AFFAIRE : N° RG 21/02922
N° Portalis DBVC-V-B7F-G3OB
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Alençon en date du 22 Septembre 2021 - RG n° 20/00037
COUR D'APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 16 FEVRIER 2023
APPELANT :
Monsieur [G], [W] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Mélanie LERICHEUX, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Carine KALFON, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [U] [R]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Julie POMAR, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l'audience publique du 12 décembre 2022, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller, rédacteur
ARRET prononcé contradictoirement publiquement le 16 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
Mme [R] a été embauchée à compter du 1er septembre 2004 en qualité d'attachée commerciale d'agence par M. [X] agent d'assurances.
Le contrat a par la suite été transféré à M. [V] puis à M. [J].
Mme [R] a été licenciée pour faute grave le 20 novembre 2019.
Le 28 mai 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes d'Alençon aux fins de contester cette mesure, obrenir diverses indemnités à ce titre, outre des rappels de salaire et commissions.
Par jugement du 22 septembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Alençon a :
- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamné M. [J] à payer à Mme [R] les sommes de :
- 36 121 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif
- 7 224,24 euros à titre d'indemnité de préavis
- 722,42 euros à titre de congés payés afférents
- 15 351,51 euros à titre d'indemnité de licenciement
- 274,20 euros pour remboursement de la mise à pied conservatoire
- 3 612,12 euros pour non respect de la procédure de licenciement
- 21 672,72 euros pour préjudice professionnel
- 21 671,72 euros pour préjudice moral
- 1 509,31 euros au titre du maintien du salaire pendant l'arrêt maladie
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [J] remettre à Mme [R] des bulletins de salaire, une attestation pôle emploi, un certificat de travail, un solde de tout compte corrigés des sommes dues et des dates
- ordonné à M. [J] de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à dans la limite de 6 mois d'indemnités
- débouté les parties de leurs plus amples demandes
- condamné M. [J] aux dépens.
M. [J] a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'ayant condamné au paiement des sommes précitées et à la remise de pièces .
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 21 janvier 2022 pour l'appelant et du 15 avril 2022 pour l'intimée.
M. [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en celles des condamnations prononcées et le confirmer en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande de rappel de salaire au titre des commissions
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes.
Mme [R] demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a fixé la condamnation au titre du complément de salaire à 1 509,31 euros, rejeté les demandes de rappel de primes et commissions et limité les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 36 121 euros
- condamner M. [J] de ces chefs à lui payer les sommes de :
- 1 104,22 euros à titre de complément de salaire
- 110,42 euros à titre de congés payés afférents
- 2 514,70 euros à titre de rappel de commisions
- 251,47 euros à titre de congés payés afférents
- 3 617,14 euros à titre de rappel de prime sur objectifs
- 361,71 euros à titre de congés payés afférents
- 46 957,46 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel
- à titre subsidiaire, si la cour disait le licenciement pour cause réelle et sérieuse, condamner M. [J] à lui payer la somme de 3 612,12 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de procédure.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 novembre 2022.
SUR CE
1) Sur la demande de complément de salaire pendant l'arrêt maladie du 4 au 15 novembre 2019
Mme [R] soutient qu'elle aurait dû bénéficier du maintien intégral de sa rémunération déduction faite des indemnités journalières de la sécurité sociale.
Le principe de ce bénéfice n'est pas contesté de manière pertinente par l'employeur qui soutient que les premiers juges ont fait abstraction de l'obligation pesant sur le salarié de transmettre ses relevés d'IJSS afin qu'il puisse compléter le salaire, obligation qui n'a jamais été satisfaite.
Cependant, Mme [R] apporte des pièces non critiquées établissant que devant les premiers juges à tout le moins elle avait communiqué le relevé des IJSS perçues.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande qu'elle a réduite en cause d'appel afin de tenir compte de ces mêmes indemnités.
2) Sur le rappel de commissions et de primes sur objectifs
S'agissant du rappel de commissions, la demande est circonscrite à la période de deux mois courant de la notification de la rupture au 20 janvier 2020 au motif que le licenciement était infondé et en tout état de cause ne reposait pas sur une faute grave de sorte qu'un préavis de deux mois aurait dû être observé, onze contrats étant visés comme conclus à cette période.
Mais l'employeur oppose les stipulations de la convention collective suivant lesquelles à compter de la date de cessation du contrat de travail les salariés ne pourront prétendre à aucune des commissions sur les affaires qu'ils auraient apportées à l'agence pendant la période où ils faisaient partie du personnel outre les stipulations contractuelles suivant lesquelles Mme [R] percevait des commissions à la réalisation de chaque contrat qu'elle émet, Mme [R] ne s'explique pas en réponse sur ces points et ne présente pas d'éléments sur le fait qu'elle aurait 'émis' les contrats litigieux qui ont pris effet après son départ.
En cet état sa demande n'est pas fondée.
S'agissant des primes sur objectifs prévues à l'avenant signé le 3 janvier 2013, Mme [R] a indiqué le 25 novembre 2019 à son employeur qu'elle s'estimait créancière ayant atteint ses objectifs, l'employeur qui a contesté en réponse les commissions réclamées n'a pas répondu sur les primes pas plus qu'il ne présente d'observations et de contestations dans le cadre du débat devant la cour de sorte qu'il sera fait droit à la demande pour le montant réclamé de 3 617,14 euros non critiqué.
3) Sur le licenciement
La lettre de licenciement expose que le 4 octobre 2019, au retour d'une formation à [Localité 4] la salariée a mis ses collègues (Mme [T] [L] et Mme [F] [S]) en danger avec une conduite dangereuse alors qu'une dispute avait lieu dans le véhicule et que les collègues lui avaient demandé à plusieurs reprises de s'arrêter pour se calmer ou de changer de conducteur.
Elle expose ensuite que des entretiens individuels ont eu lieu entre les 16 et le 17 octobre avec les personnes concernées conduisant à conclure à une nécessaire cohésion d'équipe mais que cependant le 18 octobre une nouvelle dispute a eu lieu au cours de laquelle Mme [R] a verbalement menacé sa collègue [T] sous les yeux de [F].
M. [J] expose que le 4 octobre Mme [L] et Mme [S] sont arrivées en état de choc à l'agence et l'ont immédiatement alerté en lui remettant chacune un courrier datés pourl'un du 4 octobre pour l'autre du 5 et qu'il verse aux débats en copies en pièces 13 et 14.
Mme [R] observe exactement que rien n'établit à quel moment ces correspondances ont pu en réalité être établies et remises à l'employeur et force est de relever que ce dernier ne conteste pas les affirmations selon lesquelles elles n'ont pu l'être aux dates indiquées ni leurs auteurs se présenter en état de choc à l'agence dès lors qu'elles avaient été le 4 raccompagnées à leur domicile et que le 5 était un jour de fermeture de l'agence.
L'envoi par Mme [R] elle-même à l'employeur d'un mail le 7 octobre est quant à lui avéré par la production du mail en question aux termes duquel celle-ci signifie à son employeur avoir subi une virulente altercation de ses collègues pendant le trajet de retour de la formation soit un déferlement de reproches, colère, haine tout à fait irrationnel et inacceptable alors qu'elle était au volant et aurait pu perdre la maîtrise.
Il est constant que cette correspondance n'a appelé aucune réponse écrite de M. [J] lequel, alors qu'il soutient avoir été informé dès avant par les deux collègues de faits graves, n'a, suivant ce qu'il indique dans la lettre de licenciement, convoqué les protagonistes pour des entretiens que les 16 et 17 octobre, estimant au surplus suivant encore les indications de la lettre de licenciement que sa réponse consistait alors simplement à appeler à une nécessaire cohésion d'équipe.
En cet état, il doit être jugé qu'il n'est pas suffisamment établi que Mme [R] aurait eu sur la route un comportement fautif.
Sur les faits du 18 octobre, sont produits à nouveau en copie des documents dactylographiés supposés être des lettres adressées le 18 octobre 2019 par Mmes [L] et [S], aucune preuve de remise ou d'envoi à cette date ou à une autre date n'étant davantage apportée.
De surcroît Mme [L] se borne à indiquer qu'après qu'elle ait fait la bise à Mme [R] puis pris un café elle a entendu Mme [R] crier puis lui indiquer que la prochaine fois elle n'avait qu'à lui mettre un coupe de boule directement en lui reprochant de faire de gros bisous à [F] mais pas à elle, qu'elle s'est levée violemment de son bureau pour l'intimider une nouvelle fois et lui dire que tout çà va se régler légalement d'un air menaçant et Mme [S] se borne à indiquer avoir été témoin d'un déferlement de violence de [U] qui a intimidé et agressé verbalement [T] et elle en se levant d'un air menaçant à cause d'une bise, correspondances desquelles il résulte, à leur supposer une valeur probante malgré leur forme litigieuse, un simple heurt verbal entre deux collègues pour une simple perception relative à la façon de faire une bise à l'exclusion d'une menace précisément définie, Mme [L] comme Mme [S] ne faisant qu'évoquer des intimidations qu'elles ne caractérisent pas et un air menaçant non autrement précisé.
En cet état, sans qu'il soit besoin de rentrer dans l'argumentation développée longuement par les parties sur les difficultés personnelles ou amoureuses des unes ou des autres et étant encore relevé que M. [J] a attendu le 28 octobre pour convoquer Mme [R] à un entretien préalable, lui a fait une proposition de rupture conventionnelle puis ne l'a mise à pied que le 18 novembre, il sera jugé qu'il n'est pas prouvé de fautes justifiant un licenciement.
Ceci ouvre droit au paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire, d'une indemnité de préavis et de licenciement pour les montants alloués par les premiers juges et non critiqués à titre subsidiaire.
En outre, en application de l'article L.1235-3 du code du travail Mme [R] est fondée à obtenir paiement d'une indemnité comprise, compte tenu de son ancienneté, entre 2 et 13 mois.
Elle justifie avoir perçu en 2020 l'allocation d'aide de retour à l'emploi, avoir rencontré des difficultés financières par suite de la perte du bénéfice du véhicule de fonction et un état anxieux, avoir retrouvé en janvier 2021 un emploi à durée déterminée de six mois, renouvelé par la suite, ce moyennant un salaire inférieur à celui antérieurement perçu.
En considération du salaire mensuel perçu (montant allégué non contesté de 3 612,12 euros), ceci justifie une évaluation à 46 000 euros de l'indemnité due qui ne saurait se cumuler avec un indemnité pour irrégularité de procédure.
4) Sur le préjudice moral
Mme [R] présente une demande complémentaire de dommages et intérêts pour préjudice moral en invoquant les conditions vexatoires et brutales de la rupture, la négligence à veiller à la santé et à la sécurité des salariés, l'absence de déclaration auprès de la médecine du travail, la mise au placard subie au sens figuré et au sens propre, l'adoption de moyens de défense déloyaux dans le cadre de la présente instance.
Le seul fait que M. [J] ait indiqué dans le cours de l'entretien préalable que la rupture était inévitable ne caractérise pas une brutalité occasionnant un préjudice distinct de celui indemnisé par les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pas plus que la délivrance d'une mise à pied en l'absence de circonstances particulières.
S'agissant de la santé, il n'est justifié d'aucune alerte sur une dégradation des conditions de travail et le seul mail produit aux débats ponctué d'un 'lol' au demeurant ambigü ne saurait suffire à établir un sarcasme de l'employeur portant atteinte à la santé des salariés.
En revanche l'absence de déclaration des salariés auprès d'un organisme de santé au travail est avérée.
S'agissant de la mise à l'écart, elle est évoquée par simple renvoi à une photographie et à deux attestations de deux pages chacune dont l'une est quasi illisible et sur lesquelles aucune argumentation précise n'est développée quant aux éléments qu'elle contiendraient traduisant une mise à l'écart, outre que Mme [R] soutient n'avoir plus été conviée aux réunions Boost'echo auxquelles elle participait de manière hebdomadaire sans apporter le moindre élément à ce sujet alors qu'il est soutenu qu'elle n'y participait que de manière occasionnelle.
M. [J] a effectivement conclu que le comportement virulent de Mme [R] s'expliquait par des difficultés personnelles rencontrées par cette dernière avec son ex conjoint et a produit un article de presse concernant ce dernier, outre qu'il a versé aux débats des contrats d'assurance personnelles de Mme [R] sans aucun rapport avec le litige, ce qui caractérise un comportement déloyal.
Il résulte de ce qui vient d'être exposé deux manquements de l'employeur qui ont causé un préjudice moral qui sera évalué à 800 euros.
5) Sur le préjudice professionnel
Mme [R] soutient que l'évolution régulière de sa carrière s'est trouvée stoppée par le licenciement mais il ne s'agit pas là d'un préjudice distinct de celui indemnisé par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et cette demande sera rejetée.
6) Sur la délivrance de documents sociaux
Elle sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence de circonstances le justifiant.
L'attestation Pôle emploi fait état d'un effectif de 4 salariés de sorte que les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ne reçoivent pas application.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement entrepris en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné M. [J] à payer les sommes de 7 224,27 euros à titre d'indemnité de préavis, 722,72 euros à titre de congés payés afférents, 15 351,51 euros à titre d'indemnité de licenciement, 274,20 euros à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied et ayant débouté Mme [R] de sa demande de rappel de commissions.
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne M. [J] à payer à Mme [R] les sommes de :
- 1 104,22 euros à titre de complément de salaire
- 3 617,14 euros à titre de rappel de primes sur objectifs
- 46 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 800 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Déboute Mme [R] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice professionnel et dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.
Condamne M. [J] à remettre à Mme [R], dans le délai de deux mois de la signification du présent arrêt, un bulletin de salaire par année, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail conformes au présent arrêt.
Condamne M. [J] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. ALAIN L. DELAHAYE