AFFAIRE : N° RG 22/02522
N° Portalis DBVC-V-B7G-HCMB
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 13 Septembre 2022 - RG n° F 20/00108
COUR D'APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 14 MARS 2024
APPELANTE :
La S.E.L.A.R.L. EQUICHIR
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Diane BESSON, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Madame [R] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Pascale GRAMMAGNAC-YGOUF, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Noémie CAPERON, avocat au barreau de PARIS
DEBATS : A l'audience publique du 15 janvier 2024, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKL
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 14 mars 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
La SELARL Dr [K] [N], aux droits de laquelle se trouve la SELARL Equichir, a embauché Mme [R] [P] à compter du 4 décembre 2017 en qualité de vétérinaire et l'a licenciée le 19 mars 2019 pour cause personnelle.
Le 9 septembre 2020, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Lisieux pour demander des dommages et intérêts à raison de divers manquements reprochés à son employeur.
Par jugement du 13 septembre 2022, le conseil de prud'hommes a condamné la SELARL Equichir à verser à Mme [P] : 147,80€ au titre des intérêts de retard dus sur l'indemnité de non concurrence, 1 000€ de dommages et intérêts pour non transmission de l'attestation de salaire à la CPAM, 1 000€ de dommages et intérêts pour préjudice financier pour paiement tardif du complément employeur, 2 000€ de dommages et intérêts pour préjudice moral pour paiement tardif du complément employeur, a dit que les intérêts au taux légal dus sur ces sommes se capitaliseront, a ordonné à la SELARL Equichir de remettre à Mme [P] des bulletins de paie modifiés sous astreinte et de lui verser 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La SELARL Equichir a interjeté appel du jugement, Mme [P] a formé appel incident.
Vu le jugement rendu le 13 septembre 2022 par le conseil de prud'hommes de Lisieux
Vu les dernières conclusions de la SELARL Equichir, appelante, communiquées et déposées le 26 juin 2023, tendant, au principal, à voir le jugement réformé quant aux condamnations prononcées et à voir Mme [P] déboutée de toutes ses demandes, subsidiairement, à voir réduire les condamnations à 'de justes proportions' et voir Mme [P] condamnée à lui verser 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions de Mme [P], intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 18 décembre 2023, tendant à voir le jugement confirmé quant aux dispositions ayant condamné la SELARL Equichir à lui verser 147,80€ au titre des intérêts de retard dus sur l'indemnité de non concurrence, dit que les intérêts au taux légal dus sur ces sommes se capitaliseront et ordonné à la SELARL Equichir de remettre à Mme [P] des bulletins de paie modifiés sous astreinte, tendant à voir le jugement réformé pour le surplus et à voir la SELARL Equichir condamnée à lui verser les dommages et intérêts suivants :
-au titre de l'indemnité de non concurrence : à raison du retard de paiement 3 440,50€ pour préjudice financier, et 5 000€ pour préjudice moral, pour non délivrance des bulletin de paie afférents : 600€ pour préjudice financier, et 1 000€ pour préjudice moral
- pour non transmission de l'attestation de salaire à la CPAM : 1 680€ pour préjudice financier et 3 000€ pour préjudice moral
- pour paiement tardif du complément employeur : 1 680€ pour préjudice financier et 5 000€ pour préjudice moral
- pour délivrance tardive des bulletins de paie de novembre et décembre 2018 : 720€ pour préjudice financier et 500€
- pour remise tardive de l'attestation Pôle Emploi : 300€ pour préjudice financier
- pour remise tardive des documents de fin de contrat : 5 000€ pour préjudice moral
- pour retard dans l'exécution de l'obligation afférente à la portabilité des droits : 300€ pour préjudice financier et 1 000€
- pour procédure abusive : 5 000€ de dommages et intérêts
ainsi que 3 660€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 10 janvier 2024
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la transmission des attestations de salaire
Mme [P] justifie avoir adressé à son employeur le 27 octobre 2018 son avis d'arrêt de travail délivré le 26 octobre. Le 13 novembre, la CPAM lui a indiqué ne pas avoir en sa possession les éléments nécessaires lui permettant de verser les indemnités journalières et lui a suggéré de demander à son employeur d'adresser à la caisse une attestation de salaire. Mme [P] a adressé elle-même à la caisse, le 14 novembre 2018, les éléments nécessaires. Elle indique que les indemnités journalières n'ont ainsi commencé à lui être versées que trois semaines après le début de son arrêt maladie.
La SELARL Equichir a manqué à l'obligation qui lui incombait ce qui a obligé Mme [P] à effectuer elle-même des démarches ce qu'elle n'aurait pas dû avoir à faire. Ce manquement lui a occasionné des tracas et l'a privée de ressources pendant un temps ce qui justifie l'octroi de 300€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral. En revanche, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice financier. Elle ne justifie pas de difficultés matérielles particulières générées par cette situation (agios bancaires par exemple) et les frais d'avocat dont elle fait état (à supposer qu'ils puissent s'analyser en un préjudice financier) ont été engagés postérieurement.
2) Sur le paiement tardif du complément employeur
Mme [P] justifie que les compléments de salaire dus par l'employeur ont été payés avec retard : le 30 janvier 2019 pour les compléments des mois de novembre et décembre 2018 (soit 2 et 1 mois de retard), le 12 février pour le complément de janvier 2019 (12 jours de retard), le 21 mars pour le complément de février 2019 (21 jours de retard), le 23 avril pour le complément de mars 2019 (23 jours de retard).
La SELARL Equichir soutient que ce retard est dû au fait que Mme [P] ne lui a 'jamais' transmis le relevé mensuel des indemnités journalières indispensable pour pouvoir verser le complément employeur. Elle n'explique pas comment, dans cette hypothèse, elle a été en mesure, néanmoins, de payer ce complément à compter de janvier. En outre, alors que l'avocat de Mme [P] lui a envoyé plusieurs relances à ce propos, elle n'a pas alors fait état de cette difficulté. En conséquence, elle n'établit pas que ce retard serait imputable à une carence de Mme [P].
Le complément employeur payé avec retard était d'un montant non négligeable (entre 1 333,47€ et 1 514,99€). Pour obtenir ces versements, Mme [P] a fait appel à un avocat qui a adressé cinq relances à la SELARL Equichir, destinées, notamment, au paiement de ce complément, les 2 janvier, 25 janvier, 11 mars, 19 mars et 19 avril 2019.
Ses proches attestent de l'inquiétude que ce retard de paiement lui a occasionné. Son père écrit qu'elle s'en inquiétait, qu'elle était devenue dépressive car elle n'avait plus assez de revenus pour payer ses dépenses courantes, que de devoir faire appel à un avocat l'a souciée car cela constituait une dépense supplémentaire, qu'après avoir refusé par fierté, elle a fini par accepter un prêt de 2 000€ de sa part. Son père et une amie attestent qu'elle vérifiait son compte bancaire plusieurs fois par jour en espérant un virement. Sa tante atteste qu'elle ne parlait plus que de ses difficultés financières. Une autre de ses amies écrit qu'elle lui a fait part du non versement de ce complément employeur et expliqué qu'elle ne pouvait plus sortir pour des questions d'argent.
Ces éléments attestent que ce retard de paiement a contraint Mme [P] à recourir à un avocat pour obtenir son dû, ce qui lui a occasionné des tracas et des frais et que ce retard a eu un retentissement important sur son état psychologique. En réparation, il lui sera alloué 1 000€ de dommages et intérêts, cette somme réparant à la fois son préjudice moral et le coût occasionné par le recours à un avocat (le coût de son intervention pour la rédaction de ces cinq relances n'étant pas identifiable, les factures produites portant également sur d'autres postes sans rapport avec ces réclamations (par exemple sur la réglementation concernant la radio protection) et ces courriers étant également destinés à obtenir le paiement d'autres sommes dues à Mme [P]). Ces dépenses engagées avant et (ou) hors des frais générés par la procédure devant le conseil de prud'hommes et la cour d'appel ont vocation à être prises en compte pour évaluer les dommages réparant le préjudice occasionné par le manquement de l'employeur car, contrairement à ce qu'indique la SELARL Equichir, elles ne constituent pas des frais irrépétibles donnant droit à indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
3) Sur la remise tardive des bulletins de paie de novembre et décembre 2018
Il est constant que ces deux bulletins de paie n'ont été remis à Mme [P] que le 8 février 2019 et seulement après deux relances effectuées par son avocat les 2 et 25 janvier 2019.
La SELARL Equichir ne donne aucune explication sur la raison de ce retard.
Ce retard a occasionné des tracas à Mme [P] puisqu'elle a dû faire intervenir son avocat pour obtenir la remise -qui aurait dû être spontanée- de ces documents. En réparation, il lui sera alloué 100€ de dommages et intérêts.
4) Sur la remise tardive de documents de fin de contrat
Dans la lettre de licenciement du 12 mars 2019, la SELARL Equichir a indiqué qu'elle allait faire établir les documents de fin de contrat et compte tenu de l'arrêt de travail de la salariée les lui adresser 'par pli séparé et en recommandé' bien que ceux-ci sont 'en théorie quérables au siège de l'entreprise'.
Malgré cet engagement, la SELARL Equichir n'a pas adressé à Mme [P] ces documents à la fin du préavis le 19 avril 2019 mais lui a envoyé le certificat de travail et le solde de tous comptes le 13 mai 2019 et l'attestation Pôle Emploi le 27 juillet 2019 après envoi de quatre rappels de l'avocat de Mme [P] les 19 avril, 29 avril, 6 mai et 25 juillet 2019.
Son père sa tante et une amie attestent que ce retard l'a sérieusement affectée, qu'elle a rechuté à cette occasion en constatant ce retard qui l'empêchait de s'inscrire à Pôle Emploi.
Mme [P] ne justifie toutefois pas de son inscription effective à Pôle Emploi ni, a fortiori, du retard de paiement des allocations que ce retard aurait généré.
Compte tenu néanmoins des tracas occasionnés, de la nécessité de faire intervenir son avocat pour obtenir des documents dont l'envoi aurait dû être automatique dès le 19 avril et de l'impact psychologique de ce retard, il y a lieu de lui allouer 300€ de dommages et intérêts à ce titre. Cette somme réparera à la fois son préjudice moral et le coût occasionné par le recours à un avocat pour obtenir l'ensemble de ces documents, attestation Pôle Emploi incluse.
5) Sur le retard de portabilité de la mutuelle
La SELARL Equichir a transmis à Mme [P] le 29 juillet 2019, après une relance de son avocat, le 25 juillet, le bulletin d'adhésion permettant son affiliation au dispositif de portabilité de la prévoyance alors que cet élément aurait dû lui être transmis dès le 19 avril.
Son père atteste que Mme [P] craignait de ne plus pouvoir assumer ses dépenses de santé.
Compte tenu du tracas occasionné et de la nécessité où Mme [P] s'est trouvée de devoir recourir à un avocat, il lui sera alloué 300€ de dommages et intérêts, cette somme réparant l'ensemble de ses préjudices.
6) Sur les indemnités de non concurrence
6-1) Sur les retards de paiement
Bien que le contrat de travail ait pris fin le 19 avril 2019, Mme [P] n'a commencé à percevoir la contrepartie à la clause de non concurrence qu'à compter du 12 novembre 2019. Ces indemnités d'un montant mensuel d'un peu plus de 1 000€ ont systématiquement été versées avec retard (de 8 jours de retard pour les indemnités de septembre, novembre et décembre 2020 à 7 mois de retard pour la contrepartie de février 2020 voire 18 mois de retard pour la contrepartie afférente à la période du 19 au 30 avril 2019).
L'avocat de Mme [P] a dû envoyer des courriers de rappel les 25 juillet 2019, 7 octobre 2019 et 11 juin 2020.
Son père atteste que, ayant dû s'éloigner géographiquement de ses amis, de sa famille et de la région à laquelle elle était attachée pour travailler en respectant cette clause, Mme [P] a été impactée par le fait que son employeur ne versait pas la contrepartie qu'il lui devait. Une de ses amies atteste dans le même sens.
' Mme [P] réclame à ce titre les intérêts de retard sur les sommes dues à partir de la mise en demeure du 7 octobre 2019. Son calcul est critiqué par la SELARL Equichir. Toutefois, cette critique n'est pas pertinente. En effet, la SELARL Equichir fait valoir que les intérêts sur la somme due au 30 avril 2019 s'élèveraient à 21,75€ et qu'il conviendrait donc de réduire à ce chiffre le montant réclamé par Mme [P].
La SELARL Equichir omet, ce faisant, les intérêts courant sur les autres mensualités de la contrepartie à la clause de non concurrence qui ont toutes été réglées avec retard, de surcroît, le montant qu'elle a calculé s'avère en fait supérieur à celui réclamé à ce titre par Mme [P] (18,41€). En conséquence, la somme réclamée à ce titre par Mme [P], non utilement critiquée, sera retenue (147,80€). Le jugement sera confirmé sue ce point.
' Mme [P] peut également prétendre à des dommages et intérêts à raison des tracas occasionnés par ces retards qui ont nécessité l'intervention d'un avocat, généré des coûts à ce titre et impacté son bien -être psychologique. En réparation il lui sera alloué 1 000€ de dommages et intérêts.
6-2) Sur le retard de délivrance des bulletins de paie
Les bulletins de paie correspondant à la contrepartie de la clause de non concurrence ont été délivrés le 21 septembre 2020 après une relance effectuée par son avocat le 11 juin 2020.
Mme [P] indique que lorsqu'elle a déclaré ses revenus pour 2019 la case pré-remplie ne comportait pas les montants correspondant à la contrepartie à la clause de non concurrence ce qui lui a occasionné un préjudice puisqu'elle a été relancée par l'administration fiscale.
Outre le fait qu'il lui appartenait si la somme pré-remplie était inexacte de la corriger, il ne ressort pas des documents qu'elle produit que la proposition de rectification que l'administration fiscale lui a adressée le 19 novembre 2020 qui fait état d'une sous déclaration de 2 713€ puisse correspondre à l'omission des contreparties à la clause de non concurrence lesquelles représentaient pour 2019 plus de 8 000€.
Il lui sera néanmoins alloué en réparation des tracas occasionnés par le retard mis à délivrer ces bulletins de paie et par la nécessité où elle s'est trouvée de devoir faire appel à son avocat 200€ de dommages et intérêts.
7) Sur la procédure abusive
Le fait de se défendre en justice constitue un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas de mauvaise foi ou d'erreur équipollente ou dol, non établis en l'espèce.
Mme [P] sera donc déboutée des demandes de dommages et intérêts à ce titre.
8) Sur les points annexes
La somme allouée au titre des intérêts de retard produira intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2022 , date de notification du jugement confirmé sur ce point, les autres sommes, à compter de la date du présent arrêt. Le intérêts dus se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière.
La présente décision n'implique pas la nécessité d'éditer de nouveaux bulletin de paie rectifiés ou complémentaires. Mme [P] sera donc déboutée de sa demande en ce sens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [P] ses frais irrépétibles. Il lui sera alloué de ce chef 3 000€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SELARL Equichir à verser à Mme [P] 147,80€ au titre des intérêts de retard dus à raison du retard de paiement de la contrepartie à la clause de non concurrence
- Y ajoutant
- Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 16 septembre 2022 et que ces intérêts se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière
- Réforme le jugement pour le surplus
- Condamne la SELARL Equichir à verser à Mme [P] :
- 300€ de dommages et intérêts pour retard dans la remise de l'attestation de salaire à la CPAM
- 1 000€ de dommages et intérêts pour paiement tardif du complément de salaire employeur
- 100€ de dommages et intérêts pour remise tardive des bulletins de paie de novembre et décembre 2018
- 300€ de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat
- 300€ de dommages et intérêts pour retard dans la portabilité de la mutuelle
- 1 000€ de dommages et intérêts pour paiement tardif des contreparties à la clause de non concurrence
- Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision et que ces intérêts se capitaliseront quand ils seront dus pour une année entière
- Déboute Mme [P] du surplus de ses demandes principales
- Condamne la SELARL Equichir à verser à Mme [P] 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne la SELARL Equichir aux entiers dépens de première instance et d'appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
E. GOULARD L. DELAHAYE