AFFAIRE : N° RG 20/02746
N° Portalis DBVC-V-B7E-GURN
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle Social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 17 Novembre 2020 - RG n° 19/01234
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 02 MARS 2023
APPELANTE :
Madame [B] [M]
[Adresse 4]
Comparante en personne, assistée de Me Louise BENNETT, avocat au barreau de CAEN
INTIMES :
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
COLLEGE [10]
[Adresse 6]
Mutuelle [9]
[Adresse 3]
Non comparants ni représentés
INTERVENANTE :
CAISSE PRIMAIRE D ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par M. [K], mandaté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Président de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 05 janvier 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 02 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [M] d'un jugement rendu le 17 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant au collège [V] [L], au Rectorat de Paris, à l'agent judiciaire de l'Etat, la [9].
FAITS et PROCEDURE
Mme [M] a été embauchée en qualité d'assistante d'éducation par le collège [10] à [Localité 5] pour la période du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, sur le fondement des dispositions de l'article L.616-1 du code de l'éducation et du décret n° 2003-484 du 6 juin 2003 fixant les conditions de recrutement et d'emploi des assistants d'éducation.
Son contrat a été renouvelé à deux reprises jusqu'au 31 août 2016.
Elle a été victime d'un accident le 5 février 2016, alors qu'elle exerçait ses fonctions de surveillance des élèves dans la cour de récréation du collège.
Le 8 février 2016, le chef d'établissement du collège lui a délivré un certificat de prise en charge de cet accident.
Le 17 février 2016, Mme [M] a complété une déclaration d'accident du travail auprès du rectorat du [Localité 5]. Elle y a mentionné, au titre des circonstances détaillées de l'accident : 'je me trouvais dans le préau et le surveillais, tandis que mon collègue surveillait la cour. Je me suis assise quelques minutes sur un banc avec quelques élèves. Un élève de sixième m'a cognée très fortement à la tête par l'arrière. J'ai eu une bosse et un mal de cou très important'.
Elle a précisé à la rubrique 'les blessures ou lésions apparentes sont les suivantes' : 'bosse à l'arrière droite de la tête, et douleur à la nuque, à droite'.
Elle a été placée en arrêt de travail du 5 février 2016 au 4 mars 2016 et a repris ses fonctions au collège le 7 mars 2016.
Le 12 octobre 2017, Mme [M] a écrit au rectorat de [Localité 5] pour obtenir la reconnaissance en accident du travail du syndrome post-traumatique dont elle souffrait, et qui aurait été responsable de l'apparition la crise d'endométriose dont elle a souffert entre 2016 et 2017.
Après expertise par un médecin agréé par l'administration, Mme [M] a été informée de la décision du recteur de l'académie de [Localité 5], en date du 11 janvier 2018, portant reconnaissance du stress post-traumatique comme étant imputable au service.
Par le même courrier, elle a été informée que sa pathologie développée en octobre 2016 (endométriose) ne pouvait être prise en charge au titre de l'accident du travail du 5 février 2016.
Par courrier du 28 avril 2019, Mme [M] a saisi la [9] ([9]) de [Localité 5] aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. La [9] n'a pas répondu à ce courrier.
Par recours déposé le 28 novembre 2019, Mme [M] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Caen d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, l'agent judiciaire de l'Etat.
Selon jugement du 17 novembre 2020, le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Caen a :
- donné acte à l'agent judiciaire de l'Etat de son intervention volontaire,
- mis le rectorat de [Localité 5] hors de cause,
- déclaré recevable l'action de Mme [M],
Vu l'absence de faute inexcusable établie à l'encontre de l'employeur,
- débouté Mme [M] de toutes ses demandes,
- débouté l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [M], en tant que de besoin, aux dépens.
Mme [M] a formé appel de ce jugement par déclaration du 10 décembre 2020.
Par acte d'huissier en date du 29 septembre 2022, Mme [M] a fait assigner la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados ('la caisse') aux fins de mise en cause devant la cour d'appel de Caen.
Aux termes de ses conclusions déposées le 16 décembre 2022 et soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [M] demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté Mme [M] de toutes ses demandes,
- condamné Mme [M], en tant que de besoin, aux dépens.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- constater que l'agent judiciaire de l'Etat a commis une faute inexcusable à l'égard de Mme [M] en ce que rien n'a été fait pour empêcher le développement du stress post-traumatique après l'agression du 5 février 2016,
A titre subsidiaire,
- constater que l'agent judiciaire de l'Etat a commis une faute inexcusable à l'égard de Mme [M] en ce que rien n'a été fait pour empêcher l'agression dont elle a été victime le 5 février 2016 et limiter les conséquences traumatiques de celle-ci,
En tout état de cause,
- dire qu'il existe un lien causal certain entre le stress post-traumatique dont a souffert Mme [M] et la crise d'endométriose dont elle a souffert entre 2016 et 2017,
- accorder à Mme [M] pour l'avenir, lorsque son état sera consolidé, la majoration maximale de la rente,
- dire que cette majoration suivra automatiquement l'augmentation du taux d'IPP en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime,
- dire que l'agent judiciaire de l'Etat devra indemniser Mme [M] de tous ses préjudices,
Avant-dire-droit,
- ordonner une expertise judiciaire sur la personne de Mme [M],
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de donner tout élément médical permettant d'évaluer les préjudices subis par Mme [M],
- rejeter les entières demandes de l'agent judiciaire de l'Etat et de la caisse,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [M] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Suivant conclusions déposées le 19 décembre 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, l'agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions sauf en ce qu'il rejette la demande de l'agent judiciaire de l'Etat au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [M] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 1 897,20 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens d'appel ;
Subsidiairement,
- constater les protestations et réserves de l'agent judiciaire de l'Etat sur la mesure d'expertise judiciaire,
- limiter la mission de l'expert à l'examen des postes de préjudices réparables en application de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, à savoir :
. des préjudices de l'article L.452-3 du code de sécurité sociale :
- souffrances physiques et morales,
- préjudice esthétique,
- préjudice d'agrément,
- préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
. et des postes non couverts par le livre IV du code de sécurité sociale :
- le déficit fonctionnel temporaire,
- l'assistance à tierce personne temporaire avant consolidation,
- les frais de logement adapté,
- les frais de véhicule adapté,
- le préjudice sexuel,
- les préjudices permanents exceptionnels.
- rappeler que les frais d'expertise judiciaire seront avancés et réglés par la caisse.
Par écritures déposées le 8 décembre 2022, soutenues oralement à l'audience par son représentant, la caisse demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire en cas d'infirmation du jugement,
- prendre acte qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur,
Dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait reconnue,
- fixer dans les limites prévues à l'article L.452-2 du code de sécurité sociale, la majoration de capital ou de rente due à Mme [M] si tant que soit prouvé qu'elle soit consolidée et qu'un taux d'IPP lui ait été octroyé, ainsi que la réparation de ses préjudices extra patrimoniaux, conformément à l'article L.452-3 du code de sécurité sociale,
- renvoyer Mme [M] devant la caisse pour la liquidation de ses droits,
- faire application de l'article L.452-3-1 du code de sécurité sociale,
- donner acte à la caisse de ses droits à remboursement de ses charges relatives à la reconnaissance de la faute inexcusable (frais d'expertise, majoration du capital/rente le cas échéant et préjudices) auprès de l'employeur l'Agent judiciaire de l'Etat.
Le collège [V] [L] et la Mutuelle [9], régulièrement convoqués par courriers recommandés avec accusés de réception,tous deux signés le 24 juin 2022, ne sont ni présents ni représentés.
Les conclusions du conseil de Mme [M] ont été régulièrement signifiées au Collège [V] [L] par acte du 23 octobre 2022.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Le jugement entrepris n'est pas remis en cause en ce qu'il a :
- donné acte à l'agent judiciaire de l'Etat de son intervention volontaire,
- mis le rectorat de [Localité 5] hors de cause,
- déclaré recevable l'action de Mme [M].
Ces dispositions sont donc acquises.
- Sur la faute inexcusable
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.
Pour apprécier cette conscience du danger et l'adaptation des mesures prises aux risques encourus, les circonstances de l'accident doivent être établies de façon certaine.
En l'espèce, et à titre principal, Mme [M] fait valoir que son employeur ne pouvait ignorer le risque de développement d'un syndrome post-traumatique après son agression et qu'aucune mesure n'a été prise pour la protéger.
Elle souligne qu'en indiquant expressément que le stress post-traumatique dont elle souffre était 'imputable au service', le rectorat de [Localité 5] a entendu qualifier le stress post-traumatique d'accident du travail à part entière. Elle ajoute que son employeur avait une parfaite connaissance de l'agression survenue le 5 février 2016, qu'elle a ensuite bénéficié d'arrêts de travail, mais que l'employeur ne s'est pas assuré de son état de santé à son retour d'arrêt de travail et ne lui a proposé aucune aide psychologique. Elle estime donc que rien n'a été fait pour éviter qu'un stress post-traumatique ne s'installe.
En réplique, l'agent judiciaire de l'Etat déclare que le syndrome de stress post-traumatique n'est pas l'événement constitutif de l'accident mais découle de celui survenu le 5 février 2016.
Il résulte du rapport de l'expertise diligentée par le rectorat de [Localité 5], et réalisée par le docteur [D] le 27 novembre 2017, que 'l'accident du 5 février 2016 peut en effet avoir généré un stress immédiat mais suivi d'une longue période de réparation. Le stress post-traumatique doit donc être retenu, les soins afférents pris en charge au titre de la réglementation sur les accidents de service.'
Il n'est ainsi pas contestable que le stress post-traumatique est la conséquence de l'accident du travail du 5 février 2016, et que c'est à ce titre que ce syndrome a été reconnu imputable au service.
Le stress post-traumatique ne constitue pas l'accident dont la prise en charge au titre de la législation professionnelle a été reconnue, il en constitue le retentissement psychique qui s'est développé par la suite.
Par conséquent, il ne peut fonder l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Mme [M] doit être déboutée de sa demande à ce titre.
A titre subsidiaire, elle sollicite la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur au titre de l'accident du travail survenu le 5 février 2016.
Elle fait valoir que :
- les agressions des enseignants et membres du personnel des établissements scolaires sont de plus en plus fréquents,
- aucune commission d'hygiène et de sécurité n'a été mise en place,
- aucun programme annuel de prévention des risques et d'amélioration des conditions d'hygiène et de sécurité n'a été établi,
- elle n'a reçu aucune formation relative à la manière de gérer les élèves durant la récréation et éviter toute agression.
L'agent judiciaire de l'Etat s'interroge sur la qualification d'agression pour l'accident du 5 février 2016. Il estime qu'aucun élément du dossier n'apporte la preuve d'un risque tangible d'une agression physique d'un adulte chargé d'une mission d'éducation au sein de l'établissement scolaire.
Mme [M] produit des articles de journaux relatifs à des agressions en milieu scolaire.
L'appelante se réfère ainsi à des considérations générales, sans apporter la preuve d'un risque particulier au sein du collège, qui ne fait pas partie des réseaux d'éducation prioritaire de l'académie de [Localité 5] pour l'année 2015/2016, et dont son employeur aurait eu ou aurait dû avoir conscience.
Elle produit la copie d'un courrier, non daté et non signé, portant mention tapuscrite, au titre de l'auteur, de M. [I] [H], professeur de mathématiques au collège [10], co-secrétaire général de la [8].
Il écrit : '[...]en janvier 2016, j'ai été alerté par Mme [M] au sujet de la gestion d'un élève de 6ème particulièrement difficile. Elle se sentait désemparée et demandait une sanction de la part de l'administration. A cette occasion, nous avons eu quelques échanges sur la gestion de ce type d'élèves dans notre établissement accueillant une grande diversité de profils.
En février 2016, j'ai soutenu Mme [M] à l'occasion d'un arrêt de travail consécutif à un coup reçu par un élève. Touchée au cou, je lui ai fourni des informations concernant la démarche à entreprendre pour une déclaration d'accident du travail.
Lors de tous ces échanges, Mme [M] ne m'a, à aucun moment, fait part de critiques ou d'un quelconque désaccord à l'encontre des CPE et en particulier de Mme [C].'
Il ne ressort cependant ni de ce courrier ni du dossier que l'élève qui a été à l'origine de l'accident du 5 février 2016 aurait été celui au sujet duquel Mme [M] avait alerté M. [H]. Il n'est de surcroît établi par aucun élément du dossier, que Mme [M] aurait effectivement procédé à un signalement auprès de son employeur concernant l'attitude d'un élève de sixième ou d'une autre classe.
Mme [M] est ainsi défaillante dans l'administration de la preuve, qui lui incombe, de la conscience que son employeur avait ou aurait dû avoir du danger auquel elle était exposée.
Le jugement mérite par conséquent confirmation en ce que, au vu de l'absence de faute inexcusable, il a débouté Mme [M] de l'ensemble de ses demandes.
- Sur les demandes accessoires
Succombant en ses demandes, Mme [M] sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat la charge de ses frais irrépétibles. Il sera donc débouté de sa demande présentée à ce titre et le jugement confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré ;
Déboute Mme [M] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [M] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX