AFFAIRE : N° RG 21/02844 - N° Portalis DBVC-V-B7F-G3IT
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 10 Février 2016 - RG n° F13/01052
COUR D'APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 16 FEVRIER 2023
APPELANTE :
Société VALEO
[Adresse 1]
Représentée par Me Chantal BONNARD, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [W] [F]
[Adresse 2]
Représenté par Me Frédéric QUINQUIS, substitué par Me MERIGOT, avocat au barreau de PARIS
Société GARETT MOTION FRANCE B (ANCIENNEMENT HMF)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me GALLAGE-ALWIS, avocat au barreau de PARIS
DEBATS : A l'audience publique du 08 décembre 2022, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de Mme PONCET, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller, rédacteur,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 16 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
M. [F] a été salarié de la société Valéo puis de la société Honeywell matériaux de friction (ci-après dénommée HMF) en qualité d'agent professionnel sur le site de [Localité 3] (de fabrication de matériaux de frein, rechange et remplacement des garnitures) de 1974 à 1999.
Par arrêté du 29 mars 1990, modifié par arrêté du 30 juillet 2020, l'établissement de [Localité 3] a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1969 à 1999
M.[F] a, le 18 juin 2013, saisi le conseil de prud'hommes de Caen d'une demande de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété dirigée contre la société Honeywell matériaux de friction puis sollicité la mise en cause de la société Valéo.
Cette dernière a opposé la prescription des demandes dirigées contre elle.
Par jugement du 10 février 2016, le conseil de prud'hommes de Caen a :
- déclaré les demandes de M. [F] recevables
- mis hors de cause la société Honeywell matériaux de friction
- condamné la société Valéo à régler à M. [F] les sommes de :
- 8 000 euros nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété
- 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté M. [F] du surplus de ses demandes
- débouté la société Valéo de sa demande d'appel en garantie
- condamné la société Valéo aux dépens.
La société Valéo a interjeté appel de ce jugement.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions, oralement reprises à l'audience, du 27 octobre 2022 pour l'appelante, du 30 septembre 2022 pour M. [F] et du 28 novembre 2022 pour la société Garrett Motion France B venant aux droits de la société Honeywell matériaux de friction.
La société Valéo demande à la cour de :
- infirmer le jugement
- déclarer les demandes de M. [F] prescrites à son encontre
- débouter le salarié de toutes ses demandes
- la mettre hors de cause
- débouter la société HMF de ses demandes
- très subsidiairement condamner la société HMF à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle
- en tout état de cause rejeter les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] demande à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes contre la société HMF
- le réformer sur le montant de 8000 euros alloué
- condamner solidairement et conjointement les sociétés Valéo et HMF à lui payer la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété
- en tout état de cause, lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Garrett Motion France B demande à la cour de :
- Sur l'appel en garantie de la société Valéo, se déclarer incompétente au profit d'un tribunal arbitral, à titre subsidiaire débouter la société Valéo de son appel en garantie, à titre encore plus subsidiaire juger qu'elle ne pourra garantir la société Valéo au titre des années passées par M. [F] sur d'autres sites que celui de [Localité 3]
- sur les demandes de M. [F], à titre principal confirmer le jugement, à titre subsidiaire débouter M. [F], à titre encore plus subsidiaire réduire les dommages et intérêts à de bien plus justes proportions et au prorata des années d'exposition outre ne la condamner qu'à la moitié de la somme allouée en cas d'action irrecevable contre la société Valéo
- en tout état de cause rejeter toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
1) Sur l'action dirigée contre la société Valéo
Le préjudice d'anxiété naît à la date à laquelle le salarié a connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'activité de la société employeur sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, soit en l'espèce au plus tard le 7 juillet 2000.
De ce moment est née une action soumise au délai de prescription de trente ans.
En application de la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 réduisant à cinq ans le délai de prescription des actions personnelles en indemnisation et de ses dispositions transitoires (aux termes desquelles les dispositions de cette loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour d'entrée en vigueur de la loi sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure), le salarié disposait donc, pour agir en réparation de son préjudice d'anxiété, d'un délai expirant le 19 juin 2013.
Il résulte des pièces du dossier que M. [F] a, par une requête reçue au greffe le 18 juin 2013, saisi le conseil de prud'hommes d'une demande dirigée contre la seule société HMF, que lors de la tentative de conciliation du 17 octobre 2013, il a indiqué demander la mise en cause de la société Valéo à laquelle il a été alors procédé par le conseil de prud'hommes.
Pour être interruptive de prescription la citation en justice doit être adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire.
En conséquence, la requête reçue le 18 juin 2013 dirigée exclusivement contre la société HMF ne pouvait interrompre la prescription à l'égard d'une autre société, juridiquement distincte, l'action fut-elle fondée sur le même manquement et ayant le même objet d'indemnisation du préjudice d'anxiété.
À cet égard, il sera relevé que la jurisprudence vantée par M. [F] sur l'action en matière de faute inexcusable repose sur un texte (article L.431-2 dommages et intérêts code de la sécurité sociale) spécifique au régime de cette faute, laquelle n'est pas en cause dans le présent litige, de sorte qu'elle n'est pas transposable.
La mise en cause de la société Valéo étant intervenue postérieurement au 19 juin 2013 ne peut qu'être jugée prescrite.
2) Sur l'action dirigée contre la société Garrett Motion France B
Le salarié, qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités de l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouve, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles médicaux, et subit de ce fait un préjudice d'anxiété dont il est fondé à demander réparation, sauf à l'employeur à démontrer l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité.
Se trouve ainsi instauré au bénéfice du salarié éligible à l'ACAATA, ce qui est le cas en l'espèce, un régime de preuve dérogatoire qui le dispense de justifier à la fois de son exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de son préjudice.
Aussi, il n'appartient pas au salarié de faire la démonstration d'un manquement de la société HMF sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur et il ne suffit pas à celle-ci de soutenir, par référence à ces règles, qu'elle a pris les mesures de prévention exigées par la loi.
Or, en se bornant à faire état d'un arrêt progressif de l'amiante et définitif en 1996, de mesures d'empoussièrement et d'analyses (révélant l'existence de poussières et de fibres résiduelles avant 1996), de rapports de diagnostic postérieurs à 1998 et d'opérations de désamiantage postérieures à l'arrêt définitif de l'amiante en 1996, elle ne justifie pas d'une cause d'exonération de responsabilité au regard des périodes d'emploi et d'exposition au risque du salarié.
Il s'ensuit que ce dernier est fondé en sa demande de réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété dirigée contre la société HMF devenue Garrett Motion France B, peu important par ailleurs qu'il ait été exposé à l'amiante sur d'autres sites ou sur le site de [Localité 3] avant son rachat par cette dernière en 1990 dès lors qu'il y a été exposé également après ce rachat, ni l'existence ni l'ampleur du préjudice d'anxiété n'étant liée à la durée d'exposition, étant encore relevé que si la couverture médiatique de l'amiante peut être source d'anxiété elle n'annule pas l'anxiété née de l'exposition, fut-elle courte (puisqu'elle n'exclut pas le développement ultérieur possible d'une maladie), et encore moins celle née du constat du développement de maladies chez des collègues employés dans des conditions similaires.
S'agissant de l'évaluation de ce préjudice, elle a été exactement faite à 8 000 euros par les premiers juges.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris.
Et statuant à nouveau,
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes dirigées contre la société Valéo.
Condamne la société Garrett Motion France B à payer à M. [F] les sommes de :
- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société Garrett Motion France B aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
M. ALAIN L. DELAHAYE