AFFAIRE : N° RG 20/02136
N° Portalis DBVC-V-B7E-GTSY
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 05 Octobre 2020 - RG n° 18/00619
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRET DU 26 JANVIER 2023
APPELANTE :
S.A.S. [5] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Localité 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Kévin MONGERMONT, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'ILLE ET VILAINE prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Mme DESLANDES, mandatée
DEBATS : A l'audience publique du 07 novembre 2022, tenue par Monsieur LE BOURVELLEC, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de Chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 26 janvier 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 5 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.
FAITS ET PROCEDURE
M. [T] a été embauché par la société [5] ('la société') le 3 février 1982 en qualité de conducteur de véhicules et d'engins lourds de levage et de manoeuvre.
Une déclaration d'accident du travail, accompagnée d'une lettre de réserves de l'employeur, a été établie le 4 janvier 2018 mentionnant les circonstances suivantes : accident du travail du 3 janvier 2018 à 4 h 00 'selon les dires du salarié : il aurait fait un malaise, puis un 2ème 15 min après'.
Le certificat médical initial du 4 janvier 2018 mentionne 'malaise sans perte de connaissance sur les lieux du travail en rapport avec un surmenage professionnel'. Un arrêt de travail a été prescrit au salarié.
Par décision du 12 mars 2018, la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (la caisse) a pris en charge l'accident survenu le 3 janvier 2018 au titre de la législation relative aux risques professionnels.
La société a notifié à M. [T] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 25 avril 2018.
Le 9 mai 2018, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse pour contester la décision de prise en charge de l'accident.
Elle a ensuite saisi, le 31 juillet 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados en contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable, puis le 23 novembre 2018 en contestation de la décision explicite de rejet en date du 10 octobre 2018.
Par jugement du 5 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Caen, auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :
- ordonné la jonction de l'affaire portant le numéro de rôle 2018-842 à celle portant le numéro de rôle 2018-619,
- débouté la caisse de sa demande tendant au rejet des conclusions de la société,
- débouté la société de ses demandes,
- confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse prise lors de sa séance du 26 septembre 2018, maintenant la décision initiale de prise en charge de l'accident du travail de la caisse du 12 mars 2018, dont a été victime M. [T] le 3 janvier 2018,
- condamné la société aux dépens.
Par acte du 6 novembre 2020, la société a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées le 13 juillet 2022, soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour de :
A titre principal,
- infirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté la société de ses demandes et confirmé la décision de la commission de recours amiable
- statuant à nouveau, déclarer inopposable à la société la décision de prise en charge du 12 mars 2018 de l'accident de M. [T] dans la mesure où cet accident ne présente aucun caractère professionnel,
- en tant que de besoin, ordonner une expertise sur pièces du dossier médical de M. [T],
- ordonner l'exécution provisoire,
- réserver les dépens.
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société de ses demandes et confirmé la décision de la commission de recours amiable,
- statuant à nouveau, déclarer inopposable à la société la décision de prise en charge du 12 mars 2018 de l'accident de M. [T] dans la mesure où la caisse a méconnu les dispositions de l'article R.441-13 du code de sécurité sociale en ne constituant pas un dossier complet,
En tout état de cause,
- condamner la caisse à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures déposées le 8 novembre 2022, soutenues oralement par son conseil, la caisse demande à la cour de :
- dire que la présomption d'imputabilité s'applique à l'accident du travail dont a été victime M. [T] le 3 janvier 2018,
- dire en conséquence que c'est à bon droit que la caisse a pris en charge au titre de la législation professionnelle l'accident survenu le 3 janvier 2018,
- confirmer le jugement déféré,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société à verser à la caisse la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux dépens.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR,
- Sur la matérialité de l'accident
Aux termes de l'article L.411-1 du code de sécurité sociale, Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Pour que la présomption d'imputabilité instituée par l'article susvisé s'applique, la victime ou la caisse subrogée dans les droits de la victime, doit préalablement établir la matérialité du fait accidentel et de la lésion mais également leur survenance au temps et au lieu du travail.
En l'espèce, la société reproche à la caisse d'avoir pris en charge l'accident prétendu sur la base des seules déclarations du salarié, sans qu'aucun témoin n'ait assisté à la scène. Elle souligne que rien ne prouve que les malaises ne seraient pas produits avant la prise du poste de travail. Elle ajoute que cet accident est intervenu dans le cadre du projet de départ de M. [T] de la société, et que le salarié présentait un état pathologique antérieur.
La caisse rétorque qu'il est établi que l'accident est bien survenu au temps et au lieu du travail, et que les réserves de l'employeur ne portent que sur l'existence d'un état antérieur. Elle estime que les déclarations du salarié sont corroborées par des éléments objectifs et que la société échoue à renverser la présomption simple d'imputabilité de l'accident au travail.
Le courrier de réserves de l'employeur, en date du 4 janvier 2018, mentionnait 'nous considérons que ce malaise trouve son origine dans une cause totalement étrangère au travail. Ainsi, M. [T] se trouvait à son poste de travail lorsqu'il a ressenti un malaise. Or, en l'espèce, il n'existe aucun lien direct et certain entre le travail de notre salarié et le malaise dont il a été victime. De plus, durant sa journée de travail, il effectuait les tâches qui lui ont été confiées de manière tout à fait normale et les conditions de travail étaient tout ce qu'il peut y avoir de plus habituel.
Nous avons donc des suspicions sur l'existence d'un éventuel état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte sur lequel nous vous demandons de bien vouloir mener une enquête.'
Il résulte du formulaire d'enregistrement de l'accident du travail par l'employeur que M. [T] a prévenu un collègue de travail (M. [E]) le 3 janvier 2018 à 8 heures qu'il avait été victime de deux malaises à un quart d'heure d'intervalle alors qu'il était en train de charger son camion.
Le certificat médical initial retient 'malaise sans perte de connaissance sur les lieux du travail, en rapport avec surmenage professionnel.'
Après plainte de la société à l'encontre du médecin généraliste, et après conciliation entre les parties devant le conseil de l'ordre des médecins, le praticien qui a établi le certificat médical initial a reconnu qu'il aurait dû écrire 'malaise sur le lieu de travail allégué par le patient'.
Il n'en demeure pas moins que le salarié a informé le jour même un collègue de l'accident, puis dès le 4 janvier 2018, son employeur, soit dans les 24 heures suivant le sinistre. Il a également consulté un médecin le 4 janvier 2018, lequel a relevé l'existence d'une lésion consistant en un malaise. Si le médecin traitant a ajouté à tort que le malaise s'était déroulé sur le lieu du travail et en raison d'un surmenage professionnel, il n'est en revanche pas revenu sur le constat médical du malaise, avec prescription d'un arrêt de travail.
Compte tenu de la conciliation intervenue entre la société et le médecin généraliste, devant le conseil de l'ordre des médecins, pour retenir la formulation 'malaise sur le lieu de travail allégué par le patient', il n'existe aucun motif pour écarter des débats le certificat médical initial du 4 janvier 2018.
Ces actes accomplis dans des temps proches de l'accident constituent des présomptions de nature à établir le caractère professionnel de l'accident, nonobstant l'absence de témoin, alors qu'au surplus M. [T] exerçait seul, de manière habituelle, son activité professionnelle.
La société soutient que la déclaration d'accident du travail est intervenue dans le cadre d'un projet du salarié de quitter la société en bénéficiant d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Elle ajoute que M. [T] avait été en arrêts de travail plusieurs fois en 2017 en raison de problèmes cardiaques.
Aucune preuve n'est apportée de l'une ou l'autre de ces affirmations, car si les arrêts de travail sont établis, leur motif est inconnu.
Ainsi, si la société peut affirmer que les pathologies cardiaques sont à l'origine de malaises ou de fatigues récurrents, elle échoue à prouver que son salarié était atteint d'une telle pathologie, préexistante, indépendante des conditions de travail et évoluant pour son propre compte.
Il en résulte que la matérialité de l'accident survenu le 3 janvier 2018 est établie, ainsi que sa survenance au temps et au lieu du travail.
- Sur le respect du contradictoire
En vertu des dispositions des articles R 441-14 et R 441-11 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction issue du décret n° 2009 - 938 du 29 juillet 2009 applicable au litige, la caisse primaire d'assurance maladie doit, préalablement à sa décision concernant la prise en charge d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, informer l'employeur de la clôture de l'instruction, des éléments susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date de cette décision.
L'article R 441- 11 précité prévoit qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision, à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.
L'article R.441-13, dans sa version applicable, précise :
Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;
1°) la déclaration d'accident ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.
La société fait valoir que la caisse ne lui a pas communiqué l'avis de son médecin-conseil, pas plus que le certificat médical de prolongation d'arrêt de travail du salarié.
La caisse réplique que l'ensemble des pièces visées par les textes ont été communiquées à la société, laquelle ne s'est pas déplacée pour consulter le dossier.
L'intimée produit le courrier du 20 février 2018 par lequel elle informe la société de la clôture de l'instruction du dossier, de la date à laquelle la décision devait intervenir, et de la possibilité pour l'employeur de venir consulter les pièces constitutives dudit dossier.
Aucun élément n'est en revanche produit par la caisse qui aurait permis de connaître la liste des pièces ainsi mises à la disposition de la société, peu important que celle-ci vienne ou non les consulter.
Il n'est en particulier pas justifié que l'avis du médecin-conseil de la caisse faisait partie du dossier que l'employeur pouvait consulter.
En procédant de la sorte, la caisse n'a respecté ni l'obligation d'information ni le principe du contradictoire édictés par les dispositions susvisées.
En conséquence, il convient de déclarer inopposable à la société la décision de la caisse de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail déclaré le 4 janvier 2018 , dont a été victime M. [T].
Le jugement entrepris sera donc infirmé.
La caisse qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel, et sera condamnée à verser à la société une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Déclare inopposable à la société [5] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail déclaré le 4 janvier 2018, dont a été victime M. [T] ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille et Vilaine aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine à payer à la société [5] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX