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13/06/2024 | FRANCE | N°22/03098

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 13 juin 2024, 22/03098


AFFAIRE : N° RG 22/03098

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDVI

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LISIEUX en date du 09 Novembre 2022 - RG n° F 21/00039









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 13 JUIN 2024





APPELANT :



Monsieur [S] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me David LEGRAIN, avocat au barreau de CAEN

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INTIMEE :



S.A. EVA

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Thierry YGOUF, avocat au barreau de CAEN







DEBATS : A l'audience publique du 08 avril 2024, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat ch...

AFFAIRE : N° RG 22/03098

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDVI

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LISIEUX en date du 09 Novembre 2022 - RG n° F 21/00039

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 13 JUIN 2024

APPELANT :

Monsieur [S] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me David LEGRAIN, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A. EVA

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Thierry YGOUF, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 08 avril 2024, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 13 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

La SA EVA a embauché M. [S] [J] à compter du 25 novembre 1987 en qualité de chauffeur livreur et l'a licencié le 11 décembre 2020 pour faute grave après l'avoir mis à pied à titre conservatoire à compter du 1er décembre.

M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Lisieux le 26 mars 2021 pour contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 9 novembre 2022 en formation de départage, le conseil de prud'hommes a débouté M. [J] de ses demandes et la SA EVA de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive.

M. [J] a interjeté appel du jugement.

Vu le jugement rendu le 9 novembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Lisieux

Vu les dernières conclusions de M. [J], appelant, communiquées et déposées le 9 mars 2023, tendant à voir le jugement réformé, à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, à voir la SA EVA condamnée à lui verser : 4 937,89€ (outre les congés payés afférents) d'indemnité compensatrice de préavis, 758,78€ (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, 25 299,36€ d'indemnité de licenciement, 49 379€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, à lui remettre, sous astreinte, un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi, tendant à voir ordonner la capitalisation des intérêts

Vu les dernières conclusions de la SA EVA, intimée, communiquées et déposées le 31 mai 2023, tendant à voir le jugement confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de toutes ses demandes, tendant à voir M. [J] condamné à lui verser 5 000€ pour procédure abusive et 4 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 20 mars 2024

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur le bien-fondé du licenciement

M. [J] a été licencié pour faute grave à raison du signalement d'une collègue faisant état de 'propos à caractère sexuel et des pressions de cette nature' et, après l'enquête menée à la suite de ce signalement, à raison 'des agissements et propos répondant à la définition du harcèlement sexuel, de l'agression sexuelle' sur cinq autres collègues, Les agissements révélés par cette enquête mettant en 'cause la bonne marche de l'entreprise et la sécurité du personnel'.

La SA EVA produit les questionnaires remplis par M. [I], membre du CSE élu comme 'référent sexisme' et co-signés par les salariées entendues et par M. [I]. Sauf en ce qui concerne Mme [R], autrice du signalement initial, la première question est la suivante : 'est-il arrivé que vous subissiez des remarques, allusions sexistes ou à caractère sexuel au sein du travail'. M. [I] atteste que le questionnaire est resté entre ses mains et que lorsque la salariée répondait 'non' à cette première question, il ne donnait pas plus d'informations et clôturait l'entretien. Il ressort d'ailleurs des propres conclusions de la SA EVA que 8 des 14 salariées entendues ont répondu 'non' à cette première question.

En revanche, si la salariée répondait 'oui' à la première question, elle était alors informée du signalement existant à l'encontre de M. [J] et le reste du questionnaire était axé sur le comportement de M. [J].

Cette manière de procéder était de nature à priver l'entreprise de potentielles informations sur des agissements commis par d'autres salariés en focalisant ainsi l'entretien, pour autant, la formulation des questions n'était pas de nature à induire les réponses des salariées. Ces salariées ont, de surcroît, eu accès aux questionnaires remplis par M. [I] et y ont apposé leur signature, ce qui avalise les réponses qui y figurent.

En conséquence, ces questionnaires peuvent être retenus.

' Mme [R], qui est à l'origine du signalement indique que le 25 novembre 2020, M. [J] lui a téléphoné pour obtenir un renseignement. Elle a répondu 'oui' à une de ses questions, il a alors dit : 'j'aime quand une femme dit oui'. Le 26 novembre, il est venu la voir à son poste de travail pour lui dire : ' j'ai fini mon travail je vais dans mon Ford Kuga au fond du parking me cacher'.

M. [J] fait à juste titre remarquer que le second propos rapporté ne comporte pas de connotation sexuelle patente. En l'absence de tout contexte particulier dont il n'est pas fait état par Mme [R], ce propos ne saurait donc être retenu comme constitutif d'une faute.

Quant au premier propos, il constitue une plaisanterie à caractère sexiste.

' Mme [W] signale deux faits survenus en fin d'année 2019, elle indique que M. [J] s'est rapproché une fois un peu trop près et qu'elle a dû lui demander de garder une distance convenable et une semaine plus tard, il l'a coincée dans l'angle d'un couloir pour faire semblant de l'embrasser. Elle indique qu'il n'a jamais recommencé.

' Mme [Y] indique qu'en 2014 environ, M. [J] lui a mis la main aux fesses à la cantine de l'entreprise, qu'en novembre 2020, alors qu'ils étaient côte à côte dans l'escalier, il lui a pris la main et qu'elle l'a repoussé, enfin que le 1er décembre 2020, après la pause déjeuner il 's'est porté à (sa) hauteur avec son camion pour lui envoyer un baiser'.

' Mme [K] indique qu'à son arrivée dans l'entreprise en 2002, alors qu'elle était en train de faire des photocopies, M. [J] est passé derrière elle et lui a mis la main aux fesses. Elle ajoute que 'ses propos n'ont pas cessé depuis' sans préciser la teneur de ces propos. Elle indique également que M. [J] est venu livrer un sapin de Noël chez elle, qu'à cette occasion il l'a poussée sur le canapé et a voulu se coucher sur elle. Elle a crié, dit-elle, il est parti et lui a reproché de ne pas être gentille. Elle fait également état d'une réflexion faite par M. [J] à l'égard d'une autre salariée, Mme [F] ('un jour je vais me la faire') suivie de la précision 'et toi aussi!'.

L'épouse de M. [J] atteste que lors du dernier pot avant le COVID, Mme [K] 's'est jetée dans les bras de (son) mari, elle pleurait' et s'est confiée à lui sur ses problèmes de couple. Elle indique également que Mme [K] est venue à leur domicile pour remercier son mari du cadeau que les salariés lui avaient fait à l'occasion de son départ.

M. [T], un collègue chauffeur, atteste que Mme [K] s'invitait régulièrement à déjeuner avec eux, qu'il n'a jamais remarqué, à cette occasion, de geste déplacé de la part de M. [J] ou de sous-entendus et précise qu'elle faisait la bise à tous.

Si ces deux attestations ne contredisent pas ce que cette salariée a déclaré, elles établissent qu'elle gardait néanmoins des relations cordiales avec M. [J].

' Mme [F] indique que 'une fois la semaine voire plus', M. [J] venait dans son bureau, refermait la porte et lui disait parfois 'si je m'écoutais je te sauterais dessus'. Elle ajoute qu'une fois il l'a coincée contre un placard, lui a dit 'ne rougis pas t'es gênée''. Il lui faisait en outre des remarques sur ses tenues vestimentaires (mini jupe, décolleté).

Il ressort de ses déclarations qu'elle a informé son employeur puisqu'elle indique que la direction a demandé à M. [J] de ne plus venir dans son bureau où il n'avait rien à faire. Elle précise que, dans un premier temps, il a cessé de venir puis est revenu petit à petit. Elle n'indique toutefois pas qu'il aurait alors eu, à nouveau, des attitudes déplacées à son égard.

La SA EVA soutient que Mme [F] lui aurait seulement fait part d'un différend avec M. [J] sans plus de précision.

Compte tenu de l'incertitude sur l'information que Mme [F] a donné à son employeur, les faits dont fait état cette salariée ne sauraient être considérés comme prescrits, comme le soutient M. [J].

' Mme [M], DRH embauchée en 2012 indique qu'essentiellement la première année, M. [J] lui a 'fait des remarques gênantes sur (sa) poitrine', qu'un jour en lui serrant la main il lui a chatouillé la paume en lui demandant si elle savait ce que cela signifiait puis lui a expliqué : 'ça veut dire que je veux coucher avec toi'. Elle indique avoir été choquée par ses propos et l'avoir 'envoyé sur les roses'.

La SA EVA indique dans ses conclusions que M. [J] a reçu oralement, à cette occasion, 'un sévère rappel à l'ordre de la DRH' avec menace de sanction disciplinaire si cela se reproduisait.

En décernant un rappel à l'ordre, Mme [M] a agi comme représentante de l'employeur. Les faits qu'elle relate se trouvent donc prescrits.

Les faits établis, fautifs et non prescrits se sont produits sur une longue période de temps et caractérisent si ce n'est du harcèlement sexuel à tout le moins une attitude ambigüe voire déplacée de M. [J] avec ses collègues femmes générant pour certaines une angoisse (Mme [F]), une conduite d'évitement (Mme [Y], Mme [W]) voire une peur (Mme [R]). Malgré une interdiction d'aller dans le bureau de Mme [F], il s'avère y être retourné et a continué, malgré le rappel à l'ordre verbal de Mme [M] à avoir des conduites déplacées à l'égard de ses collègues féminines. Cette situation justifiait une sanction disciplinaire. Toutefois, en l'absence de toute sanction préalable, compte tenu de son emploi de chauffeur qui ne supposait pas une présence constante dans les locaux de l'entreprise où travaillaient ses collègues femmes, compte tenu également de son importante ancienneté, le licenciement constituait une sanction disproportionnée et s'avère donc sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, M. [J] peut prétendre au paiement de sa période de mise à pied conservatoire, à des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts.

' Les sommes réclamées par M. [J] au titre du rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire et des indemnités de rupture ne sont pas contestées par la SA EVA, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire, elles seront donc retenues.

' Compte tenu de son ancienneté, M. [J] peut prétendre à des dommages et intérêts au plus égaux à 20 mois de salaire.

Il ne justifie pas de sa situation depuis son licenciement.

Compte tenu des éléments connus : son âge (55 ans), son ancienneté (33 ans), son salaire moyen (2 468,95€ selon les dires non contestés de M. [J]) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 20 000€ de dommages et intérêts.

2) Sur les points annexes

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2021 à l'exception de la somme allouée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter de la date du présent arrêt. Les intérêts dus se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière.

La SA EVA devra remettre à M. [J], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation France Travail, conformes à la présente décision. En l'absence d'éléments permettant de craindre l'inexécution de cette mesure, il n'y a pas lieu de l'assortir d'une astreinte.

La SA EVA n'ayant pas demandé, dans le dispositif de ses conclusions, la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, la cour n'est saisie d'aucun appel incident et ne statuera donc pas sur ce point.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [J] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SA EVA sera condamnée à lui verser 2 500€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Infirme le jugement

- Statuant à nouveau

- Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Condamne la SA EVA à verser à M. [J] :

- 758,78€ bruts de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 75,88€ bruts au titre des congés payés afférents

- 4 937,89€ bruts d'indemnité compensatrice de préavis outre 493,79€ bruts au titre des congés payés afférents

- 25 299,36€ d'indemnité de licenciement

avec intérêts au taux légal à compter du 30 mars 2021

- 20 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Dit que la SA EVA devra remettre à M. [J], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation France Travail conformes à la présente décision

- Déboute M. [J] du surplus de ses demandes principales

- Condamne la SA EVA à verser à M. [J] 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamne la SA EVA aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/03098
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.03098 ?
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