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10/11/2022 | FRANCE | N°19/03262

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 3, 10 novembre 2022, 19/03262


AFFAIRE : N° RG 19/03262

N° Portalis DBVC-V-B7D-GOGG

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 24 Octobre 2019 - RG n° 17/00362











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022





APPELANTE :



SAS [6] ayant un établissement à [Adresse 5], représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège socia

l

[Adresse 2]



Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN et par Me Nancy DUBOIS, substitué par Me FEMIH, avocats au barreau de PARIS







INTIMES :



Monsieur [M] [B]

[...

AFFAIRE : N° RG 19/03262

N° Portalis DBVC-V-B7D-GOGG

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 24 Octobre 2019 - RG n° 17/00362

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022

APPELANTE :

SAS [6] ayant un établissement à [Adresse 5], représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège social

[Adresse 2]

Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN et par Me Nancy DUBOIS, substitué par Me FEMIH, avocats au barreau de PARIS

INTIMES :

Monsieur [M] [B]

[Adresse 4]

Comparant en personne, assisté de Me Philippe BARON, substitué par Me PORTAIT-GODEL, avocats au barreau de TOURS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Mme DESLANDES, mandatée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Président de chambre,

M. GANCE, Conseiller,

Monsieur LE BOURVELLEC, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 01 septembre 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 10 novembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [6] d'un jugement rendu le 24 octobre 2019 par le tribunal de grande instance de Caen dans un litige l'opposant à M. [M] [B] en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

FAITS et PROCEDURE

M. [B] a été embauché par la société [6] ( la société ) en qualité de technicien de maintenance niveau 3 A par contrat à durée indéterminée du 15 janvier 2007.

Aux termes d'un avenant du 3 juillet 2014, il a été promu au poste d'automaticien/roboticien au sein des équipes de maintenance de l'établissement de [Adresse 5].

Le 16 septembre 2014, M. [B] a été victime d'un accident sur le site de [Adresse 5] alors qu'il intervenait sur la pince d'empilage C 22.

La société [6] a établi une déclaration d'accident du travail le 17 septembre 2014.

Le certificat médical initial du 9 octobre 2014 relevait les lésions initiales suivantes :

- fracture L1 de type A3-3 avec recul du mur postérieur occupant la totalité du canal

- paraplégie flasque incomplète avec persistance d'une sensibilité au niveau des membres inférieurs et d'une force motrice cotée 1/5 pour le quadriceps

- douleur lombaire intense

- traumatisme rachidien

- glasgow 15.

L'accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse) au titre de la législation sur les risques professionnels suivant décision notifiée le 20 octobre 2014.

Par lettre du 30 mars 2016, M. [B] a formé auprès de la caisse une demande de conciliation aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

Aucune conciliation n'ayant pu aboutir, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen le 22 juin 2017.

Selon jugement du 24 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Caen auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019 a :

- dit que l'accident dont a été victime M. [B] le 16 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur

- ordonné la majoration au maximum légal de la rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale

- dit que cette majoration de la rente suivra automatiquement l'augmentation du taux d'incapacité permanente partielle en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime

- dit qu'elle sera versée à la victime par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur conformément à l'article L 452-2 alinéa 6 du code de la sécurité sociale

- avant dire-droit, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [Y] afin d'évaluer les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel, le déficit fonctionnel temporaire, les dépenses de santé futures non prises en charge par l'assurance maladie, une perte ou une diminution des possibilités de promotion professionnelle et/ou un préjudice d'établissement

- fixé la rémunération de l'expert à 1000 euros

- dit que les frais seront avancés par la caisse qui devra consigner la somme de 1000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert

- accordé à M. [B] une provision de 20 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices

- dit que cette provision sera versée par la caisse à M. [B]

- condamné la société à rembourser à la caisse cette provision conformément aux articles L 452-2 et suivants du code de la sécurité sociale

- dit que l'affaire sera rappelée à l'audience du 16 mars 2020

- réservé les dépens et les frais irrépétibles

- ordonné l'exécution provisoire.

La société a formé appel de ce jugement par déclaration du 21 novembre 2019.

Aux termes de ses écritures reçues au greffe le 22 août 2022 et soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* dit que l'accident dont a été victime M. [B] le 16 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur

* ordonné la majoration au maximum légal de la rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale

* dit que cette majoration de la rente suivra automatiquement l'augmentation du taux d'IPP en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime

* dit qu'elle sera versée à la victime par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur conformément à l'article L 452-2 alinéa 6 du code de la sécurité sociale

* avant dire-droit, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [Y]

* accordé à M. [B] une provision de 20 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices

* condamné la société à rembourser à la caisse cette provision conformément aux articles L 452-2 et suivants du code de la sécurité sociale

* ordonné l'exécution provisoire

statuant à nouveau,

à titre principal,

- juger que l'accident du 16 septembre 2014 n'est pas dû à la faute inexcusable de la société

- débouter M. [B] de ses demandes

- débouter la caisse de ses demandes à son encontre

- condamner la caisse à lui rembourser la somme de 173 668,07 euros en exécution du jugement

à titre subsidiaire, si le jugement ne devait pas être infirmé sur la reconnaissance d'une faute inexcusable

sur la mission d'expertise médicale :

- juger que les chefs de mission d'expertise médicale ordonnée ne sont pas conformes à la matière

- la mission ayant déjà été exécutée, renvoyer la cause devant le tribunal judiciaire de Caen afin qu'il soit statué sur les demandes chiffrées qui seront présentées par M. [B], les demandes au titre des préjudices non indemnisables pourtant incluses dans la mission devant être rejetées

sur la demande de provision :

- prendre acte que la provision de 20 000 euros a été réglée par la caisse à M. [B] et remboursée à la caisse par la société

- déduire cette provision des sommes qui seront allouées le cas échéant à M. [B] au titre de l'indemnisation de ses préjudices complémentaires

- débouter M. [B] de sa demande d'infirmation du jugement concernant la provision allouée et sa demande de voir cette provision fixée à 50 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision

sur le recours subrogatoire de la caisse :

- juger que le recours de la caisse ne saurait porter sur le remboursement de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne

- juger que le recours de la caisse concernant la majoration de la rente, ne saurait porter que sur la rente annuelle de base (26533,07 euros)

- condamner la caisse à rembourser à la société la prestation complémentaire pour recours à tierce personne, si cette prestation avait été incluse par la caisse dans la somme de 153 668,07 euros réglée au titre de la majoration du capital de la rente, ce dont la caisse devra justifier

en tout état de cause :

- débouter M. [B] et la caisse de leurs demandes

- condamner M. [B] aux dépens.

Par écritures reçues au greffe le 29 juillet 2022 soutenues oralement à l'audience, M. [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que l'accident dont il a été victime le 16 septembre 2014 est dû à la faute inexcusable de son employeur

* ordonné la majoration au maximum légal de la rente prévue à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale

* dit que cette majoration de la rente suivra automatiquement l'augmentation du taux d'IPP en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime

* dit qu'elle sera versée à la victime par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur conformément à l'article L 452-2 alinéa 6 du code de la sécurité sociale

* avant dire-droit, ordonné une expertise médicale dans les termes de la mission qui seront également confirmés

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* accordé à M. [B] une provision de 20 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices

statuant à nouveau,

- allouer à M. [B] une provision de 50 000 euros à valoir sur son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compter de la décision

- condamner la société à payer à M. [B] la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Aux termes d'écritures reçues au greffe le 22 juin 2022 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable

si la faute inexcusable est reconnue,

- dire qu'elle pourra exercer son action récursoire et recouvrer auprès de la société dont la faute inexcusable aura été reconnue ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extra patrimoniaux et provision)

- réduire à de plus justes proportions le montant des préjudices extra patrimoniaux et personnels.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

- Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur  avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

  

Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.

La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

En outre, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité soit retenue alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Pour apprécier cette conscience du danger et l'adaptation des mesures prises aux risques encourus, les circonstances de l'accident doivent être établies de façon certaine.

En l'espèce, M. [B] a été victime d'un accident le 16 septembre 2014 sur le site de [Adresse 5] alors qu'il intervenait sur la pince d'empilage C 22.

Cette opération de maintenance a été réalisée sous la responsabilité de M. [B], le responsable de l'équipe de maintenance M. [G] étant en congé. M. [B] a effectué son intervention avec l'assistance de M. [U] [J], agent de maintenance qui se trouvait au sol pour lui passer les outils et pour récupérer l'huile après vidange puis refaire le plein du système hydraulique, et de M. [N] [V], technicien de maintenance stagiaire également au sol.

M. [B] est monté équipé d'un harnais sur la plate-forme d'empilage alors que la pince se trouvait en position intermédiaire et a procédé à la vidange de l'huile du réducteur. Au moment du retrait du moteur, la pince C22 est alors descendue brutalement et la barre de renfort a heurté la colonne vertébrale de M. [B].

La société ne conteste pas que l'accident du 16 septembre 2014 constitue un accident du travail.

M. [B] soutient que la société avait conscience du danger auquel elle l'exposait et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver puisqu'il n'existait pas 'de consignes clairement établies', que la position basse de la pince C 22 ne permettait pas d'intervenir de manière sécurisée et que le mécanisme 'Stop chute' aurait permis d'éviter l'accident s'il avait été en état de fonctionner.

La société ne conteste pas qu'elle avait conscience que l'intervention sur la pince C 22 exposait son salarié à un risque pour sa sécurité.

D'ailleurs, le directeur de l'usine, M. [C] a indiqué au contrôleur du travail que 'le risque d'accident sur la pince d'empilage est connu puisqu'un tel accident (sans blessé) s'est déjà produit suite à une rupture de frein'.

En revanche, elle prétend qu'elle avait pris les mesures nécessaires pour l'en préserver aux motifs qu'il existait des consignes claires sur la nécessité d'intervenir pince en position basse qui constitue le seul mode opératoire sécurisant.

Avant d'examiner ces différents points, il faut rappeler que l'opération de désacouplement effectuée par M. [B] ne constitue pas une opération courante. Le responsable de l'équipe de maintenance, M. [G], a ainsi déclaré aux services de la Direction Régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Basse-Normandie (la Direccte) qu'une telle opération avait lieu 'environ tous les 5 ou 6 ans' et que ce 'n'est donc pas une opération courante'.

sur l'absence de consignes clairement établies :

M. [B] affirme qu'aucun panneau indiquant qu'il était impératif d'intervenir avec la pince en position basse, n'était installé le jour de l'accident, et que les consignes existantes étaient seulement orales.

La société soutient au contraire qu'une pancarte située à proximité comportait les indications suivantes : 'Danger risque de mutilation - Intervention sur pince en position basse à l'arrêt'.

M. [B] se prévaut des déclarations de ses collègues indiquant que les consignes étaient orales et du fait que ni les gendarmes, ni les inspecteurs du travail ne font état de la présence d'une telle pancarte le jour de l'accident.

En effet, les salariés auditionnés ne se réfèrent pas à un panneau installé à proximité de la pince C 22, mais font au contraire état de consignes orales générales :

- 'Il n'y avait pas de consignes particulières pour chaque type de machine. Il y avait des consignes générales qui demandaient d'intervenir pince en bas. M. [B] avait certainement lu ces consignes il y a plusieurs années.' (M. [G], responsable de l'équipe de maintenance)

- 'Les consignes sont qu'on doit toujours travailler avec les pinces en position basse'. 'Depuis l'accident, ces consignes sont écrites, mais je ne sais pas vous dire si c'était le cas avant mais tout le monde le savait.' (M. [J], agent de maintenance présent aux côtés de M. [B] le jour de l'accident)

- 'Tout le monde savait que les interventions se font pour des raisons de sécurité, pince en position basse. Je ne sais pas pourquoi, M. [B] n'a pas mis cette consigne en application.' (M. [V], stagiaire présent sur les lieux le jour de l'accident).

M. [L], interrogé sur l'existence de consignes écrites, confirme ces témoignages : 'Il n'y a rien d'écrit, mais depuis toujours les consignes sont claires' et depuis l'accident 'tout est écrit et rappelé avec chaque autorisation de travail.'.

Enfin, M. [R] (technicien de maintenance) indique lui aussi qu'il avait connaissance de consignes verbales sur la nécessité d'intervenir alors que la pince est en position basse : 'à ma connaissance, elles [les consignes] sont verbales, je n'ai pas le souvenir d'avoir lu un papier les indiquant.'

Ainsi, à l'exception de M. [G] qui fait état de consignes écrites que M. [B] 'avait certainement lues (..) il y a plusieurs années', tous les techniciens de maintenance se réfèrent uniquement à des consignes générales verbales sur la nécessité d'intervenir pince en bas.

En outre, les gendarmes et les contrôleurs du travail, qui se sont rendus sur les lieux le jour de l'accident, n'ont pas relevé la présence d'une pancarte donnant consigne d'intervenir pince en position basse.

En réplique, la société fait état d'un procès-verbal du 17 septembre 2014 du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Toutefois, aucun des membres du CHSCT mentionné sur le procès-verbal n'a été témoin de l'accident. En outre, la réunion s'est tenue le lendemain de l'accident. Le constat de la présence du panneau litigieux ne vaut donc que pour le 17 septembre 2014.

Elle invoque en outre une attestation de M. [G] qui indique 'j'atteste de la présence d'un panneau sur l'équipement C 22 depuis janvier 2003 indiquant du risque de mutilation et du risque d'intervenir avec la pince en dehors de la position basse'.

Tout d'abord, il n'affirme pas que ce panneau était présent le jour de l'accident. Il ne peut d'ailleurs en attester puisqu'il était en congé le 16 septembre 2014. Ensuite, cette attestation n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 puisqu'elle dactylographiée. Elle n'est donc pas rédigée de la main de M. [G].

Cette attestation ne permet pas d'établir que le panneau litigieux était présent le jour de l'accident.

Par ailleurs, la société invoque un dossier d'exploitation et de maintenance qui ne comporte pas de consignes précises sur la nécessité d'intervenir pince en position basse en cas d'intervention sur les pinces.

Elle fait aussi référence à une note de service de 2010 prise à la suite d'un incident durant lequel le frein d'une fourche d'une machine avait cédé et qui indique que dorénavant, il est obligatoire de mettre la fourche en position basse avant d'entrer dans la zone désécurisée. Ce document ne concerne pas la pince C 22.

Enfin, la société fait état d'une fiche de poste de 2002 'intervention type en maintenance' se trouvant à l'entrée du local maintenance, mentionnant qu'il est impératif d'intervenir sur toute pince 'tuiles' ou 'accessoires' travaux sur la passerelle, en mettant la pince tout en bas en butée mécanique. Il est fait état d'un risque de chute. Ce dernier document ne précise pas que la pince repose sur les barres du convoyeur et non sur le sol, se contentant de faire référence à une butée mécanique. Elle ne décrit pas non plus le processus exact à mettre en oeuvre pour installer les pinces en position basse.

En outre, M. [B] affirme ne jamais avoir été destinataire de ces documents.

Cette affirmation est corroborée par les déclarations des salariés qui se réfèrent uniquement à des consignes orales jusqu'à la date de l'accident, à l'exception de M. [G] qui indique sans être affirmatif que : 'M. [B] avait certainement lu ces consignes il y a plusieurs années'.

Sur ce point, M. [G] est moins affirmatif dans son attestation du 15 novembre 2016 sur le fait que les consignes étaient portées à la connaissance des salariés sous forme d'écrits, puisqu'après avoir indiqué : 'à ma connaissance une fiche de consigne générale concernant les interventions sur les moteurs freins existe. Elle est constituée d'une fiche intitulée 'consigne de sécurité par activité changement d'un moteur frein', il précise :'La sensibilisation des techniciens sur ce type de risque est effectuée au cours d'échanges verbaux sur les modes opératoires à utiliser dans le cadre d'interventions prévues présentant des risques particuliers .'

Ces éléments confirment que les salariés n'avaient connaissance que de consignes générales et orales, y compris M. [B] dont les propos sont rappelés dans le procès-verbal du 1er octobre 2015 du contrôleur du travail :

'Il précise que pour ces opérations, il est conseillé de mettre la pince en bas (consigne peu respectée selon lui).

Il déclare : j'ai vu qu'elle n'était pas complètement en bas. Normalement, on se met en position manuelle et on la descend. Mais les gars étaient déjà rentrés donc je me suis pas posé de question.

Il ajoute : j'ai vu les sécurités en place. Celles faites pendant le grand arrêt (la mise en place des Stop Chute)'

Je suis monté là-haut ...'.

Par ailleurs, M. [C] n'a pas été en mesure de remettre au contrôleur du travail un document unique d'évaluation des risques comportant la transcription des résultats d'une évaluation des risques en cause.

En conclusion, c'est à juste titre que M. [B] soutient que le jour de l'accident, il n'existait ni panneau, ni consignes écrites précises portées à sa connaissance, décrivant le processus de mise en sécurité de la pince C22 avant toute intervention de désacouplement du moteur.

sur l'impossibilité d'une intervention sécurisée lorsque la pince C 22 est en position basse :

M. [B] soutient que la pince ne pouvait être placée en position basse de manière sécurisée.

Il explique ainsi que la mise en position basse n'était pas sécurisée en raison de l'absence de butée possible sur les barres du convoyeur, et de l'absence de butée fixe en hauteur (au niveau du châssis).

La société produit un procès-verbal de constat démontrant qu'il est possible techniquement d'installer la pince C 22 en position basse, celle-ci reposant alors sur ses 'doigts'.

Dans cette situation, les doigts ne reposent pas sur le sol, mais sur les barres du convoyeur. La pince tient ainsi en place par l'effet de son poids. En effet, il n'existe aucun dispositif permettant de maintenir les doigts de la pince au niveau des barres du convoyeur.

M. [B] prétend que la société a été contrainte d'enlever deux dispositifs de sécurité élémentaires pour établir le procès-verbal de constat.

Il n'en rapporte pas la preuve, les déclarations de M. [D] sur ce point sont en effet insuffisantes puisqu'il ne s'est jamais rendu sur les lieux.

En revanche, le procès-verbal ne présente pas la réalisation d'une intervention identique à celle de M. [B], c'est à dire avec une personne s'activant sur la passerelle avec un désacouplement du moteur alors que la pince repose sur ses doigts.

Par ailleurs, les doigts de la pince n'ont pas pour fonction de supporter son poids. En effet, lorsque les machines sont à l'arrêt, la pince est en position intermédiaire et non en position basse, c'est à dire qu'elle ne repose pas sur ses doigts.

M. [G] reconnaît l'existence d'un risque de chute même lorsque la pince repose sur ses doigts : 'Et sur l'aspect rigidité de la pince dans cette position là, elle est normalement dimensionnée pour supporter cet effort-là, s'il y avait quelque chose qui venait à céder notamment sur les doigts, le fait d'être dans cette position là fait qu'elle viendrait sur ses butées extrêmes mécaniques en 10 ou 15 cm'.

Ainsi, l'installation de la pince C 22 en position basse est techniquement possible, mais elle n'exclut pas un risque de chute de l'ordre de 10 à 15 cm, étant rappelé que le jour de l'accident, la pince a chuté d'environ un mètre cinquante à deux mètres.

sur le dispositif 'Stop Chute' :

Lors de ses auditions, M. [B] a déclaré qu'il pensait que le dispositif 'Stop chute' était opérationnel lorsqu'il est intervenu le 16 septembre 2014 : 'j'ai vu les sécurités en place. Celles faites pendant le grand arrêt (la mise en place des Stop Chute)'; 'cette sécurité est un Stop Chute qui évite à la pince de descendre quoi qu'il arrive. La pince devait en être équipée avant l'accident, donc pour moi cette sécurité était installée'.

La société prétend que le dispositif Stop Chute n'a pas pour objet de sécuriser l'intervention des techniciens, ni de les protéger et que M. [B] savait qu'il ne fonctionnait pas le jour de son intervention.

Tout d'abord, la dénomination du dispositif invite à penser qu'il a pour objet d'empêcher la pince de chuter et donc de sécuriser les salariés qui interviennent dans le cadre de leur mission de maintenance.

En outre, le directeur de l'usine de [Adresse 5], M. [C], a confirmé au contrôleur du travail que le dispositif Stop Chute avait pour objet notamment de 'sécuriser l'intervention des salariés quand ils s'introduisent dans la zone fermée d'évolution de la machine'.

Le dispositif Stop Chute est donc un dispositif visant à sécuriser les interventions des salariés.

Il résulte de l'enquête de l'inspection du travail que lors de l'intervention de M. [B], le dispositif 'Stop Chute' était visible sur l'équipement, puisqu'il était matérialisé par des chaînages jaunes.

Le dispositif 'Stop Chute' de la pince C 22 n'était toutefois pas activé le 16 septembre 2014.

Il est exact que M. [B] a déclaré qu'il avait entendu dire que le dispositif n'était pas encore fonctionnel du fait d'un problème de ressort plusieurs semaines avant l'intervention.

Toutefois, il a aussi indiqué qu'il pensait que cet équipement fonctionnait le 16 septembre 2014 puisque l'installation des Stop Chute devait être réalisée pendant le grand arrêt technique (GAT) : 'Trois semaines après, ça devait marcher. En plus pendant le GAT, j'ai vu la C 17 fonctionner avec le Stop Chute.'

Cette thèse est corroborée par le fait que, sur les quatre autres salariés chargés de la maintenance, seul l'un d'entre eux a déclaré qu'il était informé que le dispositif 'Stop chute' ne fonctionnait pas sur la pince C 22. Ceci confirme que l'information n'avait pas été portée à la connaissance de tous les agents de maintenance.

En outre, M. [W] (responsable maintenance de la société) a confirmé qu'aucun écrit indiquant que le dispositif n'était pas en fonction, n'avait été rédigé.

Le contrôleur du travail rappelle sur ce point que 'l'employeur reconnaît ne pas avoir dispensé d'information et de formation spécifique après le grand arrêt technique car il considère que la machine n'ayant pas été modifiée, la formation spécifique à la sécurité n'avait pas à être réalisée et qu'il fallait attendre la modification définitive.'

La société affirme que même si le dispositif Stop Chute avait été en état de fonctionnement, il n'aurait pas empêché la chute de la pince sur une trentaine de centimètres, ce que confirme M. [G].

Toutefois, il appartenait à la société de lever toute ambiguïté sur l'efficacité du dispositif 'Stop Chute' et d'informer M. [B], avant son intervention sur la pince C 22, que ce dispositif ne fonctionnait pas et/ou qu'il ne constituait pas une sécurité permettant de ne pas positionner la pince en bas.

En conclusion, la thèse avancée par la société selon laquelle l'accident serait dû à la faute de M. [B] qui n'a pas respecté la consigne d'intervenir 'Pince en bas' ne peut être reçue.

En effet, s'il est exact qu'il avait connaissance comme les autres salariés de cette consigne générale, en revanche, il pouvait légitimement penser, le jour de son intervention, que le dispositif Stop Chute le sécuriserait et que la pince ne chuterait pas malgré le désacouplement du moteur.

Bien que la société avait connaissance de l'intervention programmée le 16 septembre 2014, elle n'a pas informé M. [B] que le dispositif Stop Chute n'était pas fonctionnel et qu'il ne garantissait pas sa sécurité contrairement à ce qu'il pouvait légitimement penser.

Il est donc établi par M. [B] que la société avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable de la société à l'origine de l'accident du travail dont M. [B] a été victime.

- Sur le recours subrogatoire de la caisse

La société ne fait valoir aucun élément pertinent au soutien de sa demande de limitation de l'action récursoire de la caisse.

C'est par de justes motifs que les premiers juges ont fait droit au recours de la caisse dans son intégralité.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

- Sur la provision

M. [B] réitère en cause d'appel sa demande de versement d'une provision à hauteur de 50 000 euros.

Il résulte des conclusions du rapport d'expertise que M. [Y] a évalué les souffrances endurées et le préjudice esthétique, respectivement à hauteur de 5 et 4 sur une échelle de 7. En outre, le déficit fonctionnel temporaire a été total du 16 septembre 2014 au 5 février 2016, soit pendant 508 jours, puis partiel à hauteur de 75 % du 6 février 2016 au 31 mars 2018, soit pendant 785 jours. L'expert retient en outre un préjudice sexuel qualifié de 'très important'.

Il retient aussi des frais d'adaptation du logement, relevant qu'en l'état une douche à l'italienne a été installée dans le logement de M. [B], ainsi que des frais d'adaptation du véhicule.

Compte tenu de ces éléments, il convient, par voie d'infirmation, de porter la provision à la somme de 40 000 euros.

- Sur l'expertise et le renvoi devant le tribunal judiciaire

La mission d'expertise est contestée par l'employeur. Toutefois, elle a déjà été réalisée, le rapport ayant été déposé. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné une expertise dans les termes rappelés précédemment.

L'employeur demande en outre de renvoyer la liquidation des préjudices devant le tribunal judiciaire en disant qu'il lui appartiendra de rejeter les postes non indemnisables.

Il convient sur ce point de dire qu'il appartiendra au tribunal judiciaire de statuer sur la liquidation des préjudices au vue des prétentions des parties.

- Sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement étant confirmé sur le principal, il sera aussi confirmé sur les dépens et frais irrépétibles.

Succombant, la société sera condamnée aux dépens d'appel.

Il est équitable de la condamner à payer à M. [B] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société sera déboutée de sa demande sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a accordé à M. [M] [B] une provision de 20 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices;

Infirme le jugement de ce chef;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Accorde à M. [M] [B] une provision de 40 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices;

Dit qu'il appartiendra au tribunal judiciaire de statuer sur la liquidation des préjudices au vu des prétentions des parties;

Condamne la société [6] aux dépens d'appel;

Condamne la société [6] à payer à M. [M] [B] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute la société [6] de ses demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 3
Numéro d'arrêt : 19/03262
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;19.03262 ?
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