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02/09/2022 | FRANCE | N°20/00328

France | France, Cour d'appel de Cayenne, Chambre sociale, 02 septembre 2022, 20/00328


COUR D'APPEL DE CAYENNE

15 avenue du Général de Gaulle - 97300 CAYENNE



CHAMBRE SOCIALE





















ARRÊT N°24



N° RG 20/00328 - N° Portalis 4ZAM-V-B7E-3X7





[Y] [W]



C/



Association APAJH GUYANE JH







ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2022





Jugement au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAYENNE, décision attaquée en date du 29 octobre 2020, enregistrée sous le nÂ

° 18/00118



APPELANT :



Madame [Y] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Maître Cendra JARRY, avocate au barreau de GUYANE





INTIME :



Association APAJH GUYANE JH)

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Maître ...

COUR D'APPEL DE CAYENNE

15 avenue du Général de Gaulle - 97300 CAYENNE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N°24

N° RG 20/00328 - N° Portalis 4ZAM-V-B7E-3X7

[Y] [W]

C/

Association APAJH GUYANE JH

ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2022

Jugement au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAYENNE, décision attaquée en date du 29 octobre 2020, enregistrée sous le n° 18/00118

APPELANT :

Madame [Y] [W]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Maître Cendra JARRY, avocate au barreau de GUYANE

INTIME :

Association APAJH GUYANE JH)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Maître Saphia BENHAMIDA, avocate au barreau de GUYANE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 juin 2022 en audience publique et mise en délibéré au 02 septembre 2022, en l'absence d'opposition, devant :

Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

M. Hervé DE GAILLANDE, Conseiller

Mme Corinne BIACHE, Conseillère

qui en ont délibéré.

GREFFIER :

Mme Fanny MILAN, Greffier, présente lors des débats et du prononcé

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [Y] [W] a été embauchée par l'association pour adultes et jeunes handicapés de Guyane (APAJH) suivant contrat à durée indéterminée à temps complet du 05 décembre 2016 en qualité d'aide médico-psychologique.

Par courrier du 22 avril 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 03 mai 2017 avec mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mai 2017, Mme [W] a reçu notification de son licenciement pour faute grave.

Par requête en date du 12 novembre 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Cayenne aux fins d'obtenir, aux termes de ses dernières conclusions, la condamnation de l'APAJH à lui payer diverses sommes à titre :

-d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-d'indemnité légale de licenciement ;

-d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents ;

-de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation.

Par jugement contradictoire du 29 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Cayenne a, notamment :

-débouté Mme [W] de sa demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes subséquentes ;

-débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation ;

-condamné Mme [W] à payer à l'APAJH la somme de 500€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné Mme [W] aux entiers dépens ;

-débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration reçue le 05 décembre 2020, Mme [W] a interjeté appel de cette décision, limité aux chefs de jugement expressément critiqués.

L'intimée a constitué avocat le 20 janvier 2021.

Aux termes de ses premières conclusions du 03 mars 2021, et dernières du 15 octobre 2021, l'appelante demande de :

-la recevoir en son appel ;

-infirmer en tout point le jugement entrepris du conseil des prud'hommes de Cayenne du 29 octobre 2020.

Et statuant à nouveau :

-juger que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-juger que ce même licenciement est irrégulier ;

En conséquence,

-condamner l'intimée à lui payer les sommes suivantes :

*indemnité de préavis : 2.311,73 euros bruts

*indemnité congés payés sur préavis : 231,17 euros bruts

*indemnité conventionnelle de licenciement : 11.558,65 euros

*indemnité pour licenciement abusif : 41.611,68 euros.

*indemnité pour licenciement irrégulier : 2.311,73 euros

*article 700 du code de procédure civile : 2.000 euros

-fixer la moyenne des 3 derniers mois à la somme du 2.311,73 euros bruts ;

-fixer les intérêts de droits courant à compter de la demande en justice et ordonner leur capitalisation ;

-débouter l'employeur de ses demandes reconventionnelles ;

-condamner la société intimée aux entiers dépens.

Le 31 mai 2021, l'intimée a déposé ses premières conclusions au fond.

Par conclusions du 08 novembre suivant, elle demande de :

-confirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de Cayenne statuant en matière prud'homale,

Par conséquent :

-dire et juger que le licenciement de l'appelante repose sur une faute grave,

-débouter en conséquence celle-ci de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

-la débouter de toutes ses autres demandes,

Statuant à nouveau :

-déclarer irrecevable la demande de l'appelante portant sur l'irrégularité de la procédure de licenciement,

-condamner l'appelante à payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Par ordonnance d'incident du 21 mars 2022, le conseiller de la mise en état a, notamment, déclaré recevable la demande de Mme [Y] [W] aux fins d'obtenir paiement d'une indemnité pour licenciement irrégulier.

La clôture de l'instruction est intervenue le 16 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, qui seront exposés dans les motifs pour les besoins de la discussion, la cour se réfère aux conclusions sus-visées et à la décision déférée, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs

1/ Sur la régularité de la procédure de licenciement

L'appelante invoque l'irrégularité de la procédure de licenciement en ce que la convocation à l'entretien préalable qui lui a été remise indiquait qu'elle était convoquée en vue d'une sanction, et non d'un licenciement. Elle affirme qu'elle n'a donc pu se préparer à l'entretien préalable en connaissance de cause et a donc subi un préjudice.

Elle sollicite, en application des dispositions de l'article L.1235-2 du code du travail, le paiement d'une indemnité de 2 311,73€ correspondant à un mois de salaire.

L'intimée se prévaut de l'irrecevabilité de cette demande comme nouvelle en cause d'appel.

La cour relève que l'ordonnance du 21 mars 2022 précitée n'a donné lieu à aucun recours. Pour rappel, la demande formulée au titre de l'irrégularité du licenciement a été jugée recevable.

Les articles L.1232-2 et R.1232-1 du code du travail imposent à l'employeur d'indiquer dans la lettre de convocation à l'entretien préalable l'objet de la convocation. Cette indication doit être précise et si un licenciement est envisagé, il ne suffit pas de mentionner que l'objet de l'entretien est une sanction, mais encore faut-il informer le salarié de l'éventualité d'un licenciement. Or, en l'espèce, la lettre de convocation n'évoque qu'une sanction disciplinaire.

L'appelante doit donc être indemnisée du préjudice subi. Il convient toutefois de souligner que cette indemnité ne peut être supérieure à un mois de salaire. Par ailleurs, l'appelante ne justifie pas, à la lecture de ses écritures et à

l'examen de ses pièces, qu'elle aurait pu préparer l'entretien de telle façon que la décision de l'employeur aurait été différente.

Au regard des éléments de l'espèce, le seul préjudice moral qui peut être retenu apparaît devoir être indemnisé à hauteur de 1 000€.

2/ Sur le licenciement pour faute grave

Le conseil, au visa des articles L.1232-6, L.1235-1 du code du travail, et de la lettre de licenciement du 16 mai 2017, a relevé que la dite lettre faisait mention d'insultes à caractère raciste dégénérant en comportement constitutif de harcèlement moral.

Il a considéré que l'énonciation d'un tel grief était suffisamment précise et motivée dans la mesure où le grief était matériellement vérifiable à la lecture des courriers d'autres salariés en date des 21 et 25 avril 2017 faisant état d'injures à caractère raciste répétées, ayant conduit à la détérioration des conditions de travail des salariés les ayant subies.

Il a retenu que ces faits permettaient de retenir une faute grave de la salariée justifiant son éviction immédiate de l'entreprise.

L'appelante fait valoir que les motifs du licenciement dans la lettre du 16 mai 2017 sont nébuleux en ce qu'elle ne précise pas les insultes à caractère racial et leurs destinataires.

Elle considère que le conseil a, en interprétant une lettre mal rédigée, statué ultra petita et violé la règle selon laquelle la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

Elle expose que l'enquête diligentée par l'employeur entre le 21 et le 25 avril 2017 a été hâtive ; que l'employeur, qui a la charge de la preuve de la faute invoquée, produit des courriers rédigés après l'entretien préalable qui ne datent pas les insultes rapportées, et ne démontre pas l'atteinte portée à la dignité, ou l'altération de la santé physique ou mentale des salariés concernés.

Elle conteste fermement avoir tenu des propos racistes.

L'intimée s'appuie sur les écrits de Mme [M] [N], de Mme [J] [K] épouse [T] et de Mme [F] [S], faisant état d'insultes réitérées, constitutives de harcèlement moral, pour conclure à l'existence d'une faute grave.

L'article L.1235-2 du code du travail dans sa version applicable au litige énonce que la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.

En l'espèce, la lettre indique que, le 21 avril 2017, la direction de l'établissement a été destinataire d'un signalement aux termes duquel la salariée avait prononcé des insultes à caractère racial et adopté une attitude relevant de la qualification de harcèlement moral ; que l'association a immédiatement diligenté une enquête interne entre le 21 et le 24 avril 2017 qui a révélé la véracité de ces éléments et dont il résultait que la salariée avait commis des agissements répétés de harcèlement moral et tenu des propos à caractère raciste à l'égard d'autres collègues.

Comme l'a retenu le conseil, l'existence même de propos, répétés, voire d'insultes à caractère raciste, est confirmée par les écrits de trois autres salariés de l'association, rédigés les 21 et 25 avril 2017 pour les deux premiers, non daté pour le troisième (pièces n° 4 à 6 de l'intimée), lesquels détaillent précisément les dits propos et insultes, dont le caractère raciste est indiscutable par exemple : « retournez dans votre pays », « je n'aime pas les blancs », « c'est des merdes qui viennent voler notre argent, nous contrôler », « les blancs c'est une sale race » etc.

Si la teneur même ou la date de ces propos ne sont pas précisées dans la lettre de licenciement, d'une part ceux-ci sont matériellement vérifiables, d'autre part les juges du fond ne peuvent pas se fonder sur l'absence de précision de la date des griefs allégués par l'employeur pour conclure à une absence de cause réelle et sérieuse.

La réitération de ces propos et/ ou insultes, mais aussi le racisme qui motive ceux-ci, ont, comme l'indique Mme [N] dans son courrier (pièce n° 4 de l'intimée) conduit à une détérioration des conditions de travail de sa rédactrice, laquelle fait état de relations dégradées avec ses collègues de travail, qui l'ignorent ou refusent de lui parler, et de son intention de dénoncer ces actes en justice afin de retrouver des conditions de travail normales. L'attitude, induite par le comportement de l'appelante, chez les collègues de Mme [N], laquelle se retrouvait isolée, était susceptible de porter atteinte à sa dignité ou d'altérer sa santé mentale. Cette salariée pouvait donc légitimement invoquer une situation de harcèlement moral à laquelle l'employeur avait l'obligation de mettre fin immédiatement.

Il résulte de ce qui précède que les motifs du licenciement tels que mentionnés dans la lettre du 16 mai 2017 sont suffisamment précis et que leur matérialité est démontrée par l'intimée. Il importe peu, dans ces conditions, que l'enquête interne de l'employeur ait été menée sur une courte période.

La faute grave, définie comme celle qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, reprochée à Mme [W], doit être retenue dès lors que son comportement ouvertement raciste nuisait au fonctionnement normal de l'entreprise et mettait en danger la santé de ses collègues.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

La demande visant à la fixation de la moyenne du salaire des trois derniers mois de la salariée est, compte tenu de ce qui précède, dénuée d'intérêt.

3/ Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné Mme [W] aux dépens et à payer à l'association APAJH la somme de 500 €au titre des frais irrépétibles.

Succombant pour l'essentiel en son recours, l'appelante supportera la charge des dépens d'appel.

Le sens de la décision et l'équité justifient la condamnation de l'appelante à payer à l'intimée la somme de 1 000€ au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et mis à disposition par le greffe,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Cayenne du 29 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne l'association pour adultes et jeunes handicapés de Guyane (APAJH) à payer à Mme [Y] [W] la somme de 1 000€ (mille euros) à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier ;

Condamne Mme [Y] [W] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [Y] [W] à payer à l'association pour adultes et jeunes handicapés de Guyane (APAJH) la somme de 1 000 €(mille euros) au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et le Greffier.

Le GreffierLa Présidente de chambre

Fanny MILAN Nathalie RAMAGE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Cayenne
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00328
Date de la décision : 02/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-02;20.00328 ?
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