AFFAIRE : N° RG 20/02834
N° Portalis DBVC-V-B7E-GUXP
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 18 Novembre 2020 - RG n° 16/00249
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 02 MARS 2023
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par M. [S], mandaté
INTIMEE :
S.A. [4]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me POTIER, substitué par Me HUBERT de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 05 janvier 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 02 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche d'un jugement rendu le 18 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à la société [4].
FAITS et PROCEDURE
M. [J] [O] a travaillé au sein de la société [4] (la société) en qualité de charpentier fer de 1998 à 2010.
Le 13 octobre 2015, il a établi une déclaration de maladie professionnelle au titre d'un 'carcinome bronchique 30 bis'.
Le certificat médical initial du 1er octobre 2015 fait état d'une 'carcinome bronchique en lien avec une exposition professionnelle à l'amiante, maladie figurant dans le tableau 30 bis du régime général. Les premiers symptômes remontent au 18 août 2015.'
Par courrier du 23 décembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ( la caisse) a informé la société de la prise en charge de la maladie déclarée par M. [O] (cancer broncho-pulmonaire) sur le fondement du tableau 30 bis, au titre de la législation professionnelle.
La société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse le 19 février 2016.
La société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche d'un recours contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par jugement du 18 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Coutances, auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :
- déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par M. [O] le 1er octobre 2015 ainsi que ses conséquences; la caisse ne justifiant pas que la condition tenant à la liste limitative des travaux de la pathologie soit remplie ;
- condamné la caisse aux dépens.
Par déclaration du 18 décembre 2020, la caisse a formé appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 26 décembre 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Coutances du 18 novembre 2020
- constater que M. [O] a effectué des travaux prévus au tableau 30 bis des maladies professionnelles l'ayant exposé à l'amiante
- constater que les conditions de prise en charge de la pathologie de M. [O] au titre du tableau n° 30° bis sont bien réunies
- déclarer opposable à la société la décision de prise en charge de la pathologie de M. [O] au titre du tableau n° 30 bis
- condamner l'employeur aux dépens.
Par conclusions soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions écrites conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale dispose que :
'Les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.'
(...)
'Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée de l'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladie professionnelle peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions de l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle. '
En l'espèce, la déclaration de maladie professionnelle de M. [O] du 13 octobre 2015 mentionne un 'carcinome bronchique 30 bis'.
Le certificat médical initial du 1er octobre 2015 fait état d'une 'carcinome bronchique en lien avec une exposition professionnelle à l'amiante, maladie figurant dans le tableau 30 bis du régime général. Les premiers symptômes remontent au 18 août 2015.'
La caisse a pris en charge cette maladie au titre de la législation sur les risques professionnels sur le fondement du tableau n° 30 bis.
La société reconnaît que les conditions prévues par ce tableau tenant à la désignation de la maladie (cancer broncho-pulmonaire primitif) et au délai de prise en charge (40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans) sont remplies.
En revanche, la société conteste la condition tenant à l'exposition au risque.
La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie mentionnée au tableau n° 30 bis est la suivante :
'Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante
Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac
Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante
Travaux de retrait d'amiante
Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante
Travaux de construction et de réparation navale
Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante
Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante
Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.'
Il est constant que M. [O] a travaillé au sein de la société en qualité de charpentier fer pour la période de 1998 à 2010.
Les parties rappellent qu'à ce titre, il réalisait les travaux suivants : le meulage, le découpage, le traçage et le tronçonnage de tôles acier et aluminium pour la fabrication des blocs et coques de bateaux.
Les matériaux sur lesquels M. [O] a travaillé n'étaient donc pas constitués d'amiante puisqu'il s'agit de matériaux en acier et aluminium.
La caisse fait état de l'utilisation de gants, de coussins amiantés et de toiles d'amiante pour se protéger de la chaleur ou protéger les armoires électriques et les pièces mécaniques, de travail à proximité des calorifugeurs posant des isolants en amiante.
Toutefois, ces éléments ne concernent pas la société [4], mais le précédent employeur de M. [O], la société [6] pour laquelle il a travaillé de 1978 à 1984 en qualité de monteur tuyauteur.
C'est d'ailleurs ce qu'a retenu le rapport d'enquête de la caisse qui conclut uniquement à une 'exposition environnementale à la poussière d'amiante' de M. [O] au sein de la société [4].
La condition tenant aux activités limitativement énumérées au tableau n° 30 bis n'est donc pas remplie puisqu'il est seulement établi que le salarié a été exposé à un risque environnemental à la poussière d'amiante au sein de la société [4].
L'arrêt du 5 mars 2020 concernant la même société sur lequel se fonde la caisse ne peut être transposé puisqu'il porte sur une maladie déclarée au titre du tableau n° 30 A, qui ne prévoit qu'une liste indicative de travaux susceptibles de provoquer la maladie et non une liste limitative comme le tableau n° 30 bis.
Plus généralement, les arrêts des cours d'appel de Rennes et de Caen invoqués par la caisse ne constituent pas des éléments de preuve permettant d'établir que les conditions du tableau 30 bis sont remplies à l'égard de M. [O].
Compte tenu de ces observations, la caisse ne démontre pas que la maladie de M. [O] a été contractée dans les conditions du tableau n° 30 bis.
Elle ne pouvait donc prendre en charge cette maladie au titre d'une exposition environnementale (c'est à dire hors tableau) qu'après avoir recueilli l'avis motivé du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, ce qu'elle n'a pas fait.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à la société, la décision de la caisse de prise en charge de la maladie déclarée par M. [O] au titre de la législation professionnelle.
Le jugement sera toutefois rectifié en ce sens qu'il indique par erreur dans son dispositif qu'il s'agit de la maladie déclarée le 1er octobre 2015 alors qu'il s'agit de la maladie déclarée le 13 octobre 2015.
Confirmé sur le principal, le jugement sera aussi confirmé sur les dépens.
Succombant, la caisse sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rectifie le jugement déféré en ce sens que la mention du dispositif 'le 1er octobre 2015' est remplacée par la mention 'le 13 octobre 2015';
Confirme le jugement déféré ainsi rectifié;
Y ajoutant,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche à payer les dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX