AFFAIRE : N° RG 20/00419
N° Portalis DBVC-V-B7E-GP5R
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal Judiciaire d'ALENCON en date du 17 Janvier 2020 - RG n° 18/00208
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
APPELANTE :
SAS [5] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
URSSAF DE NORMANDIE VENANT AUX DROITS DE L'URSSAF DE BASSE-NORMANDIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 20 octobre 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 15 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 17 janvier 2020 par le tribunal judiciaire d'Alençon dans un litige l'opposant à l'Urssaf de Basse Normandie.
FAITS et PROCEDURE
La société [5] (la société) a pour activité tous travaux du bâtiment dans le second oeuvre.
Au cours de l'année 2017, elle a fait l'objet d'une vérification de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires par les services de l'Urssaf de Basse Normandie (l'Urssaf ) portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016.
A l'issue de ce contrôle, les inspecteurs du recouvrement lui ont adressé une lettre d'observations en date du 9 novembre 2017, portant rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d'assurance chômage et d'AGS d'un montant total de 204 509 euros se décomposant comme suit:
- n° 1: frais professionnels - limites d'exonération : utilisation du véhicule personnel (indemnités kilométriques) :12 417 euros
- n° 2 : rémunérations non déclarées : carte Total GR- prise en charge de dépenses personnelles: 8 144 euros
- n° 3 : frais professionnels non justifiés: indemnités kilométriques : 49 504 euros
- n° 4 : frais professionnels non justifiés - carte Total GR et indemnités kilométriques : 67 649 euros
- n° 5 : réduction générale des cotisations : règles générales: 64 203 euros
- n° 6 : contribution Fnal supplémentaire : généralités : 2 233 euros
- n° 7 : rémunérations non déclarées: rémunérations non soumises à cotisations :359 euros .
Par courrier du 8 décembre 2017, la société a formulé des observations sur les chefs de redressement n° 2,3,4,5,7.
Le 23 janvier 2018, l'inspecteur du recouvrement a maintenu le redressement.
Le 12 février 2018, l'Urssaf a adressé à la société une mise en demeure de payer la somme totale de 236 688 euros, soit 204 509 euros de cotisations et 32 179 euros de majorations de retard.
Le 12 avril 2018, la société a saisi la commission de recours amiable afin de contester le bien fondé des chefs de redressement 2,3,4 et 5.
Le 19 juillet 2018, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Alençon d'un recours contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.
Par décision du 9 octobre 2018, la commission a rejeté le recours de la société quant aux chefs de redressement n° 2 et 4 et a partiellement fait droit à sa requête quant aux chefs de redressement n° 3 et 5 ramenant le montant du redressement à la somme de 177 617 euros de cotisations , 27 613 euros de majorations de retard et 43,66 euros de frais de justice soit la somme totale de 205 273,66 euros.
Par jugement du 17 janvier 2020, le tribunal judiciaire d'Alençon, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a :
- débouté la société [5] de l'ensemble de ses demandes,
En conséquence,
- confirmé la décision de la commission de recours amiable de l'Urssaf de Basse -Normandie en date du 9 octobre 2018,
- condamné la société [5] à payer à l'Urssaf de Basse- Normandie la somme de 205 273,66 euros soit 177 617 euros de cotisations et 27 613 euros de majorations de retard,
- condamné la société [5] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 18 février 2020, la société [5] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 17 février 2022, la société demande à la cour de :
- juger que les griefs 2, 3 ,4 et 5 soulevés par l'Urssaf de Basse Normandie sont infondés et dès lors, la débouter de ses demandes sur ces griefs,
- condamner l'Urssaf de Basse Normandie à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 16 juin 2022, l'Urssaf de Normandie, venant aux droits de l'Urssaf de Basse Normandie, demande à la cour :
- de déclarer l'Urssaf de Normandie venant aux droits de l'Urssaf de Basse Normandie, recevable en son intervention volontaire,
- de déclarer la société [5] mal fondée en son appel,
- de rejeter ses entières demandes,
- de confirmer le jugement déféré,
- de condamner la société [5] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR
- Sur l'intervention volontaire de l'Urssaf de Normandie
L'Urssaf de Basse -Normandie et l'Urssaf de Haute Normandie ayant fusionné à compter du 1er janvier 2022 pour devenir l'Urssaf de Normandie, il convient de recevoir l'Urssaf de Normandie en son intervention volontaire.
- Sur le chef de redressement n° 2: rémunérations non déclarées: carte Total GR - prise en charge de dépenses personnelles
Aux termes de la lettre d'observations, les inspecteurs du recouvrement exposent que la société met à la disposition de ses salariés des cartes Total GR pour le règlement des péages et du carburant, toutes nominatives sauf une portant la dénomination ' support 001 Serv généraux', que l'analyse des relevés de cette carte Total GR des années 2014 à 2016, a permis de constater que les kilomètres (arrondis à la centaine en général) enregistrés lors des paiements de carburant correspondaient aux kilométrages mentionnés sur les factures d'entretien des véhicules personnels utilisés par M. [P], établissant ainsi qu'il avait utilisé la carte Total GR à titre personnel.
L'Urssaf en conclut que M. [P], en ce qu'il a bénéficié à la fois du versement des indemnités kilométriques facturées à la société et de la carte Total GR ' services généraux', a bénéficié de 2014 à 2016 d'un avantage en espèces devant être réintégré dans l'assiette des cotisations et contributions sociales, entraînant une régularisation de cotisations et contributions de 8144 euros.
La société conteste ce chef de redressement faisant valoir que la régularisation est fondée sur des rapprochements, aléatoires et erronés, des factures d'entretien du véhicule personnel de M. [P] avec les relevés des cartes Total GR indiquant les kilomètres du véhicule concerné, qu'à partir de quatre exemples pour les années 2014 à 2016, l'inspecteur en a conclu que les kilométrages indiqués sur les relevés Total GR correspondaient à ceux du véhicule personnel de M. [P], que cette analyse méconnaît la réalité puisque la carte Total ' services généraux' non nominative a vocation à être utilisée par tous les salariés de la société, ce qui avait été indiqué à l'inspecteur du recouvrement.
Il ressort des pièces du dossier que M. [P], engagé en qualité de directeur technique à compter du 1er janvier 2014, a été nommé président de la société le 31 janvier 2014.
Il n'est pas contesté qu'il utilise son véhicule personnel lors de ses déplacements professionnels, dont il est indemnisé par le versement d'indemnités kilométriques.
Les inspecteurs du recouvrement ont analysé les relevés de la carte Total GR services généraux sur les années 2014 à 2016 et constaté que les kilomètres, arrondis à la centaine en général, enregistrés lors des paiements de carburant correspondaient aux kilométrages des véhicules personnels utilisés par M. [P], après avoir fait des recoupements avec les factures d'entretien des véhicules de ce dernier.
Les inspecteurs ont relevé quatre exemples et notamment, la facture d'entretien du 4 septembre 2014 de la Mercedes Classe E de M. [P] mentionnant 206 121 kilomètres et le relevé de carte Total GR mentionnant à la même date 206 200 km .
Des rapprochements similaires ont été faits à partir des factures d'entretien des 2 septembre 2015 et 18 février 2016,de la Mercedes Classe E.
La quatrième facture d'entretien du 1er décembre 2016 concernant la Mercedes Classe C, nouvelle voiture utilisée par M. [P] à partir du mois de novembre 2016, mentionne 5902 km et le relevé de carte Total GR mentionne 5 000 km.
Ainsi que relevé par la commission de recours amiable, les kilomètres portés sur les relevés de cartes Total GR sont progressifs: 206 200 km puis 311 115 km puis 361 600km pour redescendre à 5 000 km au 23 novembre 2016, soit juste après le changement de véhicule de M. [P] .
La société ne fait valoir aucun élément de nature à remettre en cause les constatations faites par les inspecteurs de l'Urssaf.
En utilisant la carte Total GR à titre personnel, alors que celui - ci percevait des indemnités kilométriques pour les trajets parcourus avec son véhicule personnel, M. [P] a eu un avantage en espèce qu'il convient de réintégrer dans son salaire et donc dans l'assiette des cotisations et contributions sociales.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a maintenu ce chef de redressement n° 2 d'un montant de 8144 euros.
- Sur le chef de redressement n° 3: Frais professionnels non justifiés: indemnités kilométriques
Il est constant, en application de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 20 décembre 2002 afférents aux frais professionnels, que l'exonération de l'assiette des cotisations des indemnités kilométriques versées à ses salariés par une société est admise, à condition pour la société de prouver que le salarié a effectivement engagé des frais supplémentaires de transport, en justifiant du moyen de transport utilisé par le salarié, du nombre de kilomètres effectués à titre professionnel et de produire la copie de la carte grise du véhicule au nom du bénéficiaire ou du conjoint ou du partenaire de pacs de ce dernier. En l'absence d'une telle justification, les indemnités doivent être réintégrées dans l'assiette des cotisations.
A l'examen notamment du grand livre comptable tenu par la société [5], les inspecteurs du recouvrement ont relevé que la société a versé des indemnités kilométriques à plusieurs de ses salariés, mais qu'elle n'avait pas, pour six d'entre eux, transmis les pièces nécessaires à la justification des sommes engagées par eux au titre des trajets qu'ils ont effectués : relevés des indemnités kilométriques, cartes grises des véhicules utilisés par les salariés, permis de conduire des salariés ayant perçu les indemnités kilométriques.
Ainsi, le permis de conduire produit par M. [T] [V] est illisible. M.[N] [I], M. [D] [W], M. [E] [W] et M. [F] [J] ont transmis des cartes grises lesquelles sont au nom d'un tiers. Enfin M. [O] [U] n'a fourni aucune carte grise.
En cause d'appel, c'est en vain que la société fait valoir que depuis l'année 2014, première année contrôlée, ses effectifs ont évolué, certains de ses salariés ayant quitté l'entreprise voire la France, ce qui rend impossible la production de l'ensemble des documents.
En conséquence la cour, à l'instar des premiers juges, retient que la société n'est pas en mesure de prouver que ces six salariés utilisaient leur véhicule personnel à des fins professionnelles, de sorte que les indemnités kilométriques versées ne peuvent être exclues de l'assiette des cotisations.
Le redressement d'un montant de 34 059 euros de ce chef sera donc confirmé.
- Sur le chef de redressement n° 4 : Frais professionnels non justifiés : carte Total GR et indemnités kilométriques
En application de l'article L 242- 1 du code de la sécurité sociale et de l'article 4 de l'arrêté du 20 décembre 2002, les indemnités kilométriques sont versées au salarié qui se trouve dans une situation de contrainte l'obligeant à prendre son véhicule personnel à des fins professionnelles.
C'est par de justes motifs,que la cour adopte, que les premiers juges ont retenu que la société [5] avait,dans le même temps, versé des indemnités kilométriques à ses salariés, loué des véhicules pour le transport de ces mêmes salariés et mis à leur disposition des cartes Total GR nominatives, de sorte que les indemnités kilométriques n'étaient pas justifiées.
Devant la cour, la société fait valoir, d'une part, que le fait que les plannings transmis à l'inspecteur ne mentionnent pas le décalage de déplacement pour les chefs de chantier (un jour avant le début du chantier et retour un jour après la fin), ne suffit pas à remettre en cause la réalité du fonctionnement de la société, laquelle intervient dans toute la France et emploie des salariés habitant dans des zones géographiques très différentes, que cela justifie l'utilisation des véhicules personnels et d'autre part, qu'elle communique tous les permis de conduire des salariés concernés par le redressement.
Cependant, ces éléments ne permettent pas à eux seuls de remettre en cause ce chef de redressement puisqu'il est établi que la société loue toute l'année des véhicules qui sont à disposition de ses salariés et qu'en outre, les relevés kilométriques des salariés mentionnent uniquement le nombre de kilomètres sans mentionner aucun frais de péage.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a maintenu ce chef de redressement à hauteur de 67 649 euros.
- Sur le chef de redressement n° 5: réduction générale des cotisations - règles générales
Les frais professionnels non justifiés relevés au titre des chefs de redressement n° 3 et 4 de la lettre d'observations constituent une rémunération au sens de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale et doivent à ce titre être réintégrés dans la rémunération servant de base au calcul de la réduction dite Fillon, pour un montant de 52 756 euros.
Ce chef de redressement n° 5 sera donc maintenu.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a confirmé la décision de la commission de recours amiable de l'Urssaf en date du 9 octobre 2018 et condamné la société [5] à payer à l'Urssaf de Basse Normandie, aux droits de laquelle vient aujourd'hui l'Urssaf de Normandie, la somme 205 273,66 euros soit 177 617 euros de cotisations, 27 613 euros de majorations de retard et 43,66 euros de frais de justice.
- Sur les demandes accessoires
La société [5] qui succombe, supportera les dépens d'appel et sera déboutée de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a mis les dépens de première instance à la charge de la société [5].
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de l'Urssaf présentée au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare recevable l'intervention volontaire de l'Urssaf de Normandie, venant aux droits de l'Urssaf de Basse Normandie ,
Confirme le jugement déféré,
Condamne la société [5] aux dépens d'appel,
Déboute l'Urssaf de Normandie et la société [5] de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX