à Mesdames [Z] [M], [P] [M], [D] [M], [T] [M] et à Messieurs [C] [M], [A] [M] et [Y] [M] la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et LA DEBOUTE de sa demande sur ce fondement,
CONDAMNE la Collectivité Territoriale de Guyane aux entiers dépens d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et le Greffier.
Le Greffier La Présidente de chambre
Johanna ALFRED Aurore BLUM