AFFAIRE : N° RG 20/01770
N° Portalis DBVC-V-B7E-GSZZ
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 08 Juillet 2020 - RG n° 15/00089
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023
APPELANT :
Monsieur [B] [K]
[Adresse 2]
Représenté par Me Anne VAN TORHOUDT, substitué par Me MARIN, avocats au barreau de COUTANCES
INTIMES :
Société [T], représentée par Monsieur [V] [T], mandataire ad'hoc de la SARL [T]
[Adresse 1]
Comparant en personne, assisté de Me LAGRENADE, avocat au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE
[Adresse 3]
Représentée par M. [S], mandaté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 17 novembre 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 02 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [K] d'un jugement rendu le 8 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à la SARL [T] (la société) et la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse).
FAITS et PROCEDURE
M. [K] a été embauché par la société [T] en qualité de charpentier le 4 janvier 2006.
Il a établi une déclaration de maladie professionnelle le 12 novembre 2013 au titre d'affections rachis lombaire, charges lourdes 'lombo sciatique gauche, hernie discale'. Le certificat médical initial du 29 novembre 2013 mentionne une 'lombo sciatique gauche'.
Cette maladie a été prise en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels suivant décision du 4 mars 2014 au titre du tableau n° 98, 'hernie discale L 5 - S1' , 'affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention de charges lourdes'.
M. [K] a été licencié pour inaptitude le 23 janvier 2015.
Le médecin conseil a fixé la date de consolidation au 31 décembre 2015, retenant un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %.
M. [K] a formé auprès de la caisse une demande de conciliation aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche le 3 février 2015 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Par jugement du 8 juillet 2020 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé du litige initial, le tribunal judiciaire de Coutances, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale, a :
- débouté M. [K] de son action tendant à la reconnaissance d'une faute inexcusable commise par son employeur, la société [T], comme étant à l'origine de la maladie déclarée le '29 novembre 2013'et par suite de toutes ses prétentions subséquentes
- débouté M. [K] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [K] aux dépens.
Suivant déclaration du 18 septembre 2020, M. [K] a formé appel de ce jugement.
Par ordonnance du 5 juillet 2022 du président du tribunal de commerce de Coutances, M. [V] [T] a été désigné en qualité de mandataire ad'hoc pour représenter la société Entreprise [T] dans l'instance l'opposant à M. [K] devant la 3ème chambre sociale de la cour d'appel de Caen.
Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 12 juillet 2022 et soutenues oralement à l'audience, M. [K] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de reconnaître la faute inexcusable
- dire que la maladie professionnelle reconnue comme telle par la caisse le 4 mars 2014 au titre du tableau n° 98 est consécutive à une faute inexcusable de l'employeur
- dire y avoir lieu à accorder à M. [K] la majoration maximale de la rente
- ordonner une expertise médicale
- condamner M. [V] [T] ès qualités de mandataire ad'hoc de la société [T] à lui payer 4000 euros de provision
- condamner M. [V] [T] ès qualités de mandataire ad'hoc de la société [T] à lui payer 1800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner M. [V] [T] ès qualités de mandataire ad'hoc de la société [T] à régler les dépens et les frais d'expertise.
Suivant conclusions reçues au greffe le 25 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience, M. [T] ès qualités de mandataire ad'hoc de la société [T] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 8 juillet 2020
en conséquence,
- constater que la société n'a pas commis de faute inexcusable
- débouter le demandeur de ses demandes
- dispenser les parties des dépens en application de l'article R 144-6 du code de la sécurité sociale
- rejeter toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions reçues au greffe le 13 octobre 2022 et soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement déféré
à titre subsidiaire (en cas d'infirmation du jugement)
- prendre acte qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable
dans l'hypothèse où une faute inexcusable serait retenue,
- dire que la majoration de la rente sera avancée par la caisse
- débouter M. [K] de sa demande de provision
- dire que les frais d'expertise seront supportés par l'employeur de M. [K]
sur l'action récursoire de la caisse
- dire que la décision de prise en charge de 'l'accident du travail' de M. [K] est opposable à son employeur
- déclarer le jugement commun et opposable à l'employeur de M. [K]
- faire droit à l'action récursoire de la caisse
- dire que dans le cadre de son action récursoire, la caisse pourra recouvrer auprès de l'employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extra patrimoniaux limitativement énumérés)
- dire et juger que l'ensemble des sommes avancées par la caisse seront inscrites au passif de la société [T]
- dire que l'indemnisation des préjudices non limitativement énumérés est à la charge exclusive de l'employeur
- condamner l'employeur aux dépens.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.
La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.
En l'espèce, M. [K] soutient que sa maladie professionnelle (lombo sciatique gauche, hernie discale L5- S1)est due à la faute inexcusable de son employeur.
Il considère que la société [T] avait conscience du danger auquel il était exposé puisqu'il était amené à effectuer le port de charges lourdes, notamment en soulevant les bois servant à la réalisation des charpentes (poids supérieurs à 30 kg) et que d'autres salariés ont été atteints de lumbagos et de lombalgies.
Il ajoute que la société [T] n'a pas pris les mesures pour l'en préserver puisqu'il ne disposait pas des équipements nécessaires. Il fait état de l'absence d'échafaudage conforme aux normes, de harnais ou autres mesures de sécurité 'propres à empêcher les chutes dans le vide'. Il précise qu'il a dû lui même acquérir ses équipements de travail (mètres, crayons, ceinture, porte-outil, chaussures de sécurité, genouillère, équipement pour l'hiver et les intempéries).
Il ajoute que 'pour la plupart des chantiers', il ne bénéficiait que de simples échelles et devait donc à la force des bras et du dos, hisser les morceaux de charpente et effectuer à ces occasions des rotations du bassin, nocives pour les lombaires, que le chariot élévateur à l'atelier ne faisait pas l'objet de contrôles périodiques comme prévus par la loi et que les machines de l'atelier n'étaient pas à hauteur d'homme et l'obligeaient à adopter une posture 'non correcte'.
En outre, il invoque l'absence de formation sur les conditions d'exécution du travail notamment et le fait que le document unique d'évaluation des risques n'a pas été porté à sa connaissance.
Enfin, il prétend que la simple acquisition de matériel de sécurité par l'employeur n'est pas suffisante, puisqu'il appartient à ce dernier de démontrer que ce matériel a été acquis en nombre suffisant pour pouvoir être fourni à tous les salariés.
La société conteste qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et l'absence de mesures prises pour l'en protéger. Elle conteste notamment que son salarié devait porter de lourdes charges
C'est à M. [K] de démontrer que la société, consciente du risque auquel son salarié était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver.
Ensuite, certains éléments avancés par M. [K] n'ont aucun lien avec sa maladie professionnelle. En effet, l'absence d'échafaudage, de harnais ou de mesures destinées à éviter les chutes ou l'absence de contrôle conforme des engins de levage en particulier, sont sans lien avec les affections chroniques du rachis lombaire.
Par ailleurs, pour justifier de ses allégations sur ses conditions de travail et l'absence de mesures de protection, M. [K] se fonde sur des photographies de chantiers.
Or, aucun élément ne permet de les dater, ni de confirmer qu'elles concernent des chantiers sur lesquels il a travaillé.
Il produit en outre une fiche sur les chariots télescopiques. Il s'agit d'un document général d'information qui ne permet pas d'établir les conditions de travail de M. [K]. De même, il fournit deux courriers décrivant les travaux qu'il devait réaliser. Ces documents n'ont toutefois aucune valeur de preuve puisqu'il s'agit de courriers rédigés par ses soins.
Les autres pièces (documents médicaux, actes afférents aux procédures mises en oeuvre afin de voir reconnaître le caractère professionnel de sa maladie, sa qualité de travailleur handicapé ou la faute inexcusable de l'employeur) ne permettent pas d'établir précisément les conditions de travail de M. [K] et l'absence de mesures de protection.
Aucune pièce ne permet d'établir que d'autres salariés de l'entreprise ont développé des maladies du rachis semblables à la sienne.
Compte tenu de ces observations, M. [K] ne rapporte pas la preuve de ses conditions de travail à l'origine de sa maladie professionnelle.
Il ne démontre pas que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience d'un danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
M. [K] sera donc débouté de sa demande de reconnaissance d'une faute inexcusable à l'origine de sa maladie professionnelle déclarée le 12 novembre 2013, et de ses demandes subséquentes.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions sauf à rectifier le dispositif de la décision déférée en ce sens que la déclaration de maladie professionnelle est datée du 12 novembre 2013 et non du 29 novembre 2013 comme indiqué par erreur.
Succombant, M. [K] sera condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rectifie le dispositif du jugement déféré en ce sens que la mention '29 novembre 2013' doit être remplacée par la mention '12 novembre 2013'.
Confirme le jugement déféré ainsi rectifié;
Y ajoutant,
Condamne M. [K] aux dépens d'appel;
Déboute M. [K] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX