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10/11/2014 | FRANCE | N°12/00316

France | France, Cour d'appel de Cayenne, Chambre civile, 10 novembre 2014, 12/00316


COUR D'APPEL DE CAYENNE

[Adresse 1]



CHAMBRE CIVILE





















ARRET N°



RG 12/00316





CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUYANE



C/



SA SEFITEC









ARRET DU 10 NOVEMBRE 2014







APPELANTE :



CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUYANE

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Hélène SIRDER, avocat au Barreau de

Guyane, postulant, Me Anne RIQUELME, avocat au barreau de PARIS, plaidant.





INTIMEE :



SA SEFITEC

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Elisabeth EWSTIFEIEFF, avocat au Barreau de Guyane, postulant, Me Philippe LHUMEAU, avocat au barreau de PARIS, plaidant.





C...

COUR D'APPEL DE CAYENNE

[Adresse 1]

CHAMBRE CIVILE

ARRET N°

RG 12/00316

CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUYANE

C/

SA SEFITEC

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2014

APPELANTE :

CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA GUYANE

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Hélène SIRDER, avocat au Barreau de Guyane, postulant, Me Anne RIQUELME, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMEE :

SA SEFITEC

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Elisabeth EWSTIFEIEFF, avocat au Barreau de Guyane, postulant, Me Philippe LHUMEAU, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS:

L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2014 en audience publique et mise en délibéré au 10 Novembre 2014, devant la Cour composée de :

M. Pierre GOUZENNE, Premier Président

Mme Constance REZAIRE LOUPEC, Conseiller Doyen

Mme Sylvie COLLIERE, Conseiller

qui en ont délibéré.

GREFFIER :

Mme Cécile PAUILLAC, Greffier, présente lors des débats et du prononcé

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guyane (la CGSS) décidait en 1992 l'extension de son siège social et confiait la maîtrise d'oeuvre de l'opération à un groupement composé d'architectes et d'un BET lequel répartissait les travaux en 20 lots traités par marchés séparés

Page - 1 -

La société SEE MAIRE se voyait notifier le 8 septembre 1999 les marchés qui lui avaient été attribués, concernant les lots numéros 1 (gros-oeuvre, maçonnerie) pour un montant de 5 975 077 francs, 3 (menuiseries bois) pour un montant de 226 675 francs, 10a (voirie, parking) pour un montant de 1 368 930 francs et 10b (branchements, réseaux divers) pour un montant de 696 470 francs.

Les actes d'engagement stipulaient que l'ensemble des travaux tous corps d'état seraient exécutés dans le délai global plafonné à l8 mois à compter de la date fixée par l'ordre de service général prescrivant l'ouverture du chantier, non compris la période de préparation hors délai.

L'ordre de service général de démarrage des travaux en date du 8 septembre 1999 à effet du même jour était notifié à la société SEE MAIRE, qui en accusait réception le 15 septembre suivant.

Les ordres de service par lot de démarrage des travaux étaient notifiés le 8 septembre 1999, à effet au 8 octobre 1999, la société SEE MAIRE en accusant réception le 15 septembre suivant.

Toutefois, le compte rendu de la première réunion de synthèse du 24 novembre 1999 mentionnait que la CGSS avait demandé des modifications substantielles du projet initial ayant nécessité l'établissement de nouveaux plans en attente d'approbation du maître de l'ouvrage de sorte que les plans à la disposition des entreprises étaient devenus obsolètes. Ainsi il était décidé de neutraliser le planning.

Par courrier du 29 novembre 1999, la société SEE MAIRE prenait acte de l'arrêt de chantier concernant les travaux de bâtiment depuis le 24 novembre 1999 et indiquait qu'elle ferait parvenir un coût journalier d'arrêt de chantier, ce qu'elle faisait par courrier du 30 novembre 1999 chiffrant à 3 600 francs par jour le coût journalier calendaire correspondant à la location de 6 bungalows à 600 francs par jour et d'une grue à 3 000 francs par jour.

Par jugement du 1er décembre 1999, le tribunal mixte de commerce de Cayenne ouvrait une procédure de redressement judiciaire à l'égard des sociétés du Groupe MAIRE et par jugement du 5 juillet 2000, cette juridiction arrêtait le plan de cession de l'entreprise à la société SEFITEC, avec notamment la reprise de 70 salariés et des contrats de chantier en cours.

Le 25 juillet 2000, la CGSS et la société SEFITEC signaient quatre avenants pour tenir compte pour chacun des marchés du changement de titulaire du marché et pour définir la répartition du prix du marché puisque la société SEE MAIRE avait, s'agissant des lots 1 et 10b commencé à effectuer les travaux. La société SEFITEC s'engageait à exécuter les travaux dans les conditions définies par les documents contractuels initiaux.

La SA SEFITEC recevait un ordre de service le 18 Octobre 2000 pour la reprise des travaux de gros-oeuvre mais émettait des réserves pour l'exécuter, "dans l'attente de la notification de l'avenant définitif entérinant les nouveaux prix unitaires, la date de cette notification (déterminant) le début du délai contractuel des travaux".

Par courrier du 4 janvier 2001, la société SEFITEC constatant que le chantier était toujours arrêté, adressait à la CGSS une facture d'un montant de 331 200 francs relative aux frais d'arrêt du chantier du 1er octobre 2000 au 31 décembre 2000, sur la base d'un coût journalier de 3 600 francs.

Le ler février 2001, quatre avenants étaient conclus entre la CGSS et la SA SEFITEC pour tenir compte des modifications apportées au programme initial (suppression du bâtiment Restaurant et aménagement de la totalité du plateau du 2ème étage ) et fixer le nouveau montant des marchés.

L'ordre de service du 13 février 2001 reçu le 19 février 2001 pour le démarrage des travaux du lot n°1 prévoyait une période de préparation égale à un mois, débutant à compter de la date à laquelle les plans Maîtrise d'oeuvre seraient transmis à l'entreprise avec le visa "bon pour exécution".

Un ordre de service général en date du 25 juillet 2001 était établi pour donner l'ordre à la société SEFITEC de reprendre les travaux se rapportant au gros-oeuvre à compter du 4 septembre 2001, la période du 25 juillet au 3 septembre 2001 étant considérée comme une période préparatoire. Il était en outre spécifié : "le nouveau délai propre à chaque lot est donné par le planning contractuel d'exécution joint au présent ordre de service."

Finalement, le redémarrage effectif des travaux de gros oeuvre n'avait lieu que le 7 janvier 2002, conformément à l'ordre de service général du 19 décembre 2001 reçu le 14 Janvier 2002 par la SA SEFITEC.

Les ordres de service par lot suivaient le 25 juin 2002, avec une date de démarrage au 23 août 2002 pour le lot n°3, au 11 octobre 2002 pour le lot n°10b et au 8 novembre 2002 pour le lot n°10a.

La SA SEFITEC formait plusieurs mémoires de réclamation dans le cadre de l'article 48 du Cahier des Clauses Adminstratives Générales applicable aux marchés publics ( décret n°76-87 du 21 janvier 1976 ) :

- le 25 juin 2001 pour réclamer 841 175 euros HT représentant sa perte en frais fixes de structure, en frais de gardiennage du chantier, en indemnisation des frais de chantier (immobilisation des matériels, renforcement de la clôture du chantier, débroussaillage du terrain, maintien d'abonnements, remise en état de la grue POTIN), en incidence du salaire horaire moyen sur 1'économie du chantier ;

- le 30 novembre 2001 pour actualiser ces mêmes postes à 1 056 514,20 euros HT;

- le 18 novembre 2002 pour actualiser à nouveau à 1 317 921,31 euros HT ;

- le 5 mars 2003 pour accepter de ramener sa demande à 968 367,18 euros en cas de règlement immédiat par la CGSS et à 1 281 890,04 euros à défaut de règlement ;

- le 2 juillet 2003, pour réclamer la prise en compte de l'immobilisation des personnels affectés au chantier du 5 juillet 2000 au 6 janvier 2002 pour 824 889,20 euros hors TVA.

Entre temps, par ordonnance de référé du 15 juillet 2002, le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, saisi par la société SEFITEC avait ordonné une expertise confiée à Monsieur [O] [G] aux fins de déterminer la nature et les montants des préjudices subis par la SA SEFITEC à la suite de l'ajournement du chantier.

La mission de l'expert était étendue par ordonnances des 18 août 2003 et 29 janvier 2004.

Après s'être adjoint un sapiteur en la personne de Monsieur [M], expert-comptable, Monsieur [G] déposait son rapport le 4 décembre 2006.

Il relevait que :

- "les différents ordres de services étaient délivrés d'une manière difficilement compréhensible, car à chaque fois le chantier ne pouvait pas redémarrer, notamment par une insuffisance, voire une absence de plans."

- "les travaux de gros-oeuvre qui devaient se dérouler entre le 8 septembre 1999 et le 30 juin 2000 ont en fait été réalisés entre le 7 janvier 2002 et le 30 octobre 2002";

- les allégations de la société SEFITEC selon lesquelles tout le personnel avait été payé entre septembre 99 et janvier 2002 sans assurer la moindre prestation étaient invérifiables ;

- il n'était pas non plus possible de déterminer quelle était la masse salariale prévue au marché d'origine.

Il retenait les préjudices et évaluations suivants :

- frais généraux sur prestations propres de SEFITEC (période contractuelle)....... ................................................................................................ 182 771,00 euros

- pertes sur sous-traitants ( période contractuelle)....................... 40 464,66 euros

- frais de gardiennage ................................................................. 2 439,18 euros

- frais de chantier (immobilisation de gros matériel).................... 423 503,37 euros

- frais de chantier (immobilisation de petit matériel) .................... 1 715,05 euros

- frais de chantier (renforcement clôture) .................................... 4 573,47 euros

- frais de chantier (débroussaillage) ............................................. 1 097,63 euros

- maintien des abonnements (EDF et France Telecom) .............. 357,70 euros

TOTAL.................................................................................... 656 922,06 euros

Par jugement du 11 juin 2009, le tribunal administratif de Cayenne se déclarait incompétent pour connaître des demandes indemnitaires de la société SEFITEC, décision confirmée par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 5 avril 2011.

Par acte en date du 17 juin 2009, la SA SEFITEC a porté ses demandes devant le tribunal de grande instance Cayenne, lequel par jugement en date du 6 juin 2012 a :

- homologué en ses conclusions non contraires au jugement le rapport de Monsieur [G] ;

- déclaré recevable, comme.non frappée de forclusion la demande de la SA SEFITEC fondée sur l'article 48 du CCAG liant les parties, dans le cadre des marchés de travaux qu'elles ont signés ;

- dit et jugé que l'ajournement du chantier a entraîné pour la SA SEFITEC des frais de garde et des préjudices spécifiques ;

- fixé la durée de l'ajournement directement préjudiciable à la SA SEFITEC à 15 mois pour la garde du chantier et à 18 mois pour les frais pour les frais fixes et de personnels ;

- en conséquence, fixé les créances de la SA SEFITEC à 277 5400 euros au titre des frais de garde, à 274 270 euros au titre des frais fixes et de structure et à 624 000 euros au titre des frais de personnel;

- condamné en conséquence la CAISSE de SECURITE SOCIALE de la GUYANE à payer à la SA SEFITEC Ia somme de 1 175 810 euros ;

- condamné également la CGSS à payer à la SA SEFITEC la somme de 670 225 euros au titre des frais financiers induits entre novembre 2002 et juin 2012 ;

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- rejeté la demande fondée sur l'article 1154 du code civil ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision à hauteur de 1 000 000 euros ;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire des parties ;

- condamné la CGSS aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et seront distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par acte en date du 20 juillet 2012, la CGSS a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 25 mars 2012, le premier président de cette cour l'a déboutée de sa demande principale d'arrêt de l'exécution provisoire et de sa demande subsidiaire d'aménagement de l'exécution provisoire.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 15 janvier 2014, la CGSS demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et en conséquence de déclarer les demandes de la société SEFITEC irrecevables, à défaut de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à lui rembourser la somme de 1 000 000 euros versée dans le cadre de l'exécution provisoire attachée à la décision déférée ainsi qu'à lui régler la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir en substance que :

- les demandes de la société SEFITEC au titre de l'ajournement des travaux sont irrecevables du fait des forclusions entachant ses mémoires de réclamation ;

- ces demandes ne sont pas fondées compte tenu de la conclusion d'avenants ayant fixé le montant définitif des marchés postérieurement à la reprise des travaux ;

- en tout état de cause, la société SEFITEC n'établit pas les chefs de préjudice qu'elle invoque.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 24 octobre 2013, la SA SEFITEC demande :

- la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré ses demandes recevables et a condamné la CGSS à lui régler la somme de 624 000 euros au titre des frais de personnel ;

- sa réformation sur le surplus et qu'en conséquence il soit jugé que la durée d'ajournement du chantier est de 25 mois et 14 jours et la CGSS condamnée à lui régler les sommes de :

* 636 000 euros HT au titre des frais fixes de structure ;

* 431 427,22 euros au titre de l'immobilisation des équipements de chantier;

* 2 429,18 euros au titre des frais de gardiennage ;

avec intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2003 et capitalisation des intérêts ;

* 1 085 000 euros HT au titre des frais financiers arrêtés au 31 décembre 2006 ;

* 18 200 euros HT par mois au titre des frais financiers entre le 1er janvier 2007 et la date de parfait paiement des indemnités qui lui sont dues ;

* 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

- elle fonde valablement son action sur les dispositions de l'article 48 du CCAG et ce d'autant plus que le décompte définitif des travaux ne lui a jamais été adressé, le différend l'opposant de manière non ambigüe au maître de l'ouvrage et en aucun cas au maître d'oeuvre ; elle est ainsi recevable à agir ;

- la régularisation d'avenants sur des points mineurs n'emporte aucune renonciation de quelque nature que ce soit de sa part à revendiquer et obtenir réparation du préjudice que la CGSS lui a causé ;

- la CGSS a elle-même admis la recevabilité et le principe de l'indemnisation du préjudice, notamment dans sa lettre du 16 octobre 2001 et sa télécopie du 16 novembre 2001 ;

- la durée d'ajournement du chantier entièrement et exclusivement imputable à la CGSS a duré 25 mois et 14 jours, cette période étant seule à prendre en compte pour la fixation de son préjudice.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 15 mai 2014.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de la SA SEFITEC :

Ainsi que le premier juge l'a utilement et préalablement rappelé, il résulte de l'article 1.5 du Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP) que :

- le maître de l'ouvrage est la CGSS,

- la personne responsable du marché est le directeur de la CGSS,

- la maîtrise d'oeuvre est assurée par un cabinet d'architecte, le cabinet [Q] et [C] (après le retrait de Monsieur [X]) auquel s'est adjoint par la suite le Bureau d'Etudes Techniques (BET) AGIC ; le maître d'oeuvre coordonne les travaux ;

- chaque entreprise titulaire d'un marché est désignée par l'expression "l'entrepreneur".

En outre, selon l'article 2 du CCAP, au nombre des pièces constitutives du marché, sont applicables aux marchés en cause :

- l'arrêté du 9 mai 1995 portant règlement sur les marchés des organismes de sécurité sociale du régime général ;

- le Cahier des Clauses Administratives Générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG) approuvé par le décret 76-87 du 21 janvier 1976 exception faite des dérogations indiquées à l'article 11.

L'article 11 intitulé "dérogations aux documents généraux" exclut l'application des clauses 50.3 et 50.4 du CCAG relatifs à la procédure contentieuse et à l'intervention d'un comité consultatif de règlement amiable, au profit de l'application des articles 127, 128 et 129 de l'arrêté susvisé du 9 mai 1995, ces articles repris à l'article 10 du CCAP disposant que :

- article 127 : "Pour le règlement des litiges, les parties contractantes peuvent se soumettre à l'arbitrage d'un arbitre unique choisi d'un commun accord à la demande de la partie la plus diligente ou, à défaut d'accord dans les dix jours de cette demande, désigné par le président du tribunal compétent statuant en référé à la demande d'une des parties."

- article 128 : " Les litiges qui ne peuvent être réglés par voie d'arbitrage sont soumis aux juridictions de droit commun".

- article 129 : "les marchés doivent prévoir que, en cas de litige relatif à leur exécution, le droit français est seul applicable et les tribunaux français seuls compétents."

L'article 50 du CCAG intitulé "Règlement des différends et des litiges" dispose que:

'50.1. Intervention de la personne responsable du marché :

50.11. Si un différend survient entre le maître d'oeuvre et l'entrepreneur, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, l'entrepreneur remet au maître d'oeuvre, aux fins de transmission à la personne responsable du marché, un mémoire exposant les motifs et indiquant les montants de ses réclamations.

50.12. Après que ce mémoire a été transmis par le maître d'oeuvre, avec son avis, à la personne responsable du marché, celle-ci notifie ou fait notifier à l'entrepreneur sa proposition pour le règlement du différend, dans un délai de deux mois à compter de la date de réception par le maître d'oeuvre du mémoire de réclamation. L'absence de proposition dans ce délai équivaut à un rejet de la demande de l'entrepreneur.

50.2. Intervention du maître de l'ouvrage :

50.21. Lorsque l'entrepreneur n'accepte pas la proposition de la personne responsable du marché ou le rejet implicite de sa demande, il doit, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette proposition ou de l'expiration du délai de deux mois prévu au 12 du présent article, le faire connaître par écrit à la personne responsable du marché en lui faisant parvenir, le cas échéant, aux fins de transmission au maître de l'ouvrage, un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus.

50.22. Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage.

50.23. La décision à prendre sur les différends prévus aux 21 et 22 du présent article appartient au maître de l'ouvrage.

Si l'entrepreneur ne donne pas son accord à la décision ainsi prise, les modalités fixées par cette décision sont appliquées à titre de règlement provisoire du différend (...)."

La CGSS soutient en premier lieu qu'en l'espèce les mémoires de réclamation de la société SEFITEC, établis et adressés en cours d'exécution du marché, puisque l'ajournement est intervenu alors que l'ordre de démarrage des travaux avait été notifié, doivent être considérés comme le mémoire visé à l'article 50.11 et auraient dû faire, sous peine de forclusion, l'objet d'une réitération dans le délai prévu par l'article 50.21 du CCAG, peu important que le maître d'oeuvre ne soit pas responsable de l'ajournement. Elle en déduit que les demandes relatives aux divers postes mentionnés dans les mémoires de la société SEFITEC ne sont plus recevables.

Or, les mémoires adressés par la SA SEFITEC, fondés sur l'article 48-1 du CCAG selon lequel "l'entrepreneur, qui conserve la garde du chantier, a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et du préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement", portent sur des demandes qui ne se rattachent pas aux conditions d'exécution et de direction du chantier, ni ne font état d'un différend avec le maître d'oeuvre dans la conduite des travaux mais sont consécutives à la décision relative à l'ajournement des travaux prise par la CGSS, laquelle avait demandé des modifications substantielles du projet initial qui ne correspondait plus à ses besoins.

Le différend qui s'est fait jour à l'occasion de la décision d'ajournement de la CGSS est donc un litige entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur relevant de l'article 50.22 du CCAG.

Dès lors, l'article 50-21 du CCAG qui ne concerne que les différends entre entrepreneur et maître d'oeuvre n'est pas applicable et la société SEFITEC n'avait pas dans le délai de trois mois imparti par cet article à transmettre un mémoire complémentaire à la personne responsable du marché, la distinction que la CGSS tente d'établir entre les mémoires adressés en cours d'exécution du marché qui relèveraient nécessairement de l'article 50.11 et ceux adressés au stade du décompte général définitif qui relèveraient de l'article 50.22 ne découlant aucunement de ces articles.

Ainsi, et sans qu'il soit utile de suivre la CGSS dans le détail de son argumentation, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a écarté la fin de non recevoir tirée de la forclusion.

La CGSS soutient en second lieu que la demande en paiement de la société SEFITEC au titre du préjudice financier est irrecevable aux motifs que ce n'est que dans un mémoire produit le 14 juin 2007 devant le tribunal administratif que la société SEFITEC l'a émise, sans avoir formé la contestation pré-contentieuse organisée par l'article 50 du CCAG. Elle vise en particulier l'article 50.31 du CCAG qui précise que l'entrepreneur ne peut porter devant le tribunal administratif "que les chefs et motifs de réclamation énoncés dans la lettre ou le mémoire remis à la personne responsable du marché".

Or, il a été précisé ci-dessus que l'article 50.3 relatif à la procédure contentieuse ne s'appliquait pas, les articles 127, 128 et 129 de l'arrêté du 9 mai 1995 ne reprenant pas la condition imposée par l'article 50.31 du CCAG d'un mémoire préalable. Dès lors, le fait que la société SEFITEC forme sa demande en paiement au titre des frais financiers sans l'avoir préalablement développée dans un écrit adressé à la CGSS ne rend pas cette demande irrecevable.

Sur la renonciation de la société SEFITEC découlant des avenants signés :

La CGSS fait valoir que les parties ont conclu plusieurs avenants aux marchés des lots 1, 3, 10a et 10b et qu'en signant ces avenants sans aucune réserve, notamment sur les conséquences financières de l'ajournement de chantier, la société SEFITEC a implicitement mais nécessairement renoncé à prétendre percevoir quelque indemnisation que ce soit pour des faits connus à la date de signature des avenants.

En l'espèce, un rappel chronologique s'impose :

- 24 novembre 1999 : décision d'ajournement des travaux ;

- 30 novembre 1999 : lettre par laquelle la société SEE MAIRE chiffre à 3 600 francs par jour le coût journalier calendaire correspondant à la location de 6 bungalows à 600 francs par jour et d'une grue à 3 000 francs par jour ;

- 25 juillet 2000 : signature d'un avenant pour chaque lot aux fins de modification du titulaire du marché et de répartition du prix entre les sociétés SEE MAIRE et SEFITEC s'agissant des lots 1 et 10b. La société SEFITEC s'engageait à exécuter les travaux dans les conditions définies par les documents contractuels initiaux ;

- 4 septembre 2000 : courrier de la société SEFITEC informant la CGSS que "concernant le mémoire de réclamations éventuelles (elle) s'engage à ne pas présenter de mémoire de réclamation à condition que les avenants modificatifs (lui) soient notifiés au plus tard fin septembre 2000 avec un démarrage des travaux gros-oeuvre début octobre 2000 " mais que passé ce délai elle se verra contrainte de facturer l'immobilisation de son matériel et baraquements de chantier ;

- 4 janvier 2001 : courrier par lequel la société SEFITEC transmet une facture d'un montant de 331 200 francs au titre des frais journaliers d'arrêt de chantier du 1er octobre 2000 au 31 décembre 2000;

- 1er février 2001 : signature de quatre avenants pour tenir compte des modifications apportées au programme initial (suppression du bâtiment Restaurant et aménagement de la totalité du plateau du 2ème étage ) et fixer le nouveau montant des marchés ;

- 25 juin 2001 : mémoire de réclamation ;

- 30 novembre 2001 : mémoire de réclamation ;

- 18 novembre 2002 : mémoire de réclamation ;

- 5 mars 2003 : mémoire de réclamation ;

- 11 mars 2003 :

* avenant au marché de travaux relatif au lot n°3 aux fins de prévoir la fourniture et la pose d'une trappe verticale pour l'accès aux vannes d'arrêt de plomberie pour un montant en plus de 627 euros ;

* avenant au marché de travaux relatif au lot n°10b ayant pour objet des travaux supplémentaires correspondant à la réalisation de 4 regards de tirage pour le réseau électrique pour un montant en plus de 3 201,44 euros ;

- 8 avril 2003 : avenant au marché de travaux relatif au lot n°1 aux fins de remplacement du ciment blanc par du ciment gris pour la réalisation de la clôture pour un montant en moins de 12 000 euros;

- 6 mai 2003 : avenant au marché de travaux relatif au lot n°10b ayant pour objet des travaux supplémentaires correspondant à la réalisation de 5 regards de récupération des eaux pluviales pour un montant en plus de 9 043,63 euros ;

- 2 juillet 2003 : mémoire de réclamation.

Les avenants signés comportent tous la clause finale selon laquelle toutes les clauses et conditions générales du marché initial demeurent applicables tant qu'elles ne sont pas contraires aux nouvelles dispositions contenues dans l'avenant, lesquelles prévalent en cas de contestation et aucun ne traduit de manière expresse, claire et non équivoque la volonté de la société SEFITEC de renoncer aux réclamations antérieurement formées.

Au contraire, la chronologie ci-dessus rappelée montre les avenants s'intercalent entre les divers mémoires, ce qui établit qu'à aucun moment la société SEFITEC n'a entendu renoncer à ses réclamations, à l'exception près de la renonciation conditionnelle contenue dans son courrier du 4 septembre 2000 mais devenue rapidement caduque puisque les conditions auxquelles cette renonciation était subordonnée n'ont pas été remplies.

Ainsi, la CGSS n'est pas fondée à soutenir que la société SEFITEC a renoncé lors de la signature des avenants à recevoir une indemnisation.

En revanche, en indiquant très clairement à la CGSS, dans son courrier du 4 janvier 2001 que, compte tenu de l'absence d'évolution de la situation, le chantier étant toujours arrêté, elle était amenée à lui facturer les frais d'arrêt de chantier depuis le 1er octobre 2000 et en joignant à ce courrier une facture de 331 200 euros ayant pour objet l' "acompte arrêté au 31/12/2000 du coût journalier de l'arrêt du chantier ... depuis le 1er octobre 2000" soit "92 jours calendaires à 3 600 F/jour", la société SEFITEC a clairement renoncé à demander une quelconque indemnisation pour la période antérieure au 1er octobre 2000, au moins pour les frais de chantier.

Sur les demandes indemnitaires :

Il résulte de l'article 48-1 du CCAG que "l'entrepreneur, qui conserve la garde du chantier, a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et du préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement ".

En l'espèce, la décision d'interruption des travaux est du 24 novembre 1999 et la reprise des travaux s'est effectuée à compter du 7 janvier 2002 de sorte que la durée de l'interruption a été de 25,5 mois.

Si plusieurs ordres de service sont intervenus entre ces deux dates (les 18 octobre 2000, 13 février 2001, 25 juillet 2001 et 19 décembre 2001) :

- le premier nécessitait "la notification de l'avenant définitif entérinant les nouveaux prix unitaires, la date de cette notification (déterminant) le début du délai contractuel des travaux", comme l'observait immédiatement la société SEFITEC ;

- le deuxième prévoyait une période de préparation égale à un mois, débutant à compter de la date à laquelle les plans Maîtrise d'oeuvre seraient transmis à l'entreprise avec le visa "bon pour exécution" étant précisé que si la CGSS soutient que ces plans ont été transmis à la société SEFITEC en mai 2001, l'expert a indiqué dans son rapport en réponse à un dire (page 12) : "il n'existe aucune certitude sur les dates de communication des plans."

- le troisième spéficiait qu'un "planning contractuel était joint", l'expert ayant noté dans son rapport que tel n'était pas le cas (page 36) ;

Ainsi, seul le quatrième ordre de service a permis le redémarrage effectif des travaux à compter du 7 janvier 2002.

La CGSS est donc seule responsable de l'ajournement entre le 24 novembre 1999 et le 7 janvier 2002 et doit indemniser les préjudices subis par l'entrepreneur à la suite de cet ajournement.

Il sera toutefois :

- précisé que les préjudice liés à l'ajournement ont été initialement subis par la société SEE MAIRE, première signataire du marché et ce du 24 novembre 1999 à la date du plan de cession à la société SEFITEC par jugement du tribunal mixte de commerce du 5 juillet 2000 ;

- rappelé que s'agissant au moins des frais d'arrêt de chantier, la SA SEFITEC a renoncé à les réclamer pour la période antérieure au 1er octobre 2000.

Ainsi, à supposer que la société SEFITEC ait subi des préjudices liés à l'ajournement du chantier CGSS, il sera tenu compte de ces deux limites temporelles.

- Sur la demande à hauteur de 636 000 euros au titre des frais fixes de structure :

Cette somme est explicitée dans les derniers dires de la société SEFITEC à l'expert des 28 septembre 2003 et 25 octobre 2006.

L'expert a évalué pour sa part, après avoir fait appel à un expert-comptable sapiteur (page 26 du rapport d'expertise) la perte pour non amortissement des frais fixes à 182 771 euros (pages 44 et 45).

Il a calculé cette somme sur une période de 18 mois correspondant à "la période contractuelle ... du 8 octobre 1999 au 8 avril 2001 ".

La cour considère pour sa part que si la perte de chiffre d'affaire due à l'ajournement des travaux n'a pas permis à l'entrepreneur d'encaisser la fraction de frais fixes qu'il avait décidé d'amortir lorsqu'il a défini le prix du marché, il reste que la société SEFITEC quand elle a fait acte de candidature pour la reprise de la société SEE MAIRE savait que le chantier de la CGSS était interrompu et n'a pas manqué de l'intégrer dans les comptes prévisionnels qu'elle a nécessairement établis pour proposer un prix de reprise, même si elle se garde de produire ces derniers.

Le courrier qu'elle a adressé à la CGSS le 4 septembre 2000 pour lui indiquer qu'elle s'engageait "à ne pas présenter de mémoire de réclamation à condition que les avenants modificatifs (lui) soient notifiés au plus tard fin septembre 2000 avec un démarrage des travaux gros-oeuvre début octobre 2000 " établit qu'elle avait envisagé un redémarrage du chantier début octobre 2000 et n'avait escompté jusqu'à cette date aucun chiffre d'affaire provenant du marché CGSS.

Il sera donc retenu que la perte d'industrie subie par la société SEFITEC du fait de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'assurer la couverture des frais fixes qui auraient dû être amortis par la facturation des travaux aux dates prévues, a duré 15 mois, du 1er octobre 2000 au 7 janvier 2002, étant précisé que, contrairement à ce qui est soutenu par la CGSS :

- d'une part comme l'a relevé de manière pertinente le premier juge, "les tergiversations du maître d'ouvrage, responsable des marchés qui n'a jamais été en mesure de faire connaître une date ferme de reprise et qui n'a cessé de délivrer des ordres de service inopérants" n'ont pas permis à la société SEFITEC de rechercher un chiffre d'affaires de remplacement, tout au moins aussi significatif que celui procuré par la marché de la CGSS ;

- d'autre part le fait que l'encaissement du chiffre d'affaires ait été décalé et non annulé ne fait pas disparaître le préjudice dans la mesure où par hypothèse la couverture des frais fixes ne peut être décalée.

Ainsi, le calcul fait par l'expert qui a examiné la perte de chiffre d'affaires par lot en tenant des paiements qui auraient dû intervenir si le planning contractuel avait été respecté à compter du 8 septembre 1999 peut être calqué sur la période du 1er octobre 2000 (date à laquelle la société SEFITEC avait prévu le redémarrage des travaux) jusqu'au 31 décembre 2001 (les travaux ayant redémarré le 7 janvier 2002), en faisant application d'un pourcentage de frais fixes de 18,88 % en 2000 et de 21,76% en 2001 ainsi qu'il résulte des calculs faits par le sapiteur (page 26 du rapport).

Il en résulte :

- une perte de chiffre d'affaire du 1er octobre 2000 au 31 décembre 2000 pour le lot n°1 de 209 082,94 euros et pour le lot n°10b de 129 259,84 euros, soit après application du taux de 18,88 % une perte de couverture des frais fixes de 63 879,12;

- une perte de chiffre d'affaires du 1er janvier au 31 décembre 2001 de :

* 652 548,08 euros pour le lot n°1 ;

* 28 009,46 euros pour le lot n°3 ;

* 171 043,99 euros pour le lot n°10a ;

soit après application du taux de 21,76 % une perte de couverture de charges de 185 308,49 euros.

S'agissant des pertes exposées au titre de la sous-traitance, le premier juge par des motifs pertinents que la cour adopte, a retenu qu'aucune perte n'était démontré de ce chef.

Ainsi il convient d'indemniser le préjudice de la société SEFITEC au titre des frais fixes de structure à hauteur de 249 187,61 euros.

- Sur la demande à hauteur de 2 429,18 euros au titre des frais de gardiennage:

La CGSS conteste désormais cette demande tant en son principe qu'en son montant.

Cette demande avait été admise par l'expert dans son rapport (page 41) pour le montant susvisé mais également par la CGSS dans son dire du 28 novembre 2003 (page 29 : "la CGSS n'admet que ... le principe et le montant du chef de réclamation relatif aux frais de gardiennage" et par Monsieur [B] [W]expert-comptable qu'elle avait mandatée et qui a, dans ce cadre, adressé à Monsieur [G] une note du 26 septembre 2006 dans laquelle il indiquait (page25) que le montant retenu par l'expert n'appelait pas d'observation de sa part et pouvait être accepté.

Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a admis la demande de ce chef.

- Sur la demande à hauteur de 431 427,22 euros au titre des frais de chantier:

* sur l'immobilisation de gros matériels (grue et bungalows) :

La société SEFITEC forme une demande à hauteur de 423 503,37 euros correspondant au montant retenu par l'expert.

Toutefois, alors qu'elle réclame que son préjudice soit apprécié sur la période du 24 novembre 1999 au 7 janvier 2002 soit pendant 773 jours, l'expert a pour sa part retenu (page 41) :

- pour la grue un préjudice sur la période du 1er juillet 2000 (date à laquelle les travaux de gros oeuvre auraient dû s'achever si le contrat avait été respecté) au 30 octobre 2002 (date réelle d'achèvement des travaux de gros oeuvre) soit pendant 863 jours ;

- pour les bungalows un préjudice subi pendant 420 jours.

La CGSS conclut au rejet de cette demande qu'elle conteste en son principe comme en son montant.

Sur le principe, elle souligne qu'elle "n'a pas constaté l'immobilisation du 24 novembre 1999 au 7 janvier 2002 des gros matériels concernés par la demande" et reproche à la société SEFITEC de ne pas avoir mis en oeuvre les dispositions de l'article 12 du CCAG.

S'il est exact que la société SEE MAIRE, encore attributaire du chantier le 24 novembre 1999, a omis lors de l'arrêt du chantierde demander, en application de l'article 12 du CCAG auquel renvoie l'article 48 du même cahier, qu'il soit procédé à des constatations contradictoires en ce qui concerne l'immobilisation de la grue et de six bungalows, les dispositions de l'article 12 n'ont pour finalité que de permettre à l'entrepreneur de se préconstituer une preuve et ne lui interdisent pas de la rapporter ultérieurement.

Ce n'est pas sans une certaine mauvaise foi que la CGSS soutient désormais que l'immobilisation des gros matériels pendant la durée de l'ajournement n'est pas démontrée alors :

- par courrier du 16 octobre 2001, elle indiquait à la société SEFITEC qu'elle réservait une suite favorable à sa demande d'indemnisation consécutivement à l'ajournement du chantier ;

- par fax du 16 novembre 2001, elle priait la société SEFITEC de "lui faire tenir dans les délais les meilleurs ... le détail des éléments concourant à l'obtention du coût journalier de l'immobilisation de la grue et des bungalows" ;

- dans ses divers dires adressés à l'expert, elle ne contestait pas le principe de l'immobilisation des matériels sur le chantier mais l'opportunité de celle-ci et le montant de l'indemnisation : ainsi indiquait-elle très clairement dans son dire du 28 novembre 2003 (page 29) : "la CGSS n'admet que ... le seul principe des frais d'immobilisation des gros matériels de chantier, sous réserve de la justification des montants et du bien fondé du choix de l'entreprise de laisser ces matériels en place au lieu de les replier et de les ramener au moment de la reprise du chantier."

Le principe de l'immobilisation de la grue et des bungalows pendant la durée de l'ajournement est donc acquis.

Sur le montant de l'indemnisation :

- la CGGS conteste d'une part l'opportunité du maintien de la grue sur le chantier CGSS et fournit un devis pour démontrer que le démontage de la grue avait un coût de 16 000 francs (2 400 euros). Or, comme la cour a déjà eu l'occasion de l'indiquer reprenant les observations du premier juge, "les tergiversations du maître d'ouvrage, responsable des marchés qui n'a jamais été en mesure de faire connaître une date ferme de reprise et qui n'a cessé de délivrer des ordres de service inopérants" n'ont pas permis à la société SEFITEC de s'organiser pour disposer de son matériel pendant la durée de l'ajournement. L'expert a d'ailleurs écarté l'argument de "l'erreur de choix opérée par la société SEFITEC" (dire du 4 novembre 2003 page 23) en observant : "l'ajournement était certain mais n'était pas quantifiable car les informations délivrées par la CGSS manquaient de précision".

- la CGSS conteste d'autre part le montant de l'indemnisation retenue par l'expert sur la base d'une indemnité journalière de 68,60 euros (450 francs) pour les bungalows et de 457,35 euros (3 000 francs) pour la grue en faisant valoir d'abord que la société SEFITEC n'a jamais produit les factures et contrats de location du gros matériel en cause et ensuite que, la société SEFITEC qui prétend que ces matériels lui appartiennent, doit rapporter la preuve qu'ils lui ont fait défaut sur un autre chantier.

La société SEFITEC ne verse aux débats aucun justificatif particulier ni ne répond de manière précise aux arguments de la CGSS.

Elle indiquait simplement dans un dire adressé à l'expert le 25 octobre 2006 (page 130 du rapport d'expertise) qu'il n'existe pas de société de location de grue en Guyane et que "elle-même ainsi que son principal concurrent NOFRAYANE peuvent ponctuellement offrir des grues en location. Toutefois, s'agissant d'une activité très accessoire, elles ne disposent d'aucun tarif pré-établi".

Il a été indiqué ci-dessus que la société SEFITEC avait prévu un redémarrage des travaux au 1er octobre 2000. Elle avait donc tenu compte de cette date pour planifier ses interventions, tant sur le chantier CGSS que sur ses autres chantiers.

S'agissant en particulier de la grue, son utilisation sur le chantier CGSS était prévue pendant les travaux de gros oeuvre seulement, pour une durée de 265 jours (page 41 du rapport d'expertise), soit une date d'achèvement prévisible le 22 juin 2001. Or, l'expert a noté que les travaux de gros oeuvre avaient été réalisés entre le 7 janvier 2002 et le 30 octobre 2002, soit par rapport à la durée initialement prévue par la société SEFITEC 496 jours non prévus d'immobilisation de la grue (761 jours du 1er octobre 2000 au 30 octobre 2002 - 265 jours du 1er octobre 2000 au 22 juin 2001).

Or, la société SEFITEC ne démontre pas que pendant la période de 496 jours ainsi définie, la grue lui lui a fait défaut sur ses autres chantiers planifiés ou qu'elle s'est abstenue d'être candidate sur d'autres marchés en l'absence de grue, ou qu'elle a dû refuser les demandes de location qui lui auraient été faites pour ce matériel. Dès lors aucun préjudice n'est établi.

Le raisonnement fait pour la grue est exactement le même pour les bungalows et il n'est pas apporté pas davantage d'éléments de preuve par la société SEFITEC.

En conséquence, aucun préjudice consécutif à l'immobilisation des gros matériels n'est établi.

Le jugement déféré qui avait accepté d'indemniser la société SEFITEC sans aucun justificatif sera donc réformé et la société SEFITEC déboutée de sa demande de ce chef.

* sur l'immobilisation de petits matériels :

Cette demande formée à hauteur de 1 715,05 euros liée à la présence alléguée sur le chantier d'armoires de chantier pendant la durée de l'ajournement a été retenue par l'expert (page 42) et l'expert-comptable mandaté par la CGSS avait lui-même indiqué dans sa note à Monsieur [G] (page 35) que ce montant pouvait être validé.

Dès lors, il ne sera pas tenu compte de la contestation actuelle de la CGSS et le jugement qui avait retenu ce montant sera confirmé.

* sur le renforcement de la clôture de chantier :

Dans son premier mémoire de réclamation du 25 juin 2001, la société SEFITEC expliquait ce chef de demande pour 30 000 francs (4 573,47 euros) de la manière suivante : "Prévue dans les travaux d'installation de chantier, une clôture de protection consituée de panneaux de treillis soudés sur poteaux de bois a été installée dès le démarrage des travaux. Le chantier ayant été totalement inoccupé pendant plusieurs mois à la suite de l'arrêt des travaux, cette clôture a été détruite par les riverains. Afin d'éviter tout incident, et empêcher les riverains de pénétrer sur le chantier toujours en arrêt, il a donc été nécessaire de remetttre en place une nouvelle clôture constituée de tôles de façon à occulter complètement le site".

La CGSS n'a jamais donné son accord à la prise en charge des travaux, contrairement à ce que l'expert a pu noter dans le cadre d'une réponse à un dire du 13 avril 2004 (page 69). Elle a au contraire soutenu tant durant les opérations d'expertise que dans le cours de l'instance judiciaire que "le renforcement dont il est question (n'était) pas une conséquence de la décision d'ajournement du chantier mais d'une demande du coordonnanteur SPS qui depuis le début du chantier, n'avait eu de cesse que de demander le renforcement de cette clôture non conforme à sa fonction" et relevait en outre que la société SEFITEC ne justifiait d'aucune facture relative à ce renforcement.

Dans ces conditions, il convient effectivement de retenir que cette demande n'est pas suffisamment justifiée et, réformant le jugement déféré, de la rejeter.

* sur le débroussaillage du terrain :

L'expert a retenu, avec bon sens compte tenu de la durée d'ajournement de plus de deux ans et du climat guyanais, que le débroussaillage du chantier avait été nécessaire à la reprise des travaux.

Ainsi c'est à juste titre que le premier juge a alloué à ce titre une indemnité d'un montant de 1 097,63 euros considéré par l'expert comme "normal" (page 42), peu important l'absence de justificatif produit.

* sur le maintien des abonnements EDF et France Télécom :

La demande formée pour 357,70 euros correspondant au montant retenu par l'expert (page 42) sera rejetée en raison de l'absence de pièce justificative. Le jugement déféré sera donc réformé de ce chef.

- Sur la demande à hauteur de 624 000 euros au titre des frais de personnel:

Il a déjà été indiqué ci-dessus que la société SEFITEC n'a à aucun moment été responsable de l'ajournement du chantier.

Dans ses écritures complétées par son dire du 28 septembre 2006 adressé à l'expert (pages 11 et suivantes), la SEFITEC explique pour justifier tant que le principe que l'évaluation de son préjudice que :

- dans le cadre du plan de cession arrêté par le jugement du 5 juillet 2000, elle a repris un effectif de 70 salariés correspondant à l'effectif nécessaire au traitement des chantiers en cours, dont 18 ouvriers pour le seul chantier CGSS ;

- son préjudice résulte du fait que jusqu'à la reprise du chantier, elle a dû supporter le coût de ces 18 salariés alors qu'ils étaient en "stand by" et ne généraient donc aucun chiffre d'affaires ;

- ce préjudice porte sur la période du 5 juillet 2000, date de reprise des effectifs au 7 janvier 2002, date de reprise des travaux soit environ 18 mois et et doit être évalué au montant des salaires et charges, après abattement de 15 % correspondant à une estimation du temps d'affectation des personnes reprises à la société SEE MAIRE à d'autres activités de l'entreprise auxquelles elle a pu les affecter;

- pour vérifier la flagrante sous-activité engendrée par l'ajournement du chantier sur les exercices 2000 et 2001, il suffit simplement de comparer le chiffre d'affaires par personne de ces exercices avec celui des exercices précédent et suivant (1999 et 2002), cette comparaison faisant apparaître en moyenne sur les exercices 2000 et 2001 un chiffre d'affaires par personne d'environ 77 000 euros, très inférieur au chiffre d'affaires de 108 000 euros environ observé en moyenne sur les exercices 1999 et 2002.

Or, au terme de son rapport (page 53), Monsieur [G] a conclu que l'affirmation de la société SEFITEC selon lequelles "tout le personnel (avait) été payé entre septembre 99 et janvier 2002 sans assurer la moindre prestation ... était invérifiable" et qu'il n'était "pas possible non plus de déterminer quelle était la masse salariale prévue au marché d'origine". Par ailleurs répondant à une suggestion exprimée par la société SEFITEC dans son dire du 29 mars 2006 (page 103), l'expert a indiqué qu' "il était quasiment impossible de déterminer un coefficient sur la main d'oeuvre théorique affectée au chantier CGSS et qui a pu être déplacée sur un autre chantier."

En outre, il y a lieu d'observer que par courrier du 24 février 2000, la société SEE MAIRE, après avoir rappelé à la CGSS que le chantier était en arrêt depuis le 24 novembre 1999, lui précisait : "le chantier ne reprendra qu'à la réception des avenants modificatifs des lots concernés ... Le délai d'exécution sera réactualisé et tiendra compte de la disponibilité de notre personnel, tant en encadrement qu'en ouvriers. Depuis décembre dernier, nous avons dû prendre des dispositions pour ce personnel."

Il en résulte que, depuis décembre 1999, le personnel de la société SEE MAIRE initialement dédié au chantier de la CGSS n'était plus mobilisé pour ce chantier de sorte que, lors de la reprise des actifs de la société SEE MAIRE le 5 juillet 2000, il n'est aucunement établi que la société SEFITEC ait repris les salariés affectés initialement au chantier de la CGSS. A cet égard, il y a lieu de souligner que la société SEFITEC ne produit pas son offre de reprise, ce qui aurait permis à la cour de consulter en particulier le volet social de cette offre et que, si elle a amélioré son offre à l'audience du tribunal mixte de commerce du 5 juillet 2000 la portant de 50 salariés à 70 salariés repris, elle a expliqué cette amélioration par les "marchés qui venaient d'être signés" sans mention aucune au chantier CGSS.

Enfin, il faut relever que :

- la société SEFITEC ne justifie pas de la liste de chantiers en cours du 5 juillet 2000 au 7 janvier 2002 et des salariés qui y ont été affectés ;

- elle ne produit pas plus d'attestations des salariés qui, pendant la période en cause, auraient été rémunérés sans travailler ;

- comme l'a observé Monsieur [B] [W] expert-comptable dans la note qu'il a rédigée à l'intention de Monsieur [G] (pages 43 et suivantes)l'analyse des D.A.D.S (déclarations annuelles des données sociales) des années 2000 à 2002 permet de constater que la société SEFITEC a procédé à de nombreuses embauches au cours de cette période (25 en 2000, 95 en 2001, 107 en 2002) et que de plus, certains des salariés recrutés en 2000 et 2001 (à supposer même que ce soit à titre précaire) l'ont été à des postes similaires à ceux occupés par les salariés repris à la société SEE MAIRE . Monsieur [B] [W] en déduit de façon pertinente qu' "il est peu probable que (la société SEFITEC) aurait recruté des salariés supplémentaires pour assurer un chantier, alors que des salariés qui avaient les mêmes compétences étaient payés à ne rien faire sur le chantier" de la CGSS.

En conséquence, au vu de l'ensemble de ces éléments, la société SEFITEC ne justifie pas de l'immobilisation de son personnel pendant la période en cause, l'évolution du chiffre d'affaire par salarié, inférieur en 2000 et 2001 à ce qu'il était en 1999 et 2002, étant insuffisant à l'établir.

Il convient donc de réformer le jugement référé et de débouter la société SEFITEC de sa demande au titre des frais de personnel.

- Sur la demande à hauteur des frais financiers :

La société SEFITEC soutient que compte tenu du décalage entre le décaissement des dépenses à indemniser, intervenu pour l'essentiel au cours des années 2000 et 2001 et l'encaissement de l'indemnité réclamée, elle subit un préjudice lié au coût du financement de ces sommes. Elle souligne d'ailleurs que le préjudice lié à ce financement se poursuit toujours puisque le jugement déféré assorti de l'exécution provisoire n'a pas été exécuté par la CGSS. Elle précise avoir calculé ces intérêts au prorata temporis au taux moyen pondéré de ses financements bancaires et de ceux de sa société soeur, la société BCL qui l'a elle-même financé à hauteur d'un million d'euros, soit 9,50 % jusqu'en avril 2004 et 7,90 % à compter d'avril 2004, date de renégociation du découvert auprès de la BNP Guyane.

La CGSS réplique notamment qu'il n'est pas établi que ces frais financiers aient été induits par l'ajournement du chantier.

La société SEFITEC n'établit pas avoir supporté un préjudice relatif à des frais financiers distinct de celui qui sera réparé par le versement d'intérêts moratoires. Le jugement déféré qui lui avait alloué la somme de 670 225 euros au titre des frais financiers induits entre novembre 2002 et juin 2012 sera donc réformé et la société SEFITEC déboutée de sa demande de ce chef.

En application de l'article 1153-1 du code civil qui permet au juge de fixer le point de départ des intérêts au taux légal à une date antérieure à la date de la décision qui fixe l'indemnité, les indemnités allouées à la société SEFITEC porteront intérêts à compter du 7 janvier 2002, date de reprise du chantier.

Les intérêts produiront eux-mêmes intérêts à compter du 17 juin 2009, date de l'assignation devant le premier juge, dans laquelle la demande de capitalisation a été formée pour la première fois.

Sur la demande de restitution des sommes versées :

La CGSS demande que soit ordonnée la restitution de la somme qu'elle a versée en vertu du jugement déféré assorti de l'exécution provisoire à hauteur d'un million d'euros.

Le présent arrêt constitue, sur les chefs réformés, le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la CGSS.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Il y a lieu de confirmer la décision déférée dans ses dispositions relatives aux demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

En appel, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés et il y a lieu de condamner la CGSS aux dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- déclaré les demandes de la société SEFITEC recevables,

- l'a déboutée de sa demande relative aux pertes au titre de la sous-traitance,

- lui a alloué les indemnités de :

* 2 429,18 euros euros au titre des frais de gardiennage ;

* 1 715,05 euros euros au titre de l'immobilisation de petits matériels;

* 1 097,63 euros au titre de frais de débroussaillage ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Caisse Générale de Sécurité Sociale aux dépens comprenant les frais d'expertise, distraits conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Réforme sur le surplus ;

Statuant à nouveau :

Condamne la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guyane à payer à la société SEFITEC une indemnité de 249 187,61 euros au titre des frais fixes de structure ;

Déboute la société SEFITEC de ses demandes au titre :

- des frais d'immobilisation de gros matériels ;

- des frais de renforcement de la clôture

- des frais d'abonnement EDF et France Télécom ;

- des frais d'immobilisation de son personnel ;

- des frais financiers ;

Dit que les indemnités allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 2002 ;

Dit que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts à compter du 17 juin 2009 ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guyane aux dépens d'appel.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Premier Président et le Greffier.

Le GreffierLe Premier Président

C. PAUILLACP.GOUZENNE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Cayenne
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 12/00316
Date de la décision : 10/11/2014

Références :

Cour d'appel de Cayenne, arrêt n°12/00316


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-10;12.00316 ?
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