La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2023 | FRANCE | N°21/02734

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre sociale, 09 février 2023, 21/02734


AFFAIRE : N° RG 21/02734

N° Portalis DBVC-V-B7F-G3AZ

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 09 Septembre 2021 RG n° 20/00157











COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023





APPELANTE :



Monsieur [M] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représenté par Me Olivier LEHOUX, avocat au barreau de CAEN








INTIMEE :



S.A.S. TRELLEBORG SEALING SOLUTIONS CONDE

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Béatrice LIOT, substitué par Me YALVAC, avocat au barreau de CAEN







COMPOSITION DE LA COUR LORS DES D...

AFFAIRE : N° RG 21/02734

N° Portalis DBVC-V-B7F-G3AZ

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 09 Septembre 2021 RG n° 20/00157

COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 09 FEVRIER 2023

APPELANTE :

Monsieur [M] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Olivier LEHOUX, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A.S. TRELLEBORG SEALING SOLUTIONS CONDE

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Béatrice LIOT, substitué par Me YALVAC, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 17 novembre 2022

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 09 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, par prorogation du délibéré initialement fixé au 26 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Selon contrat de travail à durée indéterminée du 5 novembre 2018 à effet du 1er février 2019 M. [M] [P] a été engagé par la société Trelleborg Sealing Solutions Condé en qualité de responsable de production statut cadre niveau V3 coefficient 370 ;

Convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 25 septembre 2019 par lettre du 16 septembre précédent, dispensé de l'exécution de ses fonctions avec maintien de sa rémunération jusqu'à décision définitive découlant de l'entretien, puis licencié pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er octobre 2019 ;

M. [P] a été placé en arrêt de travail du 16 au 20 septembre 2019, puis jusqu'au 6 octobre 2019 ;

Il a été placé en arrêt de travail pour accident du travail survenu le 25 septembre 2017 du 27 septembre au 31 octobre 2019.

La société a procédé à une déclaration d'accident du travail le 11 octobre 2019 en joignant un courrier réservé sur la réalité de cet accident ;

Le 27 décembre 2019, la CPAM du Calvados a refusé la prise en charge de cet accident, relevant l'absence de fait générateur d'un trouble psychosocial en dehors des conditions normales de travail ;

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, M [P] a saisi le 9 avril 2020 le conseil de prud'hommes de Caen, qui, statuant par jugement du 9 septembre 2021, a :

- dit recevable les pièces n°39, 42, 53 et 69 en appui des demandes de M. [P] ;

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- dit que la société n'a pas manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail ;

- débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société de ses demandes ;

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;

Par déclaration au greffe du 3 octobre 2021, M. [P] a formé appel de cette décision ;

Par conclusions remises au greffe le 14 octobre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [P] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que les pièces 39, 42, 53 et 69 en appui des demandes de M. [P] sont recevables, dit et jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et débouté la société Trelleborg Sealing Solutions Condé de ses demandes reconventionnelles,

- l'infirmer en ce qu'il a dit et jugé que la S.A.S. Trelleborg Sealing Solutions Condé n'a pas manqué à son obligation de loyauté et a débouté Monsieur [M] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- statuant à nouveau,

- dire et juger que la S.A.S. Trelleborg Sealing Solutions Condé a manqué à son obligation de loyauté et la condamner, en conséquence, à lui verser une indemnité de 15.000,00 € à titre nets à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation d'exécution loyale du contrat de travail,

- dire et juger que le barème prévu par l'article L.1235-3 du Code du travail doit être écarté,

- condamner, en conséquence, la S.A.S. Trelleborg Sealing Solutions Condé à lui verser une indemnité de 50.000,00 € nets à titre de dommages et intérêts, correspondant à la réparation adéquate de l'ensemble de ses préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement,

- condamner, subsidiairement, la S.A.S Trelleborg Sealing Solutions Condé à lui verser une indemnité de 6.291,38 €, € nets à titre de dommages et intérêts, correspondant à un mois de salaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du Code du travail,

- dire que le montant des condamnations à caractère de dommages et intérêts portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société à lui payer à une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société aux dépens ;

Par conclusions remises au greffe le 21 octobre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société Trelleborg Sealing Solutions Condé demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que les pièces 39, 42, 53, 69 en appui des demandes de M. [P] sont recevables, que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, débouté la Trelleborg Sealing Solutions Condé de ses demandes reconventionnelles et que chacune des parties supportera les dépens de l'instance pour ce qui la concerne,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Et statuant de nouveau :

A titre principal :

- déclarer irrecevable les pièces adverses n°39, 42, 53 et 69 en vertu des articles 9 du Code de procédure civile et 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui consacrent le principe de loyauté dans l'administration de la preuve,

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à considérer que le licenciement n'était pas fondé, rejeter la demande d'indemnisation,

- A titre infiniment subsidiaire, constater la conformité du barème d'indemnisation prévu à l'article L.1235-3 du Code du travail avec les conventions internationales,

- réduire l'indemnité sollicitée à de plus justes proportions, et au maximum à 6.291,38 € brut,

- condamner M. [P] à lui payer à une somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] aux dépens ;

MOTIFS

I - Sur l'irrecevabilité des pièces

L'employeur fait valoir que le salarié a produit des pièces internes et confidentielles dont il n'a pu avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions soit « une note d'information relative au règlement intérieur du 8 juillet 2019 (pièce n°39), « tableau des investissements 2018-2019 » (pièce n°42), « un compte rendu de prise de poste de M. [C] » (pièce n°53) et « une présentation Finances et RH du 15 juillet 2019 (pièce n°69), expliquant que la pièce n°42 est un document financier confidentielle, uniquement accessible par le service Finance, et les trois autres des documents uniquement accessibles par le service RH, ces documents étant donc inaccessibles au salarié dans l'exercice de ses fonctions ;

Le salarié indique qu'il avait accès à l'ensemble de ces informations, ainsi la pièce n°69 était accessible aux membres du CODIR dont il faisait partie. Ces pièces étaient nécessaires pour l'exercice de sa défense, la pièce n°39 permet d'établir qu'il n'avait pas la main sur le plan disciplinaire, la pièce n°42 et n°69 démontre la nature des investissements faits par l'employeur et contredit ses affirmations sur ce point, la pièce n°53 relativise l'attestation de M. [C] ;

*****

Il est admis qu'un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense dans le litige l'opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a eu connaissance à l'occasion de ses fonctions ;

La production en justice de documents couverts par le secret professionnel peut également être justifiée par l'exercice des droits de la défense ;

Les pièces critiquées sont les suivantes :

- pièce 39 est une note d'information établie par le service des ressources humaines de la société qui rappelle aux salariés qu'ils ont des droits et des devoirs, les renvoie au règlement intérieur et que tout manquement fera l'objet d'un rapport d'incident ;

- pièce n°42 est la photocopie incomplète d'un tableau détaillant des sommes par rubrique ;

- pièce n°69 est le compte rendu d'une réunion du 15 juillet 2019 contenant un bilan du mois de juin 2019 avec plan d'action ;

- pièce n°53 est une trame « personnel et confidentiel document collaborateur » de « support de préparation et d'échange spécial prise de poste » qui contient des réponses à différents questions, complétées de mentions émanant d'une autre écriture. Ce document ne contient aucun nom ;

Il sera d'abord observé que la fiche de poste de M. [P], à la rubrique « liaison fonctionnelle » mentionne « tous les services », ce qui implique à un large accès aux documents des différents services ;

Concernant la pièce n°39 qui est une note destinée à l'ensemble des salariés, dont le caractère confidentiel ne résulte ni de son contenu ni de tout autre élément ;

Concernant le pièce n°69 qui est selon les parties le compte rendu d'une réunion du CODIR, l'employeur ne contestant pas que le salarié, comme il le soutient, participait à ses réunions et/ou avait accès à leur compte rendu ;

Concernant la pièce n°42, les parties s'accordent à dire qu'il s'agit du détail des investissements de la société. Or, M. [P] avait connaissance de ces informations par les réunions du CODIR ;

Concernant la pièce n°53, les parties s'accordent à dire que ce document concerne M. [C] lequel travaillait sous les ordres de M. [P] ;

Dès lors, l'employeur n'établit pas non seulement le caractère confidentiel de ces pièces mais aussi le fait que le salarié n'ait pu compte tenu de ses fonctions y avoir accès, et en tout état de cause, pour aucune de ces pièces, l'employeur qui ne fait aucune observation sur les explications du salarié rappelées ci-avant quant à leur nécessité pour sa défense, ne démontre pas en quoi elles ne seraient pas nécessaires à la défense de M. [P] ;

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté l'irrecevabilité soulevée ;

II - Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié fait valoir que Mme [V] directrice générale lui a donné pour instruction de réformer le fonctionnement de l'usine pour le priver ensuite de ses missions sans lui laisser le temps de justifier des résultats, et invoquant des remises en cause incessantes de Mme [V] et le refus de tout contact à compter de la mi août 2019 ;

L'employeur fait valoir qu'aucune coupure de communication n'est établie, que ses actions ont été soutenues ;

Le salarié ne produit aucun élément ou pièce au soutien de sa demande. Dans l'exposé des faits mentionné dans ses écritures, il indique les actions qu'il a pu faire et produit : une liste écrite de points à voir pour la production et la maintenance. Ce document est non daté, il n'est pas justifié que les points visés aient été mis en 'uvre. Il produit également un compte rendu de réunion de maintenance du 3 avril 2019 entre lui et Messieurs [C] et [F] où il répartit des tâches diverses entre ces deux salariés, un courriel de confirmation à une réunion du 8 avril 2019, non commenté, idem pour le courriel de confirmation à une réunion TOP 30 dont la signification et l'incidence ne sont pas expliquées ; un courriel du 4 septembre 2019 prévoyant une réunion pour le fonctionnement d'une zone litiges, et une réunion du 11 juillet 2019 pour évaluer la sous traitance des ordres de fabrication, qui ne fait là encore l'objet d'aucun commentaire ;

Il n'établit pas ainsi, pour les actions qui ont été mises en 'uvre, une obstruction de son employeur.

En outre il résulte des pièces produites par ce dernier que des échanges de courriels réguliers ont eu lieu entre le salarié et Mme [V] entre le 29 août et le 12 septembre 2019. Si certains relatifs aux objectifs non atteints, font état des problèmes d'organisation rencontrés et demandent au salarié de les régler ou les anticiper, ils ne caractérisent pas un comportement déloyal de l'employeur, celui-ci étant légitime à faire des reproches sur la façon dont le salarié exerce ses fonctions, les termes employés ne révélant par ailleurs aucune animosité ou excès. Le courriel du 29 août 2019de Mme [V] évoqué par le salarié qui liste des points concrets non satisfaisants dans l'organisation de la production et qui demande au salarié de voir comment l'organisation peut être améliorée et lui en faire retour, n'est ainsi nullement révélateur d'un manque de confiance de l'employeur comme le soutient le salarié ;

Par ailleurs il résulte de l'attestation de M. [A], secrétaire du CSE que ce dernier avait informé la direction des difficultés rencontrées avec M. [P] et qu'il lui avait éré répondu de lui laisser du temps pour qu'il prenne ses marques ;

Dès lors, les manquements reprochés à l'employeur ne sont pas établis et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande ;

III - Sur le licenciement

Le salarié considère qu'il résulte des motifs énoncés dans la lettre de licenciement qu'il est reproché des manquements fautifs et ainsi volontaires, si bien que s'agissant d'un licenciement disciplinaire, l'employeur devait respecter la procédure disciplinaire ;

L'employeur considère que la lettre fait bien état d'une incapacité du salarié à remplir ses fonctions et non d'actes volontaires constitutifs d'une faute ;

C'est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement ;

L'insuffisance professionnelle n'est pas constitutive d'une faute sauf si elle procède d'une mauvaise volonté délibérée ou d'une abstention fautive ;

En l'occurrence, il est reproché au salarié des décisions et comportements inadaptés de sa part ainsi que des carences répétées dans l'exercice de ses attributions. La lettre relève des carences et des erreurs pour l'organisation de la production et de la maintenance (commandes non anticipées, intérimaires sollicités inutilement'), ce pour juin, juillet et août 2019. Elle relève également des carences en matière d'encadrement (actions contraires à la bonne organisation de la production et absence de coopération avec la direction) et des difficultés dans la communication (paroles déplacées, actes visant à empêcher les salariés d'évoquer des problèmes d'organisation). Elle relève enfin une absence de remise en cause, si bien que les problèmes d'organisation persistent si bien que les process ne se sont nullement améliorés et que performances ne sont pas au rendez-vous ;

Ces reproches ne font ressortir aucune mauvaise volonté délibéré ou abstention fautive. Dès lors, l'employeur n'avait pas à appliquer la procédure disciplinaire ;

Pour constituer une cause légitime de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur ;

L'insuffisance professionnelle est donc un motif personnel non disciplinaire de licenciement ;

Dès lors, les premiers juges ne pouvaient sans vérifier le bien-fondé des manquements invoqués considérer que le licenciement étant un motif inhérent à la personne du salarié et que le motif d'insuffisance professionnel ne pouvait en conséquence être retenu ;

Avant d'examiner les faits reprochés au salarié, il convient de rappeler que selon sa fiche de fonction signée le 4 février 2019, le salarié en tant que responsable de production « est garant des résultants tant sur le plan qualitatif que quantitatif, il encadre la production et la maintenance, il applique la politique industrielle du groupe, organise, planifie et suite la production pour atteindre les objectifs définis, et contribue à l'amélioration des process de production afin d'améliorer la productivité et garantir la mise ne conformité ;

Il avait ainsi et notamment pour missions de :

- encadrer et animer une équipe de production

- organiser et coordonner les différentes étapes du processus de production pour satisfaire les besoins des clients

- organiser les moyens de production pour assurer la réalisation des programmes de fabrication dans le respect de la qualité, des délais et des budgets ;

- organiser les réunions de travail détecter les problèmes initier les actions à mener et veiller à leurs accomplissements ; »

La société a pour activité la fabrique d'articles en caoutchouc destinés à l'aéronautique ;

1 )Sur les défaillances dans l'encadrement de la production et la maintenance et dans l'organisation de la production

La lettre précise concernant ce manquement qu'il a conduit à des objectifs de production non réalisés en particulier en juin, juillet et août 2019 ;

L'employeur considère que ce manque de compétences pour l'organisation de la production est révélé par une baisse des indicateurs à compter du mois d'avril 2019, précisant que le délai de fabrication est de 6 semaines c'est donc à cette date que peut être apprécié la compétence du salarié ;

Il produit aux débats un suivi de l'OTD ( On Time delivery ou livraisons faites en respectant le délai client) de mars 2019 à mai 2020 démontrant une baisse régulière de cet indicateur à compter du mois d'avril 2019 jusqu'en août 2019 puis une remontée à compter de septembre, le niveau d'avril n'étant retrouvé qu'en novembre. Or, les objectifs sur 2019, 0TD supérieurs ou égal à 90% dont le salarié avait connaissance (pièce 34 salarié). Cette baisse se vérifie également sur le tableau figurant dans les conclusions du salarié (page 22) (qui ne comporte pas de couleur mais une colonne par année). Sur le document de suivi, le nombre de ligne de commandes de retard a fortement augmenté à compter d'avril 2019 et a commencé à baisser à compter de septembre ;

L'employeur établit également que la moyenne des lignes de retard a fortement augmenté entre juin et septembre 2019, et que l'indicateur RPP (respect du planning de production) a chuté à compter du mois d'avril 2019 (69% de l'objectif de 75% atteint en avril, 50% en mai, 38% en juin, 46% en juillet et 38% en août) ;

Le salarié ne conteste pas ces mauvais résultats (ses écritures évoquent « l'échec de l'organisation de la production au mois de juillet et août 2019 »), indiquant toutefois que l'indicateur RPP n'était pas habituellement utilisé mais ne produit aucun élément en ce sens, ces pièces établissent même le contraire, ainsi un courriel du 24 juin 2019 de M. [E] adressé au salarié et qui lui rappelle le « RPP par îlot », ou l'analyse d'août 2019 lors du « management meeting ' Supply Chain » qui contient une page relatif au « rappels sur nos indicateurs » incluant le RPP ;

Il estime que son action a néanmoins contribué à l'amélioration des résultats de l'entreprise, la société était déficitaire en 2018, elle s'est améliorée en 2019 malgré un résultat insuffisant en juillet 2019 ;

Il considère que d'autres indicateurs doivent être ajoutés à ceux de l'employeur : les ordres de fabrication, les relances pour non qualités et les rebuts et renvoie à des tableaux et graphiques concernant les années 2018, 2019 et 2020 dont la lecture suppose d'analyser des donnés sur ces trois années qui sont distinguées par des couleurs différentes. Or, ces graphiques étant reproduits dans ses écritures en noir et blanc, il est impossible de distinguer les années 2018 et 2019. Par ailleurs, la comparaison avec l'année 2018 n'est pas pertinente puisqu'avant l'embauche du salarié, la société est restée 6 mois sans responsable de production. Au demeurant et en tout état de cause, il résulte des pièces communiquées par le salarié, notamment une présentation de la production antérieure à son arrivée (pièce n°67) qu'il était noté une amélioration de l'indicateur OTD puisqu'il était noté qu'en décembre 2018 l'objectif de 90% était atteint ;

Pour contester l'affirmation de l'employeur sur les investissements en outillage de 310 000 € expliquant les bons résultats au moment de l'embauche de M. [P], celui-ci produit aux débats un tableau des investissements 2018 (pièce 42) qui n'est toutefois pas de nature à remettre en cause la réalité de cet investissement. En effet, le salarié limite son analyse à la part des investissements pour la productivité alors que ce tableau mentionné des parts d'investissement en lien avec l'outillage qui ne sont pas pris en compte (notamment « machines », « outils réparations ») ;

Ainsi, les mauvais résultats à compter du mois d'avril 2019 sont caractérisés, et l'employeur justifie les erreurs et l'insuffisance du salarié par :

- une attestation de M. [C], responsable de maintenance, qui fait état de directives contradictoires incomplètes voir erronées de M. [P], et des dysfonctionnements qui ont été jusqu'à occasionner l'arrêt de plusieurs machines nécessitant un refroidissement. M. [P] estime que sa pièce n°53 (décrite ci-avant) qui est selon les parties un compte rendu de prise de poste de M. [C], relativise cette attestation sans toutefois expliquer en quoi. Or, ce document qui est une ébauche de préparation d'un entretien à un nouveau poste, n'est pas de nature à remettre en cause la teneur de son témoignage ;

- un échange de courriels du 2 août dans lequel M. [C] demande à M. [P] les machines qui sont prévues à l'arrêt pour le semaine 32 (5 au 11 août) et se plaint de ne pas recevoir de réponse claire ;

- une attestation de M. [A], ouvrier au sein de la société, qui indique avoir, alors que les pièces étaient en train d'être produites, demandé à M. [P] des portants pour poser les pièces finies, et que ce dernier lui a dit d'arrêter la production, alors qu'il y avait du retard ;

- un courriel adressé le 14 août 2019 à Mme [V] par M. [J], salarié de la société, indiquant que durant la semaine 32, nous ne pouvions faire les armatures au touret, personne pour le régler, n'y au démarrage 3D obligatoire, ni à la qualité » ;

- le compte rendu d'une réunion du 14 août 2019 entre Mme [V] et M. [P], où il est évoqué pour les objectifs non atteints du mois de juillet, « système de listing pas en accord avec les pièces à livrer, sujet qui a pourtant fait l'objet de discussion lors de la réunion semaine 29 », et pour la semaine 32, « aucun des listing des OF ne m'a été fourni malgré ma demande, pas assez de charges préparées, armatures non sorites et celles sorites devaient être moulées sur la même presse, pas assez de formation aux armatures, l'opérateur ne savait pas allumer la presse ». Il est également évoqué des problèmes sur l'organisation (plus de pilote d'îlot en production entre 5h et 7h puis entre 19h et 21h » ;

- le compte -rendu d'une réunion du 20 août 2019 entre Mme [V] et M. [P] où il est évoqué que « le 19 août à 17h, plus de responsable dans l'atelier. Aux PP, deux mouleurs qui avaient 5 presses en tout, aucune charge prête et listing difficile à comprendre. Il est également relevé « [M] m'a fait part des difficultés qu'il avait à utiliser les données dans le système FS pour faire la planification ;

-un courriel de Mme [V] à M. [P] le 29 août 2019 où la première fait le constat de difficultés d'organisation au sein de la production (charges de travail non répartie au silicone, et au contrôle PP et GP, plus de charges, ni d'armatures pour les Messiers') ;

- le compte tendu d'une réunion du CSE du 19 septembre 2019 où il a été évoqué l'organisation mise en place dans les ateliers : presse ouverte, distribution de liasse en retard) ;

Le salarié fait valoir les explications et solutions données à son employeur et produit :

- un courriel du 25 juillet 2019 où il répond à une demande relative aux investissements nécessaires pour 2020 ;

- un courriel du salarié proposant une réunion pour le 4 juillet 2019 relative à la location de containers climatisés pour le stockage durant l'été ;

- un tableau de suivi des ordres de fabrication du mois de juillet 2019, tableau de 4 pages avec de multiples colonnes avec des termes anglais spécifiques qui ne fait l'objet d'aucun commentaire du salarié ;

- un tableau intitulé par le salarié « exemple de décomposition des retards fin de mois », qui n'est pas plus exploitable que le précédent et qui ne fait là encore d'aucun commentaire ou analyse par le salarié ;

- un courriel du 23 août 2019 adressé par le salarié à Mme [V], sa supérieure hiérarchique, où il l'informe d'une panne ayant conduit à l'arrêt d'une machine ;

-trois pages de copie d'écran de courriels adressés à Mme [V] entre le 4 juin et le 3 septembre 2019 ; Ce document comporte seulement le titre ou l'objet des messages qui correspondent à des termes ou série de chiffres inexpliqués donc inexploitables, la teneur de ces courriels n'étant pas communiquée ;

Ces éléments pour ceux qui sont exploitables sont cependant sans incidence avec les défaillances à l'origine des mauvais résultats constatés ou en tout cas cette incidence n'est pas expliquée par le salarié ;

Le salarié fait également état d'une organisation des congés d'été qui lui a été imposée. Sa pièce n°43 est un échange de courriel entre lui et M. [J] des 20 et 21 février 2019 où ce dernier indiquait au salarié qu'il manquait un mouleur pour la semaine 33 [12 au 18 août]. Or, dans sa réponse le salarié indique qu'il faut demander les collaborateurs par le volontariat puis à défaut les informer « que nous ferons nous même les choix du personnel pour lequel les congés en semaine 33 ne seront pas acceptés » ;

Ces échanges ne justifient en rien que le salarié n'a pas été en mesure de modifier les congés des salariés afin d'anticiper les absences pendant la période d'août 2019 ;

Le salarié explique également qu'une activité partielle (semaine 32) avait été antérieurement décidée, que la chef d'équipe était absente et que sa remplaçante avait pris de mauvaises décisions, et que pour le semaine 33, il manquait du matériel ;

Mais, outre qu'aucun élément n'est produit sur ces points,  il résulte de l'échange de courriels entre Mme [V] et M. [P] en juillet 2019 que la première a interrogé le second sur les équipes en place pour l'été ce alors qu'il partait en congés le 26 juillet, notamment pour la semaine 32 et 33 (août). Or, l'organisation s'est avérée inefficace et insuffisante, comme l'a démontré les éléments mentionnés dans les compte- rendus des 14 août et 20 août 2019 ;

Par ailleurs et enfin les courriels que le salarié considère comme « des réponses utiles pour résoudre les problèmes rencontrés notamment en joutant du stockage sur les portants » ne sont pas probants : celui du 19 août 2019 où il est informé des retards de délais de livraison, il répond en demandant pourquoi il y a du retard et en indiquant « je pense qu'il va falloir d'autres outilleurs), celui du 13 mai 2019 ne comporte pas les réponses apportées, et l'ordre du jour de la réunion du 17 mai 2019 n'apporte pas de réponse concrète notamment sur l'absence de relais des pilotes en leur absence. Ces messages sont en tout cas sans lien avec l'ajout de stockage sur les portants ;

De ce qui vient d'être exposé, les insuffisances professionnelles relatives aux défaillances dans l'encadrement de la production et de la maintenance et dans l'organisation de la production sont établies ;

2) dégradation de l'ambiance au sein de l'atelier de production

La lettre fait état d'un langage et d'un mode de communication inadaptés ;

L'employeur produit aux débats :

- deux rapports d'incidents. L'un du 16 septembre 2019 de Mme [U], qui indique que M. [P] et M. [D] ont formé un autre salarié à l'utilisation de sa machine sans l'informer et lui ont demandé d'aller sur un autre poste sans lui expliquer pourquoi, et sa demande d'explication, M. [P] lui a répondu par des propos blessants et agressifs. L'autre de M. [Z] du 23 septembre 2019 évoquant la présence sur le fichier commun de documents du personnel confidentiels, que ces documents provenaient du fichier de M. [P], ce qu'il n'a pas contesté, l'auteur de l'incident concluant à une mauvaise manipulation de la part de M. [P] ;

- une fiche récapitulant le montant des primes accordées aux salariés dans le cadre du programme Fitness, pour les récompenser de leurs bonnes idées, cette fiche ayant été affichée par M. [P] sans accord de la direction ;

- une attestation de M. [C] responsable de maintenance aux termes de laquelle il fait état de pressions à son encontre pour qu'il quitte son poste, lui indiquant que la direction avait prévu quelqu'un d'autre à sa place ;

-une attestation de M. [A], secrétaire du CSE indiquant que lors d'une casse sur une machine, M. [P] a voulu remettre la machine en route, ce à quoi s'est imposé un membre du CHSCT pour cause de sécurité, et M. [P] est parti en colère en disant « qui c'est qui commande dans cette boîte » ;

- une lettre du 3 février 2020 à l'employeur par Mme [O] ancienne pilot d'ïlot qui a quitté la société, et qui fait part des réflexions désagréables de M. [P] sur son âge, la traitant de Mamie devant les salariés qu'elle devait gérer. Cette lettre est parvenue à l'employeur postérieurement au départ de M. [P] mais les propos employés par ce dernier sont confirmés par une attestation de M. [B] qui précise en avoir été témoin en mai 2019 ;

- le procès-verbal d'une réunion du CSE du 19 septembre 2019 qui pose évoque « de l'intimidation sur les ouvriers afin qu'ils évitent de faire des remontées d'information à la direction ». Il n'y a pas de personne nommément visée mais la direction répond avoir été informé de plusieurs incidents sur le comportement du superviseur et du responsable de production.;

Le salarié estime que ces témoignages émanent de salariés mécontents de l'évolution de leur travail alors même que la modification de leurs statuts émanait de décisions de Mme [V]. Il vise dans ses écritures plusieurs pièces non commentées. Certaines concernent des avenants aux contrats de Messieurs [J] et [F] qui n'ont pas témoigné. Pour d'autres, un courriel qui informe M. [P] de la rupture conventionnelle de Mme [O] est sans incidence sur la lettre que cette dernière a écrite à son employeur ;

Les échanges de courriel entre M. [P] et Mme [V] démontrent que de nouvelles fiches de poste ont été établies pour Messieurs [C], [F] et [J]. Ces deux derniers ont signé des avenants, aucun avenant n'est produit pour M. [C]. Or, à supposer même que M. [C] considère M. [P] responsable de son changement de poste, dont aucun élément n'établit qu'il l'a accepté, le fait qu'il a pu préparer un entretien pour son nouveau poste (pièce n°53 déjà décrite) n'étant pas suffisant, ce fait n'est pas incompatible avec les pressions qu'il décrit de la part de M. [P] pour le lui faire accepter ;

Les éléments produits par l'employeur caractérisent ainsi des maladresses et un langage parfois inapproprié ou blessant avec les salariés qui étaient sous sa responsabilité hiérarchique et justifie les carences managériales reprochées ;

En conséquence, il convient de considérer, par infirmation du jugement, que le licenciement est justifié ;

Les dispositions du jugement relatives aux indemnités de procédure seront confirmées ;

En cause d'appel, il n'y a pas lieu à indemnités de procédure mais M. [P] qui perd le procès sera condamné aux dépens de première instance et d'appel;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement rendu le 9 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Caen sauf en ses dispositions relatives à la recevabilité des pièces, à l'exécution déloyale du contrat de travail et aux indemnités de procédure ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant ;

Dit le licenciement justifié ;

Déboute en conséquence M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit n'y avoir lieu à indemnités de procédure ;

Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02734
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;21.02734 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award