N° N° RG 22/01183 - N° Portalis DBVC-V-B7G-G7MY
COUR D'APPEL DE CAEN
Minute n° 2023/
PROCÉDURE DE RÉPARATION A RAISON D'UNE DÉTENTION PROVISOIRE
ORDONNANCE DU 06 JUIN 2023
ENTRE LE REQUÉRANT :
Monsieur [X] [W]
[Adresse 2]
[Localité 1]
non comparant représenté par Me Kian BARAKAT, avocat au barreau de CAEN
ET:
MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
non comparant représenté par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION LORS DES DÉBATS :
PRÉSIDENTE
Madame Sandra ORUS, Première Présidente
MINISTÈRE PUBLIC
M. Patrice LEMONNIER, Avocat général
GREFFIER
Estelle FLEURY
DÉBATS
L'affaire a été appelée à l'audience publique du 07 Mars 2023 puis renvoyée à l'audience du 16 mai 2023
ORDONNANCE
rendue publiquement, le 6 juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, et signée par Madame Sandra ORUS, Première Présidente, et par Estelle FLEURY, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 2 décembre 2015, M. [X] [W] a été mis en examen pour chef de viol sur mineur de moins de 15 ans par un ascendant, d'atteinte sexuelle sur une mineure de moins de 15 ans et de proxénétisme sur une mineure de moins de 15 ans.
Par ordonnance rendue le même jour du juge des libertés et de la détention, M. [W] a été placé en détention provisoire.
Le 17 janvier 2017, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen a levé la détention provisoire de M. [W] et a ordonné son assignation à résidence avec surveillance électronique pour une durée de six mois, qui a été levée le 20 juillet 2017, au profit d'une mesure de contrôle judiciaire.
Le 20 novembre 2020, la cour criminelle du Calvados a acquitté M. [W].
Le 13 décembre 2021, le président de la cour d'assises de la Manche a constaté le désistement d'appel du procureur général.
Le 12 mai 2022, M. [W] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Caen aux fins d'indemnisation de son préjudice causé par la détention provisoire, et a sollicité sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, une indemnisation à hauteur de 80 000 euros en réparation de son préjudice moral, 6 000 euros en réparation de son préjudice matériel, et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [W], qui a toujours clamé son innocence, soutient qu'il a subi un choc et un traumatisme considérables du fait de cette première incarcération à 61 ans alors qu'il n'a jamais connu de poursuites pénales auparavant, des conditions de détention difficiles de la maison d'arrêt de [Localité 5], du peu de visites qu'il a reçues et de l'impossibilité de rencontrer sa mère pendant sa détention.
Il explique aussi avoir des difficultés à retrouver une vie normale car il a subi l'éloignement de ses enfants et de ses proches du fait de cette affaire, et souffert depuis son enfermement de dépression, d'une importante perte de poids et de problèmes cardiaques.
Dans ses conclusions, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à la recevabilité de la requête ; sollicite qu'il soit alloué la somme de 40 000 euros à M. [W] en indemnisation de son préjudice moral et la somme de 2 000 euros en indemnisation de son préjudice matériel ; qu'il soit débouté du surplus de ses demandes et que les frais irrépétibles soient fixés à de plus justes proportions.
Il fait essentiellement valoir que même s'il s'agit d'une première incarcération, M. [W] a déjà été condamné pour des faits de conduite de véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, et qu'il a déjà connu des troubles antérieurement à son placement en détention ; que la preuve des violences subies en prison n'est pas rapportée.
Pour autant, l'agent judiciaire de l'Etat admet qu'une première incarcération à son âge, dans les conditions de détention de la maison d'arrêt de [Localité 5] sont des circonstances à prendre en compte pour apprécier la réparation de son préjudice moral.
Enfin, il ajoute que la facture de son conseil pour avoir assuré sa défense ne détaille pas les diligences entreprises, alors que seules celles effectuées au titre de la détention provisoire sont indemnisables.
Dans ses conclusions, le ministère public soutient que le préjudice de M. [W] lié à ses souffrances morales est incontestable, et qu'il convient de l'indemniser à hauteur de 45 000 euros.
Il rejoint les développements de l'agent judiciaire de l'Etat sur le rejet de la réparation du préjudice matériel.
SUR CE,
Vu les pièces de la procédure et les documents joints.
Sur la recevabilité de la requête
Il résulte de l'article 149 du code de procédure pénale qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement lié à la privation de liberté.
L'article 149-2 du code de procédure pénale précise que la requête en réparation de détention doit être déposée dans les six mois de la décision.
La requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code. Le délai de six mois ne courant à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit à demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code de procédure pénale.
En l'espèce l'arrêt d'acquittement a été rendu le 20 novembre 2020, et est devenu définitif par le constat du désistement d'appel du procureur de la République.
La requête de M. [W] a été déposée le 12 mai 2022, dans le délai de six mois suivant l'arrêt d'acquittement devenu définitif.
Dès lors, la requête de M. [W] est recevable sur la forme, en application de l'article 149-2 du code de procédure pénale.
Sur la réparation du préjudice moral
M. [W] a été incarcéré à la maison d'arrêt de [Localité 5] du 2 décembre 2015 au 17 janvier 2017, soit 412 jours de détention provisoire, puis placé sous assignation à résidence pour une durée de six mois à compter du 17 janvier 2017, soit 184 jours.
Il était âgé de 61 ans au moment de son placement en détention provisoire, soit une situation qu'il n'avait jamais connue auparavant.
Le choc carcéral important subi de ce seul fait, accentué par les conditions d'accueil inhérentes à la maison d'arrêt de [Localité 5], sont des facteurs aggravants du préjudice moral qui doivent être pris en considération.
En outre, la nature des faits reprochés à M. [W], ainsi que la négation constante de sa culpabilité doivent également être pris en considération dans l'appréciation du préjudice moral qu'il a subi lors de sa détention.
S'il est incontestable que M. [W] souffrait déjà de troubles dépressifs antérieurement à son incarcération, il n'en demeure pas moins que son état de santé s'est aggravé pendant sa détention, essentiellement démontré par sa grande perte de poids et son hospitalisation pour un problème cardiaque.
Enfin, s'il est constant que la rupture du lien familial ne peut être imputée à la seule incarcération, M. [W] a néanmoins été privé de contact avec ses proches durant sa détention provisoire.
En conséquence, il convient de faire partiellement droit à la demande de M. [W] et de fixer la réparation de son préjudice moral lié à sa détention provisoire à la somme de 40 000 euros.
Sur le préjudice matériel
Si M. [W] a exposé des frais pour sa défense pendant son incarcération, il est relevé que les diligences facturées pour les actes effectués dans le cadre de sa détention provisoire ne sont pas établis à la hauteur des sommes requises.
Il convient de faire droit partiellement à la demande de M. [W] et de fixer la réparation de son préjudice matériel lié à sa détention provisoire à la somme de 2 000 euros.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Contraint d'agir en justice pour obtenir la réparation de son préjudice, M. [W] sera indemnisé de ses frais irrépétibles à hauteur de la somme de 3 000 euros.
Les dépens de la présente procédure doivent être mis à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS
Nous, Sandra Orus, première présidente de la cour d'appel de Caen,
Statuant en audience publique par ordonnance contradictoire susceptible de recours ,
Recevons M. [X] [W] en sa requête ;
Lui allouons les montants suivants :
40 000 euros en indemnisation de son préjudice moral;
2 000 euros en indemnisation de son préjudice matériel;
3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mettons les dépens à la charge du Trésor public.
LA GREFFIERE LA PREMIERE PRÉSIDENTE
Estelle FLEURY Sandra ORUS