AFFAIRE : N° RG 20/02652
N° Portalis DBVC-V-B7E-GUKY
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 10 Novembre 2020 - RG n° 19/00448
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 02 MARS 2023
APPELANTE :
URSSAF de Normandie venant aux droits de l'URSSAF de Basse-Normandie
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Mme [S], mandatée
INTIMEE :
S.A.R.L. [5] Prise en la personne de son gérant
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l'audience publique du 02 janvier 2023, tenue par M. GANCE, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de Chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 02 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par l'Urssaf Normandie venant aux droits de l'Urssaf de Basse-Normandie d'un jugement rendu le 10 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à la société [5] (la société).
FAITS ET PROCEDURE
Suite à un contrôle du 25 juillet 2018, l'Urssaf de Basse-Normandie (l'Urssaf) a adressé à la société [5] (la société) une lettre d'observations du 5 novembre 2018 concluant à un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS de 4 890 euros calculé sur la base d'un redressement forfaitaire au titre du travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, outre 1223 euros de majoration de redressement complémentaire.
Le 24 janvier 2019, l'Urssaf a adressé à la société une mise en demeure de payer la somme de 6416 euros au titre du rappel de cotisations et contributions à hauteur de 4890 euros, des majorations de redressement de 1223 euros et des majorations de retard de 303 euros.
Le 11 mars 2019, l'Urssaf a émis une contrainte à l'encontre de la société à hauteur de la somme de 6416 euros.
La société a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal de grande instance de Caen le 25 mars 2019.
Par jugement du 10 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Caen a :
- déclaré recevable l'opposition formée par la société à l'encontre de la contrainte du 11 mars 2019
- annulé la mise en demeure du 24 janvier 2019
- annulé la contrainte émise le 11 mars 2019 par l'Urssaf d'un montant de 6416 euros pour des cotisations et contributions sociales, ainsi que des majorations de retard au titre du mois de juillet 2018
- rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire
- condamné l'Urssaf à payer à la société la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné l'Urssaf aux dépens en tant que de besoin.
L'Urssaf a formé appel de ce jugement par déclaration du 2 décembre 2020.
Par conclusions reçues au greffe le 8 décembre 2022 soutenues oralement à l'audience, l'Urssaf demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a :
* déclaré recevable l'opposition formée par la société à l'encontre de la contrainte du 11 mars 2019
* annulé la mise en demeure du 24 janvier 2019
* annulé la contrainte émise le 11 mars 2019 d'un montant de 6 416 euros
* rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire
* condamné l'Urssaf à payer à la société la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* condamné l'Urssaf aux dépens en tant que de besoin
statuant nouveau,
- valider le redressement opéré en son principe et son montant
- valider la mise en demeure préalable à la contrainte du 11 mars 2019
- valider la contrainte du 11 mars 2019
y ajoutant,
- condamner la société à payer 6 416 euros au titre des cotisations sociales et majorations de retard au titre du mois de juillet 2018, sans préjudice des majorations de retard restant à courir
- dire que les frais de signification sont à la charge de la société
- statuer ce que de droit sur le surplus.
Par conclusions reçues au greffe le 25 octobre 2022 soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions
- débouter l'Urssaf de ses demandes
y ajoutant,
- condamner l'Urssaf à payer à la société la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
subsidiairement,
- débouter l'Urssaf de ses demandes tendant à :
* valider le redressement dans son principe et son montant
* valider la mise en demeure
* valider la contrainte du 11 mars 2019 d'un montant de 6 416 euros
- débouter l'Urssaf de sa demande tendant à condamner la société à lui régler la somme de 6416 euros au titre des cotisations sociales et majorations de retard, laquelle devra être limitée au montant des cotisations et majorations restant dues pour l'activité réellement exercée les 24 et 25 juillet 2018, soit 11,342 euros
- débouter l'Urssaf du surplus de ses demandes
- condamner l'Urssaf à payer à la société la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures.
MOTIFS
Les parties s'accordent sur la recevabilité de l'opposition à contrainte.
La disposition du jugement déféré afférente à la recevabilité de l'opposition à contrainte est donc définitive.
- Sur la nullité de la mise en demeure
L'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale dispose que 'Toute action ou poursuite effectuée en application de l'article précédent ou des articles L. 244-6 et L. 244-8-1 est obligatoirement précédée, si elle a lieu à la requête du ministère public, d'un avertissement par lettre recommandée de l'autorité compétente de l'Etat invitant l'employeur ou le travailleur indépendant à régulariser sa situation dans le mois. Si la poursuite n'a pas lieu à la requête du ministère public, ledit avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée ou par tout moyen donnant date certaine à sa réception par l'employeur ou le travailleur indépendant'.
Il est constant qu'à peine de nullité, la mise en demeure doit mentionner expressément le délai d'un mois dont dispose le débiteur pour régulariser sa situation.
En l'espèce, la société prétend que la mise en demeure n'est pas conforme en ce que le délai d'un mois n'est pas mentionné expressément dans le 'libellé de la mise en demeure', mais au recto dans une formule 'en petits caractères peu lisible'.
La mise en demeure du 24 janvier 2019 indique au recto :
'L'examen de votre compte fait ressortir que vous restez redevable d'une somme dont vous trouverez le détail ci-dessous.
La présente constitue la mise en demeure obligatoire en vertu de l'article L 244-2 du code de la sécurité sociale.
À défaut de règlement des sommes dues, nous serons fondés à engager des poursuites sans nouvel avis et dans les conditions indiquées au verso'.
Il est ainsi expressément renvoyé aux conditions indiquées au verso qui mentionnent notamment :
'(...)
Quelles sont les voies de recours '
À défaut de règlement dans le délai d'un mois suivant la date de réception de la présente, l'Urssaf est fondée à engager les poursuites sans nouvel avis.
(..)'.
Il en résulte donc que le délai d'un mois pour régulariser la situation avant que ne soient engagées des poursuites sans nouvel avis, est mentionné expressément dans le document notifié à la société, la mention au recto de la mise en demeure renvoyant expressément à celle apposée au verso du même document qui fait état du délai d'un mois pour régler les sommes dues avant que l'Urssaf ne puisse mettre en oeuvre des poursuites.
Contrairement à ce qu'affirme la société, la mention du délai d'un mois au recto est facilement lisible.
Peu importe en outre qu'elle soit mentionnée après la phrase 'Quelles sont les voies de recours '', dans la mesure où il est seulement nécessaire que la mention du délai pour régulariser la situation avant l'engagement de poursuites, figure expressément dans la mise en demeure.
La société sera donc déboutée de sa demande de nullité de la mise en demeure.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé la mise en demeure du 24 janvier 2019.
- Sur l'existence d'une situation de travail dissimulé
L'article L 8221-5 du code du travail dispose 'qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'
L'article L 1221-10 du code du travail dispose que 'l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet. L'employeur accomplit cette déclaration dans tous les lieux de travail où sont employés des salariés'.
En l'espèce, il résulte de la lettre d'observations que les inspecteurs ont constaté le 25 juillet 2018 à 16 h 40 que M. [H] [K] était en situation de travail (pilotage d'un side-car avec un touriste à ses côtés) pour la société.
Celui-ci a indiqué aux inspecteurs qu'il était en période d'essai depuis deux jours, bénéficiait d'une rémunération de 50 euros par jour, qu'il était demandeur d'emploi et qu'il n'avait pas signé de contrat de travail avec la société.
Lors de son audition libre, le gérant de la société a d'abord indiqué qu'il avait demandé à M. [K] de travailler pour lui en qualité d'auto-entrepreneur.
Toutefois, le jour du contrôle, il avait donné d'autres explications, affirmant que M. [K] était en stage ou encore qu'il s'agissait d'un ami non rémunéré.
Confronté à ces contradictions, le gérant a fini par admettre au cours de son audition libre, qu'il avait 'conscience que la situation n'était pas légale' tout en ajoutant qu'il n'avait pas l'intention de frauder, mais qu'il reconnaissait avoir commis 'une faute'.
Par ailleurs, il est constant que la société décidait seule des prestations et des tarifs avec sa clientèle.
Il en résulte que M. [K] a accompli des prestations de travail pour la société notamment les 24 et 25 juillet 2018, en contrepartie d'une rémunération versée par la société, sous l'autorité du représentant de la société qui disposait en cette qualité du pouvoir de lui donner des ordres et des directives, en particulier en lui confiant la conduite d'un side-car et le transport des clients de la société.
La société affirme qu'aucune intention frauduleuse n'est caractérisée de telle sorte que le redressement est infondé.
Toutefois, s'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur.
Dans le cas présent, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi de M. [K] de telle sorte que l'Urssaf n'a pas à démontrer l'existence d'une intention frauduleuse de l'employeur.
La déclaration préalable à l'embauche de M. [K] n'a été faite que le 2 août 2018, soit après la date d'embauche.
En conclusion, l'Urssaf rapporte la preuve d'une situation de travail dissimulé au sens des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail justifiant un rappel de cotisations et contributions.
- Sur le montant du redressement
L'article L 242-1-2 du code de la sécurité sociale dispose que 'pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale et par dérogation à l'article L. 242-1, les rémunérations qui ont été versées ou qui sont dues à un salarié en contrepartie d'un travail dissimulé au sens des articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail sont, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée, évaluées forfaitairement à 25 % du plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du présent code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé. Ces rémunérations sont soumises à l'article L. 242-1-1 du présent code et sont réputées avoir été versées au cours du mois où le délit de travail dissimulé est constaté.'
Le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur en 2018 s'élevait à 39 732 euros.
En outre, l'article L 243-7-7 du code de la sécurité sociale ajoute que le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l'issue d'un contrôle réalisé en application de l'article L. 243-7 est majoré de 25 % en cas de constat de l'infraction définie aux articles L. 8221-3 et L.8221-5 du code du travail.
En l'espèce, la société prétend justifier que M. [K] n'a travaillé que deux jours de telle sorte que le redressement devrait être calculé sur la base d'une rémunération de 77,37 euros.
L'extrait Kbis indique que le début d'activité de la société remonte au mois d'avril 2018. Il est en outre justifié que deux side-cars ont été commandés et livrés à la société le 2 juin 2018 et qu'ils ont été assurés à compter du 1er juin 2018 (pièces n° 1 à 5).
L'expert comptable fait état des chiffres d'affaires de mai et juin 2018, limités à 368,19 euros et 556,36 euros (pièce n° 10).
Le certificat d'enregistrement du 21 août 2018 (pièce n° 11) n'a aucune valeur de preuve puisqu'il correspond uniquement aux déclarations de la société qui limitent l'existence d'un travail sur deux journées, étant rappelé que l'enregistrement a été effectué pratiquement un mois après le contrôle de l'Urssaf.
Compte tenu de ces observations, même si la société rapporte la preuve que son activité n'a débuté qu'au début du mois de juin 2018, les éléments qu'elle fournit ne permettent pas de déterminer les périodes et horaires de travail de M. [K] ainsi que le montant des rémunérations versées ou dues à ce dernier en contrepartie du travail fourni.
L'Urssaf était donc bien fondée à procéder à un redressement forfaitaire de 4890 euros au titre des cotisations et contributions de juillet 2018, sur la base d'une assiette de 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 9933 euros (39 732 euros x 25 %).
De même, c'est à juste titre que l'Urssaf a appliqué sur le montant des cotisations dues, une majoration de 25 % conformément à l'article L 243-7-7 du code de la sécurité sociale.
Le montant de la majoration pour travail dissimulé est donc de 1223 euros (soit 25 % de 4890 euros).
Le calcul des majorations de retard opéré par l'Urssaf n'est pas contesté. Il sera donc retenu à hauteur de 303 euros.
Il en résulte que la contrainte fondée sur la mise en demeure du 24 janvier 2019 est bien-fondée à hauteur de 4890 euros + 1223 euros + 303 euros = 6416 euros.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé la contrainte du 11 mars 2019.
Statuant à nouveau, il convient de valider la contrainte du 11 mars 2019 d'un montant de 6416 euros au titre des cotisations sociales, majoration du redressement et majorations de retard pour le mois de juillet 2018.
En outre, la société sera condamnée à payer à l'Urssaf la somme de 6416 euros au titre des cotisations sociales, majoration du redressement et majorations de retard pour le mois de juillet 2018.
Il sera dit que les frais de signification de la contrainte sont à la charge de la société.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement étant infirmé sur le principal, il sera aussi infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Statuant à nouveau, il convient de condamner la société aux dépens de première instance et de débouter la société de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.
Succombant en appel, la société sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition formée par la société [5] à l'encontre de la contrainte du 11 mars 2019 émise par l'Urssaf de Basse-Normandie aux droits de laquelle vient l'Urssaf Normandie;
L'infirme pour le surplus;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société [5] de ses demandes de nullité de la mise en demeure du 24 janvier 2019 et de nullité de la contrainte du 11 mars 2019;
Valide la mise en demeure du 24 janvier 2019;
Valide la contrainte du 11 mars 2019 d'un montant de 6416 euros au titre des cotisations sociales, majoration du redressement et majorations de retard pour le mois de juillet 2018;
Condamne la société [5] à payer à l'Urssaf Normandie la somme de 6416 euros au titre des cotisations sociales, majoration du redressement et majorations de retard pour le mois de juillet 2018:
Dit que les frais de signification de la contrainte sont à la charge de la société [5];
Condamne la société [5] aux dépens de première instance et d'appel;
Déboute la société [5] de ses demandes au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX