AFFAIRE : N° RG 20/00226
N° Portalis DBVC-V-B7E-GPO5
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 16 Décembre 2019 - RG n° 18/00450
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
APPELANT :
Monsieur [M] [T]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Me Sophie CONDAMINE, substitué par Me LEHOUX, avocats au barreau de CAEN
INTIMEES :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Calvados
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par M. [U], mandaté
S.A.S. CARREFOUR SUPPLY CHAIN
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me PRADEL, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me MARTIN, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 20 octobre 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 15 décembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [M] [T] d'un jugement rendu le 16 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Caen dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados et à la société Carrefour Supply Chain.
FAITS et PROCEDURE
M. [T], salarié de la société Carrefour Supply Chain ( la société) depuis le 7 mai 2001 en qualité de manutentionnaire (préparateur de commandes puis cariste), a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 12 septembre 2017.
Le 31 octobre 2017, la société a complété une déclaration d'accident du travail au titre d'un sinistre survenu à M. [T] le 12 septembre 2017 à 5 heures 30 dans les termes suivants : 'Le salarié décrit qu'il aurait eu mal aux cervicales et à l'épaule gauche. Nous avons à ce jour aucune connaissance du fait qui indiquerait la cause de l'arrêt de travail du salarié.' Il est fait état d'une douleur à l'effort, lumbago, le siège des lésions étant la tête et les cervicales.
Le certificat médical initial du 12 septembre 2017 mentionne : « NCB C5 C5 G » et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 3 octobre 2017.
Parallèlement, il a été procédé à une déclaration de maladie professionnelle pour les mêmes lésions, laquelle n'a pas abouti au motif qu'il s'agissait d'une maladie hors tableau entraînant un taux d'incapacité permanente partielle prévisible inférieure à 25 %.
Le 16 janvier 2018, la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse) a notifié à M. [T] sa décision de ne pas prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident du 12 septembre 2017 déclaré par l'employeur le 31 octobre 2017.
Le 24 janvier 2018, M. [T] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse.
Aux termes d'une décision du 9 mai 2018, la commission a rejeté la contestation de M. [T] considérant que l'accident déclaré le 12 septembre 2017 ne correspondait pas à une action soudaine et violente.
Par requête du 8 juin 2018, M. [T] a formé un recours contre la décision de rejet de la commission devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados.
La caisse a fait appeler à la cause la société Carrefour Supply Chain.
Suivant jugement du 16 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Caen, auquel a été transféré le contentieux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a :
- constaté que la caisse se désiste de toutes demandes à l'encontre de la société dans le cadre de la présente instance
- constaté que ce désistement revêt un caractère parfait
- déclaré M. [T] mal fondé en son recours
- confirmé en conséquence la décision de rejet de la commission de recours amiable de la caisse du 9 mai 2018 saisie d'une demande de prise en charge au titre de la réglementation sur les accidents du travail de la pathologie déclarée par M. [T] selon certificat médical en date du 12 septembre 2017
- condamné M. [T] aux dépens.
Par déclaration expédiée le 27 janvier 2020, M. [T] a formé appel du jugement.
Aux termes de ses conclusions déposées au greffe le 13 juin 2022 et soutenues oralement à l'audience, M.[T] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 16 décembre 2019 en ce qu'il a :
* déclaré M. [T] mal fondé en son recours
* confirmé en conséquence la décision de rejet de la commission de recours amiable de la caisse du 9 mai 2018 saisie d'une demande de prise en charge au titre de la réglementation sur les accidents du travail de la pathologie déclarée par M. [T] selon certificat médical en date du 12 septembre 2017
* rejeté la demande de M. [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* condamné M. [T] aux dépens
statuant à nouveau,
- reconnaître le caractère professionnel de l'accident dont M. [T] a été victime le 12 septembre 2017
- renvoyer M. [T] à faire valoir ses droits devant la caisse
- condamner solidairement la société et la caisse à lui payer 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon conclusions reçues au greffe le 22 juin 2022 et soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
- débouter M. [T] de ses demandes notamment celle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de conclusions reçues au greffe le 22 août 2022 et soutenues oralement, la société demande à la cour de:
- débouter M. [T] de toutes ses demandes
- confirmer le jugement du 16 décembre 2019 en toutes ses dispositions
en conséquence,
sur la mise hors de cause de la société,
- rappeler le principe d'indépendance des rapports
- juger que la décision initiale de refus en date du 16 janvier 2018 est définitive à l'égard de la société
- prononcer la mise hors de cause de la société
- déclarer inopposables à la société les conséquences de toute éventuelle prise en charge du sinistre déclaré par M. [T]
En tout état de cause, sur la confirmation du refus de prise en charge de la lésion présentée par M. [T] au titre de la législation professionnelle
- juger que la lésion présentée par M. [T] n'est pas imputable à un fait soudain survenu le 12 septembre 2017
- confirmer la décision de refus de prise en charge de la lésion déclarée le 12 septembre 2017 au titre d'un accident du travail.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions écrites conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
L'article L 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Il incombe à M. [T] de rapporter la preuve de la matérialité du fait dommageable ainsi que sa survenance aux temps et lieu de travail. Cette preuve ne peut résulter de ses seules déclarations. Les allégations du salarié doivent en effet être corroborées par des éléments objectifs ou par des présomptions graves, précises et concordantes.
En l'espèce, M. [T] salarié de la société Carrefour Supply Chain depuis le 7 mai 2001 en qualité de manutentionnaire (préparateur de commandes puis cariste), a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 12 septembre 2017 à l'origine des lésions constatées.
La caisse considère au contraire que la pathologie médicalement constatée dont souffre M. [T] n'est pas apparue à la suite d'un événement soudain. Elle ajoute que l'événement déclaré le 12 septembre 2017 ne répond pas aux critères de définition de l'accident du travail.
La société conteste que M. [T] a été victime le 12 septembre 2017 d'un accident du travail.
Le 31 octobre 2017, la société a complété une déclaration d'accident du travail dans les termes suivants : 'Le salarié décrit qu'il aurait eu mal aux cervicales et à l'épaule gauche. Nous avons à ce jour aucune connaissance du fait qui indiquerait la cause de l'arrêt de travail du salarié. Une déclaration de maladie professionnel a été établie pour ces mêmes lésions. Il est important qu'une enquête soit diligentée par vos soins.' Il est précisé que l'accident se serait produit le 12 septembre 2017 à 5 heures 30 sur le lieu de travail habituel du salarié.
Le certificat médical initial du 12 septembre 2017 qui prescrit un arrêt de travail jusqu'au 3 octobre 2017 mentionne les constatations suivantes : 'NCB C5-C5 G' (c'est à dire une névralgie cervico brachiale gauche).
Le compte-rendu d'imagerie radio médicale du 2 octobre 2017 fait état 'd'une discopathie cervicale prédominant en C5-C6; à cet étage il existe des remaniements d'uncarthrose gauche marquée responsable d'une sténose forminale'.
Comme rappelé précédemment, la procédure en reconnaissance de maladie professionnelle mise en oeuvre pour ces mêmes lésions n'a pu aboutir favorablement pour M. [T] puisqu'il s'agit d'une maladie hors tableau et que le taux d'incapacité permanente partielle est inférieur à 25 %.
Il convient de déterminer si M. [T] rapporte la preuve d'éléments objectifs ou d'indices graves et concordants, de nature à établir qu'il a été victime le 12 septembre 2017 d'un fait dommageable survenu au temps et au lieu de travail à l'origine des lésions constatées.
M. [T] expose qu'au cours du mois de juin 2017, il avait déjà ressenti des douleurs aux cervicales, mais aussi aux bras et à l'épaule, qui ont fait l'objet d'une inscription au registre des accidents du travail bénins. Il déclare que le 12 septembre 2017, alors qu'il avait pris son poste de travail à 5 heures 30 et qu'il effectuait des tâches en sa qualité de cariste, 'de nouvelles douleurs allaient rapidement survenir, particulièrement aiguës, également dans le bras et l'épaule gauche'. Il indique avoir immédiatement prévenu son employeur qui lui a demandé néanmoins de poursuivre son travail jusqu'à 12 heures 45. Il s'est ensuite rendu chez son médecin traitant qui lui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au début du mois d'octobre, arrêt de travail renouvelé par la suite.
Dans le cadre de l'enquête menée par la caisse au titre de l'accident du travail, M. [T] a affirmé qu'un autre salarié, M. [R] [F] avait été avisé de ce qu'il ressentait des douleurs dans le bras gauche et le cou le 12 septembre 2017. Il précise que la douleur s'est 'prononcée' vers 6 heures du matin et qu'il a quitté le travail à 12 heures alors qu'il 'n'en pouvait plus'. Il décrit la douleur comme soudaine et très forte.
Dans le cadre de l'enquête menée par la caisse au titre de la maladie professionnelle déclarée pour les mêmes lésions, il a indiqué que celles-ci étaient dues à son travail dans les termes suivants : 'ça s'est vraiment passé au travail et que c'est dû à des gestes répétitifs de mon poste de travail'. Il fait état de gestes réalisés entre 150 à 200 fois par jour qui l'obligent à incliner la tête vers le haut.
De même, dans un courrier du 19 janvier 2018, M. [T] indique encore qu'il considère que 'sa situation médicale est due à des gestes répétitifs de son poste de travail', ajoutant 'il me semble que cela devrait être considéré en maladie professionnelle'.
Les photographies de l'entrepôt confirment que les salariés caristes, dont M. [T], doivent lever la tête de manière répétée pour repérer les marchandises.
Enfin, M. [T] produit différentes pièces établissant que d'autres salariés accomplissant des tâches semblables aux siennes au sein de l'entreprise, ont présenté les mêmes symptômes que lui, caractérisés par des douleurs aux cervicales.
Aux termes du questionnaire employeur, la société expose qu'elle n'avait pas connaissance du fait qui indiquerait la cause de l'arrêt de travail de M. [T]. Elle précise que les conditions de travail n'expliquent pas l'absence de témoins puisqu'il y avait des mouvements de salariés dans l'entrepôt où travaillait M. [T]. Elle mentionne que M. [R] [F] n'a été informé que le 16 octobre 2017 des douleurs de M. [T] aux cervicales et à l'épaule.
Un document interne à la société dénommé 'recueil de faits suite à un accident du travail' signé par [R] [F] ,chef d'équipe, et M. [T] mentionne en effet que l'accident de M. [T] du 12 septembre 2017 a été inscrit dans le registre des accidents bénins du travail le 16 octobre 2017 à 5 heures 30.
Compte tenu de ces observations, il apparaît qu'aucun salarié n'a été témoin de l'accident. Il n'est pas démontré que M. [R] [F] a été informé des douleurs cervicales de M. [T] le 12 septembre 2017. Au contraire, il apparaît qu'il n'a été informé de l'accident allégué que le 16 octobre 2017.
En outre, il n'est pas établi que le certificat médical initial d'arrêt de travail a été rédigé immédiatement après la fin de journée de travail de M. [T]. Il est seulement démontré qu'il a été transmis à l'employeur en fin de journée, c'est à dire plusieurs heures après la fin de journée de travail du salarié.
Par ailleurs, il est justifié que l'accident a fait l'objet d'une mention au registre des accidents bénins le 16 octobre 2017, soit environ un mois après la date de l'accident.
Il résulte de ces éléments que M. [T] ne rapporte pas la preuve qu'il a été victime le 12 septembre 2017 sur son lieu de travail et pendant son temps de travail, d'un fait dommageable à l'origine des lésions constatées.
En conséquence, il sera débouté de ses demandes, le jugement déféré étant confirmé.
Y ajoutant, conformément à la demande de la société en cause d'appel, cette dernière sera mise hors de cause.
Succombant, M. [T] sera condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré;
Y ajoutant,
Met la société Carrefour Supply Chain hors de cause;
Condamne M. [T] aux dépens d'appel;
Déboute M. [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX