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13/06/2024 | FRANCE | N°22/03054

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 13 juin 2024, 22/03054


AFFAIRE : N° RG 22/03054

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDSE

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 08 Novembre 2022 - RG n° 19/00251









COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 13 JUIN 2024





APPELANTE :



Madame [F] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Cécile BREAVOINE, avocat au barreau de LISIEUX





INTIMEE :



S.A.S. JACOMO prise en la personne de son représentant en exercice

[Adresse 4]

[Adresse 3]



Représentée par Me Pierre BLIN, avocat au barreau de LISIEUX









DEBATS : A l'audience publique d...

AFFAIRE : N° RG 22/03054

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDSE

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 08 Novembre 2022 - RG n° 19/00251

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRET DU 13 JUIN 2024

APPELANTE :

Madame [F] [K]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Cécile BREAVOINE, avocat au barreau de LISIEUX

INTIMEE :

S.A.S. JACOMO prise en la personne de son représentant en exercice

[Adresse 4]

[Adresse 3]

Représentée par Me Pierre BLIN, avocat au barreau de LISIEUX

DEBATS : A l'audience publique du 08 avril 2024, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 13 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [F] [E] épouse [K] a été embauchée par la SAS Jacomo en qualité de conditionneuse à compter du 14 février 2011 (avec reprise d'ancienneté au 1er décembre 2010). Elle a été promue opératrice sur ligne le 1er janvier 2017.

Placée en arrêt de travail le 19 juillet 2018, elle a été déclarée inapte à son poste le 17 juin 2019 et licenciée le 4 juillet, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 14 octobre 2019, elle a saisi le conseil de prud'hommes pour demander, en dernier lieu, des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, pour voir dire son licenciement nul et obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.

Par jugement du 8 janvier 2022, le conseil de prud'hommes l'a déboutée de ses demandes.

Mme [K] a interjeté appel du jugement.

Vu le jugement rendu le 8 janvier 2022 par le conseil de prud'hommes de Lisieux

Vu les dernières conclusions de Mme [K], appelante, communiquées et déposées le 28 février 2023, tendant à voir le jugement infirmé, à voir dire le licenciement nul, à voir la SAS Jacomo condamnée à lui verser, de ce chef, 3 596,16€ (outre les congés payés afférents) d'indemnité compensatrice de préavis, 21 854€ 'd'indemnité' pour licenciement nul, outre 10 500€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral 10 000€ pour manquement à l'obligation de sécurité et 6 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de la SAS Jacomo, intimée, communiquées et déposées le 26 mai 2023, tendant à voir 'déclarer tant irrecevable que mal fondé Mme [K] en ses demandes fins et conclusions, en conséquence, la débouter en tant que de besoin de ses réclamations, confirmer par conséquent le jugement entrepris sauf en ce (qu'elle) a été déboutée de sa demande (faite en application) de l'article 700 du code de procédure civile' et voir de ce chef Mme [K] condamnée à lui verser au total 6 000€

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 20 mars 2024

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur l'exécution du contrat de travail

Dans le corps de ses conclusions, la SAS Jacomo soulève l'irrecevabilité des demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité au motif qu'il s'agirait de demandes additionnelles prohibées.

Toutefois, elle ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions puisqu'elle demande, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, la confirmation du jugement (qui n'a pas déclaré les demandes litigieuses irrecevables mais en a débouté Mme [K]). Ne saurait pallier à cette absence de demande de réformation du jugement sur ce point la formule de style, contradictoire dans ses termes, tendant à voir dire Mme [K] 'tant irrecevable que mal fondée en ses demandes fins et conclusions'. En conséquence, en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, il ne sera pas statué sur cette fin de non recevoir.

1-1) Sur le harcèlement moral

Il appartient à Mme [K] d'établir la matérialité d'éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par Mme [K] seront examinés ceux, contraires, apportés par la SAS Jacomo quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, il appartiendra à la SAS Jacomo de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [K] se plaint d'avoir été mise à l'écart, dénigrée, humiliée et diffamée par ses collègues de travail sans que l'employeur ne réagisse.

Mme [UM], explique que c'est elle qui a, dans un premier temps, été victime, en septembre et octobre 2017, d'un harcèlement moral de la part de Mmes '[X]' ([R]) et [H] [Z] qui ont, ensuite, entraîné des intérimaires avec elles. Mme [K], chef de ligne, ayant ordonné à l'équipe de cesser de l'importuner, ces salariées ont, indique-t'elle, changé de cible et se sont retournées contre Mme [K].

Mme [UM] et les autres attestants font état de différents agissements.

' Mme [K] a été victime notamment de la part de Mmes [Z] et [R] de moqueries sans raison apparente, de paroles et de gestes visant à la déstabiliser, à la blesser et à nuire à son travail, pendant le temps de travail, pendant les pauses et sur les réseaux sociaux, d'insultes, avec une aggravation de jour en jour, indique Mme [W], conditionneuse du 7 novembre 2017 au 12 juillet 2018.

' Mme [UM] atteste que les deux salariées précédemment mentionnées se moquaient d'elle à raison de ses bonnes cadences et du fait que la société la mettait en avant. Mme [B] atteste qu'elle était jalousée à raison de ses bonnes cadences et du fait qu'elle était souvent prise en exemple par les chefs.

Plusieurs attestants, dont M. [G] [R], indiquent que des salariés agissaient pour ralentir la cadence n'hésitant pas à mettre volontairement en panne les machines (Mme [UM], Mme [D] [R]), scotcher une palette pour empêcher de l'utiliser (Mme [UP]) ou changer les codes des flacons pendant sa pause pour qu'elle soit obligée de faire des reprises ([N] [K] sa fille qui a travaillé dans l'usine). Mme [D] [R] indique que Mme [K] rattrapait le retard pendant ses pauses pendant que les autres la narguaient.

Mme [B] atteste que les régleurs prenaient leur temps pour résoudre les problèmes des machines quand Mme [K] les appelait. Elle indique également que, le matin, les régleurs n'étant pas là pour démarrer les machines, il avait été demandé à Mme [K] de noter leur heure d'arrivée. Quand cela s'est su, écrit-elle, elle s'est fait traiter de tous les noms, ce qui a fait rire certains salariés. Le salarié concerné a été convoqué mais il n'y a pas eu de suite, écrit-elle.

Mme [C] atteste que, parallèlement, Mme [K] souffrait de la pression mise par les chefs d'équipe pour améliorer la cadence, lesquels ne se souciaient pas de la pression mentale et physique ainsi imposée au chef de ligne ; elle indique que, dans l'usine, il existait une compétition permanente à la cadence et précise que Mme [K] s'est sentie oppressée plus d'une fois et 'eu des crises de panique' devant elle.

' Plusieurs attestants font état des ragots récurrents dont elle était l'objet (Mme [A]) : vol de parfum (Mmes [UP], [B], [C]), relations sexuelles avec le chef d'atelier et (ou) avec le chef de production (Mme [UM], M. [UD], Mme [UP], Mme [D] [R], Mme [B], [HN] et [N] [K] son neveu et sa fille qui ont travaillé dans l'usine), racisme (Mme [UM]), ragots faux selon les attestants.

Ils indiquent également que certains salariés faisaient courir le bruit qu'elle rendait la vie difficile aux ouvriers travaillant sur sa chaîne (Mme [UM]), manquait de respect à leur égard (M. [UD]) était méchante (Mme [UP]).

Ces salariés prévenaient les nouveaux arrivants contre elle (Mme [UM], Mme [R], [HN] [K], [N] [K]) et prétendaient, à tort selon l'attestante, que quand un intérimaire n'était pas embauché ou un contrat à durée déterminée non renouvelé, c'était la faute de Mme [K] (Mme [B])

Pourtant, selon des attestants, elle ménageait, au contraire, les salariés en difficulté, prenait du temps pour expliquer le travail aux nouveaux et faisait preuve de bienveillance (Mme [W], M. [UD], Mme [A], M. [R], Mme [UP], M. [L], Mme [R], Mme [B]) de respect (M. [J]), était à l'écoute (M. [P] [UM]), se souciait du bien-être de chaque conditionneur (M. [V] [UM]), était gentille (Mme [Y]).

' Des attestants font également état d'insultes proférées à son encontre notamment 'grosse salope' 'pute' 'suceuse de bites' (Mme [B]) 'pute' 'salope' ([N] [K]) 'grosse connasse' ([HN] [K]) ou d'insultes dont ils ne spécifient pas la teneur (Mme [T], Mme [B]).

D'autres font état des 'crasses' (M. [L]) et des 'méchancetés gratuites' (Mme [Y]), des 'regards hostiles et des paroles agressives' (Mme [D] [R]) de ses collègues.

' Plusieurs salariés indiquent que la direction était parfaitement au courant de la situation.

Mme [W] écrit avoir 'senti une grande absence de la hiérarchie aucune décision (a) été prise de leur part'. M. [R] atteste que 'tout le monde (chef, directeur) est au courant et personne pour la soutenir'. M. [L] atteste que Mme [K] était victime de harcèlement par ses nombreuses collègues 'toujours prêtes pour lui faire des crasses' 'La direction s'en fout complètement et pourtant ils savent très bien qui génère tous les problèmes'. Mme [D] [R] atteste que 'tout le monde absolument tout le monde voit et sait ce qu'on inflige au quotidien et depuis des mois et des années à Mme [K] c'est-à-dire le personnel, le ou les chefs, les sous-chefs, les responsables, la direction et personne je dis bien personne n'est jamais intervenu'.

Mme [B] indique en avoir eu marre de cette situation et être allée voir le chef d'atelier , M. [S] pour 'lui dire que les filles et le garçons étaient méchants avec (Mme [K]) il m'a répondu 'oui je sais et je vais voir ça' mais il ne faisait rien'. Elle indique que lors de mini-réunions avec M. [NS], le chef d'équipe, ce problème était remonté auprès de M. [S], qu'il y a eu également des réunions avec M. [U] le chef du conditionnement mais que rien n'a été fait que la situation a empiré de jour en jour.

' Plusieurs de ses collègues font état de la dégradation de son état de santé.

Mme [W] atteste qu'elle était déprimée et toujours en stress avant même de rentrer dans l'entreprise. Mme [UM] indique avoir constaté au fil du temps sa 'dégradation morale' et l'avoir vu craquer et pleurer. M. [R], qui a fait du co-voiturage avec elle, atteste avoir constaté à plusieurs reprises 'qu'elle pleurait le soir sur la route tellement elle avait entendu de méchancetés'. Mme [D] [R] indique que Mme [K] a été 'broyée par tant d'humiliations', a complètement perdu sa confiance en elle souffre de 'plaies profondes qui hantent son esprit et consument son bonheur'.

Mme [C] indique que Mme [K] s'est sentie oppressée plus d'une fois et a eu des crises de panique devant elle.

Mme [K] produit en outre les attestations de son neveu, de sa fille et de sa mère. Son neveu écrit qu'il la connaissait joyeuse et a découvert quelqu'un de triste et de fatigué du harcèlement qu'elle subissait. Sa fille écrit l'avoir vu s'enfoncer de plus en plus jusqu'au jour où elle a tenté de mettre fin à ses jours. Sa mère écrit l'avoir vue en pleurs pendant plus d'un an à chacune de ses visites à cause de son travail. Elle précise qu'une fois elle lui a confié 'entre deux sanglots' avoir 'envie de jeter sa voiture contre un camion'.

La SAS Jacomo produit, quant à elle, plusieurs pièces visant à démontrer que Mme [K] se montrait elle-même harcelante vis à vis des autres salariés. Six de ces écrits (pièces 7 à 11 et pièce 13) ne seront pas retenus s'agissant d'écrits anonymes.

' M. [O], contrôleuse, a établi un écrit ne valant pas attestation, dans lequel elle indique que Mme [K] remet en cause son travail, l'accuse de faire exprès de faire arrêter sa chaîne pour l'empêcher de tenir la cadence, traite les contrôleuses de 'morues' et elle-même de 'bi-polaire', et a émis des menaces à son encontre ('je vais lui éclater la tête et avec son sang repeindre les murs de Jacomo').

Mme [A] indique toutefois que Mme [O] essayait de monter les intérimaires et les salariés contre Mme [K]. M. [UD] atteste que Mme [O] a faussement indiqué que Mme [K] voulait la tuer.

' Mme [NI] qui a travaillé de mai 2016 à octobre 2017 dans l'entreprise écrit que Mme [K] 'voulait à tout prix être la meilleure chef de ligne' et refusait que l'on 'interfère sur sa précieuse cadence' quitte à produire de la mauvaise qualité ou à pousser à bout les salariés de sa ligne en refusant de ralentir quand elles avaient du retard, en leur criant dessus et les traitant de 'merdes'. Elle indique que Mme [K] a souvent menacé des intérimaires de se plaindre d'eux et fait en sorte de faire 'retirer' leur 'job' aux personnes qu'elle n'aimait pas en se vantant d'avoir les chefs 'dans sa poche'.

' Mme [M], elle-même contrôleuse, écrit qu'elle était très agressive vis à vis des contrôleuses, qu'elle ne pouvait plus dialoguer avec elle et devait recourir à un intermédiaire mais que le chef d'atelier, M. [NS] lui donnait toujours raison. Selon elle, Mme [K] a dissimulé diverses malfaçons et sabote volontairement son travail pour sortir ses chiffres.

' Mme [Z] dans un écrit ne valant pas attestation indique que Mme [K] tient des propos insultants (traitant certaines salariées de 'connasses', des intérimaires de 'merde' leur suggérant de 'se retirer les doigts du cul' ou de rester chez elles si elles ne veulent pas bosser), menaçants (se vantant de pouvoir leur faire perdre leur travail), ne respecte pas leur travail et leur conseille de laisser passer les non conformités.

' M. [I] se disant intérimaire depuis le 1er février 2018 indique dans un écrit non daté avoir eu une altercation avec Mme [K] qui 'manque de respect parle très mal aux intérimaires'.

' Le 18 décembre 2017, M. [NV] délégué du personnel a émis une alerte concernant le comportement de Mme [K] qui reprend les différents faits énoncés dans les écrits évoqués ci-dessus et indique que l'obsession de Mme [K] pour la cadence de sa chaîne entraîne des dérives inacceptables.

Suite à ce signalement, une enquête interne a été menée par le CHSCT. Les préconisations énoncées dans le rapport établi le 26 juin 2018 font apparaître a contrario diverses carences notamment : manque de maintenance préventive, injonctions contradictoires entre les services conditionnement et qualité, manque de cadrage des opérateurs avec l'existence de ragots sur les chaînes, manque de communication, de respect, de bienveillance et de considération, problème de cadence, rendement privilégié au détriment de la qualité, absence d'harmonisation des critères de qualité entre les deux équipes, concurrence culpabilisante entre les équipes et les lignes menant à une dérive de la qualité, manque d'impartialité de l'encadrement, manque de formation et d'intégration des nouveaux salariés et intérimaires.

Les éléments produits par la SAS Jacomo ne remettent pas en cause la matérialité de ceux avancés par Mme [K].

En effet, la SAS Jacomo ne produit que quatre écrits ne valant pas attestations, dont l'un émane d'une salariée décrite comme étant l'une des meneuses des agissements en cause alors que Mme [K] produit 16 attestations faisant état de ses qualités humaines et professionnelles et (ou) de faits commis à son encontre.

Quant au rapport d'enquête, il ne permet ni de confirmer (ni d'infirmer d'ailleurs) les faits évoqués par le délégué du personnel à l'encontre de Mme [K] mais établit en revanche l'existence d'un contexte délétère où les équipes sont mises en concurrence et où le rendement est le maître mot, ce qui confirme la pression subie par Mme [K] dont fait état notamment Mme [C].

Les faits matériellement établis (moqueries, insultes, ragots sur son compte, entraves mises à son travail de la part de collègues sans que sa hiérarchie au courant de cette situation ne réagisse), survenus dans un contexte de pression au rendement et ayant conduit à une dégradation de la santé de Mme [K] laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La SAS Jacomo ne démontre pas que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, l'existence d'un harcèlement moral sera retenu.

A raison du préjudice moral occasionné par ce harcèlement moral constitué notamment par la dégradation de l'état psychique de Mme [K] dont plusieurs attestants ont fait état, il lui sera alloué 5 000€ de dommages et intérêts.

1-2) Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Il ressort des attestations précédemment évoquées que la hiérarchie de Mme [K] était au courant du harcèlement moral que subissait Mme [K] et n'a pas agi. M. [NS], chef d'équipe, indique certes dans son attestation avoir tenté avec M. [S] 'atténuer la tension qui régnait sur la chaîne de Mme [K]' sans toutefois préciser ce qu'il a effectivement mis en place à cette fin.

La seule action effective a été menée après l'alerte déclenchée par le délégué du personnel à l'encontre de Mme [K] -et non par exemple à raison du signalement fait par Mme [B] et a conduit à la mise en place d'une enquête du CHSCT. Le rapport du CHSCT a été déposé le 26 juin 2018, 23 jours avant que Mme [K] ne soit placée en arrêt maladie. Les préconisations de ce rapport (à supposer qu'elles aient été suivies) auraient pu, peut-être, améliorer la situation, y compris celle de Mme [K], mais elle n'en a pas bénéficié puisqu'elle était en arrêt maladie puis a été déclarée inapte à son poste et licenciée.

La SAS Jacomo a donc manqué à son obligation de sécurité.

Ce manquement a occasionné un préjudice moral à Mme [K] qui a été confrontée à l'inertie de son employeur face au harcèlement moral qu'elle subissait. En réparation, il lui sera alloué 3 000€ de dommages et intérêts.

2) Sur le licenciement

Il est constant que l'inaptitude de Mme [K] est due à des troubles anxieux comme en attestent les ordonnances pour anxiolytiques qui lui ont été délivrées les 4 et 27 septembre 2018, 26 février et 23 mai 2019.

Dans son avis d'inaptitude, le médecin du travail a d'ailleurs dispensé la SAS Jacomo de son obligation de reclassement en considérant que l'état de santé de Mme [K] faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi et a par ailleurs avisé l'employeur que Mme [K] n'était pas en état de venir à l'entreprise pour son solde de tous comptes.

Ces troubles anxieux sont dus, au vu des attestations produites et évoquées précédemment, au harcèlement moral dont elle a été victime.

En conséquence, le licenciement est nul.

' La somme réclamée par Mme [K] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis n'est pas contestée par la SAS Jacomo ne serait-ce qu'à titre subsidiaire et sera donc retenue.

' Mme [K] peut prétendre à des dommages et intérêts au moins égaux au salaire des six derniers mois à raison de la nullité de son licenciement.

Elle justifie avoir perçu des allocations de chômage de septembre à décembre 2019.

Compte tenu de ce renseignement, des autres éléments connus : son âge (44 ans), son ancienneté (8 ans et 4 mois), son salaire (1 798,08€ selon le chiffre avancé par Mme [K] et non contesté par la SAS Jacomo) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 18 000€ de dommages et intérêts.

3) Sur les points annexes

Conformément aux articles 1231-6 et 7 du code civil, auxquels rien ne justifie de déroger, la somme allouée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis produira intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2019, date de réception par la SAS Jacomo de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, les autres sommes à compter de la date du présent arrêt.

La SAS Jacomo devra rembourser à France travail les allocations de chômage versées à Mme [K] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS Jacomo sera condamnée à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Infirme le jugement

- Statuant à nouveau

- Dit le licenciement nul

- Condamne la SAS Jacomo à verser à Mme [K] :

- 3 596,16€ bruts d'indemnité compensatrice de préavis outre 359,61€ bruts au titre des congés payés afférents avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2019

- 18 000€ de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 5 000€ de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 3 000€ de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Dit que la SAS Jacomo devra rembourser à France travail les allocations de chômage versées à Mme [K] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations

- Condamne la SAS Jacomo à verser à Mme [K] 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamne la SAS Jacomo aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/03054
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.03054 ?
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