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06/05/2022 | FRANCE | N°21/00080

France | France, Cour d'appel de Cayenne, Chambre sociale, 06 mai 2022, 21/00080


COUR D'APPEL DE CAYENNE

15 avenue du Général de Gaulle - 97300 CAYENNE



CHAMBRE SOCIALE





















ARRÊT N°12



N° RG 21/00080 - N° Portalis 4ZAM-V-B7F-4LJ





[G] [R]



C/



S.A.R.L. GENEF









ARRÊT DU 06 MAI 2022





Jugement Au fond, origine Tribunal d'Instance de CAYENNE, décision attaquée en date du 11 Janvier 2021, enregistrée sous le n° F 18/00218





APPELANT :



Monsieur [G] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Roland SAINTE-ROSE, avocat au barreau de GUYANE





INTIME :



S.A.R.L. GENEF

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Me Jean-yves MARCAULT-DEROUARD, avocat au barreau de GUYANE


...

COUR D'APPEL DE CAYENNE

15 avenue du Général de Gaulle - 97300 CAYENNE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N°12

N° RG 21/00080 - N° Portalis 4ZAM-V-B7F-4LJ

[G] [R]

C/

S.A.R.L. GENEF

ARRÊT DU 06 MAI 2022

Jugement Au fond, origine Tribunal d'Instance de CAYENNE, décision attaquée en date du 11 Janvier 2021, enregistrée sous le n° F 18/00218

APPELANT :

Monsieur [G] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Roland SAINTE-ROSE, avocat au barreau de GUYANE

INTIME :

S.A.R.L. GENEF

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Me Jean-yves MARCAULT-DEROUARD, avocat au barreau de GUYANE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS:

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2022 en audience publique et mise en délibéré au 06 Mai 2022, en l'absence d'opposition, devant :

Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre

Monsieur Hervé DE GAILLANDE, Conseiller

Mme Corinne BIACHE, Conseillère

qui en ont délibéré.

GREFFIER :

Mme Fanny MILAN, Greffière, présente lors des débats et de Marie-France VASSEAUX, Greffière, présente lors du prononcé.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Exposé du litige

M. [G] [R] a été embauché par la société Guyane entreprise Neyrat et fils selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 mars 2003 en qualité d'ouvrier.

Du 02 février 2016 au 15 février 2017, il a été, d'une manière successive, en arrêt de travail pour cause de maladie.

Selon examen médical de pré-reprise effectué auprès de la CISTC en date du 24 janvier 2017, M. [G] [R] a été déclaré «'inapte à tous les postes. Maladie professionnelle en cours d'instruction par Caisse Sécurité Sociale. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'».

Selon lettre en date du 16 février 2017, la Caisse Générale de Sécurité Sociale a informé M. [G] [R] de son refus de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie ainsi que de la prise en charge y afférente.

Suivant requête en date du 19 décembre 2018, réceptionnée au greffe le 21 décembre 2018, M. [G] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Cayenne d'une demande dirigée contre la société Guyane entreprise Neyrat et fils.

Par jugement contradictoire du 11 janvier 2021, le conseil a':

-dit que les demandes additionnelles enregistrées au greffe le 10 juillet 2020 relatives à l'indemnité de dissimulation d'emploi salarié, aux dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation, aux dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat et pour défaut de reversement des cotisations, étaient irrecevables ;

-fixé la date de la rupture contractuelle au 17 mars 2017;

-fixé la moyenne du salaire à la somme de 1611,52€ ;

-débouté M. [G] [R] de sa demande de rappel de salaire sur la période de mars 2017 à mars 2021 ainsi que des indemnités de congés payés et de la remise des bulletins de salaires y afférents sur la période de mars 2017 à mars 2021;

-débouté M. [G] [R] de sa demande de résiliation judiciaire, ainsi que de sa demande d'indemnité au titre du licenciement abusif ;

-condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils à remettre à M. [G] [R] les documents de fin de contrat que sont le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi, et le reçu pour solde de tout compte, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du présent jugement, sous peine d'une astreinte de 100€ ( cent euros) par jour de retard passé ce délai ;

-condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils à payer à M. [G] [R] la somme de 5.864,14 euros bruts à titre d'indemnité légale de licenciement, somme productive d'intérêts à compter du 21 décembre 2018';

-débouté les parties du surplus de leurs demandes';

-condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils au paiement de la somme de 2,000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils aux entiers dépens.

Par déclaration reçue le 15 février 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision, limité aux chefs de jugement expressément critiqués.

La déclaration a été signifiée à la société Guyane entreprise Neyrat et fils par acte d'huissier du 29 mars 2021.

L'appelant a communiqué ses premières conclusions le 14 mai 2021.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 25 octobre 2021, il demande d'infirmer en toutes ses dispositions critiquées et celles qui en dépendent le jugement déféré et de':

-corriger les irrégularités de l'exposé du litige, des motifs et du dispositif du jugement,

-débouter l'intimé de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,

-déclarer les présents moyens et prétentions recevables et bien fondés et y faire droit,

-déclarer recevables les demandes initiales par requête et assignation en justice et les demandes additionnelles présentées devant le bureau de jugement,

-dire que la relation contractuelle s'est poursuivie jusqu'à ce jour,

-dire que l'employeur a manqué gravement à ses obligations essentielles de santé au travail, avancement, formation, reversement des cotisations sociales et paiement des salaires.

-rappeler qu'il incombe à l'employeur de rapporter la preuve du paiement des salaires et accessoires et du reversement du précompte des cotisations de retraite aux organismes de sécurité sociale,

En conséquence et statuant à nouveau,

-prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée aux torts exclusifs de l'employeur,

-dire que la résiliation du contrat s'analyse en un licenciement abusif et que la date d'effet est fixée au jour du prononcé de la décision,

-ordonner à la SARL Guyane entreprise Neyrat et fils exerçant sous le sigle GENEF de remettre à M. [G] [R] sous astreinte de 200,00 € par jour de retard :

*les bulletins de paie de décembre 2015 à juin 2022,

*l'attestation employeur destiné à l'organisme pôle emploi,

*le reçu pour solde de tout compte,

*le certificat de travail';

-rappeler que M. [G] [R] a droit à l'intégralité des salaires sans déduction des prestations sociales servies en raison de l'état de santé,

-rappeler que la moyenne des trois derniers mois de salaires bruts de M. [G] [R] a été fixée par le jugement à la somme de 1.611,52 €,

-condamner la SARL Guyane entreprise Neyrat et fils exerçant sous le sigle GENEF à payer à M. [G] [R] les réparations pécuniaires ci-après :

*rappel des salaires de 03/2017 à 06/2022 : ............................... 101.525,76 €

*indemnité de congés payés afférents de 03/2017 à 06/2022 ........ 10.152,58 €

*indemnité pour licenciement abusif: .......................................... . 18.532,48 €

*indemnité de dissimulation d'emploi salarié : .............................. . 9.669,12 €

*dommages-intérêts pour violation obligation de formation : ......... 4.834,56 €

*dommages-intérêts pour violation obligation prévention et sécurité résultat : 16.115,20 €

*dommages-intérêts pour défaut reversement des cotisations : .... .. 7.545,84 €

*dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat : ............ .. 9.669,12 €

-condamner la SARL Guyane entreprise Neyrat et fils exerçant sous le sigle GENEF à verser à M. [G] [R] la somme de 4.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner la SARL Guyane entreprise Neyrat et fils exerçant sous le sigle GENEF aux entiers dépens,

-ordonner la capitalisation des intérêts avec capitalisation en application des articles 1343-2 et 1231-7 du code civil à compter de la saisine du conseil de prud'hommes valant mise en demeure du 19 décembre 2018 .

Par conclusions du 05 août 2021, l'intimée demande de':

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire statuant en matière prud'homale,

-débouter M. [G] [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

-condamner M. [G] [R] à verser à la société GENEF la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 17 janvier 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, qui seront exposés dans les motifs pour les besoins de la discussion, la cour se réfère aux conclusions sus-visées et à la décision déférée, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs':

A titre liminaire, si l'appelant invoque des «irrégularités manifestes»':

-dans l'exposé du litige, dans la motivation et le dispositif du jugement,

-dans la reproduction de l'ajustement des conclusions de l'employeur sur les points essentiels du litige,

-dans les contradictions entre les motifs et entre les motifs et le dispositif du jugement,

force est de constater qu'il n'en tire aucune demande d'annulation du jugement, mais seulement son infirmation, laquelle suppose l'examen de ses diverses prétentions.

Il n'y a pas lieu en conséquence de répondre point par point aux griefs sus-évoqués qu'il développe.

1/ Sur la recevabilité des «'demandes nouvelles'» formulées dans la requête déposée le 10 juillet 2020':

Le conseil a, en considération de l'abrogation de l'article R 1452-7 du code du travail, et en application des dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, déclaré, dans le dispositif du jugement, irrecevables les demandes additionnelles enregistrées le 10 juillet 2020, en ce que celles-ci ne pouvaient être rattachées par un lien suffisant aux demandes mentionnées dans l'assignation du 13 novembre 2019, relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail, alors que les demandes additionnelles concernaient son exécution.

L'appelant affirme qu'il existe un lien suffisant entre les demandes initiales et les demandes additionnelles, les premières portant non seulement sur la rupture du contrat de travail, mais aussi sur son exécution.

Il souligne par ailleurs que la suppression du principe d'unicité de l'instance a offert aux parties la possibilité d'engager à tout moment de nouvelles actions en justice, et fait grief au conseil d'avoir, de manière contradictoire, ordonné la jonction des deux procédures tout en déclarant irrecevables les demandes additionnelles.

Il se prévaut également de l'application de la règle spéciale édictée par l'article L1454-1-1 du code du travail au détriment de la règle générale issue de l'article 70 du code de procédure civile.

La société intimée souligne que l'article L 1454-1-1 concerne la saisine de la formation de jugement'; que le conseil ne s'est pas déclaré non saisi des demandes additionnelles mais les a déclarées irrecevables en l'absence de lien suffisant avec les demandes initiales.

La cour relève que l'assignation délivrée le 13 novembre 2019 comportait des demandes relatives à la rupture du contrat de travail, mais aussi à son exécution, précisément des demandes d'indemnités pour dissimulation d'emploi salarié, de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation ou de l'obligation de sécurité, ou pour absence de versement de cotisations, lesquelles recoupent certaines des demandes énoncées dans la requête du 10 juillet 2020.

Il existe donc un lien suffisant entre les demandes initiales et les demandes additionnelles permettant de déclarer ces dernières recevables.

2/ Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur':

Le conseil a retenu que si le paiement des salaires de l'appelant avait fait défaut à partir du 17 mars 2017, il n'était pas démontré que le lien contractuel avait persisté jusqu'au jour du jugement dès lors que le salarié avait, en sollicitant de son employeur la remise des documents de fin de contrat, manifesté sa volonté de prendre acte de la rupture du contrat et que l'absence de réclamation du salarié ou de toute correspondance entre les parties pendant de longs mois confirmait la rupture du lien contractuel. Il en a déduit que la gérante de la société intimée avait légitimement pu penser que le salarié avait pris irrévocablement acte de la rupture contractuelle, et a débouté celui-ci de sa demande de résiliation du contrat de travail.

Il a, nonobstant les problèmes de santé de la gérante de l'entreprise, lesquelles constituaient deux personnes distinctes, fait grief à l'employeur de ne pas avoir respecté la procédure de licenciement et a alloué au salarié la somme de 5 864,14€ au titre de l'indemnité légale de licenciement, après avoir fixé la date de la rupture du contrat de travail au 17 mars 2017.

L'appelant se prévaut d'une impossibilité juridique de retenir une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié au 17 mars 2017 et de requalifier la demande de résiliation judiciaire du salarié en prise d'acte de rupture du contrat par le salarié.

Il affirme n'avoir jamais manifesté la moindre volonté de prendre acte de cette rupture, mais seulement demandé à la gérante de l'entreprise de reprendre, après son arrêt de travail, le versement de son salaire ou de lui fournir les documents de fin de contrat, sans jamais fixer de date de rupture, formaliser un grief contre la gérante ou prétendre que celle-ci était de mauvaise foi.

Il invoque, au soutien de sa demande de résiliation, des manquements de l'employeur à ses obligations, soit'l'absence de':

-versement de ses salaires à compter du 17 mars 2017 et jusqu'au mois de juin 2022,

-visites médicales périodiques,

-évolution de carrière,

-entretien annuel d'évaluation professionnelle,

-formation professionnelle,

-reversements du précompte des cotisations sociales.

Il déduit de cette résiliation l'existence d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

L'intimée met en exergue l'état de santé défaillant de sa gérante qui na pas été en mesure de procéder au licenciement de l'appelant alors qu'elle souhaitait le faire. Elle fait valoir que cet état de santé constitue un cas de force majeure l'ayant exonéré de son obligation de respecter la procédure de licenciement.

Elle sollicite la confirmation du jugement en ce que le conseil a considéré qu'il n'existait pas de manquement de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Il résulte des conclusions du salarié devant la juridiction de première instance (pièce n° 72) que celui-ci y avait indiqué avoir demandé verbalement à son employeur, à compter du 17 mars 2017, de faire le choix entre le paiement de ses salaires et la remise de documents de fin de contrat.

L'intimée ne contestant pas le contenu de ces demandes verbales, il apparaît que le salarié n'avait pas manifesté d'intention dénuée d'équivoque de prendre acte de la rupture du contrat de travail comme l'a retenu le conseil, et que l'exécution de ce contrat s'est donc poursuivie jusqu'à ce jour.

L'état de santé de la gérante de la société intimée ne modifie pas cette analyse, étant au surplus souligné que les pièces médicales pour en justifier (n° 3 et 4 de l'intimée) sont soit antérieures (2016) à la période à laquelle le licenciement du salarié devait être effectué, soit largement postérieures à cette même période, et que les difficultés qui y sont mentionnées (difficultés visuelles à l''il gauche, audition faible) n'interdisaient nullement à l'entreprise, qui ne peut se prévaloir d'un cas de force majeure, de suivre la procédure de licenciement de M. [R].

Le non-paiement de salaires à compter du 17 mars 2017 n'étant pas contesté par l'intimée, qui ne produit aucune pièce permettant d'écarter ce grief, il apparaît que l'employeur a manqué à l'une de ses obligations essentielles, et que ce manquement justifie la résiliation du contrat de travail à ses torts au jour du présent arrêt et ce, sans examen surabondant des autres manquements invoqués.

3/ Sur les demandes découlant de la résiliation

3-1/ Sur la demande de rappel de salaires et congés payés y afférents

L'exécution du contrat de travail s'étant poursuivie jusqu'au jour du présent arrêt, l'appelant doit obtenir paiement de ses salaires jusqu'au 06 mai 2022, soit 99 323,35€ (1 611,52 X 61 mois et 19 jours), outre les congés payés y afférents, soit 9 932,33€.

3-2/ Sur la demande d'indemnité pour licenciement abusif

En application de l'article 1235-3 alinéa 2 du code du travail, l'appelant, qui fait valoir que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sollicite le versement d'une indemnité correspondant à onze mois de salaire, mettant en exergue les difficultés financières générées par les manquements de l'employeur, son ancienneté, le défaut de qualification et de formation suivie pendant l'exécution du contrat, obérant les opportunités de retrouver un emploi.

L'intimée sollicite le rejet de cette prétention en ce que seul le non-respect de la procédure de licenciement peut lui être reproché et, subsidiairement, sollicite la limitation de l'indemnité à trois mois de salaire.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il convient de relever que l'appelant fait état dans ces conclusions d'un effectif de l'entreprise inférieur à 11 salariés, ce que ne conteste pas l'intimée.

Au regard de son ancienneté de plus de dix années au jour du présent arrêt, des difficultés financières générées par la poursuite de son contrat de travail sans contrepartie financière, de son âge (58 ans) et de l'absence, non contestée, de formation offerte pendant l'exécution du contrat réduisant d'autant ses chances de retrouver un emploi, l'indemnité apparaît devoir être fixée à la somme de 9 669,12 € correspondant à 6 mois de salaire.

4/ Sur la demande d'indemnité de dissimulation d'emploi salarié

L'appelant expose que l'employeur s'est abstenu d'effectuer les déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales auprès des organismes sociaux en 2014 à 2016'; que l'élément intentionnel du travail dissimulé se déduit de l'importance de cette période, alors que l'entreprise avait commencé son exercice en 1977 et était donc au fait de ses obligations.

Il sollicite en conséquence le paiement de l'indemnité de six mois de salaire prévue par l'article L 8223-1 du code du travail.

L'intimée conteste avoir agi de manière intentionnelle.

Elle affirme qu'il appartient au salarié de démontrer l'existence d'un travail dissimulé et que l'appelant échoue dans cette démonstration.

Elle fait valoir qu'elle se trouvait en procédure de redressement judiciaire au mois de septembre 2013'; que par la suite un administrateur judiciaire a été nommé'; que, le 24 octobre 2014, le tribunal mixte de commerce a prolongé la période d'observation'; que le 15 septembre 2015 a été adopté un plan de redressement et que ses dettes, créances et actes étaient scrupuleusement encadrés par l'administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire et le juge commissaire.

La cour retient que l'intimée opère un renversement de la charge de la preuve en soutenant qu'il appartient au salarié de démontrer l'existence d'un travail dissimulé': la preuve de la déclaration régulière du salarié incombe à l'employeur, qui ne verse en l'espèce aucune pièce pour justifier de l'accomplissement de cette obligation.

La procédure collective dont l'employeur a fait l'objet ne le dispensant pas de ses obligations déclaratives, dont il avait parfaitement connaissance comme exerçant depuis de nombreuses années et l'ayant au demeurant respecté avant 2014, il apparaît que le travail dissimulé est caractérisé, l'intimée ayant manifestement souhaité diminuer le poids de ses charges sociales dans un contexte financier devenu plus difficile et ayant conduit à un état de cessation des paiements en septembre 2012 selon ses propres affirmations.

L'appelant est en conséquence fondé à obtenir paiement de la somme sollicitée correspondant à l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 8223-1 du code du travail.

5/ Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation

L'appelant soutient n'avoir jamais pu suivre de formation professionnelle et, au visa de l'article L 6321-1 du code du travail, sollicite le versement d'une somme correspondant à trois mois de salaire, imputant ses problèmes de santé («'grave pathologie de l'épaule gauche survenu au lieu et temps de travail par la méconnaissance de certains gestes et postures'») et la perte de chance d'obtenir rapidement un nouvel emploi à ce défaut de formation.

L'intimée souligne qu'aucune maladie professionnelle n'a été reconnue à l'appelant'; que s'il avait existé un lien entre son état de santé et son travail, la maladie professionnelle aurait été nécessairement reconnue.

La cour relève que l'absence de toute formation pendant l'exécution du contrat de travail n'est pas discutée par l'intimée, qui ne démontre pas s'être acquittée de cette obligation, mais se prévaut, à juste titre, de l'absence de reconnaissance de maladie professionnelle, laquelle interdit d'imputer l'état de santé de l'appelant à l'absence de formation.

L'appelant invoque également toutefois la perte de chance de retrouver un emploi dont l'absence de formation est également à l'origine.

De fait, cette formation aurait accru les chances de l'intéressé, qui ne dispose pas par ailleurs de diplômes ou qualifications professionnelles particulières, de retrouver un emploi.

La perte de chance doit cependant être relativisée au regard de l'âge de l'intéressé, de son état de santé (sans lien avec son précédent emploi, pour rappel), et du bassin local d'emplois dont la situation est dégradée.

Au regard de ces éléments, la réparation de la perte de chance causée par l'absence de formation sera évaluée à un mois de salaire.

6/ Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de prévention et de sécurité de résultat de mars 2003 à décembre 2015':

L'appelant expose qu'en l'absence d'accident du travail reconnu par la sécurité sociale, le conseil de prud'hommes peut seul réparer le préjudice consécutif à la violation de cette obligation.

Il fait grief à l'employeur de ne pas avoir pris les mesures prévues par les articles L4121-1, L 4121-2 et R 4541-8 du code du travail en le laissant manipuler d'énormes madriers de bois, en omettant d'organiser régulièrement des visites médicales et d'interroger le médecin du travail après l'accident de mars 2014.

Il fait valoir que son état pathologique invalidant est en lien avec la violation de cette obligation et sollicite la réparation du préjudice subi par l'allocation d'une somme correspondant à dix mois de salaire.

L'intimée considère que l'appelant ne démontre pas les manquements qu'il lui impute.

Elle rappelle que sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été rejetée et soutient que le conseil des prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur la demande.

L'appelant ne réclame pas réparation d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, mais l'indemnisation du préjudice causé par le non-respect de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur. La juridiction prud'homale est donc compétente pour examiner cette prétention.

L'intimée opère là encore un renversement de la charge de la preuve en faisant peser sur le salarié la preuve du non-respect de l'obligation de sécurité': il lui appartient, en qualité d'employeur, de démontrer qu'elle a pris les mesures imposées par le code de travail, ce qu'elle échoue à faire en l'espèce.

En revanche, l'appelant ne démontrant pas, en l'absence de reconnaissance d'une maladie professionnelle, l'existence d'un lien de causalité entre son état de santé et ce non-respect, sa demande sera rejetée.

7/ Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut de versement des cotisations salariales aux organismes sociaux de janvier 2014 à décembre 2015':

L'appelant soutient que l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé se cumule avec d'autres dommages et intérêts en lien avec les mêmes faits.

Il expose qu'à la lecture de ses bulletins de salaires, il apparaît que l'intimée a opéré des retenues de cotisations salariales durant les années 2014 et 2015'; que le relevé de carrière de l'assurance maladie du 04 octobre 2019 démontre une absence totale de déclarations de salaires et cotisations sociales auprès de l'URSSAF au cours de ces mêmes années.

Il en déduit qu'il subira inévitablement une baisse du montant de sa retraite en raison de l'omission de 8 trimestres de cotisations, et sollicite l'allocation de la somme de 7 545,84€ à titre de dommages et intérêts de ce chef.

L'intimée soutient que cette demande fait double emploi avec celle relative au travail dissimulé'; que l'appelant n'a pas vocation à se voir verser les cotisations éludées en ce que celles-ci ne reviennent qu'aux organismes sociaux.

Elle conteste tout manquement, rappelant qu'elle se trouvait alors en période d'observation puis de redressement judiciaire.

Indépendamment de la sanction civile prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail, tout salarié a droit à l'indemnisation du préjudice lié à la faute de l'employeur dans l'exécution de ses obligations, parmi lesquelles figure celle de reverser aux organismes sociaux les retenues de cotisations salariales.

L'intimée ne conteste pas avoir omis d'opérer ce reversement, et ne saurait s'affranchir de cette obligation au prétexte qu'elle se trouvait en période d'observation, puis de redressement judiciaire, alors même qu'elle poursuivait son exploitation et l'exécution du contrat de travail du salarié.'

Toutefois, l'appelant ne peut, sous couvert de dommages et intérêts, récupérer le montant des cotisations éludées, lesquelles ont vocation à revenir aux organismes sociaux': ces cotisations ne constitueront pas sa pension de retraite, mais fondent simplement le calcul de cette dernière.

En l'absence de simulation permettant de comparer le montant des pensions respectives (incluant les cotisations éludées / sans les dites cotisations), la cour n'est pas en mesure de valider l'évaluation du préjudice telle que présentée par l'appelant en vérifiant son exactitude.

Cette prétention sera donc rejetée.

8/ Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

L'appelant invoque une intention de nuire de la part de l'employeur qui l'a laissé sans revenus depuis le 17 mars 2017 et une déloyauté manifestée par'l'absence de':

-contrat de travail écrit,

-visites médicales périodiques,

-évolution de carrière,

-entretien annuel d'évaluation professionnelle,

-formation professionnelle,

-reversements du précompte des cotisations salariales,

-versement des primes conventionnelles d'ancienneté et des 13èmes mois prévus par les conventions collectives applicables.

Il fait état d'un important préjudice psychologique et économique causé par l'exécution déloyale du contrat de travail.

L'intimée fait valoir':

-qu'aucun écrit n'est exigé s'agissant du contrat de travail,

-que tous les salaires ont été versés à l'intéressé,

-que celui-ci a pu bénéficier de visites devant le médecin du travail.

Elle conteste toute déloyauté.

Au regard de ce qui précède, s'il peut être fait grief à l'employeur d'avoir omis d'organiser des visites médicales périodiques, d'avoir manqué à ses obligations d'entretien annuel d'évaluation professionnelle, de formation professionnelle, dont découle potentiellement l'évolution de carrière, et de reversement des précomptes, il ne peut en revanche lui être reproché de ne pas avoir formalisé le contrat de travail par un écrit, lequel n'est pas obligatoire.

L'intimée, qui fait état des versements des salaires, passe également sous silence le paiement des primes d'ancienneté et 13èmes mois auxquels le salarié pouvait prétendre en application des dispositions de la convention collective applicable des «'ouvriers du bâtiment, des travaux publics et des industries et activités connexes de la Guyane du 25 novembre 2009'» (pièces n° 59 et 60 de l'appelant) et qui n'apparaissent sur aucun des bulletins de salaires versés aux débats .

La multitude des manquements caractérisés permet de retenir une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur, laquelle a causé un préjudice qui apparaît devoir être réparé, compte tenu des éléments de l'espèce,et notamment la durée d'exécution du contrta de travail, par l'allocation d'une somme correspondant à trois mois de salaire, soit 4 834,56€.

9/ Sur les autres demandes

La capitalisation annuelle des intérêts sera ordonnée à compter de la saisine du conseil de prud'hommes s'agissant des éléments de salaire, et à compter du présent arrêt s'agissant des sommes ayant un caractère indemnitaire.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils aux dépens et à payer à M. [R] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et mis à la disposition du public par le greffe,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Cayenne du 11 janvier 2021 sauf en ce qu'il a condamné la société Guyane entreprise Neyrat et fils à remettre à M. [G] [R] les documents de fin de contrat sous astreinte et à verser à M. [R] la somme de 2 000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens';

Statuant à nouveau,

Déclare recevables les demandes additionnelles de M. [G] [R] présentées suivant requête déposée au greffe du conseil le 10 juillet 2020';

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail liant la société Guyane entreprise Neyrat et fils à M. [G] [R], aux torts de l'employeur';

Condamne la société Guyane entreprise Neyrat et fils à verser à M. [G] [R] les sommes de':

-99 323,35€ (quatre-vingt-dix-neuf mille trois cent vingt-trois euros et trente-cinq centimes) à titre de rappel de salaires du 17 mars 2017 au 06 mai 2022';

-9 932,33€ (neuf mille neuf cent trente-deux euros et trente-trois centimes) au titre des congés payés afférents au rappel de salaire';

-9 669,12€ (neuf mille six cent soixante-neuf euros et douze centimes) à titre d'indemnité pour licenciement abusif';

-9 669,12€ (neuf mille six cent soixante-neuf euros et douze centimes) à titre d'indemnité pour dissimulation d'emploi salarié';

-1 611,52€ (mille six cent onze euros et cinquante-deux centimes) à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation';

-4 834,56€ (quatre mille huit cent trente-quatre euros et cinquante-six centimes) à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail';

Déboute M. [G] [R] de ses demandes de':

-dommages et intérêts pour violation de l'obligation de prévention et de sécurité';

-dommages et intérêts pour défaut de reversement des cotisations';

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts échus à compter du 13 novembre 2019 s'agissant des sommes de caractère salarial et du présent arrêt s'agissant des sommes de caractère indemnitaire';

Et y ajoutant,

Condamne la société Guyane entreprise Neyrat et fils aux dépens d'appel.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et le Greffier.

Le GreffierLa Présidente de chambre

Marie-France VASSEAUX Nathalie RAMAGE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Cayenne
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00080
Date de la décision : 06/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-06;21.00080 ?
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