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04/07/2024 | FRANCE | N°22/02931

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 04 juillet 2024, 22/02931


AFFAIRE : N° RG 22/02931

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDJH

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 07 Novembre 2022 - RG n° F20/00133









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 04 JUILLET 2024





APPELANTE :



Madame [B] [R] épouse [G]

[Adresse 6]

[Localité 7]

[Localité 2]



Représentée par Me Xavier BOULIER, avoca

t au barreau de CAEN





INTIMEES :



S.A.S. CARREFOUR PROXIMITE FRANCE Représentée par ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 1]



S.A.S. CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANC...

AFFAIRE : N° RG 22/02931

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDJH

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 07 Novembre 2022 - RG n° F20/00133

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 04 JUILLET 2024

APPELANTE :

Madame [B] [R] épouse [G]

[Adresse 6]

[Localité 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Xavier BOULIER, avocat au barreau de CAEN

INTIMEES :

S.A.S. CARREFOUR PROXIMITE FRANCE Représentée par ses représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 1]

S.A.S. CARREFOUR ADMINISTRATIF FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentées par Me Jérôme WATRELOT, substitué par Me DE NAZELLE, avocats au barreau de PARIS

DEBATS : A l'audience publique du 11 avril 2024, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de Mme VINOT, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Président de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 04 juillet 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, le délibéré ayant été initialement fixé au 20 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er septembre 1997, Mme [B] [R] épouse [G] a été engagée par la société Promodès France en qualité d'employée statut agent administratif. Ce contrat a été précédé d'un contrat à durée déterminée du 9 juin au 30 septembre 1997. Un avenant à effet du 1er avril 2008 modifiant la fonction désormais de secrétaire statut agent de maîtrise a été signé par la société [Adresse 4] à laquelle le contrat avait été transféré. Un avenant de mutation à effet du 19 novembre 2018 a été signé entre Mme [G] et la société Carrefour Proximité France pour la fonction d'assistante d'enseigne 8 à huit Express, statut agent de maîtrise.

Mme [G] a été placée en arrêt de travail pour maladie le 21 novembre 2018.

Elle a été déclarée inapte à son poste le 15 mars 2019 et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée du 15 avril 2019.

Se plaignant d'une situation de harcèlement moral, de la mauvaise application du plan de départ volontaire et estimant que son licenciement était nul et/ou sans cause réelle et sérieuse, Mme [G] a saisi le 20 mars 2020 le conseil de prud'hommes de Caen lequel par jugement rendu le 7 novembre 2022 a :

- condamné la société Carrefour Proximité France à payer à Mme [G] la somme de 16 277 € à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement et celle de 181.53 € au titre du repos compensateur non réglé lors du solde de tout compte ;

- condamné solidairement la société Carrefour Proximité France et la société [Adresse 4] à payer à Mme [G] la somme de 15 488.90 € au titre de l'indemnité supplémentaire accord cadre et celle de 8850.80 € au titre de l'indemnité complémentaire dite PDV Siège et celle de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- débouté Mme [G] de ses autres demandes au titre du harcèlement moral et de la contestation de la rupture du contrat.

Par déclaration au greffe du 18 novembre 2022, Mme [G] a formé appel de ce jugement ;

Par conclusions n°3 remises au greffe le 8 mars 2024 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, Mme [G] demande à la cour de :

- dire le jugement nul

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral, préjudice moral et non respect de l'obligation de sécurité, également de ses demandes pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et sur le montant de l'indemnité de procédure ;

- le confirmer pour le surplus ;

- statuant à nouveau,

- condamner solidairement la société Carrefour Proximité France et la société Carrefour Administratif France à lui payer la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, préjudice moral et non respect de l'obligation de sécurité ;

- condamner solidairement la société Carrefour Proximité France et la société Carrefour Administratif France à lui payer, subsidiairement, la somme de 24 339.70 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de bénéficier des mesures relatives à la mobilité externe prévues dans le plan de départs volontaires sièges « Carrefour 2022 » ;

- condamner la société Carrefour Proximité France à lui payer les sommes de 4.685,54 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 468,55 € bruts de congés payés y afférents, et de 42.169,86 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire les sommes de 5.154,09 € bruts à titre d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis en application de l'article L. 1226-14 du Code du travail, de 42.169,86 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse et à lui remettre les documents de fin de contrat et un bulletin de paie récapitulatif sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document ;

- condamner solidairement la société Carrefour Proximité France et la société Carrefour Administratif France à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et celle de 3000 € en cause d'appel ;

- les débouter de leurs demandes ;

- les condamner solidairement aux dépens.

Par conclusions n°2 remises au greffe le 22 mars 2024 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société [Adresse 4] et la société Carrefour Proximité France demandent à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, préjudice moral et non-respect de l'obligation de sécurité et sur les demandes liées à la rupture du contrat et le confirmer sur ce point.

- débouter Mme [G] de sa demande d'indemnités complémentaires et également de sa demande subsidiaire de dommages et intérêts pour perte de chance ;

- à titre subsidiaire sur le licenciement, limiter les demandes au titre de l'indemnité de préavis à 4455 €, à titre de dommages et intérêts à 14 056.60 € (licenciement nul) ou de 7028.31 € (licenciement sans cause réelle et sérieuse) ;

- débouter Mme [G] de ses autres demandes ;

- la condamner à leur payer la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS

I- Sur la demande d'annulation du jugement

La salariée fait valoir que le jugement a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de son obligation de sécurité sans motiver sa décision.

Il résulte du jugement que la salariée a formé une seule demande de dommages et intérêts pour « harcèlement moral, préjudice moral et non-respect de l'obligation de sécurité », le jugement a motivé le rejet de cette unique demande par des considérations suffisantes.

Il n'y a pas lieu à annulation du jugement.

II- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Sur ce fondement, la salariée considère qu'elle a été privée indûment des mesures du plan de départ volontaire sièges.

Un accord collectif « sur le plan de départs volontaires sièges dit Carrefour 2022 » a été signé le 20 avril 2018 entre les sociétés du groupe Carrefour entrant dans le périmètre de l'accord et cinq organisations syndicales. Cet accord implique notamment une réduction des effectifs dans le cadre d'un plan de départ reposant sur le volontariat.

Selon cet accord, le volontariat permet aux salariés éligibles de se porter candidats à l'un des quatre dispositifs suivants : volontariat à la mobilité interne (mobilité au sein du groupe), volontariat à la mobilité externe (quitter le groupe), volontariat au congé de fin de carrière et volontariat au départ en retraite.

Les salariés éligibles étant ceux relevant d'une catégorie comportant des postes dont la suppression est envisagée (volontaires directs) mais également ceux d'une autre catégorie à condition que leur départ permette la mobilité interne d'un volontaire direct.

L'accord comporte une annexe 1 « nombre de postes potentiellement supprimés par catégorie professionnelle et par entité juridique », et que pour la société [Adresse 4], la catégorie professionnelle « administratifs comptabilité contrôle de gestion » comprend 299 postes dont 80 sont potentiellement supprimés, et la catégorie assistance comprend 59 postes dont 20 sont potentiellement supprimés.

La note d'information en vue de la consultation des 23 et 26 mars 2018 précise que l'activité du département contentieux de la direction des affaires juridiques sera réparti entre les autres départements.

Cet accord a été validé par la DIRECCTE le 22 juin 2018.

La salariée estime que Carrefour a manqué à son obligation d'information sur ses droits dans le cadre d'une mutation intragroupe (article 10.5.2), ne lui a pas permis de bénéficier d'une période de découverte (article 10.6.1) ni d'une période d'adaptation (article 10.6.2) puisqu'il lui a été demandé de différer son départ, et qu'elle n'a pu rencontrer le directeur de l'établissement de [Localité 3] afin d'évoquer ses points et n'a pu faire valoir son droit à rétractation.

L'employeur soutient que la période de découverte suppose une demande de la salariée, que la période d'adaptation n'est pas automatique, que l'entretien avec le directeur de l'établissement de [Localité 3] n'avait pas lieu d'être puisqu'aucune période d'adaptation n'avait été prévue et que seul est prévu l'entretien avec le responsable hiérarchique qui a eu lieu (article 10.4).

La partie 10 de l'accord relative au « volontariat à la mobilité interne » prévoit :

- au titre de « examen et validation des candidatures à une mobilité interne PDV Sièges » (article 10.4) que notamment « les salariés dont la candidature aura été ainsi retenue seront invités à un entretien avec le responsable hiérarchique et/ou un représentant de la direction des ressources humaines du service ou de la société d'accueil dans lequel se trouve le poste à pourvoir. Cet examen permettra notamment de valider l'adéquation du profil du candidat au poste à pourvoir et, si besoin, définir les mesures de formation nécessaires avec l'aide de PasserellesMobilité et/ou des RH de proximité ». Le salarié sera informé des suites données à sa candidature dans un délai de 8 jours ouvrés maximum suivant la date de cet entretien.

- au titre des mesures « destinées à favoriser et à accompagner la mobilité interne PDV Sièges » :

- « période de découverte » : l'article 10.6.1 mentionne que dans le cadre de la mise en 'uvre d'une mobilité interne PDV Sièges validée par PasserellesMobilités, le salarié concerné pourra demander à découvrir le nouveau métier envisagé par le biais d'une période de découverte d'une durée maximale de 5 jours ;

- « intégration dans la nouvelle fonction période d'adaptation » : l'article 10.6.2 mentionne notamment qu'un parcours d'intégration et une période d'adaptation d'une durée maximum de 12 semaines seront définis par concertation entre la hiérarchie d'accueil et le salarié, et qu'au terme de cette période, un bilan sera réalisé par la direction des ressources humaines de la société d'accueil permettant aux deux parties de confirmer leur décision ou de se rétracter, et qu'en cas de rétractation, le salarié peut postuler à un autre poste dans le cadre du PDV Sièges sous réserve d'en remplir les conditions.

L'accord précise également en cas de « mobilité au sein d'une autre société du Groupe Carrefour » (article 10.5.2) qu'une fois la candidature à la mobilité interne PDV Sièges définitivement acceptée et la période d'adaptation achevée, un accord de transfert et/ou un nouveau contrat de travail avec la société d'accueil sera formalisé, avec reprise d'ancienneté, aux conditions applicables dans cette dernière, notamment en matière de statut collectif.

En l'espèce, il est constant que la salariée s'est portée candidate à la mobilité externe (projet de formation de gestionnaire de paie) puis à la mobilité interne. Le 24 juillet 2018, elle a ainsi adressé un courriel à M. [X] lui indiquant qu'elle postulait sur un poste d'assistant enseigne à [Localité 3]. Le 30 juillet 2018, elle a rempli un dossier de candidature pour ce poste qui a été retenu par l'équipe Mobilité Sièges et transmis le 29 août suivant. Un entretien a eu lieu le 13 septembre 2018 avec M. [E], manageur recruteur, qui s'est dit favorable avec formation (bureautique 2 mois minimum).

A la demande de l'employeur, la salariée a accepté de différer son départ à deux reprises pour le 31 octobre puis pour le 16 novembre 2018 (document signé par les deux parties).

Le 14 novembre 2018, Mme [G] a signé une promesse de mutation sur ce poste pour le 19 novembre 2018 qui précise la rémunération, le statut et temps de travail (supérieur M. [E]) et un avenant à son contrat le 19 novembre 2018.

L'entretien qui a eu lieu avec M. [E] est l'entretien prévu par l'article 10.4. précité avant que le dossier de candidature ne soit validé, ce n'est donc pas contrairement à ce que soutient l'employeur l'échange prévu par l'article 10.5.2 qui suppose la candidature validée et la période d'adaptation achevée, étant relevé qu'un tel échange n'est pas, contrairement à ce qu'il soutient encore, conditionné à la mise en place d'une période d'adaptation. Il indique d'ailleurs qu'en réalité cet entretien a eu lieu, en se référant au courriel de transmission de Mme [D] (DRH Région Ouest) en date du 14 novembre 2018 de la promesse de mutation qui comporte la mention « suite à votre dernier entretien », mais sans explication et sans élément sur la teneur de cet entretien.

Concernant la période de découverte, l'article 10.6 prévoit qu'elle doit être sollicitée par le salarié dans le cadre de la mise en 'uvre d'une mobilité interne, soit avant que la candidature soit validée, ce que la salariée ne soutient pas avoir fait.

Concernant le parcours d'intégration et la période d'adaptation, l'article 10.6.2 tel que rappelé ci-avant, dit qu'ils « seront » définis et non qu'ils « pourront » être définis, si bien qu'une telle concertation est obligatoire, une interprétation différente conduirait à priver les parties du droit de rétractation que ce texte prévoit et qui s'exerce après le bilan du parcours d'intégration et de la période d'adaptation convenus. En l'espèce, il appartenait à l'employeur de la mettre en place ce qu'il n'a pas fait, pas plus qu'il ne justifie que la salariée ait expressément renoncé à cette garantie.

Le manquement de l'employeur a privé la salariée de sa possibilité de rétractation et également de postuler à un autre poste dans le cadre du PDV Sièges sous réserve d'en remplir les conditions. S'il est vrai que la salariée avait, comme il l'a été rappelé, également formé une demande de mobilité externe, elle avait toutefois opté pour une demande de mobilité interne et signé la promesse de mutation. Elle ne peut donc aujourd'hui alors même qu'elle critique le non respect de l'article 10.6.2 du plan applicable aux seuls cas de mobilité interne réclamer l'indemnité de base PDV Sièges et l'indemnité supplémentaire Accord Cadre prévues par les articles 13.1 de l'accord qui sont les indemnités de départ volontaire à la mobilité externe.

Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.

En revanche, la salariée a subi du fait ce de manquement un préjudice lié à la perte de chance de bénéficier de la possibilité de se rétracter et de bénéficier des mesures de mobilité interne, qui sera réparé par des dommages et intérêts de 3000 €. Cette somme sera mise à la charge de la société [Adresse 4] et de la société Carrefour Proximité France, l'article 10.6.2 mettant des obligations à la charge de la première, en prévoyant que pendant la période d'adaptation la salariée est rattachée administrativement à sa société d'origine, et de la seconde en prévoyant que la concertation est mise en place par la société d'accueil, société du Groupe Carrefour.

Les deux sociétés seront condamnées in solidum au paiement de cette somme.

III- Sur le harcèlement moral

La salariée indique (avant sa mutation auprès de la société Carrefour Priximité France) qu'elle était gestionnaire honoraires rattachée à la direction juridique de la société [Adresse 4] et avait pour mission la saisie des factures, contrôle, suivi des paiements et des litiges des avocats et des tiers, reporting et statistiques pour le comité juridique mensuel et le rapport annuel.

A) Les faits invoqués

1) une surcharge de travail

Elle produit aux débats :

-un courriel du 1er avril 2016 de M. [V], ancien directeur juridique contentieux France de la société Carrefour Administratif France dans lequel il se plaint du comportement de son supérieur hiérarchique d'une part vis-à-vis de lui-même, des reproches sur sa façon trop humaine de gérer son équipe ayant conduit à une situation de burn out, et d'autre part vis-à-vis de l'ensemble des collaborateurs composant la direction juridique, faisant état d'un mépris de son supérieur à leur égard

(allusions déplacées vis-à-vis de Mme [T], de Mme [Y], de M. [I], et envers les assistantes), également vis-à-vis des

juristes d'Erteco. Concernant les assistantes, il indique que lorsqu'il évoquait leur situation pour envisager une revalorisation de leur rémunération, il répondait « ne me faites pas perdre mon temps, ne m'emmerdez pas avec ces personnes qui ne servent à rien ».

- le compte rendu d'une réunion du 25 septembre 2018 du CHSCT de la société Carrefour Administratif France de [Localité 9] qui a restitué l'enquête sur les risques psycho-sociaux au sein de la direction juridique duquel il résulte que le CHSCT a été sollicité durant l'été 2017 par des salariés du service juridique, qu'il a déclenché son droit d'alerte le 5 septembre suivant et qu'une enquête a été réalisée. A la suite des entretiens qui ont eu lieu plusieurs rubriques ont été renseignées comme suit :

* Intensité et complexité du travail : une charge très importante de travail principalement due à l'agrandissement du périmètre d'intervention de la direction, et également au non remplacement de collègues absents. Il est relevé toutefois que des recrutements ont eu lieu permettant d'alléger la charge de travail de certains collaborateurs.

* horaires de travail difficiles : il est constaté une diversité des horaires, pour certains une amplitude de travail importante et des rythmes de travail irréguliers, mais que pour certains salariés ces amplitudes ont été corrigées, et que la plupart des salariés indiquent être autonomes dans la gestion de leur temps de travail. En outre de façon générale, les salariés arrivent à concilier vie privée et vie professionnelle.

* exigence émotionnelle : il n'est pas relevé de difficultés particulières sauf certains entretiens qui font état d'une violence externe (comportement irrespectueux de certains avocats ou huissiers).

* faible autonomie au travail : il est relevé que les salariés disposent d'une grande autonomie dans la gestion de leurs tâches, certains souhaitent davantage de formation. Il est noté que certaines assistantes souhaitent une plus grande latitude dans la gestion des dossiers qui leur sont transmis par les juristes.

* rapports sociaux dégradés : la plupart des entretiens font ressortir une bonne ambiance entre collègues, certains évoquent un manque de reconnaissance dans leur travail (promotions ou absence de compliment sur le travail effectué). Il est relevé que certains entretiens ont mis en cause de façon directe le directeur juridique France en faisant état de propos qui auraient été déplacés et méprisants concernant les assistantes juridiques et les juristes.

* conflits de valeur : aucune difficulté.

* insécurité de l'emploi et du travail : pour la majorité un mal être (pleurs) lié à des promesses non tenues et faible reconnaissance mais surtout à la mise en 'uvre de la réorganisation actuellement en cours au sein du groupe et ses conséquences.

Il résulte de la réunion du 25 septembre 2018 qu'une divergence a eu lieu concernant la rubrique « rapports sociaux dégradés » sur le fait de rapporter les propos du directeur juridique (M. [P]) mis en cause.

- une attestation de M. [V] du 15 août 2020 qui indique que son équipe gérait la gestion des contentieux du groupe Carrefour à l'exception des contentieux fiscaux et prud'hommaux et se composait de 17 personnes (4 assistantes et 13 cadres) incluant Mme [G] , que celle-ci était chargée du suivi de tous les réglements des différents honoraires des prestations auxquels le département contentieux avait recours (avocats, huissiers, experts) ainsi que l'établissement et le suivi des différents outils de reporting. Il précise que durant les années où il a travaillé avec elle, sa charge de travail était importante et complexe, que cette charge a été en augmentation constante sans la moindre reconnaissance du directeur juridique France, et indique que pour cette personne, les assistantes ne représentaient rien à ses yeux et qu'à chaque demande de sa part consistant à revaloriser le travail de Mme [G], il me répondait « ne me faites pas perdre de temps avec ce genre de personne. Il estime que ce management ajouté à la charge de travail croissante a eu des répercutions sur le bien être de Mme [G] au travail.

- une attestation de Mme [H] du 22 juillet 2020, qui indique avoir travaillé au sein de la société depuis 1978 et du département contentieux de la direction juridique de mai 1998 jusqu'au 30 novembre 2018. Elle indique avoir travaillé avec Mme [G] depuis 2003, M. [V] étant directeur juridique du département contentieux depuis 2014 (M. [P] directeur des affaires juridiques) M. [X] a repris les fonctions de M. [V]. Elle fait état d'une réunion organisée par M. [P] le 12 février 2018 alors que la société Carrefour avait annoncé un plan de départ volontaire en fin d'année 2017, pour expliquer la nouvelle organisation de la direction juridique que nous n'avions rien à craindre, et que le 8 mars 2018 M. [X] nouveau directeur annonçait les décisions prises à savoir la suppression de plusieurs postes et des quatre postes d'assistantes et la disparition du département contentieux, ce qui indique le témoin nous a causé à [B] et moi un grand choc. Elle indique que l'ambiance au service s'est beaucoup détériorée, M. [X] n'ayant rien fait pour nous faciliter les choses, poursuivant sa mission de fermer le service sans état d'âme et sans empathie.

Elle indique qu'elle a pris sa retraite et a quitté le service le 5 octobre 2018, le service ayant fermé le 30 novembre 2018. Elle fait état de l'attitude de M. [X] qui remettait en cause les procédures appliquées par [B] et elle, dénigrait les tâches accomplis, les surchargeait de travail surtout [B] toujours dans l'urgence notamment lors de la préparation de son intervention mensuelle lors du comité juridique. Elle évoque que M. [X] harcelait [B] avec ses tableaux de reporting sur les honoraires d'avocats qu'il fallait constamment modifier et n'étaient jamais assez satisfaisants pour lui. Elle indique qu'un matin les nerfs de [B] ont lâché, elle a éclaté en sanglots et a dû rentrer chez elle.

-une attestation de Mme [Z] du 25 février 2024 qui indique en sa qualité d'ancienne secrétaire du CHSCT avoir assisté au déroulement de l'enquête concernant la direction juridique France dirigée par M. [P] qui a débuté au 2ème semestre 2017 et a duré plus d'une année. Elle explique que les entretiens ont mis en lumière une surcharge de travail, des attitudes méprisantes et vexatoires de la part de la direction, des propos inqualifiables et inhumains à l'égard des juristes et des assistantes (humiliation en pleine réunion), que des cadres posaient leurs RTT le jour où le directeur juridique France venait sur le site de [Localité 9]. Elle indique également que les membres du CHSCT ont fait l'objet de pressions de la part de la direction de façon à atténuer les conditions de l'enquête. Elle précise enfin que les mesures préconisées par les membres du CHSCT n'ont jamais pu être mises en 'uvre, le département juridique contentieux ayant été dissous quelques semaines après la conclusion de l'enquête.

- un document écrit établi par la salariée le 23 février 2024 dans lequel elle parle du mépris de M. [P], l'absence de reconnaissance professionnelle (nous n'existions pas) indiquant qu'elle a obtenu une augmentation grâce à M. [V], que M. [P] ne l'a pas jamais appelé par son prénom, l'appelant [M] puis lui a dit « c'est comme les prénoms de coiffeuse je m'en rappelle jamais ». Elle évoque un épisode où il s'impatientait car elle ne tapait une lettre assez vite. Elle indique que M. [P] leur faisait peur, il avait une grosse voix, nous broyait la main quand il nous disait bonjour, et dès qu'il demandait quelque chose dans un dossier il fallait tout laisser tomber. Concernant M. [X], il a tout changé dans notre travail car ce qu'avait fait M. [V] était dépassé et sans avenir. Elle indique qu'elle était seule avec Mme [H] les deux autres collègues ayant quitté la société, M. [X] les a surchargées de travail toujours dans l'urgence. Elle dit qu'en juillet 2018, elle a éclaté en sanglot et s'est réfugiée dans sa voiture, M. [X] est venu la voir et lui a dit de rentrer chez elle se reposer. A compter du 5 octobre 2018, elle a été seule avec deux intérimaires à former. Elle a pris son nouveau poste sans information ni formation.

L'employeur fait valoir que l'enquête n'a pas mis en exergue des difficultés concernant Mme [G] sur sa charge de travail, que des recrutements ont eu lieu, que l'enquête ne concerne pas la période où M. [X] a remplacé M.[V] début 2018, que Mme [G] n'établit pas d'éléments sur sa charge de travail et n'a ainsi jamais demandé à faire des heures supplémentaires.

Il critique l'attestation de M. [V] qui est en litige avec la société, et qui n'évoque pas la surcharge de travail de Mme [G] mais son manque de reconnaissance.

Il sera observé au préalable que la salariée tout en se plaignant de sa charge de travail invoque dans ses écritures les propos et comportements de ses supérieurs et reproche également à l'employeur le non respect des mesures préconisées par l'enquête.

Le fait que M. [V] soit en litige avec l'employeur, (il a pris acte de la rupture de son contrat le 16 octobre 2017) ce que l'intéressé rappelle d'ailleurs dans son attestation, ne peut conduire ipso facto à dénuer son témoignage de toute de force probante, alors même qu'il a avait déjà dénoncé le comportement de M. [P] par le courriel du 1er avril 2016 antérieurement au litige l'opposant à la société Carrefour, et que son témoignage est corroboré par d'autres éléments.

A ce titre l'enquête faite au sein de la direction juridique de la société Carrefour Administratif France fait ressortir une charge de travail importante, aggravée par une mauvaise organisation (notamment le non remplacement des absences, le rythme irrégulier du travail), et que si des recrutements ont été faits, l'employeur ne critique pas utilement la salariée lorsqu'elle indique qu'ils n'ont pas concerné son service.

De même si les bulletins de salaire ne mentionnent le paiement d'aucune heure supplémentaire, il ne forme cependant aucune observation ou critique sur les explications de la salariée en ce qu'elle enregistrait ses heures dans un compteur de repos compensateurs et récupérait ses heures sous forme de congés, ses bulletins de salaire mentionnant une rubrique RCR qui a augmenté de 2014 à 2017 (83.40) et s'est réduite en juin 2018 à 65.61.

L'enquête et les attestations de M. [V] et de Mme [Z] établissent un manque de reconnaissance du travail des assistantes et des propos méprisants de M. [P] à leur égard.

Concernant la situation de travail avec M. [X], l'employeur indique que M. [X] a pris son poste début 2018, ce que la salariée ne contredit pas utilement, ayant elle-même donné cette date lors de son entretien du 30 juillet 2018 fait par le service mobilité sièges (candidature au poste d'assistant d'enseigne) et que le compte rendu de la réunion du CHSCT du 8 décembre 2017 indique que les auditions réalisées au sein de la direction juridique étaient terminées à cette date, si bien que M. [X] n'était pas encore présent lors de la réalisation de l'enquête.

Mais le témoignage de Mme [H] n'est pas contredit par l'employeur lorsqu'elle indique que le département du Contentieux avait perdu deux de ses assistantes, ce qui a nécessairement aggravé la surcharge de travail précédemment constatée.

En revanche, concernant l'attitude de M. [X], il est relevé un dénigrement des tâches accomplis par Mme [G], mais sur la réorganisation du service, il n'est pas expliqué en quoi elle serait harcelante, alors même que la salariée, dans le compte rendu d'entretien du 30 juillet 2018 cité ci-avant, avait expliqué que son service a accueilli un nouveau directeur aux méthodes qui diffèrent de son prédécesseur, elle s'est accoutumée de ce changement et l'a considéré comme bénéfique pour l'entreprise », M. [X] ayant en outre indiqué dans un courriel du 27 juillet 2018 adressé à son homologue, après avoir appris que Mme [G] postulait à ce poste, qu'elle « est rigoureuse et très sympa, je l'apprécie beaucoup et vous la recommande ».

Enfin, le fait qu'en juillet 2018, la salariée avait éclaté en sanglots sur son lieu de travail et avait dû rentrer chez elle, les circonstances précises dans lesquelles ce fait s'est produit ne sont pas expliquées et rien n'indique qu'il soit en lien avec le comportement de M. [X].

De ce qui vient d'être exposé, les faits établis sont une surcharge de travail, des propos méprisants de M. [P] et un dénigrement des tâches par M. [X].

La salariée reproche également l'absence de mesures de l'employeur à la suite du droit d'alerte du 5 septembre 2017, ni pendant l'enquête ni après.

L'enquête du CHSCT (compte rendu du 25 septembre 2018) a proposé le plan d'action suivant : d'abord faire un point quant à la nouvelle organisation de la direction juridique, de faire bénéficier les salariés ayant eu des conflits d'une formation de gestion des conflits, et pour les rapports sociaux dégradés, mettre en place une formation des managers à un management bienveillant, de faire un retour aux salariés quant au travail effectué et à la qualité du travail rendu (problème de reconnaissance), la mise en place d'écoute du personnel pour identifier rapidement les tensions et les traiter et mesures matérielles pour améliorer les conditions de travail (bruit, emplacement des bureaux).

L'employeur ne justifie pas la mise en place de ce plan d'action, indiquant que l'enquête a mis en exergue les difficultés relationnelles de deux directeurs à l'origine des dysfonctionnements et que tous deux ont quitté la société, que Mme [G] a quitté la société moins de deux mois après et n'a jamais alerté d'une situation difficile.

S'il souligne exactement que le CHSCT relativement à l'intensité et la complexité au travail, a précisé que « compte tenu de la réorganisation actuelle du groupe, il est difficile de préconiser une mesure précise d'action afin de prendre en compte la charge de travail. Il conviendra de faire un point après la mise en 'uvre de la nouvelle organisation au sein de la direction juridique », l'enquête a toutefois fait état d'une surcharge de travail et d'autres difficultés qui persistaient au moins jusqu'au départ de la salariée, étant relevé que le département contentieux a fermé le 30 novembre 2018 .

A ce titre, la salariée indique qu'elle aurait pu bénéficier de la formation pour gérer les conflits (avec certains huissiers et avocats) recommandée par le CHSCT, et de meilleurs conditions matérielles faisant état qu'elle disposait d'un bureau minuscule partagé avec l'assistante de direction, sans lumière naturelle, ce qui ne fait l'objet d'aucune observation ou critique en réponse sauf sur les conditions matérielles de son espace de travail, et la salariée ne produit aucun élément en ce sens.

La salariée estime par ailleurs que l'employeur était informé des conclusions de l'enquête dès début janvier 2018 et devait donc agir avant les conclusions du CHSCT. Elle se réfère à la pièce adverse n°34 qui est un compte rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT du 8 décembre 2017 indiquant que les entretiens sur le site de [Localité 9] sont terminés, qu'il reste à finaliser les comptes rendus, qui prévoit que la commission rendra compte anonymement des entretiens mais que la synthèse globale

sera faite en commun lors de la réunion du 11 janvier 2018 et que l'enquête serait étendue aux cellules rattachées au site de [Localité 9].

Mais la salariée n'indique pas quelles difficultés relatives à sa situation personnelle aurait été évoquée en janvier 2018.

Elle indique qu'elle a évoqué dans son audition lors de l'enquête la surcharge de travail et la dégradation des conditions de travail et qu'il appartient à l'employeur de produire son audition. Mais contrairement à ce qu'elle soutient, le CHSCT a bien assuré que les comptes rendus des entretiens seront anonymisés.

Elle indique en revanche exactement que l'employeur ne produit pas le document unique d'évaluation des risques 2017/2018 mais seulement celui de 2000 qui ne fait aucune allusion à l'enquête ;

De ce qui vient d'être exposé, il résulte que l'employeur n'a pas appliqué au moins à compter du 25 septembre 2018 les recommandations faites par le CHSCT.

2) l'anxiété provoquée par l'annonce de la réorganisation du groupe Carrefour et la suppression de son poste

Comme il l'a été rappelé ci-avant, l'accord collectif du 20 avril 2018 validé par la DIRECCTE le 22 juin 2018 implique une réduction des effectifs dans le cadre d'un plan de départ reposant sur le volontariat. Dans cet accord, la direction s'est engagée à ne procéder à aucun licenciement contraint pour atteindre son objectif de réduction d'emploi et également à ne pas mettre en 'uvre de procédure de licenciement collectif pour motif économique pendant une durée de 2 ans à compter de la date d'effet du présent accord.

Le plan porte sur la suppression maximale de 1874 postes de travail. Il a été précédemment relevé qu'au sein de la société [Adresse 4], la catégorie professionnelle « administratifs comptabilité contrôle de gestion » comprend 299 postes dont 80 sont potentiellement supprimés, et la catégorie assistance comprend 59 postes dont 20 sont potentiellement supprimés.

La direction des affaires juridiques et réglementaires France, selon la note d'information en vue de la consultation des 23 et 26 mars 2018, comporte cinq départements dont le département contentieux qui assure le suivi des dossiers, des provisions et des honoraires. Ce suivi inclut les dossiers des quatre départements et que l'évolution prévue est de répartir l'activité du contentieux sur l'ensemble des départements afin de permettre à chaque département de gérer le métier du contentieux propre à son domaine et de maîtriser tout le processus du traitement d'un dossier. Sur 76 postes, 14 étaient supprimés dont 5 postes d'assistants soit 4 postes pour le département contentieux (assistante de direction, deux assistantes juridiques et un gestionnaire d'honoraires).

La salariée fait valoir à l'annonce de ce plan l'angoisse de savoir si elle aurait un emploi demain, le manque d'information de l'employeur sur la mise en place et la mise en 'uvre du plan.

S'il est vrai qu'il s'agit de suppression de postes envisagée et que l'activité du département contentieux n'a pas disparu mais a été intégrée dans les autres départements des affaires juridiques, cette répartition a lieu toutefois sur des départements qui ne sont pas situés à [Localité 9], inclut la suppression de tous les postes d'assistants au sein du département contentieux sans qu'il soit prévu de transfert de postes dans les autres départements.

Par ailleurs, les annonces faites telles que rappelées par l'attestation de Mme [H], soit une absence d'impact du plan sur la direction des affaires juridiques (annonce de M. [P] le 12 février 2018) puis selon M. [X] le 8 mars 2018 la suppression en suite du plan des quatre postes d'assistantes et la disparition du département contentieux, sont contradictoires et n'évoquent nullement pour la seconde que la suppression des postes seraient liées au départ des salariés concernés.

Il en est résulté ainsi une source d'angoisse pour la salariée.

L'employeur indique ensuite que le plan prévoyait un dispositif de soutien. La note d'information du CHSCT produite prévoit une actualisation pour chaque société de leur document unique d'évaluation des risques professionnelles et rappelle la mise à disposition du réseau d'écoute externe d'accompagnement psychologique (par téléphone 24/24 h et 7/7), et également pour prévenir les risques psychosociaux liées à l'inquiétude des salariés quant à la mise en oeuvre du projet, un renforcement de l'accompagnement psychologique individuel et collectif (dispositif Stimulus) prévoyant pour les salariés une présence physique des consultants Stimulus sur les sites (1 jour par

semaine à [Localité 9]) et un dispositif d'accompagnement de la mobilité dans le cadre du PDV par la mise en 'uvre d'un espace mobilité compétences (information sir les mesures d'accompagnement, portefeuille des opportunités d'emploi et accompagnement des projets professionnels), enfin une permanence RH et un plan de communication.

La salariée indique qu'elle n'a pas été informée de la plaquette d'information de ce dispositif (pièce adverse n°21) et que l'employeur ne justifie pas de son contrôle quant à la bonne application de ce dispositif.

Mais l'accord prévoit que les salariés concernés par le plan seront informés par l'ouverture de l'espace mobilité (PasserellesMobilités) et il est constant que la salariée a déposé un dossier de candidature et a disposé des informations nécessaires dont la plaquette d'information qui rappelle l'ensemble des mesures prévues et aussi les passerelles de soutien. La salariée ne fait pas par ailleurs état d'éventuelles difficultés pour bénéficier concrètement du dispositif d'accompagnement psychologique individuelle et collectif décrit ci-avant.

L'employeur produit le compte rendu d'une réunion du comité emploi du 22 novembre 2018 dans lequel il est notamment fait un point sur l'accompagnement Stimulus. La plaquette « passerelles RH » rappelle que 8 sites d'accompagnement individuel ont été ouverts depuis le 8 févirer 2018 et que 1420 comptes ont été crées sur la « passerellessoutien ».

Ces documents ne sont pas utilement contredits par la salariée.

Ainsi, l'employeur justifie de mesures concrètes pour accompagner les salariés dans le cadre du plan de départs volontaires.

La salariée se plaint enfin de la mauvaise application du PDV sièges à son égard en ce qu'elle n'a pas bénéficié des mesures prévues à l'article 10.6 du PDV soit les mesures destinées à favoriser et accompagner la mobilité interne.

Il a été jugé précédement que l'employeur n'avait pas respecté l'article 10.6.2 du plan.

De ce qui vient d'être exposé, il résulte des annonces consécutives au plan inadaptées, et un manquement à l'article 10.6.2 du plan dans le cadre de la mobilité interne.

B) Les éléments médicaux

La salariée produit :

- les arrêts de travail à compter du 21/11/2018, qui sont à compter du 2 janvier 2019 des arrêts « accident du travail maladie professionnelle » avec mention d'épuisement professionnel ;

- une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 14 janvier 2019 et une décision de la CPAM du Calvados de reconnaissance de maladie professionnelle du 22 octobre 2019, se rapportant à un avis du CRRMP ayant conclu à un lien entre l'affection présentée (dépression réactionnelle) et l'exposition professionnelle ;

- un certificat médical du 2 juillet 2020 du Dr [A] médecin généraliste indiquant que l'état de santé de Mme [G] nécessite un suivi continu depuis le 21/11/2018 ;

- un certificat médical du 24 janvier 2022 du Dr [L] psychiatre indiquant que Mme [G] est reçue en consultation une fois par semaine dans le cadre de la maladie professionnelle ;

- une attestation de M. [C] [G], son époux qui évoque le jour du 21 novembre 2018 où son épouse n'a pu aller travailler car son univers s'est effondré, et avoir constaté la dégradation psychologique de son état (crise de pleurs, perte de confiance, incapacité de pouvoir reprendre un travail).

En définitive, les faits établis par la salariée sont une surcharge de travail, des propos méprisants de M. [P], mais ces propos à l'exception d'un seul ne se sont pas tenus devant la salariée, un dénigrement des tâches par M. [X], une exécution insuffisante par l'employeur des recommandations de l'enquête interne, des annonces consécutives au plan inadaptées et un manquement aux dispositions du plan en matière de départ volontaire interne.

En dépit des éléments médicaux, ces faits pris dans leur ensemble sont insuffisants à faire présumer un harcèlement moral.

IV - Sur le manquement à l'obligation de sécurité

La salariée fait valoir l'absence de mesures prises malgré les alertes sur les faits de harcèlement moral, de souffrance au travail et des mauvaises conditions de travail et après l'enquête du CHSCT, que les mesures prises dans le cadre du PDV dont elle n'avait au demeurant pas connaissance ne peuvent y pallier.

L'employeur rappelle qu'il a organisé une enquête conjointe avec le CHSCT au sein de la direction des affaires juridiques, qu'il a pris des mesures complémentaires de prévention des risques psycho- sociaux dans le cadre du PDV que la salariée n'a pas utilisé, que celle-ci n'a subi aucun harcèlement moral et ne peut donc reprocher à l'employeur un manquement à ce titre à son obligation de sécurité.

Si l'employeur a effectivement mis en place une enquête à la suite de l'alerte en 2017 sur les conditions de travail au sein de la direction des affaires juridiques, il a été cependant considéré qu'il n'avait pas respecté les recommandations faites par le CHSCT après celle-ci, alors que la situation de surcharge de travail dénoncée a perduré jusqu'à la fermeture du département Contentieux. Le fait qu'il ait mis en place des mesures d'accompagnement dans le cadre du plan de départs volontaires est sans incidence avec la situation constatée par l'enquête et résultant des éléments produits, ces mesures n'étant pas de nature à y remédier.

Cette carence qui a contribué à la persistance des conditions de travail dégradées constatées par l'enquête du CHSCT caractérise un manquement à l'obligation de sécurité et a occasionné un préjudice moral à la salariée qui sera réparée par une somme de 2000 €.

Ce manquement lié au non respect des mesures préconisées par l'enquête est relatif aux conditions de travail au sein du département Contentieux de la direction juridique.

La salariée même si elle forme une demande indemnitaire contre les deux sociétés, ne développe dans ses écritures aucun manquement à l'obligation de sécurité à l'encontre de la société Carrefour Proximité France.

Dès lors, seule la société Carrefour administratif France sera tenue des dommages et intérêts.

V - Sur le licenciement

L'avis d'inaptitude du 15 mars 2019 : médicalement inapte à son poste d'assistante d'enseigne mais apte à un poste tenant compte des propositions ci-dessus dans une autre entreprise. Ces propositions sont :« doit avoir un travail sans contrainte de temps et en totale autonomie ».

1) Sur la nullité du licenciement

La salariée considère que l'inaptitude est la conséquence du harcèlement moral subi.

Toutefois il a été jugé que le harcèlement moral n'était pas établi, la demande de nullité ne peut être que rejetée.

2) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

- le non respect de l'obligation de sécurité

La salariée considère que la méconnaissance de l'obligation de sécurité a contribué à l'inaptitude.

Toutefois, au vu de ce qui précède, le manquement à l'obligation de sécurité a été uniquement imputé à la société [Adresse 4]. Le lien entre ce manquement et l'inaptitude constaté sur le poste d'assistante d'enseigne au sein de la société Carrefour Proximité n'est pas suffisamment caractérisée.

- le manquement à l'obligation de reclassement

La salariée indique qu'aucune proposition de reclassement ne lui a été faite et que les recherches incomplètes n'ont pas été réalisées de manière loyale ;

L'employeur produit un courriel circulaire du 21 mars 2019 adressé par la directrice des ressources humaines de la société Carrefour Proximité Ouest auquel était joint l'avis d'inaptitude et le CV de la salariée.

Il indique que le courriel a été adressé à la société Carrefour Hypermarché (société qui exploite les magasins de type hypermarchés), la société CSF (qui exploite les magasins de type supermarché), la société CPF (société chargée du développement du parc des magasins de proximité franchisés), la société Génédis (magasins Promocash), la société Supply Chaine (société qui délivre aux magasins leurs marchandises) et la société [Adresse 4] et les entités du siège à [Localité 8]. Il indique qu'il n'a pas interrogé la société carrefour Proximité France compte tenu de l'avis du médecin du travail (autre entreprise).

Mais la salariée observe exactement que le seul courriel ne permet pas de déterminer quelles sont les sociétés qui ont été interrogées, étant relevé que seules les sociétés Supply Chain, [Adresse 5] et CPF ont répondu n'avoir aucun poste disponible.

Elle observe encore exactement que 15 autres sociétés du Groupe Carrefour (listées page 62 de ses conclusions) n'ont pas été interrogées. L'employeur n'apporte aucune observation ou critique en réponse, et n'indique notamment pas en quoi l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation de ces sociétés ne permettraient pas la permutation de tout ou partie du personnel.

Elle critique enfin la réponse de la société Carrefour Administratif France qui est libellée comme suit « Nous n'avons pas de poste N5 à proposer dans les services comptables de [Adresse 4] à [Localité 9] » démontre une recherche de reclassement limitée aux services comptables et donc incomplète.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.

- Sur la consultation des représentants du personnel

La salariée critique également l'irrégularité de la consultation des représentants du personnel qui n'a pas porté sur le reclassement.

Le compte rendu de la réunion extraordinaire des délégués du personnel du 4 avril 2019 fait état d'une « information/consultation sur l'avis d'inaptitude rendu lors de la visite de reprise de Mme [G] » et mentionne à la suite l'avis favorable des délégués du personnel. Il n'est pas fait état du reclassement de Mme [G] et l'historique des informations apportées aux délégués du personnel qui figure sur le compte rendu ne contient aucun élément sur les recherches de reclassement de l'employeur si bien que les délégués du personnel n'ont pas été en possession de toutes les informations nécessaires leur permettant d'émettre un avis sur la possibilité ou non de reclasser la salariée.

La consultation est donc irrégulière et le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'origine professionnelle de l'inaptitude n'est pas contestée par l'employeur.

L'obligation de reclassement ayant été méconnue, la salariée peut prétendre en application de l'article L1226-15 du code du travail, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, ainsi qu'à une indemnité compensatrice et une indemnité spéciale de licenciement.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la salariée justifiant avoir alterné plusieurs contrats de travail de courte durée et des arrêts de travail, et avoir compte tenu de son état de santé des difficultés pour travailler de manière durable et être à nouveau en arrêt de travail depuis 2022, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 40 000 €.

Elle peut prétendre à une indemnité compensatrice de deux mois de salaire. Cette indemnité sera calculée sur la base d'un salaire de référence de 2342.77 € plus favorable que le calcul de l'employeur, mais n'ayant pas la nature d'une indemnité de préavis, elle n'ouvre pas droit à congés payés.

Elle sera ainsi fixée à une somme de 4685.54 €.

L'indemnité de licenciement allouée par les premiers juges n'est pas discutée par les parties et sera donc confirmée. Il en est de même de l'indemnité de repos compensateur de 181.53 €.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.

En cause d'appel, les sociétés appelantes qui perdent le procès seront condamnées aux dépens et déboutées de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Elles verseront en équité et sur ce même fondement une somme de 1500 € à Mme [G].

La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence d'allégation de circonstances le justifiant.

La salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France Travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Rejette la demande d'annulation du jugement

Infirme le jugement rendu le 7 novembre 2022 le par le conseil de prud'hommes de Caen sauf en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de nullité du licenciement, sauf en ce qu'il a alloué à la salariée la somme de 16 277 € à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement et celle de 181.53 € au titre du paiement du repos compensateur, et sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux indemnités de procédure ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Condamne in solidum la société [Adresse 4] et la société Carrefour Proximité France à payer à Mme [G] la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de l'article 10.6.62 de l'accord collectif « sur le plan de départs volontaires sièges dit Carrefour 2022 » du 20 avril 2018 ;

Condamne la société Carrefour Administratif France à payer à Mme [G] la somme de 2000 € pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Carrefour Proximité France à payer à Mme [G] la somme de 4 685,54 € à titre d'indemnité compensatrice et celle de 40 000 à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne in solidum la société Carrefour Administratif France et la société Carrefour Proximité France à payer à Mme [G] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l'avis de réception de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes ;

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les intérêts se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière ;

Ordonne à la société Carrefour Proximité France de remettre à Mme [G] les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation France Travail) et des bulletins de salaire complémentaires (à raison d'un bulletin par année) conformes au présent arrêt, ce dans le délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Condamne la société Carrefour Proximité à rembourser à l'antenne France Travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;

Condamne in solidum la société [Adresse 4] et la société Carrefour Proximité France aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/02931
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.02931 ?
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