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20/06/2024 | FRANCE | N°22/01482

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 20 juin 2024, 22/01482


AFFAIRE : N° RG 22/01482

N° Portalis DBVC-V-B7G-HACE

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 19 Mai 2022 - RG n° F 21/00129









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 20 JUIN 2024





APPELANTE :



S.A.S. THUASNE

[Adresse 1]



Représentée par Me Jacques DUBOURG, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Violaine CLEMENT-GRA

NDCOURT, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE :



Madame [M] [W]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Laurence PINCHOU, avocat...

AFFAIRE : N° RG 22/01482

N° Portalis DBVC-V-B7G-HACE

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 19 Mai 2022 - RG n° F 21/00129

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 20 JUIN 2024

APPELANTE :

S.A.S. THUASNE

[Adresse 1]

Représentée par Me Jacques DUBOURG, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Violaine CLEMENT-GRANDCOURT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame [M] [W]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Laurence PINCHOU, avocat au barreau de PARIS

DEBATS : A l'audience publique du 11 avril 2024, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de Mme VINOT, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller, rédacteur,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 20 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Mme [W] a été embauchée à compter du 7 septembre 1998 par la société Thuasne en qualité d'assistante chef de produits dans le cadre d'un contrat d'apprentissage à durée déterminée puis à compter du 1er juillet 2001 en qualité de chef de produit international.

À compter du 29 janvier 2008 elle a fait partie du comité de direction, le 1er janvier 2009 elle est devenue cadre dirigeant, à compter du 1er mars 2010 elle a occupé la fonction de directeur commercial et marketing France puis en 2013 a participé au Comex, à compter du 1er février 2017 elle a occupé la fonction de directeur de la stratégie commerciale France.

Elle a été en arrêt de travail à compter du 3 septembre 2020.

Le 30 novembre 2020, elle a été licenciée pour faute grave.

Le 26 mars 2021, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Caen aux fins de voir juger nul pour discrimination le licenciement et à titre subsidiaire le voir juger sans cause réelle et sérieuse, obtenir paiement d'une indemnité de préavis, d'une indemnité conventionnelle, d'une indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour préjudice moral, de dommages et intérêts pour préjudice causé à la santé, d'un rappel de prime d'objectifs, d'un rappel de contrepartie de clause de non-concurrence.

La société Thuasne a soulevé l'incompétence territoriale du conseil de prud'hommes de Caen.

Par jugement du 19 mai 2022, le conseil de prud'hommes de Caen a :

- dit qu'il est compétent territorialement pour connaître de l'affaire

- dit que le licenciement est nul car prononcé en raison de l'état de santé

- condamné la société Thuasne à payer à Mme [W] les sommes de :

- 45 696 euros à titre d'indemnité de préavis

- 4 569,60 euros à titre de congés payés afférents

- 251 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 103 577,60 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 35 126 euros à titre de rappel de prime 2020

- 328 euros à titre de contrepartie mensuelle de la clause de non concurrence et 32,80 euros à titre de congés payés afférents à compter de la rupture du contrat de travail

- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté Mme [W] du surplus de ses demandes

- débouté la société Thuasne de ses demandes

- condamné la société Thuasne aux dépens.

La société Thuasne a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant retenu la compétence territoriale de Caen dit le licenciement nul, l'ayant condamnée au paiement de sommes précitées et l'ayant déboutée de ses demandes.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 19 mars 2024 pour l'appelante et du 9 novembre 2023 pour l'intimée.

La société Thuasne demande à la cour de :

- réformer le jugement en celles de ses dispositions ayant retenu la compétence territoriale de Caen dit le licenciement nul, l'ayant condamnée au paiement de sommes précitées et l'ayant déboutée de ses demandes

- renvoyer l'affaire devant la cour d'appel de Versailles compétente

- à titre subsidiaire, débouter Mme [W] de son appel incident et de ses demandes, lui ordonner de restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire outre les cotisations sociales patronales afférentes et les intérêts légaux, lui ordonner de restituer le complément de l'indemnité de clause de non-concurrence versé, fixer une astreinte et condamner Mme [W] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- à titre très subsidiaire limiter les condamnations aux sommes de 103 577 euros pour l'indemnité de licenciement, 36 204 euros pour l'indemnité de préavis

- à titre infiniment subsidiaire fixer dans une raisonnable mesure l'indemnité attribuée sur le fondement de l'article L.1235 ou L.1235-3 du code du travail.

Mme [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à ses demandes au titre du préjudice moral et préjudice causé à la santé et sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Thuasne à lui payer les sommes de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, 60 000 euros pour préjudice causé à sa santé, 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Thuasne à lui remettre une attestation pôle emploi et un certificat de travail conformes

- confirmer le jugement pour le surplus

- à titre infiniment subsidiaire si la cour faisait droit à l'appel de la société Thuasne dire qu'elle devra rembourser la seule somme de 385 812 euros.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 mars 2024.

SUR CE

I) Sur la compétence territoriale

Aux termes de l'article R.1412-1 du code du travail, l'employeur et le salarié portent les différends et litiges devant le conseil de prud'hommes territorialement compétent qui est soit celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail, soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié, le salarié pouvant également saisir les conseils du lieu où l'engagement a été contracté ou celui du lieu où l'employeur est établi.

Aux termes de l'avenant applicable à compter du 10 février 2014, il a été convenu 'Lieux de travail : afin de développer davantage de synergies avec l'équipe internationale sur les aspects SFE vous exercerez votre activité depuis le siège du groupe Thuasne situé à [Localité 5]. Par ailleurs votre fonction ayant un périmètre international, vous pourrez exercer votre activité en ayant votre lieu de résidence situé dans le département de la Basse Normandie', avenant non modifié par la suite.

Mme [W] expose qu'elle dirigeait une équipe éclatée sur la France entière, depuis son domicile, se déplaçait pour rencontrer des clients ou assister à des séminaires sur tout le territoire et se rendait au siège (où elle ne disposait d'aucun bureau) pour assister à des réunions, qu'en 2018 elle a passé plus de 54% de son temps de travail à [Localité 2] et 39% au siège, en 2019 61% à [Localité 2] et 26% au siège, en 2020 essentiellement à son domicile, que cette situation était connue de tous.

Tant les termes de l'avenant (qui évoque des lieux de travail au pluriel et évoque expressément l'exercice de l'activité au domicile) que les témoignages produits par la salariée (M. [D], ancien administrateur, atteste qu'il s'était ouvert des complications posées par la localisation de Mme [W] à [Localité 2] à la directrice qui avait considéré que l'avantage d'une solution assurant l'épanouissement et l'équilibre du collaborateur l'emportait sur les inconvénients, M. [H], directeur des ressources humaines et signataire de l'avenant, atteste que par cet avenant il a été acté de l'accord de la direction pour que Mme [W] travaille également à son domicile, qu'il a été amené à se rendre à des réunions à [Localité 2] et que cette autorisation connue de tous n'a jamais posé de problèmes, Mme [L], responsable du contrôle de gestion, atteste que des réunions étaient régulièrement organisées en visio avec Mme [W] car elle travaillait chez elle ce qui était connu du tous, qu'elle se déplaçait régulièrement à [Localité 5], où elle n'avait pas de bureau attitré, quand cela était nécessaire, M. [B], directeur des ventes, atteste qu'une table ronde dont il disposait pour des réunions servait aussi aux personnes de passage ou à Mme [W] quand elle venait au siège, Mme [Z] atteste en termes similaires, Mme [U] , responsable marketing basée au siège, atteste que Mme [W] ne disposait pas de bureau attitré à [Localité 5], Mme [O], commerciale, atteste que Mme [W] devait emprunter un bureau quand elle venait, ces quatre personnes énonçant également que Mme [W] travaillait essentiellement depuis chez elle et leur témoignage n'étant pas contredit par un simple plan des lieux, unique pièce produite par l'employeur, établi dans des conditions indéterminées sur lequel figure à un endroit les initiales VM), que l'inscription de Mme [W] au service de médecine du travail de [Localité 4] et que l'allégation non contredite que l'employeur remboursait un forfait mensuel internet pour l'abonnement du domicile et avait fourni grand écran et imprimante confirment un accord de l'employeur pour une exécution certes non exclusive mais principale de la fonction au domicile de la salariée, ce dont il suit qu'en application du texte précité celle-ci pouvait saisir la juridiction du lieu de son domicile.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

II) Sur le licenciement

1) Sur l'existence de fautes

La lettre de licenciement évoque deux séries de fautes.

A) les fautes commises dans ou à l'occasion de l'exercice des fonctions

- Les fautes commises dans les relations avec les prestataires externes

La lettre fait état de fautes commises dans la gestion des contrats de visite médicale externe et dans la transgression des procédures internes dans la conclusion de ces contrats.

S'agissant de la faute de gestion des contrats de visite médicale externe, la lettre expose que la direction a appris lors d'une réunion avec les représentants de la société Manage conseil que les visites de médecin organisées sous l'autorité et le contrôle de Mme [W] par cette société pour la promotion de KIT Biflex ne procédaient d'aucun ciblage des médecins visités de sorte qu'il apparaissait que Mme [W] avait été gravement défaillante dans la sélection de ce partenaire inadapté et n'avait exercé aucun contrôle et avait laissé perdurer une situation catastrophique qu'elle avait soigneusement masquée et qui n'avait pu être identifiée qu'en conséquence de son absence, que par ailleurs des réunions avec Manage conseil il ressortait une défaillance dans la gestion de cette relation contractuelle (que le sous-traitant ne s'était vu définir aucun objectif en parts de marché, n'avait pas été soumis à l'établissement de rapports d'activité suffisants, n'avait pas donné lieu à la tenue de synthèses et s'était vu octroyer des montants exorbitants) et un coût exorbitant alors même que la société Thuasne dispose d'une force de présence médicale de qualité (facturation pour 2018 à 2020 pour 1 924 000 euros alors que les résultats commerciaux issus de l'action de Manage conseil sont très inférieurs aux attentes du groupe et au budget).

S'agissant de la transgression des procédures internes dans la conclusion des contrats, la lettre expose que la direction a découvert que l'achat de l'ensemble de campagnes sous-traitées depuis trois années n'avait fait l'objet d'aucune négociation ni validation par la direction des achats.

Il convient de relever en premier lieu que la société Thuasne indique dans ses conclusions que Mme [W] a 'décidé de confier la commercialisation de certains produis à Manage conseil et a 'refusé de suivre la procédure applicable'.

Or, la pièce 39 à laquelle elle se réfère est un mail dont le contenu est en partie effacé et qui n'apporte strictement aucun élément utile, la pièce 56 consiste en un mail de transmission d'un process achat avec référence à une pièce jointe qui n'est pas produite de sorte que cette pièce ne fait aucunement la preuve du process prétendu de contrôle préalable par la direction des achats, par ailleurs la pièce 57 établit que la direction des achats a été sollicitée pour négocier avec Manage conseil entre 2009 et 2013, qu'une mise en concurrence avait alors été faite, la direction des achats indiquant qu'ensuite les contrats ont été 'gérés par VMA et visés par Mme [P]', ce que confirme un mail de M. [E] président de Manage conseil produit par Mme [W], mail aux termes duquel il indique qu'en 2015 Mme [P] lui a demandé de traiter dorénavant avec Mme [W] directement et ce que confirment les contrats versés aux débats tous signés par Mme [P] elle-même, de sorte que d'une part n'est pas rapportée la preuve d'une procédure non respectée dans la conclusion du contrat avec Manage conseil et que d'autre part le contenu des contrats était parfaitement connu de Mme [P], présidente, laquelle était au surplus informée par une présentation budgétaire de décembre 2019 et un séminaire de janvier 2020 des contours de la prestation confiée à Manage conseil depuis plusieurs années.

La société Thuasne qui indique dans ses conclusions que Mme [W] a entériné des rapports de complaisance de Manage conseil ne produit aucun élément à cet égard.

Elle ne se réfère à aucun process précis ou instruction quelconque desquels il résulterait que Mme [W] aurait dû exiger de Manage conseil tel ou tel type de rapport suivant tel ou tel rythme particulier et pour soutenir que Mme [W] n'aurait participé qu'à une seule réunion, verse aux fébats une pièce 45 inexploitable à ce niveau tandis que Mme [W] verse un échange de mails et une attestation de M. [N], directeur national des ventes, affirmant qu'elle a participé aux réunions mensuelles.

S'agissant du coût prétendument 'exorbitant' des prestations confiées à Manage conseil, la société Thuasne énonce certes le coût qu'elles ont représenté mais sans jamais énoncer ni dans la lettre de licenciement ni dans ses conclusions le chiffre d'affaires des gammes auxquelles correspondent les produits présentés par Manage conseil, se bornant à indiquer les parts de marché de ces produits et sans produire au demeurant d'éléments chiffrés précis et sérieux établissant comment ces parts de marché ont précisément évolué avant le départ de Mme [W] et après (ne sont produits que deux compte-rendus de réunions faisant référence de façon sommaire aux parts de marché, dont un de novembre 2020 qui indique au demeurant pour le kit Biflex que 'depuis le début de l'année' le marché poursuit sa croissance forte, que Thuasne gagne des parts de marché).

Or, Mme [W] verse aux débats une attestation qui n'appelle pas de réplique aux termes de laquelle M. [D], ancien directeur opérationnel du marketing et administrateur, énonce que le dosage du mix promotionnel (actions promotionnelles ou marketing, force de vente interne ou visite externalisée) n'obéit pas à un modèle mathématique, le seul arbitre en la matière étant l'équation entre les parts de marché obtenues et l'efficience des moyens et que la croissance rentable est le témoin le plus fiable de la pertinence des actions engagées, elle verse également aux débats des extraits de fichiers de chiffre d'affaires dont elle déduit sans être contestée que le coût de Manage conseil ne représente que 0,72% du chiffre d'affaires des produits présentés outre un extrait d'un support de présentation d'une réunion France d'août 2020 faisant état à cette date d'un accroissement des parts de marché de ces produits entre 2019 et fin juillet 2020 sans appeler d'observation en réponse, elle présente des explications extrêmement détaillées sur la façon dont elle a mis en place un partenariat avec la société Môlnlycke pour une présentation conjointe de leur produit complémentaire impliquant un ciblage, a proposé des recommandations en réunion de juillet 2020 qui ont été totalement approuvées par Mme [P] (elle verse de surcroît aux débats un mail de Mme [P] en date du 9 juillet 2020 'Merci [M] pour cette bonne séance de travail sur le kit Biflex. Très bien préparée et décisions raisonnables'), elle observe encore exactement que les éléments qu'elle produit comme ceux produits par la société établissent que la progression des ventes Kit Biflex notamment avait commencé avant la prétendue reprise en main par la direction et que les objectifs étaient atteints avant cette date.

Ainsi, la démonstration des manquements de Mme [W] sur ce premier point n'est pas faite, étant relevé au demeurant que, à supposer établie une défaillance dans la gestion de la relation avec Manage conseil, la démonstration est encore moins faite qu'elle relèverait d'un comportement fautif et non pas d'une insuffisance professionnelle voire comme l'indique Mme [W] d'une divergence d'approche stratégique.

- L'achat de meubles présentoirs de pharmacies en violation de nos procédures, de votre délégation de pouvoir et au détriment de votre entreprise et du groupe

La lettre de licenciement expose que la société a découvert lors de la préparation du budget 2021 que des meubles présentoirs pour les pharmacies avaient été achetés sur décision de Mme [W] en 2018 pour un montant de 88 298 euros sans respect de la procédure de mise en concurrence et sans que soient soumis à la direction, hormis le premier lot de 37 000 euros, les bons de commande et factures approuvés par la salariée en excédant les autorisations d'engagement.

Il sera relevé en premier lieu que la société Thuasne expose dans ses conclusions que la société CPI avec laquelle il a été contracté n'a pas été en mesure d'achever les présentoirs et qu'a dû être supporté en sus un coût de transfert pour remise en état en produisant à cet égard des pièces peu exploitables (multitude de mails produits en copie difficilement lisible) qu'elle ne commente d'ailleurs pas.

Il importe ensuite de relever que la société Thuasne procède dans ses écrits essentiellement à une critique des pièces produits par Mme [W] sans faire état quant à elle d'autres pièces qu' une attestation de la directrice des achats qui affirme 'nous avons eu à gérer un désengagement difficile avec la société CPI avec laquelle une collaboration avait été démarrée sans implication du service achats et sans contractualisation', un mail du 27 février 2020 de la responsable comptable qui indique 'tous les achats à CPI global sont bien passés par ordre d'achat, donc le service achats en avait connaissance', un échange de mails non commenté et peu lisible concernant le reprise de meubles CPI, des factures d'une société Media6, un mail de la directrice des achats du 18 novembre 2020 ayant pour objet la négociation pour l'achat de prestation avec Manage conseil, une liste de documents prétendument détruits par Mme [W] au moment de son licenciement sans indiquer qu'y figureraient des documents utiles à sa démonstration sur ce point litigieux.

En cet état, Mme [W] observe exactement que ne sont produits ni bon de commande, ni validation d'achats, ni facture validée ou signée par elle concernant ces meubles, que le mail du 27 février 2020 atteste d'une connaissance par le service achats pour les achats CPI contredisant l'attestation, au demeurant imprécise et non corroborée par des éléments matériels, de la directrice des achats.

De son côté elle produit un échange de mails du 11 mai 2018 aux termes duquel elle demande la validation à Mme [P] pour le module merchandising d'un montant de 37 740 euros, ce à quoi Mme [P] répond 'd'accord' outre une attestation de Mme [U], responsable marketing opérationnel, qui affirme 'une de nos plus grosses dépenses a été un projet de meuble merchandising fixe, développé par la société CPI. Mme [P] a été dans la boucle de ce projet dès le départ, j'ai même été amenée à lui en faire valider le design et l'engagement de l'achat de ces meubles a été fait avec son aval'.

En conséquence, la preuve n'est pas faite de la faute reprochée.

B) Les défaillances fautives dans l'exercice des responsabilités de directrice de la stratégie commerciale France

La lettre de licenciement expose que, au regard des responsabilités majeures confiées en 2017, le groupe attendait des solutions commerciales nouvelles et efficaces pour faire face à l'évolution du marché de façon à restructurer l'architecture managériale de la direction en exigeant de ses équipes de l'efficacité et de la productivité, à élaborer et mettre en oeuvre une stratégie d'initiatives commerciales alternatives et à établir des liens intenses avec des clients majeurs et des prescripteurs importants.

Elle expose ensuite que la salariée n'a pas mis en oeuvre de stratégie commerciale cohérente et adaptée privilégiant une fuite en avant, a engagé des campagnes de promotion disproportionnées notamment la campagne dite de rebond et des promotions annuelles, a consenti des baisses de prix incompréhensibles sans validation, a négligé la gestion commerciale des DOM TOM qui était critique, n'a pas été à la hauteur dans son implication personnelle dans la gestion des grands comptes, a décidé du versement fin août 2020 aux commerciaux de la quasi totalité de l'enveloppe annuelle de la prime performance d'une gamme spécifique, n'a pas accompagné personnellement la direction formation événements et projets médicaux pour maintenir, intensifier et organiser les relations avec les professionnels de santé, a négligé les équipes internes de visite médicale, n'a pas assuré un encadrement effectif de ses équipes.

Dans ses conclusions, la société Thuasne énonce que des demandes d'une stratégie répondant aux injonctions de réduction des dépenses publiques de la sécurité sociale, aux évolutions des comportements consuméristes adaptés aux clients et aux injonctions budgétaires publiques ont été régulièrement faites et qu'aucune suite n'a été donnée à ces demandes.

Or elle se réfère uniquement à sa pièce 39 qui est un mail de quelques lignes dont certaines phrases ont été surlignées rendant le texte illisible et dont le contenu est inexploitable, outre à une liste des objectifs 2019 et 2020 dont la seule production n'établit pas qu'ils n'ont pas été repectés et en quoi.

Elle énonce ensuite que le comportement de Mme [W] ne tient pas à cette insuffisance professionnelle caractérisée (reconnaissant par là au demeurant que la non atteinte des objectifs ne relève pas en soi de la faute) mais aux mesures mises en oeuvre pour masquer la réalité.

À cet effet, elle se réfère aux pièces déjà citées concernant la société Manage conseil dont il a été vu ci-dessus qu'elles n'établissaient pas une faute et à une simple feuille (pièce 71) portant mention de chiffres qui ne suffit en rien à établir la mise en place prétendue par Mme [W] de pratiques promotionnelles inadaptées et encore moins la faute commise par cette dernière, étant relevé encore que la société Thuasne affirme que leurs concours, leur systématisation et leur ampleur ont permis de masquer par un effet volume la réalité du désastre de son action sans autre précision d'aucune sorte et sans procéder à une quelconque démonstration ni se référer à de quelconques pièces établissant ces 'concours, systématisation et ampleur'.

La société Thuasne expose ensuite que Mme [W] a mis en oeuvre des actions pour masquer la situation outre-mer.

Or, elle se borne à se référer aux présentations faites en Copil qui comportent plusieurs pages de chiffres qu'elle ne commente ni n'explicite, outre à de prétendues 'alertes' qui ne consistent qu'en deux mails du directeur outre-mer évoquant le fait que l'année 2020 devra être une année de réflexion sur un modèle de distribution et propose de faire un point pour trouver une étape intermédiaire.

Ce faisant, il est là encore procédé par simple affirmation sans aucune démonstration et même identification de la faute précisément reprochée à Mme [W] laquelle procède sur ce sujet à des explications détaillées sur les résultats aux niveaux attendus et sur le plan d'action présenté qui ne sont pas contestées en réponse.

S'agissant des relations avec les grands comptes, la société Thuasne ne produit aux débats qu'un tableau non daté et établi dans des conditions indéterminées portant liste de comptes, la liste d'objectifs 2019 qui indique seulement 'grands comptes : les connaître personnellement' et une lettre de M. [F], directeur des partenariats stratégiques de Santé France (qui n'indique pas quels liens il a eus avec la société Thuasne) se bornant à des généralités sur la politique de Mme [W] qui n'allait pas dans le sens des groupements et ne venait pas à la rencontre des comptes stratégiques, ce sans répondre aux arguments de Mme [W] qui soutient qu'il lui avait été demandé d'être moins sur le terrain et plus dans la stratégie, qu'un directeur grands comptes avait été embauché, qu'en 2019 elle a rencontré 8 groupements stratégiques, qu'en 2020 il y a eu le confinement, un travail forcené pour faire face à la crise et son absence pour burn-out et que M. [F] a été licencié par elle pour faute en 2015 et qui affirme, ce qui n'est pas contesté, qu'elle a perçu l'intégralité de sa prime 2019.

S'agissant du reproche de l'absence de participation à tout congrès médical en 2019 et 2020, il est fait référence aux objectifs fixés qui ne mentionnaient toutefois pour 2019 que 'veiller à bien choisir la présence aux congrès' et pour 2020 'réunions, congrès et manifestations' sans aucun autre objectif précis.

La société Thuasne expose ensuite dans ses conclusions que Mme [W] a refusé toute action managériale au profit de ses équipes, n'a pas établi le plan stratégique commercial lancement digitalisation, n'a pas pris d'initiatives pour développer les compétences des directeurs régionaux et des KAM, n'a pas défini le plan d'élévation du niveau de formation des DR, n'a pas recruté les directeur des ventes, a élaboré un plan de rémunération variable 2020 dissuasif dans sa complexité, a déserté les locaux professionnels et renoncé à tout contact avec ses collaborateurs malgré des alertes.

Elle se réfère à cet effet aux feuilles succinctes d'objectifs, au plan de rémunération (qui n'est pas autrement commenté sur ce en quoi il serait trop complexe), à des feuilles de déplacement, à une page isolée (pièce 9) qui serait un entretien professionnel de 2017 ce que rien n'indique et à un unique mail du 21 décembre 2017 par lequel la directrice indique à Mme [W] 'je souhaite que de façon régulière et assez rapprochée (une fois par semaine) se tiennent à [Localité 5] des réunions physiques sur cette stratégie commerciale France avec vous'.

Ce faisant elle se borne à des affirmations sur les objectifs prétendus sans fournir le moindre élément attestant de leur non-réalisation et en produisant deux feuilles listant des déplacements (simples listes établies sur feuilles volantes dans des conditions indéterminées) outre un unique mail portant sur la fréquence des réunions remontant à 2017, sans justifier de quelconques observations, rappels, demandes adressées à ce sujet à la salariée et sans contester les affirmations de Mme [W] suivant lesquelles les réunions se tenaient avec elle essentiellement en visio-conférence et qu'elle se déplaçait en sus régulièrement, ni faire d'observations sur les nombreuses notes de frais de déplacement versées aux débats par la salariée.

La société Thuasne expose encore que Mme [W], privilégiant son confort personnel, a contraint les salariés de ses équipes à de difficiles déplacements perturbateurs et générateurs de risques pour se rendre à des réunions organisées à proximité de son domicile.

Mais d'une part aucune observation ne lui a été adressée à ce titre, étant rappelé ci-dessus que sa situation de télétravail à [Localité 2] était connue de l'employeur et acceptée par lui, d'autre part l'employeur ne prend pas la peine de s'expliquer plus précisément sur la fréquence de ces déplacements se bornant à se référer à des mentions 'sybillines' (selon ses propres termes ce qui établit qu'elles ne sont pas significatives) sur des extraits d'agendas, que les mails et attestations produits n'apportent aucun élément convaincant et utile (par un mail du 15 juillet 2019 un collègue propose simplement de travailler à nouveau sur un sujet sans que soit en question le lieu du travail, un planning est produit en pièce 84 sans explications sur les informations à en déduire), ,M. [V] s'exprime en termes généraux et son témoignage se présente comme un argumentaire à charge plus que comme un témoignage, Mme [W] n'étant pas contredite quand elle indique que M. [V] a été licencié par elle en 2017, M. [R] indique simplement avoir dû se déplacer à plusieurs reprises à [Localité 2] et Mme [W] n'est pas contestée quand elle indique qu'il a été licencié par elle en 2018, M. [K] indique simplement que 'depuis que Mme [W] avait déménagé à [Localité 2] les relations étaient aléatoires et distantes et Mme [W] n'est pas pas contesté quand elle indique qu'il a été licencié par elle en 2018, une feuille illisible comportant 4 lignes est produite concernant les prétendus relevés de péage de M. [N], il en est de même d'une partie des relevés de péage prétendus de Mme [I] au sujet de laquelle Mme [W] indique qu'elle vivait à [Localité 6] et qu'il était plus facile pour elle de se déplacer à [Localité 2] qu'à [Localité 5].

La société Thuasne fait encore valoir que Mme [W] a attribué sans aval du Comex da totalité des primes individuelles budgétées pour le second semestre 2020 sans attendre les résultats afin d'inciter les commerciaux à la discrétion sur ses carences et produit des pièces qui n'apportent aucun élément utile (simple feuille avec des chiffres inexploitable, mail indiquant '[G] avec un heure d'avance' sans que soit connu l'objet de la transmission et attestation de Mme [Y] indiquant que 'Mme [W] nous a favorisés pour l'atteinte de nos primes et donc de nos résultats ou objectifs ce qui

n'était pas pour nous déplaire'sans autre précision factuelle tandis que Mme [W] expose de façon motivée, sans que cela appelle d'observations en réplique, en quoi l'octroi en septembre 2020 d'un solde de primes 2020 n'a concerné qu'un sous-objectif et que ce choix s'est imposé car il ne pouvait en être autrement pour des raisons techniques qu'elle expose.

S'agissant de l'organisation de 'quelques séminaires au profit de collaborateurs de son clan', il n'est donné aucune autre explication ni fait référence à des pièces.

S'agissant du découpage de zones favorables à son compagnon de vie, force est de relever qu'il ne s'agit pas d'un grief visé dans la lettre de licenciement.

Enfin s'agissant du fait que Mme [W] n'aurait réuni ses équipes que 3 fois entre 2017 et 2020 il est affirmé mais sans référence à des éléments traduisant les conséquences qui en auraient résulté et quant aux prétendus effets économiques négatifs de ces fautes que la reprise des fonctions par une autre directrice aurait permis de rétablir, il ne saurait être considéré comme établi par la simple production d'une feuille énonçant des chiffres, établie dans des conditions et sur des bases indéterminées.

Ainsi, les griefs ne sont pas établis, étant procédé par l'employeur essentiellement par affirmations non circonstanciées et production de documents imprécis ou dénués de valeur probante qui n'établissent en rien des négligences délibérées et fautives de la salariée dans l'exercice de ses missions, de sorte que sur ce deuxième point de la lettre de licenciement aucun grief n'est avéré.

2) Sur le lien avec l'état de santé

Mme [W] entend voir juger que son licenciement est clairement en lien avec son état de santé en ce qu'honnête et scrupuleuse elle avait été transparente sur son état au point d'indiquer à sa direction qu'elle ne pourrait plus travailler dans les mêmes conditions et qu'elle souhaitait des conditions de reprise compatibles avec son état de santé.

Elle fait état des mails adressés à son employeur par lesquels le 26 août 2020 elle lui indiquait 'je suis tout à fait d'accord pour que nous ayons après ce séminaire un entretien afin de pouvoir évoquer les différentes difficultés que j'ai pu rencontrer au cours de ces derniers mois et qui expliquent mon état actuel, il est important pour moi de vous les dire afin de voir ensemble concrètement comment il est possible d'y remédier et d'éviter que cela ne se reproduise', le 3 septembre 2020 'mon médecin a diagnostiqué un burn out et une situation anxiogène liée au travail, c'est de cela que je voulais parler de vive voix car je sens bien qu'il faut faire quelque chose face à une situation professionnelle qui a un impact trop important sur mon état physique et mental... nous reparlerons ensemble de tout cela lors d'un point téléphonique pour repartir ensemble plus sereinement mais pas pour l'instant car je ne me sens pas en l'état de le faire', le 18 septembre en transmettant une prolongation 'j'ai en effet vu mon médecin hier qui a constaté qu'il n'y avait pas d'amélioration de mon état... mon médecin pense que le burn out et la situation tendue pour moi qui a existé avant mon arrêt ont été trop loin pour pouvoir me permettre de me rétablir en seulement quelques jours... je pense qu'il faudrait que nous puissions nous voir pour faire un point de la situation et des suites envisageables à l'issue de ce congé car je ne pourrai pas reprendre dans les conditions antérieures semble-t-il'.

Il est encore établi que par mail du 15 octobre Mme [P] lui a demandé quand elles pourraient se parler au téléphone et avoir de ses nouvelles, qu'à une date que la pièce produite ne mentionne pas elle lui a indiqué 'j'espère que le sommeil revient et que tu as repris des forces' et proposé qu'elles se retrouvent sur une aire d'autoroute car 'il est important de se parler', que le 29 octobre elle a indiqué qu'après réflexion et compte-tenu du confinement qui ne donne aucun lieu approprié pour échanger 'comme tu le demandais' elle a annulé cette rencontre, que le 30 octobre Mme [W] a fait part de la possibilité de se voir au Mercure de [Localité 7], que le lundi 2 novembre Mme [P] a indiqué faire suite aux SMS de Mme [W] indiquant qu'elle préférait une salle de réunion à [Localité 7] et a proposé un rendez-vous le 4 novembre, que ce rendez-vous s'est tenu le 4 novembre, que le 13 novembre Mme [W] a fait part par mail à Mme [P] du fait qu'elle se remettait à peine du rendez-vous du 4 au cours duquel elle pensait abordait les conditions de sa reprise et que lui avait au contraire été annoncé sans ménagement la décision de mettre fin au contrat de travail en lui demandant

combien elle voulait et qu'elle ne pouvait se rendre au rendez-vous envisagé le 18 novembre et que Mme [P] a répondu être surprise à la lecture de ce mail car la rencontre avait eu lieu à la demande de la salariée qui avait exprimé le souhait de ne pas poursuivre ses activités.

Il résulte par ailleurs de la lettre de licenciement que celle-ci énonce qu'un certain nombre de faits justifiant le licenciement ont été découverts 'depuis début septembre', évoquant particulièrement le 14 septembre 2020 ainsi que les 12 octobre et 9 novembre.

La salariée soutient qu'il est invraisemblable que, si elle avait eu connaissance de fautes graves justifiant une rupture immédiate, la directrice aurait fait le voyage jusqu'à [Localité 7] en s'enquérant de sa santé.

La société Thuasne soutient quant à elle que c'est la salariée qui était en demande d'une rencontre et a le 2 novembre évoqué son intention de quitter l'entreprise dans un cadre négocié.

Rien n'établit effectivement le contenu de cette rencontre.

Et nonobstant la connaissance incontestable que l'employeur avait de l'état de santé de salariée et le fait que le licenciement ne repose pas sur des faits avérés, ces deux seules circonstances ne sont pas suffisantes à faire présumer que le licenciement a été motivé par l'état de santé de sorte que la demande de prononcé de la nullité pour discrimination sera rejetée et que le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieusse.

3) Sur les indemnités au titre du licenciement

Le montant allégué de l'indemnité conventionnelle de licenciement n'est pas contesté.

Depuis le 1er janvier 2019 la rémunération de Mme [W] était fixée à 11 500 euros par mois plus une prime potentielle de 45 000 euros et une prime exceptionnelle pour contribution à l'observatoire de la force de vente Allemagne de 8 000 euros .

Mme [W] indique sans être contestée avoir perçu dans les 12 mois précédant l'arrêt de travail une rémunération mensuelle moyenne de 15 230 euros et sur cette base réclame une indemnité de préavis de 3 mois, durée du préavis non contestée.

L'employeur ne saurait soutenir que la part variable de la rémunération ayant déjà été versée avec le solde de tout compte, l'indemnité de préavis ne s'élève qu'à 36 204 euros dès lors que la rémunération variable versée avec le solde de tout compte est celle due au jour de la rupture sans préavis tandis que le préavis concerne une période postérieure de sorte que le jugement sera confirmé sur le montant alloué.

Mme [W] a retrouvé un emploi le 6 septembre 2021 pour un montant de salaire de 7500 euros et une prime de 20 000 euros.

Compte tenu de l'ancienneté, de cette situation, du salaire perçu et des circonstances et en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seront évalués à 200 000 euros, sans qu'il y ait lieu à indemnisation distincte d'un préjudice moral dès lors que la vexation résultant d'un licenciement soudain en l'absence de toute cause réelle et sérieuse est déjà indemnisée par l'octroi des dommages et intérêts susvisés et qu'il n'est pas justifié d'une vexation liée à l'impossibilité de saluer les collègues alors même que Mme [W] était en arrêt de travail et exerçait principalement son travail à domicile.

III) Sur les rappels de prime et indemnité de non-concurrence

1) Sur le solde de prime 2020

Mme [W] a perçu seulement 12 824 euros soit 6 292 euros au titre de l'atteinte des objectifs collectifs et 6 532 euros au titre des objectifs personnels.

Elle produit la fiche révisée des objectifs en juin 2020 et expose avoir atteint tous les objectifs individuels ainsi qu'atteint les objectifs collectifs à quasi 100% en développant une argumentation détaillée que la société Thuasne ne prend pas la peine de contredire de façon motivée, se référant seulement à sa pièce 101 qui contient un tableau illisible et un autre inexploitable de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.

2) Sur le rappel à titre d'indemnité de non-concurrence

Mme [W] demande la confirmation du jugement qui alloue un rappel de 328 euros par mois au titre de cette indemnité.

Aux termes du contrat de travail il était stipulé le versement d'une indemnité de non-concurrence égale à la moitié de la moyenne mensuelle des salaires bruts (exclusion faite des libéralités à caractère aléatoire ou temporaire et des avantages en nature) perçus au cours des douze derniers mois de présence dans la société'.

La société Thuasne soutient que la Mme [W] ayant été absente à compter du 3 septembre 2020 l'assiette de calcul était celle des mois de septembre 2019 à août 2020 et non sur les 12 mois précédant la rupture.

Or, Mme [W] relève exactement (en produisant un tableau récapitulatif des rémunérations reçues durant cette période) qu'en retenant la base de calcul de la société c'est bien une somme de 7 743,47 euros qui est due or les bulletins de salaire établissent que la société Thuasne a versé en décembre 2020 une indemnité de 6 770,65 euros puis à compter de janvier 2021 de 7 415,47 euros brut, soit la différence de 328 euros allouée par les premiers juges qui sera donc confirmée.

IV) Sur l'obligation de sécurité

Mme [W] soutient que sa pathologie est la conséquence directe de la surcharge de travail et du stress généré par la pression imposée sans qu'aucune mesure de prévention soit prise malgré les très nombreuses alertes.

Elle fait référence à un certain nombre de pièces qui établissent que :

- le 12 février 2020 Mme [W] écrit à Mme [X], fille de Mme [P] 'j'ai fait un malaise vagal sur l'autoroute... ils m'ont donné de nouveaux médicaments et il faut que je me repose, ils m'ont mis en arrêt mais je ne peux pas car j'ai du travail donc j'aménage'

- le 13 février Mme [P] écrit 'j'espère que vous vous remettez de cette alerte, à tout à l'heure en réunion'

- le 4 mars Mme [P] indique 'je vous souhaite de récupérer le mieux possible. A demain au tel, courage, vous avez une très belle énergie'

- le 18 juin, en réponse à des mails par lesquels Mme [W] indique qu'elle a mal à l'estomac puis que la fibroscopie n'a pas révélé d'ulcère, Mme [P] répond 'je pense que le stress accumulé pendant cette période doit y être pour quelque chose'

- alors qu'il n'est pas contesté qu'elle est en congés pour 10 jours, Mme [W] reçoit le 11 août par mail des instructions sur la préparation du prochain comex, le 14 août un mail de Mme [P] 'à votre retour de vacances je voudrais comprendre pourquoi nous prenons tant de retours quotidiens des masques self security, le 19 août le mail suivant 'la réunion hebdomadaire masques vient de se tenir. Pourquoi n'y avait-il pas de représentation du commercial France '... merci d'adresser ces éléments à [T]'

- en réponse à un mail par lequel Mme [W] indiquait 'comme vous le savez j'ai souffert cette année de problèmes de santé importants liés à ma surcharge de travail et au stress que cela occasionnait. La période de confinement/déconfinement qui vient de s'achever a malheureusement aggravé les choses : j'ai dû travailler à 150% à la fois en raison de la situation particulière que la crise a créée pour notre entreprise et à la fois en raison du licenciement du directeur des ventes... de ce fait j'ai fait des malaises à répétition dont je vous ai fait part et j'ai eu 2 arrêts de travail que je n'ai pas respectés', Mme [P] indique le 25 août 'nous comprenons bien cette situation. Effectivement cette année est exceptionnelle et les forces de chacun ont été mises à rude épreuve. Je vous avais dit juste avant les congés que j'avais apprécié et admiré l'énergie que vous avez su reconstituer durant la crise. Le manque du Dr commercial est patent en ce moment. Et c'est un grand manque pour vous. Concentrez vous sur ce qui est majeur et votre séminaire l'est'

- le 26 août Mme [W] a indiqué qu'elle souhaitait après le séminaire avoir un entretien pour évoquer les difficultés qu'elle a pu rencontrer et qui expliquent son état

- après le séminaire elle a été en arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif, burn-out, arrêt par la suite prolongé et qui a nécessité prise d'anxiolytiques, bilan cardiaque et suivi psychologique, Mme [A] psychologue du travail préconisant le 26 février 2021 la poursuite d'une prise en charge orientée sur le lien entre souffrance et situation de travail au vu de la permanence des symptômes et de son état de santé toujours extrêmement fragile, non stabilisé et inquiétant

Mme [W] produit en outre une attestation de M. [N], directeur national des ventes, qui indique 'en 2020, à partir de mars, [S] [W] a eu une charge de travail très importante qui dépassait largement ce qu'une personne peut vivre. Je me suis meme exprimé auprès d'une de ses collaboratrices avec les termes suivants 'ils vont la tuer'. Elle devait mener chaque matin une réunion avec les membres du comex, de la production et autres services, sur le sujet des masques et mener aussi toute la journée les sujets du business usuel tout en assurant la gestion du management des collaborateurs, gestion très difficile pendant cette période (y compris la gestion de la communication auprès des commerciaux qui étaient à 100% au chômage partiel mais recevaient tout de même des appels de leurs clients). La pression exercée par Mme [P] et Mme [X] sur [S] [W] s'exerçait par des sollicitations faites au long des journées mais également dans les soirées et week-ends', un mail de M. [J], ex directeur général indiquant 'tu as sans doute accumulé au cours des 20 dernières une grande fatigue physique et mentale en ayant donné beaucoup au groupe (de 6h du matin à minuit)', des échanges de mails le week-end avec des réponses à apporter rapidement, un organigramme de juin 2020 portant mention de postes vacants.

S'il est constant qu'avant cette date la société Thuasne n'a pas été informée de difficultés par sa salariée, tel n'est pas le cas après février 2020 ainsi que cela résulte de ce qui vient d'être exposé et si à ce moment Mme [W] n'impute pas encore clairement dans ses messages ses malaises au travail elle n'en indique pas moins qu'elle a trop de travail pour pouvoir prendre effectivement l'arrêt de travail prescrit ce qui n'appelle aucune réaction de l'employeur.

S'agissant de l'activité très importante déployée de plus fort pendant la crise Covid, la société Thuasne ne saurait la nier dans le cadre du présent litige alors que le 25 août sa dirigeante la reconnaissait en toutes lettres dans un mail.

De surcroît à cet égard Mme [W] produit un témoignage circonstancié et présente un tableau de chiffre d'affaires non contesté tandis que la société Thuasne ne produit que des éléments anecdotiques sur le fait que la communication sur le sujet des masques n'a pas été effectuée par Mme [W] ni le lobbying auprès du ministre, éléments desquels il résulte au demeurant, selon Mme [P] elle-même, que 'Thuasne a développé en urgence deux versions de masques.. Et est totalement mobilisé dans l'épreuve que traverse le pays et que l'ensemble des collaborateurs poursuit son travail de façon très citoyenne et courageuse' .

Force est donc de constater que devant l'expression par Mme [W] de difficultés de santé et d'une difficulté à prendre l'arrêt de travail prescrit à raison de la surcharge de travail l'employeur a ignoré cette alerte, continuant d'exiger de sa salariée le maximum y compris en s'adressant à elle pendant son congé puis, alors qu'à compter d'août les alertes se précisaient comme liées par la salariée au travail, il a, tout en reconnaissant 'la rude épreuve' subie, continué d'exiger de sa salariée le maximum sans faire écho à ses doléances par de quelconques propositions.

Ce faisant, et nonobstant l'existence dans l'entreprise d'un DUERP et d'une formation aux risques psycho-sociaux, il a manqué à son obligation de sécurité, ce qui a provoqué une dégradation de l'état de santé de sa salariée et justifie que le manquement soit reconnu et que le préjudice qu'il a causé soit indemnisé par une somme de 8 000 euros.

Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement, le présent arrêt constituant le titre ouvrant droit à restitution.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant dit nul le licenciement, évalué à 251 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement nul et débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Thuasne à payer à Mme [W] les sommes de :

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

- 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Y ajoutant, condamne la société Thuasne à payer à Mme [W] la somme complémentaire de 3 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Thuasne à remettre à Mme [W], dans le délai de deux mois de la signification du présent arrêt une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt.

Ordonne le remboursement par la société Thuasne à France Travail des indemnités de chômage versées à Mme [W] dans la limite de 3 mois d'indemnités.

Condamne la société Thuasne aux dépens de l'instance d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01482
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.01482 ?
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