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25/04/2024 | FRANCE | N°22/02870

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 25 avril 2024, 22/02870


AFFAIRE : N° RG 22/02870

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDE5

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de COUTANCES en date du 07 Octobre 2022 RG n° 20/00045











COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 25 AVRIL 2024





APPELANT :



Monsieur [J] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Hélène HAM, avocat au barreau de COUTANCE

S







INTIMEE :



L'Association LES FRANCAS DE LA MANCHE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Guillaume LETERTRE, avocat au barreau de CHERBOURG







C...

AFFAIRE : N° RG 22/02870

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDE5

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de COUTANCES en date du 07 Octobre 2022 RG n° 20/00045

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 25 AVRIL 2024

APPELANT :

Monsieur [J] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Hélène HAM, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMEE :

L'Association LES FRANCAS DE LA MANCHE, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Guillaume LETERTRE, avocat au barreau de CHERBOURG

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 08 février 2024

GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 25 avril 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, par prorogation du délibéré initialement fixé au 11 avril 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier

M. [J] [E], engagé le 21 septembre 2016 en qualité de directeur départemental par l'association départementale des Francas de la Manche, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 25 mars 2020 (mais qui a eu lieu le 29 avril 2020) par lettre du 13 mars précédent, mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 mai 2020.

Entre temps, il a été placé en arrêt de travail à compter du 25 octobre 2019 et il a saisi le 22 avril 2020, le conseil de prud'hommes de Coutances d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ainsi que des rappels de salaire pour des heures supplémentaires, auquel il a ajouté au cours de la procédure une contestation de son licenciement.

Par jugement du 7 octobre 2022, le conseil de prud'hommes a invalidé la convention de forfait, rejeté la demande au titre des heures supplémentaires et les demandes subséquentes, a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat, a dit le licenciement justifié, a rejeté les demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, a condamné l'association à lui régler une indemnité de congés payés de 5.73 jours et une des indemnités de prévoyance de 59.44 €, rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné les parties aux dépens à concurrence de la moitié chacune.

Par déclaration au greffe du 9 novembre 2022, M. [E] a formé appel de cette décision sauf en sa disposition ayant invalidé le forfait.

Par conclusions remises au greffe le 3 août 2023 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [E] demande à la cour de réformer le jugement dans cette limite et de :

- condamner l'association à lui payer, au titre des heures supplémentaires, 71.258,40 €, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférent 7.134,84 €, au titre de la contrepartie obligatoire en repos et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférent 62.488,77 €, au titre de l'indemnité pour travail dissimulé 36.414,96 € et au titre de dommages intérêts 36.500,00 € ;

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail qui produira effet au jour du licenciement et aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- à titre subsidiaire dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner l'association à lui payer, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 18.207,48 €, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 1.820,75 €, au titre de l'indemnité de licenciement, 5.052,58 €, à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 24.280,00 €, au titre d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés, 1337.55€, au titre d'un reliquat des indemnités de prévoyance, 1723.76 € et celle de 3500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- ordonner la remise des documents de fin de contrat et bulletins de salaire modifiés sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard.

Par conclusions remises au greffe le 5 mai 2023 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, l'association Les Francs de la Manche demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit la convention de forfait inopposable, de  confirmer le jugement en ses autres dispositions, de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire de dire le licenciement justifié et de rejeter les demandes indemnitaires et de condamner M. [E] au paiement d'une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

MOTIFS

I- Sur la convention de forfait

Selon le contrat de travail, M. [E] est classé au groupe H de la convention collective nationale de l'animation, coefficient 450, appartient à la catégorie des cadres dit autonomes telle que définie par l'article 5531 de la convention et soumis à un forfait annuel en jours dans les conditions prévues par l'article 5532, en l'occurrence de 204 jours + 1 journée de solidarité.

L'article 5532 dispose notamment que :

Le forfait jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés. L'employeur est tenu d'établir un document mensuel de contrôle faisant apparaître le nombre, la date et l'amplitude horaire travaillés ainsi que le nombre et la date des jours de repos pris. A cet effet, les cadres concernés doivent remettre, 1 fois par mois à l'employeur, qui le valide, un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours de repos pris et restant à prendre.

L'employeur doit alors assurer le suivi de l'organisation du travail, le contrôle de l'application des présentes dispositions et vérifier l'impact de la charge de travail.

Le salarié reproche à l'employeur de ne pas avoir mis en place les modalités pratiques de ce suivi, ni un document de contrôle permettant de vérifier les amplitudes de travail et les temps de repos, ni un entretien annuel lui permettant d'échanger sur sa charge de travail et ses temps de repos.

L'employeur ne justifie pas avoir satisfait à ces mesures. Il soutient que le salarié devait au terme de son contrat supporter une obligation d'auto-contrôler son volume de travail, ce qu'il n'a pas fait, qu'il n'a en outre jamais alerté l'employeur sur sa charge de travail ou formé de critique sur la mise en place de son forfait jours, qu'il devait compte tenu de ses responsabilités des ressources humaines, alerter les bénévoles du comité de direction de l'association du formalisme inhérent au suivi des cadres.

Le contrat de travail mentionne que M. [E] « disposera d'une large autonomie dans l'organisation de son temps de travail à l'intérieur de ce forfait annuel. Compte tenu de cette liberté d'organisation, il s'engage à respecter, en toute circonstances, le repos minimal quotidien de 11 heures consécutives, l'amplitude maximale journalière de travail de 13 heures et le repos hebdomadaire de 24 heures. Il s'engage à remettre tous les mois à son employeur qui le valide un document récapitulant le nombre de jours travaillés, le nombre de jours de repos pris et ceux restant à prendre ».

Or, cette clause contractuelle n'est pas de nature à remettre en cause les dispositions de la convention collective auxquelles elle se réfère et qui mettent à la charge de l'employeur les mesures de suivi et de contrôle. En outre, à l'exception de l'année 2017, le salarié justifie avoir transmis en 2018 (le 23 janvier 2018 et le 23 septembre 2018) et en 2019 (29 décembre 2018, 29 mai 2019 et 9 septembre 2019) ses calendriers prévisionnels « pour validation », accompagné pour 2019 d'un tableau des jours travaillés par mois, il appartenait ainsi à l'employeur qui devait valider ses jours et qui ne critique pas ces documents de lui réclamer l'année 2017, ce qu'il ne justifie pas avoir fait.

Le contrat de travail mentionne que le salarié exerce ses fonctions sous l'autorité hiérarchique du président de l'association, mais ne décrit pas les missions inhérentes à la fonction de directeur départemental et aucune fiche de poste n'a été remise au salarié. L'employeur soutient qu'il devait notamment assurer la gestion des ressources humaines ce que le salarié conteste. Or, tant les pièces produites qui démontrent le rôle du salarié en la matière (conduite d'entretien d'évaluation, co-signature des contrats de travail) que ses propres déclarations (il se plaint ainsi page 28 de ses conclusions que ses conditions de travail ne lui permettent plus de bénéficier de la plus grande autonomie dans la gestion des personnels de l'association) établissent son intervention dans ce domaine. Cependant il ne saurait en être déduit une obligation pour le salarié de s'auto-contrôler ou d'alerter l'employeur sur ses obligations en matière de contrôle dans le cadre du forfait jours, encore moins que le salarié serait nécessairement de mauvaise foi en s'en abstenant, l'employeur n'expliquant pas par ailleurs concrètement en quoi le salarié serait de mauvaise foi et ne produit aucun élément en ce sens.

De même et enfin le fait que le salarié ait pu travailler en télé-travail sans avoir informé son employeur, à le supposer établi, est sans rapport avec les obligations de l'employeur en matière de contrôle et de suivi des salariés soumis à un forfait jour.

Le forfait est donc inopposable. Le salarié peut donc réclamer le paiement des heures supplémentaires éventuellement réalisées.

II- Sur les heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le salarié produit des extraits d'agenda de janvier 2017 à décembre 2019, mentionnant pour chaque jour (jusqu'au 23 octobre 2019 inclus) l'heure d'arrivée et de départ ainsi qu'un décompte mentionnant le nombre d'heures chaque semaine et le nombre d'heures supplémentaires réalisées et le déduction chaque jour de ¿ d'heures de pause déjeuner.

Comme le mentionne le salarié dans ses conclusions, il a produit ces extraits en format A3 et ces documents sont parfaitement lisibles contrairement à ce que conclut l'employeur.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

L'employeur indique que ces documents ne correspondent pas au document récapitulatif des jours travaillés, des jours de repos pris et ceux restant à prendre prévu par le contrat de travail. Mais ainsi qu'il l'a été rappelé, cette disposition du contrat est relative à l'exécution de la convention de forfait jours et ne concerne pas la demande d'heures supplémentaires qui se calcule selon les heures réalisées chaque semaine.

Il indique également que ce décompte ne permet pas de connaître si les jours télétravaillés sont des jours travaillés ou des jours chômés.

Il produit un courriel du 9 octobre 2020 de Mme [X] directrice départementale adjointe adressé au président de l'association (M. [Z] [I]) et deux témoignages écrits de Mmes [D], attachée de direction et de Mme [S] coordinatrice recueillis par M. [P] trésorier de l'association.

Il résulte du premier que lors de la semaine du 19 au 23 août 2019 (« le mercredi sans être sûre ») que Mme [X] a vu M. [E], alors qu'il était censé travailler, rentrer de la pêche avec sa femme en fin de journée sur son bateau, il conduisait le tracteur qui ramenait le bateau chez lui, qu'elle a appelé un jour où il était en télétravail et que son épouse lui a indiqué qu'il faisait du jardinage et qu'il l'a rappellerait, et que des personnes de la DDCS l'auraient croisé en train de profiter de l'air de Gouville alors qu'il était en télétravail.

Pour la semaine du 19 au 23 août 2019, le salarié indique avoir travaillé de 8h à 19h en déduisant une pause déjeuner de ¿ d'heures. Toutefois le jour et la durée de la promenade est imprécis, l'employeur n'indique pas combien d'heures il conviendrait de déduire, d'autant que le salarié produit une attestation de son épouse indiquant qu'en 4 ans elle lui a demandé deux fois de venir la chercher avec le tracteur lorsqu'elle partait en bâteau, précisant qu'ils habitent à 2 minutes de la mer.

Mme [X] qui termine d'ailleurs son courriel par « Voilà [Z] j'espèce que cela convient pour toi » ne mentionne pas le jour où le salarié aurait effectué des travaux de jardinages et la durée de son indisponibilité à lui répondre, et n'est pas davantage précise sur le jour où il profitait de l'air de Gouville étant relevé qu'il s'agit d'un fait qu'elle n'a personnellement constaté.

Concernant les seconds, Mme [D] indique avoir travaillé avec le salarié de juillet 2019 à octobre 2019, qu'il était présent au siège de l'association le lundi de 8h30 à 16h30 seulement et mangeait au restaurant, et Mme [S], en poste depuis 2014 indique qu'il était présent au siège le lundi et mercredi de 8h30 à 16h, qu'il prenait à chaque fois ses repas au restaurant, et de manière ponctuelle lorsqu'il avait des rendez vous, et au bout de la première année, il disait être en télétravail le vendredi, que parfois on le cherchait au siège, sur les sites et il était injoignable.

Outre que M. [S] a fait l'objet d'un entretien disciplinaire en 2018, et a été sanctionnée à deux reprises par le salarié ce qui amoindrit l'objectivité de son témoignage, le salarié indique qu'il était présent au siège deux jours par semaine et qu'il effectuait beaucoup de déplacements sur les différents sites de l'association, ce qui est confirmé par l'attestation de Mme [L] secrétaire au siège social de l'association depuis 2013, laquelle précise que comme les autres salariés du siège et avec l'accord du comité directeur, M. [E] prenait une ou une demi-journée de télétravail afin de limiter les déplacements mais restait joignable y compris pendant ses congés. Son épouse confirme également ce rythme de travail.

Les éléments produits par l'employeur sont donc insuffisants pour établir que le salarié n'effectuait pas les tâches inhérentes à sa fonction durant les heures qu'il a déclarées, étant relevé que celles-ci ne se limitaient pas à une présence au siège de l'association et que le télétravail était connu et accepté, et ne peuvent ainsi comme il le soutient établir que le salarié travaillait seulement le lundi et le mercredi de 8h30 à 16h.

Par ailleurs l'employeur se fonde également sur la mauvaise gestion financière du salarié qui a conduit à une réduction des fonds propres de l'association et à une alerte du commissaire aux comptes le 6 juin 2021. Cette lettre fait état notamment d'une perte d'exploitation de 418 K€ pour l'année 2020, d'une augmentation importante du coût du secteur fonctionnement général, de litiges prud'hommaux provisionnés pour 140 K€, d'arriérés de paiement de 400 K€ à la clôture des organismes sociaux et d'une impossibilité d'honorer les engagements dans les mois à venir.

Mais à supposer même que le salarié soit à l'origine de ces constats ' ce que l'employeur ne démontre pas, y compris au vu des motifs de la lettre de licenciement qui sont sans lien avec ces constats -, ceux-ci sont insuffisants pour établir que le temps de travail déclaré par le salarié n'était pas consacré à l'exercice de ses tâches.

Il sera dès lors fait droit à la demande en paiement des heures supplémentaires réclamées, sur la base du décompte produit par le salarié qui n'est pas contesté y compris subsidiairement.

Il convient par infirmation du jugement de condamner l'employeur à lui payer la somme de 71.258,40 € à titre de rappel de salaire et celle de 7.134,84 €, au titre des congés payés afférents.

III- Sur les repos compensateurs

En plus des majorations de salaire, les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent ouvrent droit pour le salarié à une contrepartie obligatoire en repos. Lorsque le salarié n'a pas été en mesure, du fait de l'employeur, de bénéficier de sa contrepartie obligatoire en repos, il a droit à l'indemnisation du préjudice subi. Celle-ci comporte à la fois l'indemnité de contrepartie obligatoire en repos et le montant de l'indemnité de congés payés afférents audit repos.

En l'occurrence, au vu des décomptes produits, les calculs effectués par le salarié sur la base d'un contingent annuel d'heures supplémentaires de 70 heures sont erronés pour les années 2017 et 2018 en ce que les 70 heures annuelles ne sont pas déduites. Il peut dès lors prétendre, étant relevé que l'employeur ne fait aucune critique sur ce décompte :

- pour l'année 2017, les heures supplémentaires s'élèvent à 596 heures, soit 526 heures au-delà du contingent, et sur la base d'une contrepartie à 100%, est due une somme de 14 870,02 € outre les congés payés afférents soit une indemnité de 16 357.02 € ;

- pour l'année 2018, les heures supplémentaires s'élèvent à 587.88 heures, soit 517.88 heures au-delà du contingent, et sur la base d'une contrepartie à 100%, est due une somme de 14 640.46 € outre les congés payés afférents soit une indemnité de 16 104.50 € ;

- pour l'année 2019, les heures supplémentaires s'élèvent à 685.25heures, soit 615.25 heures au-delà du contingent, et sur la base d'une contrepartie à 100%, est due une somme de 17 393.12€ outre les congés payés afférents soit une indemnité de 19 132.43€ ;

Il convient par infirmation du jugement de condamner l'employeur au paiement d'une indemnité totale de 51 593.95 €.

IV- Sur les dommages et intérêts

Le salarié fait valoir un préjudice économique lié à l'absence de paiement de la totalité des heures (perte mensuelle de 1750 €), de son effet sur le calcul de son allocation Pôle Emploi ou de maintien du salaire et également un préjudice de fatigue lié à la privation de son droit au repos y compris pendant les Week ends et les congés, à son travail au-delà des jours prévus à son forfait et enfin des mesures insuffisantes pour permettre son droit à la déconnexion.

L'ampleur des heures supplémentaires réalisées et non payées a occasionné un préjudice matériel en impactant le calcul des droits du salarié à son indemnisation par Pôle Emploi ou au calcul des indemnités au titre du maintien du salaire. Elle est également à l'origine d'une atteinte au droit au repos, les décomptes mentionnant des dépassements à plusieurs reprises de la durée hebdomadaire de travail mais aussi du droit au repos quotidien ainsi à sept reprises en 2017 ou l'absence de jour de repos entre le 1er et 11 mars.

Si le salarié justifie avoir été destinataire de nombreux courriels de son employeur envoyés à des heures tardives (au-delà de 23h), ces courriels étaient le plus souvent des réponses à des courriels qui lui avaient été envoyés ou des courriels ne nécessitant pas de réponses immédiates.

Le salarié a fait l'objet d'un arrêt de travail à compter du 25 octobre 2019, les arrêts de travail ne sont pas motivés mais une ordonnance du même jour du Dr [O] psychiatre lui a prescrit un traitement et ce même médecin fait état dans un certificat médical du 15 juin 2023 de consultations ambulatoires régulières de novembre 2019 à mars 2023 avec prise de traitement.

Il justifie enfin d'échanges avec le président de l'association ou les membres du comité de direction (20 septembre et 17 octobre 2019) où il a fait part des difficultés pour exercer ses missions, sans cadre défini alors qu'il y consacre tout son temps, ses nuits blanches, son médecin lui conseillant le repos, et ensuite de son malaise source de souffrance compte tenu de l'implication des élus dans les décisions qu'il devait prendre.

Ces éléments caractérisent un préjudice qui sera réparé par une somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts.

V- Sur l'indemnité pour travail dissimulé

Le salarié fait valoir l'application illicite du forfait par l'employeur, l'absence de toute mesure de contrôle, les courriels tardifs et les heures de réunions tardives.

La convention de forfait non exécutée est insuffisante pour déduire une intention de dissimulation de l'employeur, par ailleurs au vu de la très grande autonomie dont le salarié bénéficiait dans l'organisation de son travail, celle-ci n'est pas établie.

VI-Sur la résiliation judiciaire du contrat

Le salarié invoque l'absence de suivi et de contrôle de son temps de travail et de repos, l'absence de son droit à la déconnexion lui occasionnant des répercussions sur son état de santé et une grande fatigue, des conditions dans lesquelles il a été contraint d'exercer ses fonctions, les considérations d'ordre politique impactant son autonomie dans la gestion des personnels ;

L'employeur fait valoir l'absence de préjudice, que le salarié n'a pas alerté la médecine du travail (refusant même de passer la visite de reprise), n'a pas fait de déclaration pour se voir reconnaître une maladie professionnelle, que les troubles décrits par le psychiatre sont sans lien avec l'environnement professionnel.

Le manquement lié à l'absence de suivi et de contrôle du temps de travail et de repos est établi et a au vu de ce qui précède conduit le salarié à réaliser un nombre particulièrement important d'heures supplémentaires ayant un impact au vu des éléments médicaux rappelés sur son état de santé.

Il a également été considéré que l'employeur avait été alerté du mal être du salarié, lequel l'avait en outre averti du dépassement de ces jours de travail en 2019 en transmettant ses calendriers prévisionnels, ce qu'il a également fait le 6 mars 2020 en communiquant à l'employeur son planning de travail dans la perspective d'une reprise de son travail le 9 mars 2020 et invoquant l'illégalité de son forfait compte tenu des dépassements antérieurs non rémunérés. L'employeur lui a répondu que le solde lui avait été réglé en janvier 2020 mais n'a pris aucune mesure pour contrôler le temps de travail et de repos du salarié.

Enfin, l'employeur ne démontre pas un refus du salarié de se rendre à la visite médicale de reprise, les échanges de courriels des 5 et 6 mars 2020 établissent que le salarié avait demandé des informations sur les modalités de sa reprise, l'employeur lui avait répondu qu'un membre du comité directeur serait présent en lui rappelant la nécessité de passer une visite de reprise et en lui donnant la date le lendemain. En réalité, seule la prolongation de l'arrêt de travail a rendu sans objet la visite de reprise programmée.

De ce qui vient d'être exposé, il s'en déduit des manquements de l'employeur qui compte tenu de leur impact sur l'état de santé du salarié et du fait qu'aucune mesure n'était prise pour y remédier, sont suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Cette résiliation sera fixé au date du licenciement et produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les droits du salarié au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement, non contestés dans leur quantum, seront précisés au dispositif de l'arrêt.

En application des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre, au vu de son ancienneté de 3 années complètes et de la taille de l'entreprise , à une indemnité comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut, sur la base d'un salaire brut de 6069 € compte tenu de la majoration pour les heures supplémentaires.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié justifiant avoir été indemnisé par Pôle Emploi puis n'avoir pu retravailler compte tenu des difficultés médicales perdurant qu'en 2023, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 20 000€.

VII - Sur les autres demandes

- Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

Les premiers juges ont condamné l'employeur à régler une somme de 5.73 jours de congés sans la chiffrer, le salarié demande confirmation en chiffrant cette somme sur la base du salaire majoré par les heures supplémentaires.

Il résulte du bulletin de salaire de mai 2020 qu'une somme de 299.39 € brut a été réglée au titre « du paiement des CP année » sans détail des modalités de calcul.

L'employeur soutient qu'elle a été réglée sans toutefois solliciter l'infirmation du jugement sur ce point et sans donner d'explication sur le calcul, de ces congés réglés, et sans faire de critiques sur la demande du salarié, alors qu'un solde de congés de 8 jours est mentionné sur le bulletin de salaire de mars 2020.

Le jugement sera confirmé sauf à chiffrer le montant conformément à la demande du salarié.

- Sur l'indemnité de prévoyance Chorum

Le salarié fait valoir qu'il n'a pas perçu d'indemnités pour la période du 21 avril au 19 mai 2020. Les premiers juges ont fait droit à sa demande sur la base de 59.44 € par jour.

Le salarié demande sur cette base une somme de 1723.76 €.

L'employeur indique qu'il a réglé les sommes dues sans apporter d'éléments sans demander l'infirmation du jugement sur ce point.

Le jugement sera confirmé sauf à chiffrer le montant conformément à la demande du salarié.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmées.

En cause d'appel, l'association qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 3000 € à M. [E];

La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence d'allégation de circonstances le justifiant.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement rendu le 7 octobre 2022 par le conseil de prud'hommes de Coutances sauf en ce qu'il a invalidé le forfait et sauf en ses dispositions relatives aux indemnités de congés payés et aux indemnités de prévoyance sauf toutefois à chiffrer celles-ci ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant ,

Condamne l'association Les Francas de la Manche à payer à M. [E] les sommes suivantes :

- 71.258,40 € à titre de rappel de salaire et celle de 7.134,84 €, au titre des congés payés afférents ;

- 51 593.95 € à titre d'indemnité pour repos compensateurs non pris ;

- 3000 € à titre de dommages et intérêts ;

Prononce la résiliation du contrat de travail au qui produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne l'association Les Francas de la Manche à payer à M. [E] les sommes suivantes :

- 18.207,48 € à titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et celle de 1.820,75 €, au titre des congés payés afférents ;

- 5.052,58 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 20 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1337.55€ au titre d'un reliquat d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 1723.76 €au titre d'un reliquat des indemnités de prévoyance ;

Ordonne à l'association Les Francas de la Manche de remettre à M. [E] les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi) et des bulletins de salaire complémentaires (à raison d'un bulletin par année) conformes au présent arrêt, ce dans le délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Condamne l'association Les Francas de la Manche à lui payer à la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande aux mêmes fins ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l'avis de réception de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne l'association Les Francas de la Manche aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/02870
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;22.02870 ?
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