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15/12/2022 | FRANCE | N°20/00315

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 3, 15 décembre 2022, 20/00315


AFFAIRE : N° RG 20/00315

N° Portalis DBVC-V-B7E-GPVH

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 29 Janvier 2020 - RG n° 15/00062











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022





APPELANTE :



Association [4] anciennement dénommée [3]

[Adresse 1]



Représentée par Me Brice BRIEL, substitué par Me PICHANICK, avocats au b

arreau de LYON







INTIMES :



Monsieur [J] [T]

[Adresse 2]



Représenté par Me Estelle DARDANNE, avocat au barreau de COUTANCES



Monsieur [C] [N]

[Adresse 6]



Représenté par Me MARCHAND-MILLIER, su...

AFFAIRE : N° RG 20/00315

N° Portalis DBVC-V-B7E-GPVH

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 29 Janvier 2020 - RG n° 15/00062

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022

APPELANTE :

Association [4] anciennement dénommée [3]

[Adresse 1]

Représentée par Me Brice BRIEL, substitué par Me PICHANICK, avocats au barreau de LYON

INTIMES :

Monsieur [J] [T]

[Adresse 2]

Représenté par Me Estelle DARDANNE, avocat au barreau de COUTANCES

Monsieur [C] [N]

[Adresse 6]

Représenté par Me MARCHAND-MILLIER, substitué par Me NOYAUX, avocats au barreau de COUTANCES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

[Adresse 7]

Représentée par M. [B], mandaté

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 20 octobre 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 15 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par l'association [4] anciennement dénommée [3] d'un jugement rendu le 29 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à M. [J] [T], M. [C] [N] et la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche.

FAITS et PROCEDURE

M. [T] a été embauché par M. [N] dans le cadre d'un contrat d'apprentissage à compter du 1er septembre 2011 en vue d'obtenir son diplôme de maçon. Parallèlement, il suivait sa scolarité en alternance au sein de l'association [4] (l'association) à [Localité 5].

Le 28 septembre 2012, il a été victime d'un accident alors qu'il suivait sa scolarité au sein de cette association.

M. [N] en sa qualité d'employeur, a établi le 13 novembre 2012, une déclaration d'accident du travail dans les termes suivants : '[J] était en train d'enlever les gravats de la bétonnière, lorsque le formateur l'a remise en marche involontairement'.

Le certificat médical initial du 28 septembre 2012 a relevé les lésions suivantes : 'contusion poignet droit'.

L'accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse) au titre de la législation sur les risques professionnels.

M. [T] a été déclaré consolidé le 14 août 2013.

La caisse a pris en charge de nouvelles lésions constatées le 24 juin 2014 au titre d'une rechute de l'accident du travail du 28 septembre 2012.

Après consolidation fixée au 20 juin 2015, M. [T] s'est vu reconnaître un taux d'incapacité permanente partielle de 15 %.

M. [T] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche le 11 août 2015 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

Selon jugement du 29 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Coutances auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019 a :

- dit que la décision du 28 septembre 2012 de prendre en charge l'accident dont a été victime M. [T] au titre de la législation professionnelle est opposable à l'employeur juridique M. [N]

- dit que l'association [4] a commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident de M. [T] le 28 septembre 2012 dont doit répondre l'employeur juridique

- ordonné la majoration maximale de la rente de M. [T]

- alloué à M. [T] une provision de 4000 euros à valoir sur le montant des préjudices qui seront alloués

- rappelé que le paiement de la majoration de rente et de la provision est à la charge de la caisse

- condamné M. [N] à rembourser à la caisse les indemnités mises à sa charge au titre de la majoration de la rente taux initial et de la provision

- dit que l'association [4] devra garantir M. [N] de toute condamnation prononcée à son encontre

- avant dire-droit, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [W]

- dit que l'affaire sera rappelée à la prochaine date d'audience utile après dépôt du rapport

- sursis à statuer sur les autres demandes

- ordonné l'exécution provisoire.

L'association [4] a formé appel de ce jugement par déclaration 7 février 2020.

Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 4 février 2022 et soutenues oralement à l'audience, l'association demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* dit que l'association a commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident de M. [T] du 28 septembre 2022

* dit que l'association devra garantir M. [N] de toute condamnation

* ordonné la majoration maximale de la rente de M. [T] et accordé à ce dernier une provision de 4000 euros

* condamné l'association sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

statuant à nouveau,

- débouter M. [T] de ses demandes

- le condamner aux dépens et à payer 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

en tout état de cause,

- mettre hors de cause l'association.

Suivant conclusions reçues au greffe le 16 octobre 2022 soutenues oralement à l'audience, M. [T] demande à la cour de :

- débouter l'association et M. [N] de leurs demandes

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la décision du 28 septembre 2012 de prendre en charge l'accident dont a été victime M. [T] au titre de la législation professionnelle est opposable à l'employeur juridique M. [N]

* dit que l'association [4] a commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident de M. [T] le 28 septembre 2012 dont doit répondre l'employeur juridique

* ordonné la majoration maximale de la rente de M. [T]

* alloué à M. [T] une provision de 4000 euros à valoir sur le montant des préjudices qui seront alloués

* rappelé que le paiement de la majoration de rente et de la provision est à la charge de la caisse

* condamné M. [N] à rembourser à la caisse les indemnités mises à sa charge au titre de la majoration de la rente taux initial et de la provision

* dit que l'association [4] devra garantir M. [N] de toute condamnation prononcée à son encontre

* avant dire-droit, ordonné une expertise médicale

- déclarer la décision à intervenir opposable à la caisse

y additant,

- condamner in solidum l'association et M. [N] à lui payer 4000 euros au titre des frais irrépétibles.

Selon conclusions reçues au greffe le 12 juillet 2022 soutenues oralement à l'audience, M. [N] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la décision du 28 septembre 2012 de prendre en charge l'accident dont a été victime M. [T] au titre de la législation professionnelle est opposable à l'employeur juridique M. [N]

* dit que l'association [4] a commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident de M. [T] le 28 septembre 2012 dont doit répondre l'employeur juridique

* ordonné la majoration maximale de la rente de M. [T]

* alloué à M. [T] une provision de 4000 euros à valoir sur le montant des préjudices qui seront alloués

* condamné M. [N] à rembourser à la caisse les indemnités mises à sa charge au titre de la majoration de la rente taux initial et de la provision

statuant à nouveau,

- débouter M. [T] de ses demandes contre M. [N]

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'association à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre

en tout état de cause,

- condamner M. [T] et l'association à lui payer '3.00' euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de conclusions reçues au greffe le 19 septembre 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

à titre subsidiaire en cas d'infirmation du jugement,

- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable dans l'hypothèse où la faute inexcusable est reconnue,

- dire que la majoration de la rente sera avancée par la caisse

- débouter M. [T] de sa demande de provision

- dire que les frais d'expertise seront supportés par l'employeur de M. [T] sur l'action récursoire de la caisse

- dire que la décision de prise en charge de l'accident du travail de M. [T] est opposable à son employeur

- déclarer le jugement commun et opposable à l'employeur de M. [T]

- dire que la caisse pourra exercer son action récursoire et recouvrer auprès de l'employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extra patrimoniaux limitativement énumérés)

- dire que l'indemnisation des préjudices non limitativement énumérés est à la charge exclusive de l'employeur

- faire droit à l'action récursoire de la caisse

- ordonner l'exécution provisoire quant à l'action récursoire de la caisse

- délivrer le présent arrêt revêtu de la formule exécutoire

- condamner l'employeur aux dépens.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

- Sur la prise en charge de l'accident du 28 septembre 2012 au titre de la législation professionnelle

Conformément à l'article L 6222-32 du code du travail, lorsque l'apprenti fréquente le centre de formation, il continue à bénéficier du régime de sécurité sociale sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont il relève en tant que salarié.

L'article L 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

Il incombe au salarié de rapporter la preuve de l'accident du travail. Cette preuve ne peut résulter de ses seules déclarations. Les allégations du salarié doivent en effet être corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes.

En l'espèce, M. [N] en sa qualité d'employeur, a établi le 13 novembre 2012, une déclaration d'accident du travail dans les termes suivants : '[J] était en train d'enlever les gravats de la bétonnière, lorsque le formateur l'a remise en marche involontairement'.

Le certificat médical initial du 28 septembre 2012 a relevé les lésions suivantes : 'contusion poignet droit'.

L'accident allégué est survenu alors que M. [T] se trouvait au centre de formation, sous la direction de son formateur M. [D], qui exerçait à son égard un pouvoir de contrôle et de surveillance.

Toutefois, comme rappelé précédemment, M. [T] continuait de bénéficier de la législation relative aux accidents du travail en tant que salarié de M. [N], y compris lorsqu'il était sous la direction du centre de formation qui s'était substitué à ce dernier.

M. [T] affirme que son bras droit a été entraîné par la bétonnière alors qu'il tentait de retirer un morceau de gravat.

Le certificat médical initial du même jour confirme la présence de contusion au niveau du poignet droit.

En outre, s'il est exact que les premières radiographies n'ont pas établi de fracture du poignet, en revanche, il est noté dans le rapport d'expertise judiciaire que, la douleur persistant, une nouvelle radiographie a été réalisée le 30 septembre 2012 où une fracture du poignet droit a été établie.

Par ailleurs, aux termes d'un courrier rédigé le jour des faits, le directeur de l'association a informé M. [N] que M. [T] avait été victime d'un accident du travail à 11 heures (c'est à dire sur son temps de travail) et au sein de l'atelier maçonnerie de l'association (c'est à dire sur son lieu de travail) d'un accident dans les conditions suivantes '[J] était en train d'enlever des gravats de la bétonnière lorsque le formateur l'a remise en marche involontairement'; 'siège des lésions : poignet droit', 'nature des lésions : contusion'.

La preuve que M. [T] a été victime d'un accident du travail alors qu'il tentait d'enlever les gravats de la bétonnière le 28 septembre 2012 est donc établie.

Le jugement a retenu que la date de la décision de prise en charge de la caisse était le 28 septembre 2012 ce qui est inexact puisque la déclaration d'accident du travail est postérieure.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit que la décision du 28 septembre 2012 était opposable à M. [C] [N].

Statuant à nouveau, il sera dit la décision de prise en charge par la caisse de l'accident du 28 septembre 2012 de M. [T], au titre de la législation professionnelle est opposable à l'employeur juridique, M. [N].

- Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur  avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

  

Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.

La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

Par ailleurs, lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction du travail, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire. En outre, lorsque l'apprenti fréquente le centre de formation, il continue à bénéficier du régime de sécurité sociale sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont il relève en tant que salarié.

Il en résulte que l'employeur d'un apprenti doit répondre, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, des conséquences de la faute inexcusable du personnel du centre de formation que fréquente l'apprenti.

Pour apprécier cette conscience du danger et l'adaptation des mesures prises aux risques encourus, les circonstances de l'accident doivent être établies de façon certaine.

En l'espèce, M. [T] a été embauché par M. [N] dans le cadre d'un contrat d'apprentissage le 1er septembre 2011 en vue d'obtenir son diplôme de maçon. À ce titre, M. [T] alternait les périodes de formation pratique avec M. [N] (maître d'apprentissage) et les périodes de formation scolaire au sein du Cfa de [Localité 5].

M. [T] soutient que l'accident du 28 septembre 2012 est dû à la faute inexcusable de M. [N] qui 's'était substitué le Cfa de [Localité 5] dans son pouvoir de direction du salarié le temps de formation au centre' et qui 'n'a pas pris les mesures propres à assurer la sécurité de M. [T] sur son lieu de travail.' Il expose que M. [D] (formateur) a mis en mouvement la bétonnière alors qu'il avait entrepris d'enlever à la main un morceau de mortier qui s'y trouvait. Il indique encore que son formateur, M. [D] n'a pas respecté les consignes de sécurité qui lui imposaient d'éloigner les élèves avant la mise en marche de la bétonnière.

En réponse, M. [N] qui conteste la faute inexcusable, prétend que dans le cadre de sa formation, M. [T] évoluait dans un 'environnement sécurisé' et qu'il avait été plusieurs fois alerté sur les consignes de sécurité à respecter lors de l'utilisation du matériel au sein du Cfa et sur les chantiers. Il ajoute qu'il n'avait aucune marge de manoeuvre quant à la pédagogie utilisée au sein du Cfa. Enfin, il soutient à l'instar de l'association que M. [T] est à l'origine de l'accident puisqu'il a tenté de retirer un morceau de gravat dans la bétonnière alors que son formateur la mettait en route.

M. [N] conteste donc à la fois la conscience du danger et l'absence de mesure prise pour préserver la sécurité du salarié. Il invoque en outre, la faute de M. [T].

Il est établi que M. [D] (formateur au sein de l'association) a remis la bétonnière en route alors que M. [T] tentait de retirer un morceau de mortier dans celle-ci.

Il convient de relever que les indications du directeur de l'association dans son courrier du 28 septembre 2012 adressé à l'employeur, selon lesquelles M. [D] aurait remis la bétonnière en route involontairement paraissent non seulement peu crédibles, mais sont en outre démenties par le compte-rendu d'accident de M. [D] qui, à aucun moment, n'indique qu'il a remis la bétonnière en route involontairement. Il résulte au contraire de son compte-rendu qu'il a volontairement mis en route la bétonnière (pièce n° 6 de l'association).

Aux termes de la documentation produite par l'association relative aux 'consignes de sécurité' , il est impératif avant la mise en route de 'vérifier que tous les dispositifs de sécurité soient en place et en bon état, que personne n'est en contact ou à proximité de la bétonnière, qu'aucun outil n'est appuyé contre'.

Cette documentation démontre que le formateur aurait dû avoir conscience du danger auquel étaient exposés les apprentis lors de la mise en route de la bétonnière puisqu'il est précisément fait état dans cette hypothèse, de mesures destinées à protéger la sécurité des personnes présentes.

En outre, M. [D] a mis en route la bétonnière sans vérifier que personne n'était à proximité de celle-ci. Il a donc violé les consignes de sécurité précitées.

Il est ainsi établi que le formateur de l'association avait conscience du danger auquel était exposé M. [T] qui se trouvait à proximité de la bétonnière et qu'il n'a pas pris les mesures destinées à l'en préserver.

Si M. [D] n'avait pas mis en route la bétonnière, l'accident du travail dont a été victime M. [T] ne serait pas survenu.

La faute de M. [D] est la cause nécessaire de cet accident.

Il est soutenu que M. [T] a lui même commis une faute à l'origine de son accident en décidant de son propre chef d'enlever un morceau de mortier de la bétonnière.

Toutefois, pour s'exonérer des conséquences de la faute inexcusable, l'employeur doit rapporter la preuve que M. [T] a commis une faute inexcusable, c'est à dire une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité l'exposant sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Or, s'il est établi que M. [T] a décidé de son propre chef d'enlever un morceau de mortier de la bétonnière, en revanche, ni l'association, ni l'employeur de M. [T] ne démontrent qu'il avait été informé préalablement des dangers d'un tel geste et de la décision du formateur de mettre la bétonnière en route.

Par ailleurs, le geste accompli par M. [T] correspond très exactement à celui que son formateur venait d'accomplir ce qui pouvait lui laisser penser qu'il s'agissait d'un geste ne présentant pas de danger particulier.

M. [D] déclare en effet qu'il a essayé d'enlever un morceau de mortier de la bétonnière en particulier manuellement dans les instants ayant précédé l'accident litigieux et ce devant les apprentis.

Enfin, il n'est pas établi que M. [T] a tenté d'enlever le morceau de mortier alors que la bétonnière était déjà en fonctionnement.

La preuve que M. [T] a commis une faute inexcusable n'est donc pas rapportée.

Comme rappelé précédemment, l'employeur d'un apprenti doit répondre, devant les juridictions du contentieux de la sécurité sociale, des conséquences de la faute inexcusable du personnel du centre de formation que fréquente l'apprenti.

Compte tenu de ces observations, il est établi que l'accident du 28 septembre 2012 subi par M. [T] est dû à la faute inexcusable de l'association [4].

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a :

- dit que l'association avait commis une faute inexcusable dans la survenance de l'accident du 28 septembre 2012 dont doit répondre l'employeur juridique (M. [N])

- ordonné la majoration maximale de la rente attribuée à M. [T] (conformément à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale)

- ordonné une mesure d'expertise avant dire droit sur l'évaluation des préjudices.

Par ailleurs, il convient donc de dire que la caisse fera l'avance des frais d'expertise et que la charge définitive de ces frais incombera à M. [N] (sous réserve de son recours en garantie contre l'association).

- Sur la provision

M. [T] sollicite la confirmation du jugement qui lui a alloué 4000 euros à titre de provision en retenant notamment l'existence d'un préjudice de souffrances endurées.

Il invoque en outre les conséquences professionnelles de l'accident, faisant notamment état de sa qualité de travailleur handicapé et d'une incapacité permanente partielle de 15 %.

Au vu des éléments du rapport d'expertise judiciaire, il convient par voie d'infirmation d'allouer à M. [T] une provision de 2000 euros.

- Sur l'action récursoire de la caisse

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à l'action récursoire de la caisse au titre de la majoration de la rente au taux initial et de la provision.

Par ailleurs, il résulte du dernier alinéa de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices alloués à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de rente, est versée directement aux bénéficiaires par la caisse. Tel est également le cas des indemnités réparant le préjudice d'une faute inexcusable pris en charge en application de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010.

Il convient donc de dire que la caisse fera l'avance de l'indemnisation des préjudices limitativement énumérés et non limitativement énumérés et qu'elle exercera son action récursoire contre l'employeur M. [N] au titre de ces préjudices.

- Sur le recours de l'employeur contre l'association

Il résulte des observations précédentes que l'association a commis une faute inexcusable ayant causé l'accident du 28 septembre 2012, dont l'employeur juridique doit répondre.

En raison de cette faute, M. [N] en sa qualité d'employeur juridique, est condamné à rembourser à la caisse l'ensemble des sommes avancées par cette dernière au titre de la faute inexcusable.

Cette faute engage la responsabilité de l'association à l'égard de M. [N].

Il sera donc fait droit au recours en garantie de M. [N] à l'encontre de l'association, le jugement étant confirmé de ce chef.

- Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant, l'association qui a formé appel principal, sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera en outre condamnée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer la somme de 2000 euros à M. [T].

Il est équitable de débouter M. [N] et l'association de leurs demandes sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- dit que la décision du '28 septembre 2012' de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche de prise en charge de l'accident de M. [T] au titre de la législation professionnelle est opposable à M. [C] [N]

- alloué à M. [T] une provision de 4 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices;

Infirme le jugement de ces chefs,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche de prendre en charge l'accident du 28 septembre 2012 de M. [T] au titre de la législation professionnelle est opposable à M. [N],

Accorde à M. [T] une provision de 2000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche fera l'avance des frais d'expertise et que la charge définitive de ces frais incombera à M. [N] (sous réserve de son recours en garantie contre l'association [4]),

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche fera l'avance de l'indemnisation des préjudices limitativement énumérés et non limitativement énumérés et qu'elle exercera son action récursoire contre l'employeur, M. [N], au titre de ces préjudices;

Condamne l'association [4] aux dépens d'appel,

Condamne l'association [4] à payer à M. [T] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute l'association [4] et M. [N] de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 3
Numéro d'arrêt : 20/00315
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;20.00315 ?
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