AFFAIRE : N° RG 20/01130
N° Portalis DBVC-V-B7E-GRMX
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pole social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 14 Mai 2020 - RG n° 16/00342
COUR D'APPEL DE CAEN
chambre sociale - section 3
ARRÊT DU 02 FEVRIER 2023
APPELANTES :
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 2]
[Adresse 4]
Représentée par M. [V], mandaté
S.A. INTERFILTRE
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Coralie LOYGUE, avocat au barreau de CAEN
INTIME :
Monsieur [J] [D]
[Adresse 3]
[Adresse 5]
Représenté par Me CONDAMINE, de la AARPI LEHOUX CONDAMINE CAVELIER, avocats au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 17 novembre 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 02 février 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados d'un jugement rendu le 14 mai 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à M. [D], en présence de la société Interfiltre.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [D] est salarié de la société Inter filtre ('la société') depuis le 3 mai 1982, en qualité d'agent de production.
Il a complété une déclaration de maladie professionnelle le 30 juillet 2015, mentionnant une 'rupture du tendon épaule droite', sur la base d'un certificat médical initial du 29 juin 2015 faisant état d'une 'rupture coiffe des rotateurs droite'.
Le 18 décembre 2015, la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados ('la caisse') a informé M. [D] que la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie n'avait pas pu aboutir, 'la condition relative à la liste limitative des travaux fixée au tableau n'étant pas remplie'. Elle précisait que le dossier était transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour examen dans le cadre de l'article L.461-1 du code de sécurité sociale.
Le 17 février 2016, la caisse a informé M. [D] du refus du bénéfice de la législation relative aux risques professionnels, au motif que le CRRMP n'avait pas rendu son avis.
M. [D] a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de ce refus de prise en charge de la maladie, puis le 11 avril 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'une contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Le 28 septembre 2016, le CRRMP de Rouen Normandie a rendu un avis défavorable à la reconnaissance de la maladie professionnelle, à la suite de quoi la caisse a informé M. [D] de sa décision du 30 septembre 2016 de refus de prise en charge de la maladie déclarée le 30 juillet 2015 dans le cadre du tableau n° 57 B 'affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail'.
M. [D] a saisi le 19 octobre 2016 la commission de recours amiable en contestation de la décision de refus de prise en charge de la maladie.
Par jugement du 19 juin 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados a rejeté la demande de mise en cause de la société, sursis à statuer et saisi le CRRMP de Bretagne d'une demande d'avis concernant l'éventuelle origine professionnelle de la pathologie déclarée par M. [D].
Le 26 juin 2018, le CRRMP de Bretagne a rendu un avis défavorable à la reconnaissance de la maladie professionnelle.
La société est intervenante volontairement à l'instance suivant courrier recommandé avec accusé de réception expédiée le 10 octobre 2017.
Le tribunal judiciaire, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a, par jugement du 14 mai 2020 :
- dit que la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite, pathologie diagnostiquée par certificat médical initial du 29 juin 2015, déclarée le 30 juillet 2015 par M. [D], est une maladie professionnelle,
- renvoyé M. [D] devant la caisse pour être rempli de ses droits concernant la prise en charge de la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite en tant que maladie professionnelle,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté M. [D] et la société de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la caisse aux entiers dépens éventuels de la présente instance.
Par acte du 30 juin 2020, la caisse a relevé appel de la dite décision.
Par acte du 2 juillet 2020, la société a également relevé appel de la décision.
Par ordonnance du 22 avril 2022, la jonction du dossier n° RG 20/01130 a été ordonnée avec le dossier n° RG 20/01131, la procédure se poursuivant sous le seul numéro RG 20/01130.
Par conclusions déposées le 1er juillet 2020, soutenues oralement par son représentant, la caisse demande à la cour de :
- réformer le jugement déféré,
A titre principal,
- confirmer la décision de refus de prise en charge de la maladie professionnelle, le lien direct entre la maladie de M. [D] et son activité professionnelle n'étant pas établi ;
A titre subsidiaire,
- désigner un troisième CRRMP en imposant aux parties de lui soumettre l'ensemble de leurs pièces ;
En tout état de cause,
- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes.
Par conclusions déposées le 11 mai 2022, soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle se désiste de son appel interjeté à l'encontre du jugement entrepris et de dire que chacune des parties conservera la charge de ses frais et dépens.
Par écritures déposées le 22 octobre 2022, soutenues oralement par son conseil, M. [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite, pathologie diagnostiquée par certificat médical initial du 29 juin 2015, déclarée le 30 juillet 2015 par M. [D], est une maladie professionnelle,
- renvoyé M. [D] devant la caisse pour être rempli de ses droits concernant la prise en charge de la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite en tant que maladie professionnelle,
- condamné la caisse aux entiers dépens éventuels de la présente instance ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- condamner la caisse à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance,
En toute hypothèse,
- condamner la caisse à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- débouter la caisse de l'intégralité de ses prétentions.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
MOTIFS
Il convient de constater le désistement d'appel de la société.
Aux termes de l'article L.461-1 du code de sécurité sociale dans sa version applicable,
Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
La caisse expose que la seule condition posant difficulté, dans l'application du tableau n° 57 A des maladies professionnelles, est celle tenant à la liste limitative des travaux, les autres conditions n'étant ni contestées ni contestables.
Elle rappelle que l'étude de poste de M. [D] révélait que celui-ci n'avait pas été exposé à une élévation des membres supérieure à 60 ou 90° pendant au moins deux heures par jour. Elle estime que les pièces produites par M. [D], postérieurement aux deux CRRMP, n'apportent aucun élément probant pertinent.
En réplique, M. [D] fait valoir que son poste supposait des mouvements répétés au- dessus de la ligne des épaules et des travaux forcés des épaules, de façon quotidienne.
Le tableau 57 A prévoit au titre de la rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs les conditions suivantes relatives aux travaux :
Travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction :
- avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé
ou
- avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.
Selon l'enquête réalisée par la caisse le 25 novembre 2015, M. [D] avait pour tâche notamment de poser des joints de silicone sur des caissons à raison de 14 heures par semaine. Il était précisé que ce travail impliquait un décollement du bras par rapport au corps de 60° pour une durée cumulée journalière inférieure à 2 heures et de 90°pour une durée cumulée journalière inférieure à 1 heure.
Il résulte des pièces produites par M. [D], en particulier des témoignages d'anciens collègues de travail, qu'il était chargé de l'équipement et de la finition de caissons. Il s'agissait soit de petits caissons, pour lesquels le travail se faisait sur des petites tables roulantes, soit de gros caissons, supposant que le salarié se serve d'un chariot élévateur pour les positionner à hauteur de sa tête. Il devait alors exécuter son travail à l'intérieur du caisson pour la pose des joints de silicone.
M. [R], ancien salarié de la société, précise que M. [D] posait des joints de silicone sur des caissons posés sur chariots élévateurs ou sur des tréteaux, pour une hauteur pouvant aller jusqu'à trois mètres , avec tension du bras pour pouvoir poser la silicone et l'étaler. Il indique que cette opération se répétait plusieurs fois par semaine, à raison de 7 heures par jour.
Contrairement à ce qu'affirme la caisse, M. [D] avait dès l'origine été précis sur la durée d'exposition au risque, puisqu'il indiquait, dans la fiche descriptive des gestes, qu'il devait lever le coude au dessus de l'épaule droite à 60 et 90°, de façon quotidienne et répétée, pendant une durée allant de la journée ou la semaine.
Les premiers juges ont ainsi relevé à juste titre, s'agissant des activités prépondérantes du salarié, et alors qu'il travaillait 35 heures hebdomadaires, réparties sur cinq jours, que les éléments produits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir un lien suffisamment étroit entre l'exposition professionnelle et la pathologie présentée.
C'est par conséquent à bon droit que le tribunal a dit que la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite, pathologie diagnostiquée par certificat médical initial du 29 juin 2015, déclarée le 30 juillet 2015 par M. [D], est une maladie professionnelle, et renvoyé le salarié devant la caisse pour être rempli de ses droits concernant la prise en charge de la rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite en tant que maladie professionnelle.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Aucune disposition légale ne prévoit la désignation d'un troisième CRRMP, de sorte que cette demande doit être rejetée.
- Sur les autres demandes
Succombant en ses prétentions, la caisse sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à M. [D] d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il débouté M. [D] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Constate le désistement d'appel de la société Inter filtre ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Déboute la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados de sa demande de désignation d'un troisième comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX