AFFAIRE : N° RG 21/02646
N° Portalis DBVC-V-B7F-G2ZM
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CAEN en date du 27 Août 2021 RG n° 19/00378
COUR D'APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRÊT DU 08 JUIN 2023
APPELANTS :
Madame [L] [F]
[Adresse 4]
[Localité 6]
SYNDICAT CFDT METAUX [Localité 3] [Localité 2] [Localité 6]
[Adresse 1]
Représentés par Me Sophie CONDAMINE, substitué par Me LEHOUX, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
S.A. SOGEFI FILTRATION
[Adresse 5]
Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me TZWANGUE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 06 avril 2023
GREFFIER : Mme ANCEL
ARRÊT prononcé publiquement le 08 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [L] [W] épouse [F] a travaillé pour la SA SOGEFI Filtration du 11 septembre 1975 au 31 janvier juillet 2018, date à laquelle elle a pris sa retraite.
Le 16 juillet 2019, Mme [F] et le syndicat CFDT Métaux [Localité 3]-[Localité 2]-[Localité 6] ont saisi le conseil de prud'hommes de Caen. Mme [F] a demandé un rappel d'indemnité de départ à la retraite et des dommages et intérêts pour résistance abusive, le syndicat CFDT, des dommages et intérêts pour atteinte portée à l'intérêt collectif des salariés et de la profession. La SA SOGEFI Filtration a soulevé notamment l'irrecevabilité de la demande de la salariée.
Par jugement du 24 mars 2021, le conseil de prud'hommes a débouté le syndicat CFDT Métaux [Localité 3]-[Localité 2]-[Localité 6] de sa demande et s'est déclaré, pour le surplus, en partage de voix. Ce jugement n'a pas fait l'objet d'un appel.
Par jugement du 27 août 2021, le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a débouté Mme [F] de ses demandes et la SA SOGEFI Filtration de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [F] et le syndicat CFDT Métaux [Localité 3]-[Localité 2]-[Localité 6] ont interjeté appel du jugement, la SA SOGEFI Filtration a formé appel incident.
Vu le jugement rendu le 27 août 2021 par le conseil de prud'hommes de Caen
Vu les dernières conclusions de Mme [F] et du syndicat CFDT Métaux [Localité 3]-[Localité 2]-[Localité 6], appelants, communiquées et déposées le 15 juin 2022, tendant à voir le jugement infirmé, à voir dire les demandes de Mme [F] recevables, à voir la SA SOGEFI Filtration condamnée à lui verser : 4 438,18€ bruts au titre du solde d'indemnité de départ à la retraite, 5 000€ de dommages et intérêts pour résistance abusive, 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, à voir ordonner, sous astreinte, l'établissement, au vu de la décision, de bulletins de paie et de documents de fin de contrat
Vu les dernières conclusions de la SA SOGEFI Filtration, intimée et appelante incidente, communiquées et déposées le 9 août 2022, tendant à voir le jugement infirmé en ce qu'il a rejeté sa fin de non recevoir et l'a déboutée de sa demande d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, à le voir confirmé pour le surplus, tendant, en conséquence, à voir Mme [F] déboutée de ses demandes et condamnée, en tout état de cause, à lui verser 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 15 mars 2023
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la recevabilité de la demande
La SA SOGEFI Filtration fait valoir que la demande est prescrite car Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes plus d'un an après la rupture de son contrat de travail.
Le litige porte toutefois, non pas sur la rupture du contrat de travail elle-même, mais sur le montant dû au titre de l'indemnité de départ à la retraite. À raison de la nature salariale de cette indemnité, la prescription applicable est triennale en application de l'article L 3245-1 du code du travail. Cette prescription, qui a commencé à courir le 31 juillet 2018 au moment du départ en retraite de Mme [F], n'avait pas expiré quand elle a saisi, le 16 juillet 2019, le conseil de prud'hommes. Sa demande est donc recevable.
2) Sur l'indemnité de départ en retraite
La SA SOGEFI Filtration a calculé le montant de cette indemnité en se fondant sur l'article 11-3° de l'accord national du 10 juillet 1970 relatif à la mensualisation dans le secteur de la métallurgie. Mme [F] soutient que son employeur, adhérent au syndicat UIMM signataire, aurait dû appliquer l'article 50 de la convention collective de la métallurgie du Calvados, selon elle plus favorable. La SA SOGEFI Filtration ne conteste pas que cet article lui soit applicable mais fait valoir, quant à elle, que l'accord national est globalement plus favorable.
Il convient donc de comparer les deux textes pour déterminer lequel des deux est globalement le plus favorable et doit, en conséquence, être appliqué.
' Sur les conditions générales requises
L'accord national, contrairement à la convention du Calvados, n'impose pas au salarié de liquider au préalable sa retraite complémentaire pour pouvoir bénéficier de cette indemnité.
En revanche, le délai de prévenance qui est d'un mois dans les deux textes pour les salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté passe à deux mois dans l'accord national pour les salariés ayant plus de deux ans d'ancienneté.
L'accord national est plus favorable en ce qu'il ne conditionne pas l'octroi de l'indemnité à la liquidation préalable de la retraite complémentaire -ce qui peut permettre une perception plus rapide de l'indemnité- mais est moins favorable quant au délai de prévenance dès que le salarié a plus de 2 ans d'ancienneté.
' Sur les conditions d'ancienneté
L'accord national accorde une indemnité de départ à la retraite à tous les salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté sans condition d'âge alors que la convention départementale n'accorde une indemnité qu'aux salariés ayant au moins 5 ans d'ancienneté s'ils sont âgés de 60 à 65 ans et ayant au moins 10 ans d'ancienneté s'ils ont au moins 65 ans. Aucune indemnité n'est prévue pour les salariés âgés de moins de 60 ans. Les dispositions de l'accord national sont donc plus favorables.
En revanche, la manière dont est calculée l'ancienneté est plus favorable dans la convention du Calvados. En effet, l'article 26 intitulé 'ancienneté prime d'ancienneté' définit 'pour l'application des dispositions de la présente convention' l'ancienneté comme le temps écoulé depuis la date d'engagement, sans exclusion des périodes de suspension du contrat de travail, période à laquelle s'ajoute la durée de présence continue au titre des contrats antérieurs.
Dans l'accord national, seule est prise en compte l'ancienneté acquise au titre du contrat en cours et l'ancienneté acquise au cours des contrats à durée déterminée ou d'intérim précédant immédiatement ce contrat.
' Sur le montant de l'indemnité
L'accord national prévoit un barème unique avec une indemnité minimale de 0,5 mois de salaire après deux ans d'ancienneté et maximale de 6 mois de salaire après 40 ans d'ancienneté avec 7 tranches (plus de 2 ans, plus de 5 ans, plus de 10 ans, plus de 20 ans, plus de 30 ans, plus de 40 ans).
La convention départementale est moins favorable pour les salariés partant à la retraite à partir de 65 ans. En effet l'indemnité minimale de 1,5 mois de salaire n'est acquise qu'après 10 ans d'ancienneté et l'indemnité maximale n'est que de 4 mois de salaire. En outre seules six tranches sont prévues (plus de 10 ans, plus de 15 ans, plus de 20 ans, plus de 25 ans, plus de 30 ans, plus de 35 ans). Enfin, l'ancienneté acquise après 65 ans n'est pas prise en compte. Quelque soit l'ancienneté du salarié partant à la retraite après 65 ans, sa situation est donc plus défavorable dans le cadre de la convention départementale.
En revanche, les salariés partant à la retraite entre 60 et 65 ans sont mieux traités dans la convention départementale hormis s'ils ont moins de 5 ans d'ancienneté (hypothèse dans laquelle ils ne perçoivent pas d'indemnité alors que l'accord national prévoit 0,5 mois de salaire après deux ans d'ancienneté). En effet, la convention départementale prévoit une indemnité minimale d'un mois de salaire pour les salariés ayant au moins 5 ans d'ancienneté et maximale de 8 mois de salaire après 40 ans d'ancienneté avec 8 seuils de progression de 5 ans en 5 ans soit une indemnité maximale plus importante et une progression plus fine et plus rapide. Ainsi, la convention départementale assure dès 10 ans d'ancienneté une indemnité plus importante de 0,5 mois, cette différence s'accentuant au fur et à mesure que l'ancienneté augmente.
Le montant de l'indemnité étant avantageux pour des catégories différentes de salariés (ceux prenant leur retraite avant 60 ans et après 65 ans ou ceux prenant leur retraite entre 60 et 65 ans), il convient d'apprécier le poids respectif de ces catégories de salariés. En effet, la comparaison ne pourrait qu'être faussée si un avantage concernant un nombre résiduel de salariés était mis en balance sans pondération avec un avantage concernant la grande majorité d'entre eux.
Il ressort des statistiques produites par Mme [F] qu'en 2018 (INSEE édition 2018), au niveau national, 58% des personnes âgées de 65 à 74 ans étaient actives. Les salariés susceptibles de relever de la convention de la métallurgie (cadre administratif et commercial, ingénieur et cadre technique, profession intermédiaire, employés et ouvriers) représentent en moyenne 10,2% de ces 58% d'actifs. Ainsi parmi les salariés de la métallurgie âgés de 65 à 74 ans, seuls 5,92% étaient encore actifs en 2018.
Le tableau établi par la CARSAT Normandie fait apparaître, quant à lui, qu'en 2018, environ 500 retraités sur 37 000 avaient moins de 60 ans soit 1,35%.
Les chiffres fournis par la SA SOGEFI Filtration confirment ce point. En effet, sur 139 salariés de l'établissement de [Localité 6] ayant pris leur retraite entre le 21 décembre 2004 et le 31 août 2019, aucun n'est parti après 65 ans et seuls 15 d'entre eux sont partis avant 60 ans, sachant de surcroît que le dernier salarié parti en retraite avant 60 ans (à 59,82 ans) est parti le 30 juin 2013.
La SA SOGEFI Filtration fait également valoir que figurent dans ses effectifs des salariés handicapés (9 à une date non précisée selon le tableau produit en pièce 7) qui seraient exclus du bénéfice des indemnités de départ à la retraite 's'ils venaient à justifier d'un taux d'incapacité de 50% et du nombre de trimestres cotisés'. La SA SOGEFI Filtration n'établit donc nullement que ces salariés dont l'âge varie entre 56,07 et 58,06 ans selon ce tableau remplissent les conditions pour pouvoir partir à la retraite avant 60 ans, aucun élément n'établissant que les deux conditions pointées par la SA SOGEFI Filtration et toute autre nécessaire pour pouvoir prétendre prendre sa retraite seraient remplies, elle n'établit pas, a fortiori, que ces salariés auraient l'intention de prendre leur retraite avant cet âge.
En 2018, l'accord national était donc plus favorable pour les 1,35% de salariés normands prenant leur retraite avant 60 ans et pour les 5,92% de salariés susceptibles de relever du secteur de la métallurgie prenant leur retraite après 65 ans.
En revanche, parmi les salariés normands prenant leur retraite entre 60 et 65 ans (soit en 2018 plus de 90% si l'on amalgame ces deux pourcentages), la convention départementale ne défavorise que ceux ayant entre 2 et 5 ans d'ancienneté. Cet inconvénient est d'ailleurs compensé pour partie puisque sont prises en compte, au titre de l'ancienneté, les périodes de suspension du contrat de travail et toutes les années travaillées dans l'entreprise même au titre de contrats antérieurs, contrairement à l'accord national, ce qui permet d'acquérir plus vite l'ancienneté nécessaire. Pour tous les autres salariés partant à la retraite entre 60 et 65 ans, la convention départementale est plus favorable parce que l'indemnité est plus progressive et plus généreuse.
En ce qui concerne les salariés de l'établissement de [Localité 6] de la SA SOGEFI Filtration, les 85 salariés qui ont pris leur retraite entre le 31 juillet 2013 et le 31 août 2019 auraient tous eu intérêt à voir appliquer la convention départementale puisqu'ils avaient tous entre 60 et 65 ans et tous une ancienneté supérieure à 5 ans.
Dès lors, il ressort de ces différents éléments que la convention départementale est globalement plus favorable que l'accord national.
Mme [F] est donc fondée à obtenir un rappel d'indemnité de départ à la retraite. La somme réclamée à ce titre n'étant pas contestée, ne serait-ce qu'à titre subsidiaire, par la SA SOGEFI Filtration sera retenue.
3) Sur la demande de dommages et intérêts
Avant de saisir le conseil de prud'hommes, Mme [F] a sollicité, amiablement, un solde d'indemnité de départ à la retraite.
Ne pas déférer à cette demande ne caractérise pas, en soi, une résistance abusive de la part de la SA SOGEFI Filtration. Elle a d'ailleurs eu gain de cause en première instance et fournit, notamment, un arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2018 concernant le même accord national comparé à la convention collective de la métallurgie de l'Ain qui pouvait l'inciter à penser que sa position était adéquate.
En conséquence, Mme [F] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
4) Sur les points annexes
La somme accordée à Mme [F] produira intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2019, date de réception par la SA SOGEFI Filtration de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation.
La SA SOGEFI Filtration devra remettre à Mme [F], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire et une attestation Pôle Emploi rectifiée. La présente décision n'affecte pas le certificat de travail, il n'y a donc pas lieu de prévoir la remise d'un nouveau certificat de travail. Le présent arrêt fixant les droits de Mme [F] il n'y a pas non plus lieu de prévoir la remise d'un nouveau solde de tout compte. En l'absence d'éléments permettant de craindre l'inexécution de cette mesure, il n'a pas lieu de l'assortir d'une astreinte.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [F] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SA SOGEFI Filtration sera condamnée à lui verser 900€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
- Infirme le jugement
- Statuant à nouveau
- Rejette la fin de non recevoir soulevée par la SA SOGEFI Filtration
- Condamne la SA SOGEFI Filtration à verser à Mme [F] 4 438,18€ bruts à titre de solde d'indemnité de départ à la retraite avec intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2019
- Dit que la SA SOGEFI Filtration devra remettre à Mme [F], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire et une attestation Pôle Emploi rectifiée
- Déboute Mme [F] du surplus de ses demandes
- Condamne la SA SOGEFI Filtration à verser 900€ à Mme [F] en application de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne la SA SOGEFI Filtration aux entiers dépens de première instance et d'appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
E. GOULARD L. DELAHAYE