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19/03/2024 | FRANCE | N°23/00504

France | France, Cour d'appel de Caen, Indemnisation détention, 19 mars 2024, 23/00504


N° N° RG 23/00504 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HFEO

 



COUR D'APPEL DE CAEN



Minute n° 01 /2024













PROCÉDURE DE RÉPARATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE



ORDONNANCE DU 19 MARS 2024















ENTRE LE REQUÉRANT :



Monsieur [Y] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Non comparant, représenté par Me Christophe LOISON, avocat au Barreau de [Localité 3], substitué par Me Cindy

BOUDEVIN, avocat au Barreau de CAEN





ET:



MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Non comparant, représenté par Me Marion BILLY, avocat au Barreau de CAEN, substituée par Me Marine VIGNON...

N° N° RG 23/00504 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HFEO

 

COUR D'APPEL DE CAEN

Minute n° 01 /2024

PROCÉDURE DE RÉPARATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE

ORDONNANCE DU 19 MARS 2024

ENTRE LE REQUÉRANT :

Monsieur [Y] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Non comparant, représenté par Me Christophe LOISON, avocat au Barreau de [Localité 3], substitué par Me Cindy BOUDEVIN, avocat au Barreau de CAEN

ET:

MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Non comparant, représenté par Me Marion BILLY, avocat au Barreau de CAEN, substituée par Me Marine VIGNON, avocat au Barreau de CAEN

COMPOSITION LORS DES DÉBATS :

PRÉSIDENTE

Madame Sandra ORUS, Première Présidente

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Marc FAURY, avocat général

GREFFIER

Madame Jocelyne LEBOULANGER

DÉBATS

L'affaire a été appelée à l'audience publique du 20 février 2024.

ORDONNANCE

Rendue publiquement, le 19 mars 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et signée par Madame ORUS, Première Présidente, et par Madame LEBOULANGER, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise.

FAITS ET PROCEDURE

M. [Y] [I], poursuivi pour viol commis sous la menace d'une arme, a été placé en détention provisoire le 27 mai 2017 par le juge des libertés et de la détention de Coutances.

Le 20 octobre 2017, le juge d'instruction de Coutances a ordonné sa remise en liberté immédiate en raison des résultats du laboratoire expert en analyses génétiques.

M. [I] a été détenu préventivement du 27 mai 2017 au 20 octobre 2017 dans le cadre de l'information judiciaire.

Le 4 juin 2021, le juge d'instruction de Coutances a rendu une ordonnance de non-lieu partiel concernant M. [I].

Le 16 février 2023, M. [I] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Caen aux fins d'indemnisation de son préjudice causé par la détention provisoire, et sollicite, sur le fondement des articles 149 et suivants du code de procédure pénale, une indemnisation à hauteur de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et psychologique ; 2 226, 71 euros en réparation de son préjudice matériel ; 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et laisser les dépens à la charge de l'État.

Sur le fondement de ses conclusions soutenues oralement à l'audience, M. [I] soutient que les conditions de sa détention lui ont causé un préjudice moral et psychologique ; que le caractère des faits pour lesquels il a été mis en examen était particulièrement infamant ; qu'il n'avait jusqu'alors jamais été incarcéré ; qu'il n'a pas pu voir sa famille pendant sa période de détention ; que l'incarcération a également eu des répercussions sur son état de santé ; que le choc carcéral de M. [I], alors souffrant de schizophrénie qui a été diagnostiquée avant son placement en détention provisoire, a été amplifié en raison de ses fragilités psychiatriques ; qu'il lui a fallu 2 mois après sa mise en liberté pour stabiliser son état de santé.

Il fait également valoir que cette expérience l'a affecté matériellement, et a révélé la perte de la majoration pour la vie autonome qu'il bénéficiait ainsi que la réduction, entre août et octobre 2017, du montant de l'allocation aux adultes handicapés en raison de son incarcération.

Dans ses conclusions orales à l'audience, l'agent judiciaire de l'État soulève l'irrecevabilité de la requête en indemnisation au motif qu'il n'est pas justifié du caractère définitif de la relaxe. Subsidiairement, il accepte d'indemniser M. [I] de son préjudice moral par le versement de la somme de 10 000 euros, mais précise qu'il n'est pas établi que sa détention provisoire est la conséquence directe, exclusive et certaine de son état de santé.

Il fait valoir qu'à la date de son incarcération, M. [I] était célibataire ; père d'un enfant avec lequel il n'a pas de contact ; qu'il était âgé de 23 ans et demi ; qu'il a été incarcéré pendant une période de 147 jours ; qu'il ressort de son casier judiciaire 4 condamnations par le tribunal correctionnel de Cherbourg.

Pour autant, sur le préjudice matériel, s'il accepte d'indemniser M. [I] par le versement d'une somme de 1 702, 86 euros, correspondant à la réduction de l'allocation aux adultes handicapés, l'agent judiciaire de l'État soutient qu'aucune pièce ne permet d'établir le lien de causalité direct et exclusif entre la suppression de la majoration pour la vie autonome et l'incarcération de M. [I].

Le ministère public conclut à la recevabilité de la requête dès lors que, bien qu'elle soit intervenue postérieurement au délai de 6 mois de la décision définitive, le droit à demander réparation n'a pas été notifié, et n'entre pas dans les 5 cas prévus à l'article 149 du code de procédure pénale. Sur le fond, il se rallie à la position de l'agent judiciaire de l'État en ce qui concerne le préjudice moral subi par M. [I] du fait de sa détention injustifiée et considère que son préjudice matériel lié à la perte de la majoration pour la vie autonome n'est pas justifié.

SUR CE

Sur la recevabilité de la requête

Il résulte de l'article 149 du code de procédure pénale qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement lié à la privation de liberté.

L'article 149-2 du code de procédure pénale précise que la requête en réparation de détention doit être déposée dans les six mois de la décision.

La requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code. Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.

Or, en l'espèce, il n'est pas contesté que M. [I] n'a pas été avisé de son droit à demander réparation lorsqu'il a réceptionné l'ordonnance de non-lieu du 4 juin 2021.

Dès lors, le délai ne court pas, rendant sa requête recevable.

Sur l'indemnisation

M. [I] a été incarcéré du 27 mai au 20 octobre 2017. La durée de la détention provisoire indemnisable est donc de 147 jours, laquelle s'est effectuée à la maison d'arrêt de [Localité 3] du 27 mai au 30 mai 2017, puis au centre pénitentiaire de [5] à l'UHSA à compter du 14 juin 2017.

Sur le préjudice moral

Il ressort de son casier judiciaire que M. [I] a fait l'objet de 4 condamnations par le tribunal correctionnel de Cherbourg, dont 2 avant la date de son placement en détention provisoire, le 1er octobre 2013 à une peine d'un mois d'emprisonnement et le 22 septembre 2015 à une peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis.

Pour autant, la détention, qui l'a privé de liberté, caractérise un préjudice moral qui doit être pris en considération.

S'agissant des conséquences de la détention sur son état psychologique, il est relevé que les difficultés dont M. [I] fait état sur sa santé et sur le délai écoulé entre sa mise en liberté et sa stabilisation psychique n'ont pas de lien direct avec la période de détention elle-même.

Au regard de ces éléments, il convient de faire droit à la demande de M. [I] et de fixer la réparation de son préjudice moral, lié à sa détention provisoire, à la somme de 10 000 euros.

Sur le préjudice matériel

Concernant la somme sollicitée par M. [I] au titre de la perte d'une partie de l'allocation aux adultes handicapés, seul le préjudice direct lié à la période de détention peut donner lieu à réparation.

Le préjudice financier est constitué par une perte de revenus ou de ressources liée à la détention, qui doit être justifié.

Il ressort de l'attestation CAF versée aux débats qu'antérieurement à son incarcération, M. [I] percevait un montant mensuel de 810, 89 euros au titre de l'allocation aux adultes handicapés.

Il est constant qu'il a perdu une partie de ce revenu du fait de son incarcération.

Il convient en conséquence de réparer le préjudice subi par M. [I] par le versement d'une somme de 1 702, 86 euros, correspondant à la perte de l'AAH (30%) pendant les mois d'incarcération du mois d'août au mois d'octobre 2017.

S'agissant de la majoration pour la vie autonome, si M. [I] a cessé de percevoir cette majoration à compter du mois d'août 2017, son versement n'a pas repris les mois qui ont suivi sa remise en liberté.

M. [I] ne fournit aucun élément qui permettrait d'établir un lien de causalité direct entre la suppression de la majoration pour la vie autonome et son incarcération.

Dès lors, la demande d'indemnisation au titre de la perte de la majoration pour la vie autonome ne peut qu'être rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de la présente procédure doivent être mis à la charge du trésor public.

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique par ordonnance contradictoire,

Déclarons M. [Y] [I] recevable en sa requête ;

Allouons à M. [Y] [I] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Allouons à M. [Y] [I] la somme de 1 702, 86 euros en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de l'allocation aux adultes handicapés ;

Allouons à M. [Y] [I] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus de ses demandes ;

Laissons les dépens à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

LA GREFFIERE LA PREMIERE PRÉSIDENTE

Jocelyne LEBOULANGER Sandra ORUS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Indemnisation détention
Numéro d'arrêt : 23/00504
Date de la décision : 19/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-19;23.00504 ?
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