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20/06/2024 | FRANCE | N°22/03078

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 20 juin 2024, 22/03078


AFFAIRE : N° RG 22/03078

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDT5

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG EN COTENTIN en date du 28 Octobre 2022 - RG n° 19/00027









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 20 JUIN 2024





APPELANT :



Monsieur [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN






INTIMEE :



S.A. MONT BLANC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN...

AFFAIRE : N° RG 22/03078

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDT5

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG EN COTENTIN en date du 28 Octobre 2022 - RG n° 19/00027

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 20 JUIN 2024

APPELANT :

Monsieur [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Elise BRAND, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A. MONT BLANC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Christian BROCHARD, avocat au barreau de LYON

DEBATS : A l'audience publique du 11 avril 2024, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de Mme VINOT, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 20 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Embauché par la SAS Mont Blanc en qualité de responsable d'équipe, statut cadre, M. [P] [Y] a été promu, le 28 septembre 2015, coordinateur QSE (qualité, sécurité, environnement). À compter du 1er septembre 2016, il a occupé les fonctions de coordinateur qualité.

Le 15 juin 2017, il a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Le 16 août 2018, il a saisi le conseil de prud'hommes de Cherbourg pour réclamer des dommages et intérêts pour défaut de formation, harcèlement moral, une indemnité pour travail dissimulé et des dommages et intérêts pour licenciement nul subsidiairement sans cause réelle et sérieuse. Il a ensuite ajouté d'autres demandes.

Par jugement du 28 octobre 2022, le conseil de prud'hommes a condamné la SAS Mont Blanc à verser à M. [Y] 3 000€ de dommages et intérêts pour défaut de formation, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS Mont Blanc à lui verser 40 401,90€ à ce titre outre 1 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté M. [Y] du surplus de ses demandes et la SAS Mont Blanc de sa demande de remboursement de la somme de 5 606,42€.

M. [Y] a interjeté appel du jugement, la SAS Mont Blanc a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 28 octobre 2022 par le conseil de prud'hommes de Cherbourg

Vu les dernières conclusions de M. [Y], appelant, communiquées et déposées le 26 mars 2024, tendant à voir le jugement confirmé quant aux condamnations prononcées pour manquement à l'obligation de formation et en application de l'article 700 du code de procédure civile, tendant à voir le jugement réformé pour le surplus, à voir dire le licenciement, au principal, nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et à voir la SAS Mont Blanc condamnée à lui verser : 26 742,63€ bruts (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire pour heures supplémentaires, 12 690,20€ au titre de la contrepartie obligatoire en repos, 2 188,74€ bruts (outre les congés payés afférents) de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis, 30 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 30 000€ de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, 95 461,20€ de dommages et intérêts pour licenciement, au principal, nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse, 3 000€ supplémentaires en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de la SAS Mont Blanc, intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 9 avril 2024, tendant à voir déclarer irrecevables les pièces 55-1 et 2 produites par M. [Y], à voir le jugement confirmé quant aux déboutés prononcés, à le voir réformé pour le surplus, à voir M. [Y] débouté, au principal, de toutes ses demandes, subsidiairement, de ses demandes au titre de la durée du travail et à le voir condamné à lui rembourser 5 606,42€, en tout état de cause à le voir condamné à lui verser 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 10 avril 2024

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur l'exécution du contrat de travail

1-1) Sur les heures supplémentaires

' Les parties ont contractuellement prévu une convention de forfait jour. M. [Y] demande, dans le dispositif de ses conclusions, que cette convention soit dite nulle ou lui soit, 'à tout le moins', déclarée inopposable. La SAS Mont Blanc conteste la nullité et l'inopposabilité du forfait jour.

À supposer ce forfait valable, il ne sera néanmoins opposable à M. [Y] que si la SAS Mont Blanc a contrôlé son activité et eu, avec lui, au moins chaque année, un entretien portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail, l'articulation entre sa vie personnelle et professionnelle.

Sur la période pour laquelle la demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires est formée (de juin 2014 à juin 2017), trois entretiens annuels d'évaluation dits 'de progrès'ont eu lieu. Il n'est pas produit d'entretiens pour la période antérieure.

Dans les supports remplis lors des entretiens des 25 février 2015 et 29 février 2016, figure, pré-imprimée, une rubrique, différant légèrement dans sa formulation, destinée, est-il prévu, à un point sur l'organisation, la charge de travail (ou le plan de charge) et l'amplitude des journées de travail (pour cadres et agents de maîtrise en forfait jour). Cette rubrique a été remplie d'un commentaire sur la charge de travail.

Cette rubrique telle qu'elle est prévue ne prévoit pas que soient abordés tous les sujets sur lesquels doit porter l'entretien annuel obligatoire en matière de forfait jour. Il ne ressort pas non plus, à travers les commentaires qui ont été portés, qu'ait été abordée l'articulation entre la vie professionnelle et professionnelle.

Le support de l'entretien du 17 février 2017 comporte pré-imprimée une rubrique ainsi détaillée : 'point sur l'organisation, le plan de charge et l'amplitude journalière de travail (notamment sur l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle) NB : réservé aux cadres et agents de maîtrise en forfait jours'.

Telle que détaillée, cette rubrique correspond aux sujets devant être abordés lors de l'entretien annuel obligatoire en matière de forfait jour.

Toutefois, cette rubrique n'a pas été remplie, ne serait-ce que par une mention indiquant que le salarié n'entendait pas faire d'observation à ce propos. Dès lors, il n'est pas établi que ces sujets aient effectivement été abordés.

En conséquence, la SAS Mont Blanc ne justifiant d'aucun entretien pendant la période litigieuse portant sur tous les sujets devant annuellement être abordés avec un salarié en forfait jour, ce forfait-jour est inopposable. Le temps de travail de M. [Y] doit donc être décompté hebdomadairement.

' En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

M. [Y] produit des tableaux annuels mentionnant, jour par jour, ses horaires de travail. Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la SAS Mont Blanc d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Elle soutient que les horaires allégués seraient artificiels, ce qui ne constitue pas une critique utile en l'absence de tout élément contraire quant aux horaires travaillés.

Elle allègue également n'avoir pas donné d'accord implicite quant à l'exécution d'heures supplémentaires. Elle n'apporte toutefois aucun élément en ce sens. Cette allégation est au reste peu crédible, un employeur ne recourant au forfait jour que s'il envisage, a priori, que son salarié travaillera plus de 35H hebdomadaires.

' En l'absence de tout élément sur les horaires réalisés produit par la SAS Mont Blanc et de toute critique utile de sa part sur ceux allégués par M. [Y], les heures supplémentaires revendiquées par M. [Y] seront retenues.

La SAS Mont Blanc ne critique pas non plus le rappel de salaire calculé sur cette base par M. [Y]. Il sera donc retenu, comme le rappel d'indemnité compensatrice de préavis lié à l'intégration dans la base de calcul du rappel de salaire alloué pour heures supplémentaires.

1-2) Sur la contrepartie obligatoire en repos

M. [Y] réclame le paiement d'une indemnité correspondant au salaire (outre congés payés afférents) des heures dépassant le contingent annuel d'heures supplémentaires, faute d'avoir pu prendre la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il pouvait prétendre.

S'agissant d'une indemnité liée au fait que M. [Y] n'a pas été mis en mesure, du fait de l'employeur, de formuler une demande au titre de ce repos obligatoire, la SAS Mont Blanc ne saurait valablement opposer à son salarié la perte de ce repos obligatoire faute de l'avoir utilisé dans un certain délai.

La SAS Mont Blanc ne contestant, subsidiairement, ni le contingent dont se prévaut M. [Y] ni le calcul qu'il a fait, la somme réclamée sera retenue.

1-3) Sur la demande de remboursement des RTT

La SAS Mont Blanc fait valoir que M. [Y] a bénéficié entre juin 2014 et juin 2017 de 43 jours de RTT dont le paiement s'avère indû puisqu'ils ont été payés en application d'une convention de forfait jours qui s'avère inopposable. Elle en réclame donc le remboursement.

M. [Y] se contente d'opposer le caractère inéquitable de ce remboursement, au motif que l'inopposabilité de la convention est imputable aux manquements de la SAS Mont Blanc.

Dans la mesure toutefois où c'est lui-même qui soulève l'inopposabilité de cette convention pour pouvoir réclamer (et obtenir) le paiement d'heures supplémentaires, il n'est pas inéquitable qu'il soit contraint de rembourser le salaire correspondant à des jours de RTT dont il n'aurait pas bénéficié si cette convention n'avait pas été appliquée.

M. [Y] n'émettant subsidiairement aucune contestation sur le montant réclamé à ce titre par la SAS Mont Blanc, cette somme sera retenue.

1-4) Sur le travail dissimulé

M. [Y] a effectivement signalé lors de ses évaluations : le 25 février 2015 une charge de travail plus importante sur la deuxième partie de l'année liée à l'absence du 'RTA' et, le 29 février 2016, des 'journées longues'. Il ne justifie pas d'alertes plus précises. Il produit également quelques courriels envoyés tôt ou tard dans la journée.

Dans la mesure toutefois où M. [Y] travaillait dans le cadre d'un forfait jour, dont contrairement à ce qu'il indique, la SAS Mont Blanc ne pouvait pas nécessairement connaître l'inopposabilité, le fait qu'il ait pu évoquer une charge importante de travail (sans toutefois la quantifier) ou ait travaillé ponctuellement hors d'horaires ordinaires de travail ne suffit pas établir que la SAS Mont Blanc ait entendu dissimuler intentionnellement une partie de son travail effectué.

M. [Y] sera donc débouté de sa demande d'indemnité à ce titre.

1-5) Sur le manquement à l'obligation de formation

M. [Y] a accédé aux fonctions de coordinateur QSE en septembre 2015.

Il produit une pièce 17 mentionnant 'formations DA'. Il indique, sans être contesté par la SAS Mont Blanc, qu'il s'agit des 6 formations que son supérieur, M. [G], alors responsable QSE avait estimé nécessaires à son arrivée dans le service -l'une étant programmée en novembre 2015-. Il est constant toutefois qu'aucune de ces formations n'a été effectuée (si ce n'est la formation sur le logiciel VIF en octobre 2016).

Lors de l'entretien annuel du 29 février 2016, son supérieur hiérarchique, M. [Z], nouveau responsable QSE, a noté que son arrivée dans le service avait été difficile notamment à raison d'un absence de tuilage avec son prédécesseur, un manque d'accompagnement lors de sa prise de fonction. Ont été prévues des formations (exporter aux US, interpréter les résultats analytiques physiochimiques et micro biologiques) à réaliser au trimestre 1. Il est constant qu'aucune de ces formations n'a eu lieu.

Lors de l'entretien annuel du 17 février 2017, M. [Y] a souligné que les six formations qui avaient été définies comme nécessaires lors de sa prise de fonction n'avaient pas été réalisées. Son supérieur hiérarchique a noté dans sa synthèse que qu'il avait 'effectivement besoin de formations théoriques et techniques afin d'appréhender au mieux les problématiques'. Aucune formation n' a non plus eu lieu après cette date.

La SAS Mont Blanc soutient que, compte tenu de son changement de fonctions en septembre 2016, certaines des formations listées au départ n'étaient plus nécessaires -sans au demeurant préciser lesquelles- et soutient que des formations programmées au 2ième trimestre et un second semestre 2017 n'ont pas pu être mises en oeuvre à raison du licenciement de M. [Y]. Elle ne justifie pas de la programmation alléguée de formations, ni n'explique pourquoi elles n'ont pas eu lieu plus tôt.

Elle fait également valoir que M. [Y] a suivi, selon elle, de nombreuses formations au cours de la relation de travail. Il est exact que M. [Y] a suivi des formations diverses (incendie, secourisme, habilitation électrique, hygiène, management, logiciel de gestion de maintenance, sertissage, sur le lait...). Toutefois, seules 4 de ces formations sont postérieures à sa mutation dans le service QSE (dont 2 en sécurité incendie et secourisme). Les deux autres formations portent sur un recyclage 'TAR et risques légionnelles' le 30 mars 2016 et 10,5H les 16 et 17 juin 2016 sur le technologie des yaourts et ne correspondent pas aux formations estimées nécessaires lors de sa prise de fonction.

La SAS Mont Blanc a donc manqué à son obligation de formation et d'adaptation au poste de travail.

Ce manquement a occasionné un préjudice avéré à M. [Y] puisque ses évaluations annuelles ont noté des manques de connaissance impactant sa capacité à faire progresser ses équipes, un manque de compétence technique quant aux activités de laboratoire (février 2016), des carences dans l'analyse des risques (février 2017) qui ont eu des conséquences sur son évaluation.

Les dommages et intérêts alloués par le conseil de prud'hommes en réparation sont adaptées. Cette condamnation sera confirmée.

1-6) Sur le harcèlement moral

M. [Y] se plaint de l'attitude de M. [Z], son supérieur hiérarchique (remarques agressives, propos dénigrants, vexatoires, ordres et contrordres, pression), de la fixation d'objectifs inatteignables, d'une charge de travail importante rendant difficile la prise de ses congés et RTT.

La SAS Mont Blanc conteste les griefs énoncés et demande à ce que les pièces 55 de M. [Y] soient déclarées irrecevables.

1-6-1) Sur les pièces 55-1 et 2

Ces pièces figurent sur une clef USB et sont constituées par des enregistrements audio de conversations notamment entre M. [Y] et M. [Z]. Il est constant que ces enregistrements ont été faits par M. [Y] à l'insu de son supérieur hiérarchique.

La SAS Mont Blanc fait valoir, à juste titre, qu'il s'agit donc d'une preuve déloyale. Elle demande que ces pièces soient écartées.

Lorsque cela lui est demandé, le juge doit apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En l'espèce, M. [Y] se réfère à ces pièces mais ne soutient ni qu'elles seraient indispensables pour pouvoir exercer son droit à la preuve, ni que leur production serait strictement proportionnée à ce but. Il n'y a donc pas lieu de procéder à un contrôle de proportionnalité que M. [Y] ne demande pas.

Ces pièces déloyales seront donc déclarées irrecevables.

1-6-2) Sur le fond

Il appartient à M. [Y] d'établir la matérialité d'éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par M. [Y] seront examinés ceux, contraires, apportés par la SAS Mont Blanc quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, il appartiendra à la SAS Mont Blanc de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

' Attitude de son supérieur

Au soutien de ce grief, M. [Y] se réfère à son évaluation faite en février 2017 dans laquelle il fait état d'une 'mauvaise relation avec (son) supérieur hiérarchique', de la volonté de celui-ci de le déstabiliser, le fait qu'il ne souhaite pas sa réussite et de ne veut pas le manager.

Il indique également qu'à partir du moment où c'est M. [Z] qui l'a évalué, ses résultats ont été considérés comme remplis seulement à 45% (alors que ses précédents évaluateurs en appréciaient la réalisation à 66% en moyenne) et qu'il n'a plus bénéficié d'augmentation de salaire.

Il soutient que M. [Z] ne lui adressait aucune félicitation quand il avait achevé une mission avec succès mais lui attribuait immédiatement une nouvelle mission. Il produit un échange de courriers du 14 février 2017 censé en justifier. Il est exact qu'à réception d'un tableau d'indicateurs, M. [Z] s'est contenté de faire une remarque et de suggérer des actions pour résoudre un problème récurrent. Toutefois, l'échange porte sur la transmission des indicateurs de réclamations de janvier 2017, ce qui est une tâche récurrente de M. [Y] et non une mission particulière qui lui aurait été confiée.

Les éléments produits par M. [Y] (rappel de ses propres dires, baisse d'évaluation des résultats, échange anodin) n'établissent pas l'existence d'une attitude contestable de la part de son supérieur hiérarchique.

' Objectifs

Outre le reproche fait à son employeur de lui fixer des objectifs inatteignables, sur lequel il ne produit pas d'éléments, M. [Y] soutient également que les objectifs initialement fixés pour 2016 ont été modifiés par l'ajout, lors de l'évaluation, d'un critère qui a pesé pour 50%.

Lors de l'entretien du 29 février 2016, ont été définis les objectifs de l'année à venir. Lors de l'évaluation en février 2017, le poids de ces objectifs qui, cumulés, auraient dû atteindre 100% n'ont finalement pesé que pour 50% puisqu'y a été ajouté un nouveau critère tenant au 'taux de réalisation : maîtrise du poste' -sachant qu'était ainsi évaluée, le 17 février 2017, la maîtrise par M. [Y] de ses nouvelles fonctions exercées depuis octobre 2016-.

Comme le fait remarquer la SAS Mont Blanc, M. [Y] a toutefois validé cet entretien et spécialement les objectifs N-1 ( malgré leur modification).

La modification des objectifs est matériellement établie.

' Prise de congés et de RTT

M. [Y] soutient que son supérieur n'assurant pas son intérim lors de ses absences, il avait des difficultés à prendre ses congés sachant que son retour de congés serait lourd à gérer. Ses supérieurs, indique-t'il, lui ont reproché le retard mis à poser ses congés et ont tenté de lui imposer de les prendre à des dates qu'il n'avait pas choisies.

La SAS Mont Blanc fait valoir, sans être contestée, que, du 1er juin 2016 au 31 mai 2017, M. [Y] a posé 37 jours de congés payés et 10,5 jours de RTT ce qui ne caractérise pas de difficulté particulière à poser des congés payés.

M. [Y], quant à lui, établit que le directeur de site lui a signalé, le 31 janvier 2017, qu'il lui restait 18 congés payés à poser et lui a indiqué qu'il devait poser soit la semaine 7 soit la semaine 8. M. [Z] lui a précisé, le 6 février, qu'il devait poser la semaine 8 puis lui a demandé, le 7 février, de poser les semaines 7 et 9. M. [Y] a contesté cette décision en indiquant que la semaine 7 ne lui convenait pas et a proposé de poser ces derniers congés payés la semaine 8.

Il ressort des bulletins de paie que M. [Y] a bénéficié de 4 jours de RTT du 20 au 24 février 2017 (soit en semaine 8) conformément à ses souhaits.

Il n'est donc établi ni que M. [Y] aurait eu des difficultés à bénéficier de ces congés payés ni se serait vu imposer des congés payés à des dates qui ne lui convenaient pas.

L'unique fait matériellement établi ne laisse pas supposer l'existence d'un harcèlement moral. M. [Y] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

1-7) Sur l'obligation de sécurité

M. [Y] fait valoir que la SAS Mont Blanc a manqué à son obligation de sécurité en n'agissant pas alors qu'elle connaissait le conflit l'opposant à son supérieur hiérarchique.

Au soutien de cette affirmation, M. [Y] se prévaut des griefs énoncés dans son rapport annuel d'évaluation établi le 17 février 2017 et précédemment évoqués.

Le fait que la SAS Mont Blanc n'ait pas réagi aux propos tenus par M. [Y] sur son supérieur dans un rapport d'évaluation qui lui était globalement peu favorable ne caractérise pas, en l'absence de toute autre alerte ou signalement, un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

M. [Y] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

2) Sur le licenciement

La demande principale de M. [Y] tendant à voir dire son licenciement nul à raison du harcèlement moral qu'il soutient avoir subi sera rejetée puisque l'existence d'un harcèlement moral n'est pas établie.

Il demande subsidiairement que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse.

La SAS Mont Blanc lui reproche son incapacité à exécuter de manière satisfaisante les missions confiées notamment en manquant d'organisation, en n'exécutant pas à certaines tâches en temps voulu (par exemple en ce qui concerne la transmission des indicateurs), en ne réagissant pas à des demandes d'information (par exemple en omettant de produire des analyses sur les non-conformités permettant des actions sur le terrain), ce qui a créé des problèmes, entravé le bon fonctionnement du service et de l'entreprise et dénote un manque d'autonomie et de rigueur. Lui est également reproché un niveau insatisfaisant d'atteinte des objectifs (45% en 2016)

L'employeur précise que compte tenu de ses difficultés, le management du laboratoire lui a été retiré mais que, malgré des alertes et l'accompagnement de son responsable hiérarchique et de la direction, aucun progrès n'a été constaté.

' Les fonctions de M. [Y] ayant été redéfinies en septembre 2016, seuls les manquements afférents à ses fonctions ainsi redéfinies peuvent être pris en compte.

Ne saurait ainsi être retenue sa gestion des intérimaires, inadaptée selon la SAS Mont Blanc, puisque ces fonctions ne faisaient plus partie du périmètre de son poste.

' La SAS Mont Blanc lui reproche de n'avoir pas communiqué (ou avec retard) les indicateurs de suivi de qualité.

Les pièces visées par la SAS Mont Blanc sur ce point établissent que :

- le 14 mars 2017, M. [Y] a transmis les indicateurs de fin février , ce qui ne traduit un retard au plus de 13 jours (à supposer ces indicateurs disponibles dès le premier jour du mois)

- le 23 mai 2017, une demande lui a été faite de communiquer les indicateurs d'avril ce qu'il a fait le lendemain. M. [Y] a donc établi ces indicateurs avec un retard au plus de 23 jours.

Il ressort également de ces pièces que M. [Y] a été rappelé à l'ordre quant à l'affichage de ces indicateurs : le 28 avril 2017, étaient affichés les indicateurs de fin février, le 10 mai étaient toujours affichés les indicateurs de fin février).

Ce grief est fondé mais ne concerne que deux mois.

' La SAS Mont Blanc lui reproche une absence d'actions correctives quant aux non conformités et se réfère à ses pièces 46 à 53. Il en ressort les éléments suivants :

- le 11 mai 2016, M. [Z] a informé M. [Y] qu'il convenait de ne plus bloquer certaines non-conformités. Le 31 mai 2016, M. [Z] s'est plaint auprès de M. [F], directeur de site, du fait que M. [Y] n'ait pas bloqué d'autres non conformités et lui a demandé de recadrer M. [Y].

Le 31 mai 2016, M. [Y], au courant des doléances de M. [Z], a contesté sa responsabilité en la matière et indiqué que son supérieur hiérarchique lui '(faisait) porter le chapeau' alors que, selon lui, c'est M. [Z] qui n'avait pas fait son travail (pièces 46 et 53)

En l'absence d'autres éléments sur cet incident, il n'est pas établi que le reproche fait par M. [Z] soit établi.

- le 26 mai 2016, M. [F] a demandé à M. [Y] de renommer dans les indicateurs la cause 'erreur humaine' en 'non respect des bonnes pratiques'. M. [Y] s'est exécuté en contestant cette modification (pièce 48).

Aucun manquement de surcroît en lien avec le grief avancé par la SAS Mont Blanc ne ressort de cette pièce.

- le jeudi 5 janvier 2017 à 18h18, M. [Z] a demandé à M. [Y] de répondre à une non conformité client pour le lendemain. Le 6 janvier à 19H26, M. [F], a réprimandé M. [Y] pour n'avoir pas répondu dans le délai.

M. [Y] indique, dans ses conclusions, avoir répondu le lundi 9 janvier, ce qui n'est pas contesté par la SAS Mont Blanc.

M. [Y] n'a donc pas répondu dans le délai fixé par son supérieur hiérarchique. Dans son courriel, le directeur de site indiquait que ce retard était préjudiciable car il était important de savoir d'où venait cette non conformité. (Pièce 47)

- le 4 mai 2017, des courriels ont été échangés entre plusieurs personnes (M. [Y] étant en copie). M. [Y] est intervenu pour signaler un manque de cariste et des difficultés éventuelles pour les prélèvements à faire. Il s'est fait tancer par M. [Z] (avec copie au directeur de site) au motif qu'inutilement il 'inquiète tout le monde' et complique la situation.

Les éléments produits ne permettent pas d'apprécier si son intervention était ou non opportune et ne permettent pas, en toute hypothèse, d'illustrer le grief tenant à une absence de plan d'actions qualité (pièce50)

- Les autres pièces concernent : un problème de lecture d'un fichier informatique (pièce 49), une demande de ne pas 'lancer' un fichier non finalisé (pièce 51), ce qui n'établit aucun manquement de M. [Y], de surcroît en rapport avec le grief que ces pièces sont censées illustrer.

Une autre pièce (pièce 52) a trait à une divergence de vue sur la manière de renforcer le effectifs du laboratoire ce qui ne traduit pas de manquement de M. [Y] et qui relève, de surcroît, de fonctions qu'il n'avait plus depuis septembre 2016.

En conséquence, un seul manquement est établi sur ce point.

' En ce qui concerne la non atteinte des objectifs, la SAS Mont Blanc se réfère au fait que M. [Y] n'était qu'en adéquation partielle à son poste selon l'évaluation établie en février 2016, avec des objectifs atteints à 66%, et que la situation s'est aggravée l'année suivante puisqu'il n'a alors atteint que 44,225% de ses objectifs selon l'évaluation faite en février 2017.

Comme indiqué précédemment, la SAS Mont Blanc a évalué, à cette date, des objectifs qui, à hauteur de 50%, n'avaient pas été fixés auparavant ce qui enlève toute signification au pourcentage retenu.

De surcroît, tant en 2016 qu'en 2017, les lacunes pointées sont en grande partie liées à une absence de formation comme le soulignent d'ailleurs ces évaluations.

Dès lors, la SAS Mont Blanc ne saurait utilement reprocher à son salarié de ne pas avoir atteint ses objectifs alors qu'elle ne lui a pas donné la formation nécessaire pour ce faire.

Il ressort de ce différents éléments que les quelques manquements établis ne caractérisent pas une insuffisance professionnelle a fortiori dans un contexte où l'employeur n'a pas assuré à son salarié la formation nécessaire pour occuper son poste dans de bonnes conditions. Le licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse.

M. [Y] peut prétendre à des dommages et intérêts au moins égaux au salaire de ses six derniers mois.

Il justifie avoir trois enfants mineurs. Il a été engagé comme enseignant contractuel pour 9H hebdomadaires du 6 janvier au 18 août 2020, puis pour 18H hebdomadaires du 1er au 30 septembre 2020.

Compte tenu de ces renseignements, des autres éléments connus : son âge (39 ans), son ancienneté (10 ans et 11 mois) son salaire moyen (5 170,48€ au vu de l'attestation Pôle Emploi et après réintégration du rappel de salaire pour heures supplémentaires afférent à cette même période) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 57 000€ de dommages et intérêts.

3) Sur les points annexes

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter :

- du 27 juin 2019, date des premières conclusions déposées par M. [Y] chiffrant ces demandes en ce qui concerne le rappel d'heures supplémentaires et le reliquat d'indemnité compensatrice de préavis

- du 30 décembre 2019, date des premières conclusions déposées par M. [Y] chiffrant cette demande en ce qui concerne l'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos

- du 24 septembre 2021, date de premières conclusions contenant cette demande en ce qui concerne la somme allouée à la SAS Mont Blanc

- du 14 novembre 2022, date de notification du jugement confirmé sur ce point en ce qui concerne les dommages et intérêts accordés pour manquement à l'obligation de formation

- de la date du présent arrêt pour le surplus des dommages et intérêts.

Les sommes que se doivent les parties se compenseront à hauteur de la plus faible des deux sommes.

La SAS Mont Blanc devra rembourser à France Travail les allocations de chômage éventuellement versées à M. [Y], entre la date du licenciement et la date du jugement, dans la limite de trois mois d'allocations.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS Mont Blanc sera condamnée à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Déclare irrecevables les pièces 55-1 et 2 produites par M. [Y]

- Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, d'indemnité pour travail dissimulé et de sa demande tendant à voir dire le licenciement nul, en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SAS Mont Blanc à verser à M. [Y] 3 000€ de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation

- Y ajoutant

- Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compte du 14 novembre 2022

- Réforme le jugement pour le surplus

- Condamne la SAS Mont Blanc à verser à M. [Y] :

- 26 742,63€ bruts de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre 2 674,26€ bruts au titre des congés payés afférents

-2 188,74€ bruts de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis outre 218,87€ bruts au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2019

- 12 690,20€ au titre de la contrepartie obligatoire en repos avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019

- 57 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Condamne M. [Y] à verser à la SAS Mont Blanc 5 606,42€ avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2021

- Dit que les sommes que se doivent les parties se compenseront à hauteur de la plus faible des deux sommes

- Dit que la SAS Mont Blanc devra rembourser à France Travail les allocations de chômage éventuellement versées à M. [Y] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations

- Condamne la SAS Mont Blanc aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/03078
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.03078 ?
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