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27/06/2024 | FRANCE | N°23/00348

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 27 juin 2024, 23/00348


AFFAIRE : N° RG 23/00348

N° Portalis DBVC-V-B7H-HE2F

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 16 Janvier 2023 RG n° F 21/00339











COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 27 JUIN 2024





APPELANT :



Monsieur [F] [T]

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représenté par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CA

EN







INTIME :



S.A.S. LA SOCIETE DES CREMATORIUMS DE FRANCE, agissant poursuite et diligences en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Loca...

AFFAIRE : N° RG 23/00348

N° Portalis DBVC-V-B7H-HE2F

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 16 Janvier 2023 RG n° F 21/00339

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 27 JUIN 2024

APPELANT :

Monsieur [F] [T]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

S.A.S. LA SOCIETE DES CREMATORIUMS DE FRANCE, agissant poursuite et diligences en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-François BOULET, substitué par Me ELOI, avocats au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 18 avril 2024

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 27 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 28 janvier 2013, M [F] [T] a été engagé par la société des Crématoriums de France en qualité d'assistant funéraire, et selon avenant à effet du 1er janvier 2019, il était classé Niveau III position 1 du statut employé de la convention collective nationale des pompes funèbres.

Par lettre recommandée du 17 décembre 2020, il a été licencié pour faute.

Contestant la rupture de son contrat et se plaignant de harcèlement moral, M. [T] a saisi le 16 juillet 2021 le conseil de prud'hommes de Caen lequel par jugement rendu le 16 janvier 2023 a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société à lui payer la somme de 11 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et celle de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté M. [T] de ses demandes en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, des propos tenus lors de la remise des effets personnels, de l'absence de réponse à la mutuelle ALPTIS et du retard dans la remise du solde de tout compte, a débouté la société de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Par déclaration au greffe du 10 février 2023, M. [T] a formé appel de ce jugement.

Par conclusions n°3 remises au greffe le 13 octobre 2023 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [T] demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire le licenciement nul en raison du harcèlement moral subi, de condamner la société à lui payer la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, celle de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, celle de 1000 € à titre de dommages et intérêts pour absence de réponse à la mutuelle ALPTIS, celle de 1000 € à titre de dommages et intérêts au titre des propos tenus par Mme [A], celle de 500 € à titre de dommages et intérêts pour retard dans l'établissement du solde de tout compte, à titre subsidiaire de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner à la société à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 25000 € et celle de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions n°2 remises au greffe le 11 janvier 2024 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société des crématoriums de France demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ses dispositions relatives aux dépens et aux indemnités de procédure, de confirmer le jugement pour le surplus, de débouter M. [T] de toutes ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS

I- Sur le harcèlement moral

Le salarié fait état de difficultés avec sa hiérarchie. Il n'invoque aucun fait précis, se contentant de renvoyer à ses pièces.

Il produit les attestations de :

- Mme [Z], ancienne salariée (elle a quitté la société en mars 2015) qui indique que suite à la venue de M. [MR] qui a remplacé le directeur M. [FA], l'ambiance a changé celui-ci critiquait l'équipe en place (elle-même, M. [T], M. [R], Mme [S]), qu'il a recruté Mme [A] qui faisait usage de mots grossiers. Mme [Z] indique que M. [MR] critiquait devant elle ou d'autres collègues M. [T] en indiquant qu'il était trop guindé, nonchalant, trop lent, pointilleux, qu'après son départ, elle a continué à entretenir des liens avec ses anciens collègues et que selon Mme [XC] [MR] (épouse du directeur) et des pompes funèbres, M. [T] s'est vu refuser tous ses repos du samedi matin, et qu'il devait faire toutes les cérémonies de 9h , car Mme [A] et ses nouveaux collègues souhaitaient boire leur café tranquillement », qu'elle-même a pu être témoin « de tels agissements manipulations pour les cérémonies de 9h », que M. [T] était serviable et que Mme [A] en abusait, qu'au dernier moment Mme [A] ne souhaitait plus recevoir la famille qu'elle avait accompagné et qu'elle donnait son recueil à M. [T] qui n'osait pas dire non.

Mme [Z] évoque ensuite la vie privée de M.[MR] et Mme [A] qui avait selon elle une liaison, que Mme [MR] soupçonnait ce fait et que M. [MR] était persuadé que c'est M. [T] qui avait averti son épouse et avait dit à son épouse « je vais lui tomber dessus », elle indique également que M. [B], pompes funèbres, lui avait dit que M. [T] était de plus en plus maltraité par ses supérieurs M. [MR] et Mme [A], qu'il était voué à faire ce que les autres ne voulaient pas faire. Elle indique enfin que « d'autres » lui ont dit que M. [T] était continuellement incertain de l'obtention de ses congés même d'été, qu'il devait travailler « quasi tous les samedis », et qu'elle avait revu M. [T] qui était amaigri, avait perdu sa joie de vivre, semblait subir des brimades et des pressions de M. [MR] et Mme [A], la direction ne s'en inquiétait pas, le directeur et son adjointe (devenue la nouvelle directrice à son départ et sa compagne) faisait obstacle à toute remontée.

- de Mme [O] (épouse [D]), qui indique que Mme [A] lui a dit de ne pas tenir compte des conseils de M. [T] « car à part des bêtises c'est tout ce que j'apprendrai », que M. [MR] lui a dit que M. [T] n'évoluera pas, que c'était la dernière tête à faire tomber de l'ancienne équipe, et que si elle parlait à M. [T] elle ne resterait pas. Le témoin précise que tous les moyens étaient bons pour évincer M. [T] car il savait comment Mme [A] avait eu son poste, ils imputaient à M. [T] toutes les erreurs commises par les autres, ils insinuaient qu'il prenait des choses et ne les rendait pas. Le témoin indique que Mme [A] était caractérielle avec des sautes d'humeur, et des crises d'hystérie et qu'elle-même a subi du harcèlement suite à son refus d'une proposition sexuelle de Mme [A].

- de Mme [W] qui indique avoir été salariée en intérim en janvier et février 2020, que M. [MR] et Mme [A] faisaient passer M. [T] pour un imbécile, que M. [T] était appelé « l'autre » par Mme [A] et rebaptisé « [M] -[F] » et caricaturé dans la salle de pause en M. [L] de la série « Les Simpson », « personnage antagoniste et perfide », que Mme [A] lui a déconseillé de s'adresser à M. [T] pour la moindre question car il ne saurait pas lui répondre, que les erreurs commises par ses collègues étaient attribuées à M. [T], qu'il était de bon ton de l'enfoncer. Elle précise qu'une fois Mme [A] a su que M. [T] l'avait aidée pour une tâche administrative, qu'elle est devenue hystérique et irrationnelle et a dit « celui là je vais lui casser la gueule » et enfin alors que son contrat devait être renouvelé elle a défendu M. [T] lors de sarcasmes de collègues et Mme [A] a décidé de ne pas renouveler son contrat.

- Mme [VZ] indique que Mme [A] lui a déconseillé d'aller voir M. [T], qu'elle ne l'aimait pas se moquait de son expression orale selon le témoin « trop littéraire pour eux », qu'elle a dit qu'elle allait faire virer M. [T] et allait chercher la moindre erreur, qu'elle faisait en sorte qu'il soit placé sur des recueillements standard afin de le démotiver, et pourtant M. [T] était toujours disponible et ne refusait rien. Elle précise enfin qu'elle était bien placée pour connaitre les intentions de Mme [A] car celle-ci lui faisait des confidences notamment sur ses rapports sexuels avec M. [MR] « dans les quatre coins du crématorium ». Elle indique enfin qu'elle a dû cacher à la direction et aux collègues la relation entre Mme [A] et M. [MR] ce qui a permis à Mme [A] de prétendre au poste d'adjointe à la place de M. [T].

- Mme [G] indique qu'à plusieurs reprises elle a constaté des faits qui avaient été mis sur le dos de [F], on ne cherchait pas à élucider le problème, c'était lui (porte mal fermée, ordonnateur non était), fournitures disparues, que Mme [A] disait, « de toute façon quand je serai directrice je trouverai bien des choses pour le virer, il faut qu'il dégage c'est un parasite » qu'il n'était pas aimé et pris en grippe, que Mme [A] faisait des sous-entendus sur son manque de professionnalisme.

Le salarié justifie des éléments médicaux suivants : un arrêt de travail pour maladie le 27 novembre 2020 (date entretien préalable) prolongé jusqu'au 7 mai 2021 (syndrome dépressif mentionné sur deux avis), une déclaration de maladie professionnelle et de reconnaissance de maladie professionnelle du 10 février 2021 pour «syndrome anxio dépressif majeur dans un contexte de harcèlement professionnel », et une reconnaissance de maladie d'origine professionnelle par la CPAM le 10 septembre 2021 ainsi qu'un avis du CRRMP faisant état d'un lien entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle (dégradation des conditions de travail) et une expertise du Dr [V] du 10 septembre 2021 qui conclut que le salarié souffre de symptômes anxieux qui se sont déclenchés dans le contexte d'une souffrance au travail, traitement et suivi psychologique.

L'employeur conteste la force probante de ces témoignages compte tenu que Mme [Z] et Mme [VZ] avaient respectivement quitté la société depuis mars 2015 et mai 2016, que Mme [D] est restée dans la société du 4 mars 2019 au 3 juin 2019 et Mme [W] a travaillé en intérim du 13 au 29 février 2020.

Mais dans son attestation, Mme [W] indique avoir travaillé en janvier et février 2020 et l'employeur ne produit pas les contrats d'intérim établissant qu'elle ait travaillé seulement 15 jours. De même il soutient que Mme [A] et M. [T] étaient en congés, ce qui est évoqué par le témoin qui indique que durant les congés de la direction, M. [T] l'ai aidée dans ses tâches quand elle a rencontré des difficultés, et que durant les congés de M. [T], les critiques à son encontre par la direction se sont démultipliées.

Par ailleurs, la durée de la présence des salariés auteurs des attestations ne peut en soi ôter toute force probante à celles-ci, étant relevé que l'employeur ne forme aucune critique sur ce point du témoignage de Mme [G].

L'employeur produit une plainte de M. [MR] adressé au procureur de la République de Caen le 1er février 2022 pour diffamation contre Mmes [Z], [VZ], [O] et [W], estimant que les accusations contenus dans leurs attestations portent atteinte à sa vie privée.

Toutefois, outre qu'il n'est pas justifié de la suite donnée à cette plainte, M. [MR] n'indique pas avec précision les propos qu'il critique, étant relevé que sa relation intime avec Mme [A] largement évoquée par certains témoins n'a pas de lien direct avec le harcèlement moral dont se plaint M. [T]. Enfin sa plainte ne vise pas l'attestation de Mme [G].

Il produit des attestations de salariés (Mme [UE], M. [K], Mme [I], M. [JT]. M. [P] qui font état des excellentes relations professionnelles qu'ils entretiennent avec Mme [A] sans faire état de la situation de M. [T]. D'ailleurs deux des salariés, lorsque les témoins précisent leur date d'embauche, ont été engagés en 2021 soit postérieurement au licenciement de M. [T].

Dans leur attestation, Mme [X] hôtesse d'accueil de mars 2020 à mars 2021, dit qu'elle avait des bonnes relations avec M. [T], et qu'elle n'a pas été témoin de manque de respect envers lui, et et M. [C] directeur adjoint du crématorium de [Localité 5] indique ne pas avoir constaté de faits de harcèlement ou de crises d'hystérie de Mme [A] et précise avoir travaillé avec Mme [D], M. [T], Mme [VH] et évoque leur comportement non professionnel et des actes de malveillances contre Mme [A] (boutons de veste coupés, nourriture disparaissant). Mais outre que le comportement non professionnel dont fait état le témoin n'est pas expliqué de manière concrète, M. [T] produit un sms de Mme [CC] [H] ancienne collègue lequel mentionne « [OL] et moi on est prêt à te servir de témoin et à quel point elle nous a manipulés, précisant que « après toi figure toi que ce fut à mon tour d'y passer et aujourd'hui c'est [OL] », le [OL] dont il est question étant M. [OL] [C].

Il produit également des attestations de personnes travaillant régulièrement avec la société, M. [TM], conservateur de cimetière qui indique qu'il n'a jamais constaté de tensions dans l'équipe et qu'il n'a jamais constaté de différences entre M. [T] et les autres membres de l'équipe, de M. [J] qui indique être directeur d'un crématorium dans une autre région indique avoir fait plusieurs déplacements au crématorium de [Localité 5] et n'avoir jamais entendu ou vu de geste ou expression déplacés de la part de Mme [A] vis-à-vis de son équipe.

Il produit enfin l'entretien annuel 2019/2020 daté du 10 juillet 2020 et mené par M. [MR] dans lequel le salarié a noté 4 (sur une échelle de 1 à 5) concernant l'ambiance au travail, les conditions de travail, et il a ajouté les commentaires suivants : « bonnes conditions de travail. Satisfaction générale ».

Mais cet entretien était mené par M. [MR] le directeur, ce qui fragilise les propos recueillis par le salarié.

Ces éléments ne sont pas ainsi de nature à remettre en cause la teneur des attestations produites par le salarié.

De celles-ci, il se déduit que l'équipe de direction, en particulier Mme [A], disait aux salariés qui arrivaient que M. [T] n'était pas compétent, qu'il ne fallait pas lui demander conseil, pouvait les menacer dans le cas contraire, que toutes les erreurs ou des vols d'objet lui étaient systématiquement imputés, que l'équipe de direction se moquait de lui (surnom) et critiquait son attitude et avait la volonté de ne pas le faire évoluer et de le faire partir. Il se déduit également un traitement différent dans la prise de congés, du travail le samedi ou dans les affectations sur les « cérémonies de 9h ».

Sur ce dernier point l'employeur produit un tableau des samedis travaillés entre 2017 et 2020 qui démontre que M. [T] n'était pas le seul à travailler le samedi et ne faisait pas plus de samedis que d'autres salariés, qui n'appellent aucune observation ou critique du salarié.

Il produit également plusieurs demandes de congés formées par le salarié entre 2019 et 2020 qui étaient acceptées, ses bulletins de salaire de 2017 à 2020 démontre qu'il a été absent pour les congés d'été en juillet et en août en 2020 (conformément à sa demande pour 2020). Le salarié critique ces éléments en indiquant qu'il n'est pas justifié des congés qu'il a demandé mais outre qu'il ne critique pas utilement les éléments produits à ce titre, il n'indique pas quels congés lui ont été refusés.

Le traitement différencié pour les samedis travaillés ou les congés n'est pas établi.

En revanche aucun élément n'est produit quand aux affectations sur les cérémonies de 9h.

Dès lors, les faits établis sont la critique systématique des compétences professionnelles auprès des autres salariés, l'interdiction faits aux autres salariés de lui demander des conseils professionnels, les moqueries et surnom, l'imputation systématique des erreurs commises ou des vols d'objets, la volonté de ne pas faire évoluer le salarié ou de le faire partir et un traitement différent dans les affectations sur les « cérémonies de 9h ».

Ces faits pris dans leur ensemble et les éléments médicaux rappelés ci-avant sont de nature à faire présumer un harcèlement moral.

Il appartient à l'employeur de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur fait valoir :

- que le salarié commettait de nombreuses erreurs et a été sanctionné à trois reprises par des avertissements. Mais le salarié indique n'avoir jamais reçu les trois lettres d'avertissements produites (13 février 2014, 14 avril 2016 et 3 octobre 2016), et l'employeur ne justifie pas de leur réception par le salarié. Ainsi, la lettre du 13 février 2014 a été remise en main propre mais ne contient aucune mention de date ou de signature. Ces éléments ne peuvent pas être pris en compte.

-le fait que le salarié n'a jamais fait mention du harcèlement qu'il aurait subi. Si le fait affirmé par le salarié dans ses conclusions qu'il a mentionné une situation de harcèlement moral pendant l'entretien préalable est contredit par l'attestation de M. [Y] qui l'a assisté durant cet entretien, le salarié soutient en revanche exactement que les faits de harcèlement moral émanant de M. [MR] et de Mme [A], directeur et sous directrice, Mme [A] étant ensuite devenue directrice, et que compte tenu de la relation entretenue entre eux, il était difficile pour lui de dénoncer cette situation .

- le fait que par jugement du 10 novembre 2023, le tribunal judiciaire a considéré que la décision de prise en charge était inopposable à l'employeur compte tenu de la composition irrégulière du CRRMP. Mais cette décision n'a d'effets que dans les relations Caisse/Employeur et n'a pas d'incidence sur la décision la prise en charge vis-à-vis de M. [T].

-la souffrance au travail relevée par les éléments médicaux est liée à la procédure disciplinaire mise en 'uvre. Si effectivement l'arrêt de travail pour maladie a eu lieu à la suite de l'entretien préalable, aucun élément ne permet toutefois d'imputer la situation médicale du salarié à la seule mise en 'uvre de la procédure de licenciement. L'expert M. [V] relevant même dans son rapport que M. [T] lui a indiqué avoir rencontré des difficultés avec sa hiérarchie en 2016, qui lui faisait des reproches injustifiés et l'a licencié sans raison valable.

Il est ainsi justifié d'une situation de harcèlement moral laquelle au vu des témoignages produits a duré de nombreuses années. Le préjudice en résultant sera réparé par des dommages et intérêts de 6000 €.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

II- Sur le licenciement

La lettre de licenciement « pour faute sérieuse » reproche au salarié à l'occasion de plusieurs obsèques qui se sont déroulées les 3 novembre, 9 novembre, 10 novembre et 12 novembre 2020 alors qu'il avait en charge la crémation des défunts le non respect des temps de crémation car des restes organiques ont été retrouvés. La lettre précise que ces manquements ont contraints à pulvériser les organes restants, et considère qu'il s'agit d'un manque de rigueur et du non respect du code d'éthique de la crémation.

Le salarié conteste les faits indiquant qu'il n'est pas établi la réalité de la présence des matières organiques ou l'imputabilité de leur présence à M. [T].

L'employeur produit aux débats :

- le descriptif du mode opératoire de la crémation signé le 31 janvier 2013 qui mentionne à la rubrique « séquence de fin de crémation » s'assurer qu'il ne reste que des calcius par l''illeton de visualisation.

- la crémation du 3 novembre 2020

L'employeur produit une capture d'écran du logiciel Crémagest mentionnant pour le défunt devant être incinéré le 3 novembre 2020 que la crémation était gérée par M. [T] avec un début à 15h40 et une fin à 16h56, une attestation de M.[U] qui selon le logiciel devait gérer le stockage de l'urne, indique avoir constaté à 16h55 par le biais d'un contrôle visuel sur l'appareil n°1 que la crémation n'était pas à son terme, 20 minutes supplémentaires étant nécessaires, mais qu'à son retour à 17h15, a constaté que le défunt était déjà « décendré » et avoir trouvé dans les cendres une partie organique importante.

- la crémation du 9 novembre 2020

L'employeur produit une capture d'écran du logiciel Crémagest mentionnant pour la défunte devant être incinérée le 9 novembre 2020 que la crémation était gérée par M. [T] avec un début à 11h26 et une fin à 12h41, une attestation de Mme [H] qui selon le logiciel devait gérer le stockage de l'urne, indique que le 9 novembre 2020 à 13h30, elle a pris la relève de M. [T] et a constaté que la défunte est « décendrée », qu'au moment de vérifier les calcius elle a constaté la présence d'un reste organique, qu'elle a prévenu Mme [A] et qu'il a été décidé de pulvériser avec le reste organique.

- la crémation du 10 et du 12 novembre 2020

L'employeur produit deux captures d'écran du logiciel Crémagest mentionnant pour les défunts devant être incinérés le 10 et 12 novembre 2020 que la crémation était gérée par M. [T] avec un début à 15h52 et une fin à 17h25 (10 novembre), et un début à 10h52 et un fin à 12h20 (12 novembre), une attestation de Mme [N] qui selon le logiciel devait gérer le stockage de l'urne pour les deux crémations, indique que le 12 novembre à 8h30, elle a constaté que pour le défunt « décendré » le 10 novembre, qu'il reste dans les calcius des matières organiques, et concernant le second défunt elle a fait le même constat.

Mme [A] a également attesté avoir été avertie les 3, 9 et 12 novembre par ces trois salariés, qu'elle a constaté la présence de matières organiques, a vérifié le logiciel et a pris des photographies.

Ces éléments précis et circonstanciés ainsi que les photographies prises à chaque fois établissent le constat de matières organiques à la suite des crémations effectuées par M. [T]. Ce dernier qui conteste ces faits ne produit aucun élément contraire, sauf à affirmer qu'il s'en serait rendu compte des matières autres que des ossements.

Il indique en outre qu'il est courant que des matières soient toujours présentes lors du « décendrage », qu'elles continuent à brûler lors de la phase de refroidissement et que si cela n'est pas le cas, il va alors remettre la matière à brûler, indiquant que d'autres avaient pour habitude de pulvériser la matière avec les calcius. Il indique enfin qu'il ne peut donc lui être reproché la nécessité d'une pulvérisation.

Toutefois, le descriptif du mode opératoire de la crémation signé le 31 janvier 2013 mentionne à la rubrique « séquence de fin de crémation » de s'assurer qu'il ne reste que des calcius par l''illeton de visualisation, et que la crémation est terminée lorsqu'il n'y a plus de matières dégageant une flamme et que seuls les ossements subsistent. Ce règlement ne prévoit donc pas de « brûler à nouveau » les restes organiques, les calcius correspondant à la partie minérale des os et ceux qui ne brûlent pas (bijoux, prothèses, poignées de cercueil) et que la pulvérisation (afin d'obtenir des cendres) ne concerne que les calcius.

Le salarié n'établit pas par ailleurs une défaillance du four ou un surpoids du défunt ou la présence de médicaments absorbée par ce dernier de nature à ralentir la crémation, ce qui au demeurant ne se pose pas puisqu'il doit surveiller la fin de l'opération.

Les faits sont donc établis. Leur caractère fautif ne l'est en revanche pas. En effet, ces faits relèvent de l'insuffisance professionnelle et l'employeur n'établit pas qu'ils procèdent d'une abstention volontaire ou d'une mauvaise volonté délibérée du salarié. Or, outre ce qui a été considéré précédemment quant aux avertissements antérieurs, il n'est pas contesté que l'employeur, alors que les faits se sont produits sur plusieurs jours et qu'il a à chaque fois constaté l'insuffisance du salarié, n'en a pas informé le salarié, ne lui permettant pas d'y remédier et ne peut donc ainsi considérer son attitude comme fautive.

Les motifs du licenciement ne sont donc pas justifiés.

Au soutient de sa demande de nullité, le salarié fait état du contexte de harcèlement moral dans lequel la procédure de licenciement a été menée.

La volonté de l'employeur de « faire partir » le salarié résulte des attestations produites notamment celle de Mme [G]. Dès lors, il est établi que le licenciement qui repose sur des fautes non justifiés, a un lien avec le harcèlement moral subi par le salarié.

Le licenciement est donc par infirmation du jugement nul.

Le salarié peut prétendre en application de l'article L1235-5-3 du code du travail à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (sur la base d'un salaire brut de 2052.43 €).

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (45 ans), à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salariée justifiant percevoir une allocation de retour à l'emploi et exercer comme auto entrepreneur, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 20 500€;

III- Sur les autres demandes

1) préjudice lié aux propos tenus par Mme [A]

Le salarié fait valoir qu'il a mandaté Mme [E] pour récupérer chez l'employeur ses affaires personnelles, mais que Mme [A] a refusé cette restitution notamment un classeur contenant des textes et poèmes et a tenu les propos suivants « il n'avait causé depuis son arrivée dans l'entreprise que des problèmes ».

Il produit un témoignage écrit du 15 janvier 2021 de Mme [E] qui indique s'être présentée à l'entreprise avoir été reçue par Mmre [A] qui a accepté qu'elle prenne le carton avec les vêtements mais pas le classeur avec les textes utiles aux cérémonies, puis lui a dit qu'il devait venir chercher ses effets lui-même, et a enfin indiqué qu'il « n'a fait que créer des problèmes depuis qu'il est rentrée au crématorium ».

L'employeur fait valoir que Mme [E] a été autorisé à prendre les affaires personnelles mais pas le recueil de poèmes qui est la propriété du crématorium. Il produit une plainte déposée par Mme [A] le 15 janvier 2021 qui explique qu'elle a refusé de restituer le classeur de poèmes qui était la propriété du crématorium, que Mme [E] s'est énervée, menaçant de revenir avec un huissier, et sortie en criant et en lui faisant un doigt d'honneur alors qu'une famille en deuil était présente.

Dès lors, chacune a une version différente de cette visite, si bien que la matérialité des propos imputés à Mme [A] n'est pas suffisamment caractérisée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

2) préjudice lié au retard dans l'établissement du solde de tout compte

Le solde de tout compte a été établi le 22 février 2021, le préavis expirant le 21 février 2021. Le salarié ne conteste pas dans ses écritures avoir reçu ses documents de rupture le 22 février 2021 mais indique le solde de tout compte était erroné, qu'il n'a perçu que le 17 mars 2021 les sommes au titre de la mutuelle et du maintien du complément de salaire et que le solde de tout compte a été réédité le 17 mars 2021. Mais il n'indique pas en quoi le solde de tout compte était erroné, invoquant seulement un retard de paiement, ne produit pas le nouveau solde de tout compte qui aurait été établi et ne justifie pas au demeurant d'un préjudice en lien avec un retard dans la remise de ce nouveau solde de tout compte.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande.

3) préjudice lié à l'absence de traitement par l'employeur du dossier Mutuelle

Le salarié produit un certificat de radiation de la société Alptis Assurances du 4 mars 2021, mais n'explique pas ce qu'il reproche concrètement à l'employeur alors que ce dernier justifie avoir dans la lettre de licenciement informé le salarié sur la portabilité de la couverture mutuelle pendant 12 mois.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.

En cause d'appel, l'employeur qui perd le procès sera condamné aux dépens et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Il versera en équité et sur ce même fondement une somme de 2000 € au salarié.

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne France Travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement rendu le 16 janvier 2023 par le conseil de prud'hommes de Caen sauf en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes indemnitaires fondées sur les propos de Mme [A], sur l'absence de maintien de la mutuelle et sur le retard du solde de tout compte, et sauf en ses dispositions relatives aux dépens et aux indemnités de procédure ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Crématoriums de France à payer à M. [T] la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Prononce la nullité du licenciement ;

Condamne la société Crématoriums de France à payer à M. [T] la somme de 20 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Condamne la société Crématoriums de France à payer à M. [T] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande formée sur le même fondement ;

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Crématoriums de France à rembourser à l'antenne France Travail concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;

Condamne la société Crématoriums de France aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00348
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;23.00348 ?
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