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10/11/2022 | FRANCE | N°19/03004

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 3, 10 novembre 2022, 19/03004


AFFAIRE : N° RG 19/03004

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNU6

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 28 Août 2019 - RG n° 16/00242











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022





APPELANT :



Etablissement Public LA DIRECTION DES CONSTRUCTIONS NAVALES (DCN) DE CHERBOURG représentée par L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 8]
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Représentée par Me Emmanuel LEBAR, substitué par Me M'PANINGANI, avocats au barreau de COUTANCES







INTIMES :



Monsieur [H] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me...

AFFAIRE : N° RG 19/03004

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNU6

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 28 Août 2019 - RG n° 16/00242

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

Etablissement Public LA DIRECTION DES CONSTRUCTIONS NAVALES (DCN) DE CHERBOURG représentée par L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 8]

[Localité 5]

Représentée par Me Emmanuel LEBAR, substitué par Me M'PANINGANI, avocats au barreau de COUTANCES

INTIMES :

Monsieur [H] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Cécile LABRUNIE, avocat au barreau de PARIS

S.A.R.L. [7] ([7]) représenté par Me [K] [E] , mandataire ad'hoc .

[Adresse 3]

[Adresse 9]

SCP [F] Es qualités de « Mandataire liquidateur » de la « S.A. [10] » venant aux droits des sociétés [11] ([11]), des [6] (ACN) et Leroux et [13] ([13])

[Adresse 2]

Non comparants ni représentés

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

[Adresse 14]

Représentée par Mme [I], mandatée

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 01 septembre 2022

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 10 novembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la Direction des constructions navales de Cherbourg ( DCN ), représentée par l''Agent judiciaire de l'Etat, d'un jugement rendu le 28 août 2019 par le tribunal de grande instance de Coutances dans un litige l'opposant à M. [Z], à la société [7] représentée par M. [L], à la société [10] représentée par M. [F], mandataire liquidateur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche.

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [Z], né le 18 octobre 1940, a été employé successivement, en qualité de chaudronnier et charpentier de fer :

- de 1971 à 1974 au sein de la société [7] ([7]),

- de 1974 à 1976 au sein de la société [11] ([11]), aux droits de laquelle est venue ensuite la société [10].

- de 1977 à 1989 par la société Leroux et [13] ([13]) devenue Leroux et [13], aux droits de laquelle est venue ensuite la société [10].

Le 21 octobre 1994, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse) a reconnu, sur le fondement du tableau n° 30 'Affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante', le caractère professionnel des épaississements pleuraux bilatéraux déclarés par M. [Z], avec attribution d'un taux d'IPP de 5%.

Par jugement du 16 juillet 2003, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche a dit que cette pathologie était due à la faute inexcusable des employeurs de M. [Z].

En 2011, M. [Z] a déclaré une nouvelle maladie, une asbestose avec fibrose pulmonaire, également prise en charge par la caisse au titre du tableau 30 de la législation sur les risques professionnels selon décision du 15 février 2012.

Par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche du 15 mars 2016, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Caen du 20 juin 2019 , il a été retenu que cette pathologie était due à la faute inexcusable des employeurs de M. [Z].

Le 12 août 2015, M. [Z] a complété une nouvelle déclaration de maladie professionnelle au titre d'une pleurésie bénigne droite, accompagnée d'un certificat médical initial du même jour diagnostiquant une pleurésie bénigne droite.

Après enquête administrative, cette pathologie a été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche le 9 décembre 2015. L'état de santé de l'assuré a été déclaré consolidé le 12 août 2015 avec un taux d'IPP fixé à 30 %.

En l'absence de conciliation , M. [Z] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de ses employeurs à l'origine de cette troisième maladie professionnelle.

Par jugement du 28 août 2019, le tribunal de grande instance de Coutances, auquel le contentieux de sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :

- déclaré M. [Z] recevable en son action,

- dit que la troisième maladie professionnelle déclarée par M. [Z] le 12 août 2015 est due à la faute inexcusable de ses employeurs successifs, la société [7] et les sociétés [11] et Leroux et [13], aux droits desquelles vient désormais la société [10],

- ordonné la majoration de la rente d'incapacité versée à M. [Z] de 30 %, dans les proportions maximales prévues à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,

- dit que la majoration maximale de cette rente devra suivre automatiquement l'éventuelle augmentation du taux d'IPP de M. [Z],

- fixé la réparation des préjudices extra patrimoniaux subis par le requérant comme suit :

* déficit fonctionnel temporaire = 683,10 euros,

* préjudice résultant de la souffrance physique endurée = 800 euros,

* préjudice résultant de la souffrance morale = 10 000 euros,

* préjudice d'agrément = 1 200 euros

Soit la somme globale de 12 383, 10 euros, tous chefs de préjudices confondus.

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche est tenue de faire l'avance de l'ensemble des sommes allouées à M. [Z],

- ordonné l'exécution provisoire de ces chefs,

- déclaré opposable à la société [7] et à la société [10], venant aux droits des sociétés [11] et Leroux et [13], la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche de prise en charge de la pathologie déclarée par M. [H] [Z] le 12 août 2015,

- fait droit à l'action récursoire de la caisse à l'encontre des employeurs successifs de M. [Z],

- dit que la caisse pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la Société [7], en la personne de son représentant légal Me [L] et contre la société [10], en la personne de son représentant légal Maître [F], ès qualités de liquidateur judiciaire, pour l'ensemble des sommes allouées à M. [Z] respectivement à hauteur de 17 % et 83 %,

- ordonné l'inscription des sommes mises à la charge de la société [7] en la personne de Me [L] au passif de la liquidation,

- ordonné l'inscription des sommes mises à la charge de la société [10] en la personne de Me [F] au passif de la liquidation,

- dit que la DCN de Cherbourg s'est substituée dans la direction de M. [Z] à ses employeurs, les sociétés [11] et Leroux et [13], auxquelles la société [10] vient aux droits,

- condamné l'Agent judiciaire de l'Etat, ès qualités de représentant de la société DCN de Cherbourg, à garantir la société [10] pour l'ensemble des sommes mises à sa charge par la présente décision,

- débouté l'Agent judiciaire de l'Etat de sa demande tendant à voir les conséquences de la maladie professionnelle de M. [Z] et de la faute inexcusable inscrites au compte spécial,

- condamné l'Etat français ès qualités de représentant de la société DCN de Cherbourg, en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat,à verser à M. [Z] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société [10] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'Etat français ès qualités de représentant de la société DCN de Cherbourg en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, aux dépens.

Par déclaration du 23 octobre 2019, la Direction des constructions navales de Cherbourg (DCN) représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat, a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions du 27 août 2021, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et

In limine litis, de dire que la demande de garantie présentée par la société [10] ne relève pas de la compétence des juridictions du contentieux général de la sécurité sociale mais des juridictions de droit commun,

A titre principal, mettre hors de cause l'Etat, représenté par l'Agent judiciaire de l'Etat,

Rejeter toute demande de garantie sur les condamnations à venir au bénéfice de l'employeur,

Subsidiairement, dire que l'Etat n'a pas à garantir l'employeur de l'assuré de l'intégralité des condamnations,

A titre très subsidiaire, ordonner à la caisse d'imputer l'ensemble des conséquences de la maladie professionnelle dont est atteint M. [Z] sur le compte spécial prévu par l'arrêté du 16 octobre 1995,

Dire que la caisse ne dispose pas d'action récursoire contre l'Etat,

A titre infiniment subsidiaire, rejeter les demandes formulées par M. [Z] et à tout le moins, réduire le quantum des prétentions,

Condamner les parties perdantes aux entiers dépens de la procédure.

A l'audience, le conseil de l'Agent judiciaire de l'Etat précise qu'il convient de lire dans le dispositif de ses conclusions : 'in limine litis, se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire de Coutances.' et fait valoir que le préjudice d'agrément a déjà été indemnisé par arrêt de la cour du 20 juin 2019.

Aux termes de ses conclusions du 22 juin 2022, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. [Z] demande à la cour de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les montants alloués au titre des préjudices par lui subis :

- d'infirmer le jugement déféré de ces chefs et de fixer comme suit les montants indemnitaires :

* déficit fonctionnel temporaire partiel = 924 euros,

* préjudice de souffrance physique = 30 000 euros,

* préjudice permanent exceptionnel - souffrance morale = 50 000 euros,

* préjudice d'agrément = 10 000 euros

- de condamner l'Etat français, ès qualités de représentant de la société DCN Cherbourg en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 16 août 2022, déposées et soutenues oralement à l'audience par son représentant dûment mandaté, la caisse demande à la cour de :

- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

Si la faute inexcusable est reconnue :

- réduire à de plus justes proportions le montant des préjudices extra patrimoniaux sollicités par M. [Z],

- déclarer opposable aux sociétés [7] et [10] la décision de la caisse de prendre en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, la pathologie de M. [Z],

- dire que la caisse pourra dans l'exercice de son action récursoire recouvrer auprès des sociétés [7] et [10], dont la faute inexcusable aura été reconnue, ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, préjudices extrapatrimoniaux et provision ),

- dire que l'ensemble des sommes avancées par la caisse (majoration de capital ou de rente, provisions et préjudices) seront inscrites au passif des sociétés [7] et [10].

Bien que régulièrement convoqués par courriers avec accusés de réception du 11 février 2022, M. [E], désigné mandataire ad hoc de la société [7], et M. [F], liquidateur de la société [10], ne sont ni présents ni représentés à l'audience.

Il sera renvoyé aux conclusions respectives des parties pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Il convient tout d'abord de relever que les prétentions et moyens de l'appelant quant à l'incompétence de la juridiction du contentieux général de la sécurité sociale pour statuer sur son éventuelle condamnation à garantir les employeurs successifs ne peuvent être examinés in limine litis, puisque cette question dépend de la reconnaissance ou non d'une faute inexcusable mais également de l'existence d'une action récursoire de la caisse.

- Sur la faute inexcusable et la demande de mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, ce dont il appartient à la victime de justifier.

Les employeurs successifs, soit les sociétés [7], représentée par Me [E], en qualité de mandataire ad hoc, et la société [10], venant aux droits des sociétés [11] et [13], représentée par Me [F] en qualité de liquidateur judiciaire, n'ont pas critiqué les dispositions du jugement reconnaissant leur faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de M. [H] [Z]. L'opposabilité de la prise en charge de ladite maladie par la caisse n'est pas davantage remise en cause.

La DCN de Cherbourg, représentée par l'agent judiciaire de l'Etat, demande en revanche à être mise hors de cause.

Il ressort toutefois des débats, et notamment des écritures de l'Agent judiciaire de l'Etat lui-même, des attestations de ses anciens collègues, M. [J] [G], M. [C] [D], M. [Y] [T] et M. [W] [N], mais également du certificat établi par la société [12] que M. [H] [Z] a été de 1974 à 1989 salarié des sociétés [11] et [13], entreprises sous-traitantes de l'arsenal, où se trouvaient fabriqués les sous-marins nucléaires, et a travaillé à ce titre pour le compte de la DCN, sous le contrôle de l'Etat.

M. [Z] s'est donc trouvé de ce fait soumis au pouvoir disciplinaire et d'encadrement et à la direction des ingénieurs de la DCN, qui s'est ainsi substituée à l'employeur au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale.

L'Agent judiciaire de l'Etat ne conteste en l'espèce ni le caractère professionnel de la maladie de M. [Z] et sa prise en charge sur le fondement du tableau 30, ni même la présence d'amiante sur le site de la DCN, l'arsenal de Cherbourg ayant en tout état de cause été classé par arrêté du 7 juillet 2000 sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, en ce compris les charpentiers.

Il est également établi, par les attestations de M. [J] [G], M. [C] [D], M. [Y] [T] et M. [W] [N] qu'alors que M. [Z] travaillait pour le compte de la DCN de Cherbourg, sur les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, il s'est trouvé habituellement en contact avec des poussières d'amiante.

Cela est confirmé par le certificat établi le 25 mai 1994, qui indique que de 1974 à 1976, puis de 1974 à 1978, employé par la [11] puis par [13], M. [Z] travaillait pour le compte de la DCN au montage d'éléments de sous-marins qui parfois étaient protégés par des coussins en amiante dont le rôle était de calorifuger les pièces chauffées.

Il est en outre démontré par les notes et compte-rendus produits, émanant du Ministère de la défense, datés des années 1976 à 1978 et qui évoquent les 'problèmes de protection des risques contre les poussières d'amiante',que la DCN avait conscience du danger présenté par l'utilisation de l'amiante.

Les dangers de l'amiante se trouvaient en tout état de cause identifiés de longue date par de nombreuses études scientifiques réalisées sur le sujet dès la fin du XIXe siècle, la création en 1945 d'un tableau des maladies professionnelles respiratoires liées à son utilisation et la réglementation spécifique instaurée à compter du 17 août 1977, qui a fixé le taux limite de concentration moyenne en fibres d'amiante dans l'atmosphère inhalée par un salarié pendant une journée de travail.

Il résulte enfin des débats que la DCN, si elle a identifié les risques et envisagé des actions de protection, n'avait pas mis en place des mesures suffisantes pour protéger les intervenants sur ses sites. Il ressort ainsi, notamment, de l'attestation circonstanciée de M. [C] [D], collègue de M. [Z] de 1974 à 1976, que les travailleurs se trouvaient en contact régulier avec l'amiante sans bénéficier de protections individuelles.

Compte tenu des éléments qui précèdent, il est établi que la DCN de Cherbourg n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver M. [Z] du risque lié à l'exposition à l'amiante dont elle avait conscience, ainsi que cela avait d'ailleurs déjà été constaté pour les deux pathologies déclarées précédemment par la victime, prises en charge par la caisse sur le fondement du tableau 30 des maladies professionnelles en 1994 et 2012.

Il convient donc de rejeter la demande de mise hors de cause de la DCN de Cherbourg.

- Sur les conséquences financières de la faute inexcusable

- Sur la majoration de la rente

Les dispositions relatives à la majoration de la rente ne sont pas contestées. Elles sont donc acquises.

- Sur l'indemnisation des préjudices

Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de son employeur a le droit de demander à celui-ci, devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Il résulte en outre de la réponse donnée le 18 juin 2010 par le Conseil Constitutionnel à une question prioritaire de constitutionnalité (décision n°2010-8) que la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle découlant de la faute inexcusable de l'employeur peut demander sur le fondement de l'article L 452-3 précité, devant la juridiction de la sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par ce texte, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

M. [Z] sollicite réparation de son déficit fonctionnel temporaire, de ses souffrances physiques et morales avant consolidation et de son préjudice d'agrément, étant précisé que la consolidation de son état a été fixée à la date du 12 août 2015, une rente pour une incapacité permanente partielle de 30 % lui ayant été attribuée par la caisse à compter du 13 août 2015.

La date de première constatation médicale a été fixée au 28 avril 2015.

* Déficit fonctionnel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire de la victime d'une maladie professionnelle due à une faute inexcusable de l'employeur peut être indemnisé au titre des préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de la vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

M. [Z] sollicite de ce chef une indemnisation de 924 euros, sur la base d'une somme journalière de 40 euros.

Il est en l'espèce argué et non contesté que M. [H] [Z] a connu, à compter de la date d'apparition de sa maladie, durant le mois de mai 2015 et jusqu'à la date de consolidation, des retentissements dans sa vie personnelle avec une hospitalisation du 11 au 16 juin 2015.

Sur la base d'une indemnisation à hauteur de 25 euros par jour, ce préjudice sera évalué comme suit:

- pour les périodes du 20 mai au 10 juin 2015 et du 17 juin au 12 août 2015 = 79 jours X 25 euros X 30 % = 592, 50 euros

- pour la période du 11 au 16 juin 2015 = 6 jours X 25 euros X 100 % = 150 euros

Soit un total de 742,50 euros alloué au titre du déficit fonctionnel temporaire. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

* Souffrances physiques et morales endurées

L'article L 452 -3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dispose que la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées. Sont réparables en application de l'article L. 452 - 3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

Concernant les souffrances physiques

M. [Z] sollicite à ce titre une somme de 30 000 euros.

Les souffrances physiques indemnisables, comme ne l'étant pas au titre de la rente, correspondent aux traitements et interventions antérieurs à la date du 12 août 2015, incluant la diminution de la capacité respiratoire et l'hospitalisation pour une intervention chirurgicale par thorascopie du 11 au 16 juin 2015.

Compte tenu de ces éléments et de l'absence d'indications détaillées, dans les pièces médicales produites, quant aux douleurs subies par la victime, c'est à bon droit que les premiers juges ont alloué à M. [Z] une somme de 800 euros au titre du préjudice temporaire relatif aux souffrances physiques subies avant la date de consolidation. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Concernant les souffrances morales

Les souffrances morales endurées sont constituées par l'annonce d'une maladie dont l'issue est fatale, parfois à court terme, de la certitude d'une atteinte corporelle avérée, engageant le pronostic vital, de la réactivation de cette crainte à chaque examen de contrôle, cette angoisse n'étant pas réductible à la notion de consolidation.

M. [Z] sollicite à ce titre l'allocation d'une somme de 50 000 euros.

En l'espèce, les souffrances morales, causées par l'annonce en mai 2015 d'une troisième maladie professionnelle liée à l'inhalation de poussières d'amiante, se sont manifestées par l'inquiétude quant à l'évolution future de son état de santé mais également par la tristesse provoquée par la diminution de ses capacités physiques, ainsi qu'en atteste son épouse, Mme [U] [Z].

Il est également établi par une attestation du centre hospitalier du Cotentin qu'en 2016, M. [Z] a consulté, au titre de ses souffrances psychologiques dues à l'inhalation de poussières d'amiante, une psychologue spécialisée.

Au regard de ces éléments, il convient de fixer à 17 000 euros l'indemnisation des souffrances morales de M. [H] [Z] au titre de la pathologie déclarée le 12 août 2015. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément résulte de l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir. Il appartient à la victime de démontrer qu'elle pratiquait ces activités antérieurement à l'accident et qu'elle ne peut plus le faire depuis.

M. [Z] sollicite en l'espèce une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice d'agrément

Les attestations concordantes produites aux débats, établies par son épouse, Mme [U] [Z], par Mme [V] [X], Mme [M] [O], M. [G] [A] démontrent que M. [H] [Z] pratiquait de longue date la danse de salon au sein d'un club, avant d'y renoncer en fin d'année 2014.

Il résulte toutefois des débats et des décisions du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche en date du 15 mars 2016 et de la cour d'appel de Caen en date du 20 juin 2019 que ce préjudice a été indemnisé, comme né de la deuxième maladie professionnelle subie par M. [Z], prise en charge au titre du tableau 30 le15 février 2012.

Il convient donc d'infirmer le jugement déféré de ce chef et de rejeter la demande d'indemnisation formée par M. [Z] au titre du préjudice d'agrément.

- Sur l'action récursoire de la caisse à l'égard de l'employeur et le recours en garantie à l'encontre de l'Agent judiciaire de l'Etat

En application des dispositions de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, les sommes allouées au titre de la faute inexcusable doivent être avancées à l'assuré par la caisse.

Celle- ci bénéficie ensuite d'une action récursoire à l'encontre de l'employeur ou des employeurs successifs, à la condition qu'elle ait, en cas d'ouverture d'une procédure collective à leur encontre, régulièrement et en temps utile, déclaré sa créance.

En l'espèce, c'est donc à juste titre que les premiers juges ont condamné la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche au règlement des sommes allouées à M. [Z] (majoration de rente et réparation des préjudices).

La caisse ne justifie pas, toutefois, avoir déclaré sa créance au passif des procédures collectives des sociétés [7] et [10] . Elle ne peut donc faire valoir aucune créance au passif des liquidations judiciaires de ces sociétés.

Les demandes de la caisse tendant d'une part, à voir reconnaître son action récursoire et d'autre part, à l'inscription au passif des sociétés [7] et [10], des sommes avancées par elle, devront donc être rejetées.

Il en résulte que l'appel en garantie formé par la société [10] à l'encontre de l'agent judiciaire de l'Etat se trouve sans objet.

Le jugement déféré sera infirmé de ces chefs.

- Sur la demande d'inscription au compte spécial

La demande d'inscription au compte spécial formée par l'Agent judiciaire de l'Etat relève de la Carsat, qui n'a pas été appelée en la cause. Cette demande est donc irrecevable .

Le jugement sera infirmé de ce chef.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'équité commande d'allouer à M. [Z] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile dont le paiement sera mis à la charge de la Direction des constructions navales de Cherbourg, représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [Z] la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Direction des constructions navales de Cherbourg, représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat qui succombe partiellement, supportera les dépens d'appel. Le jugement déféré est confirmé sur la charge des dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- fixé à 683,10 € le montant des sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, à 10 000 euros celui des souffrances morales, à 1 200 euros au titre du préjudice d'agrément,

- fait droit à l'action récursoire de la caisse à l'encontre de la société [7], en la personne de son représentant légal, Me [L], et de la société [10], en la personne de Maître [F], ès qualités de liquidateur judiciaire, pour l'ensemble des sommes allouées à M. [Z],à hauteur respectivement de 17% et 83%,

- ordonné l'inscription des sommes mises à la charge de la société [7], en la personne de Me [L] et à la charge de la société [10], en la personne de Me [F], mandataire liquidateur, au passif de la liquidation de chacune de ces sociétés,

- condamné l'Agent judiciaire de l'Etat, ès qualités de représentant de la société DCN de Cherbourg, à garantir la société [10] pour l'ensemble des sommes mises à sa charge,

- débouté l'Agent judiciaire de l'Etat représentant de la société DCN de Cherbourg de sa demande tendant à voir les conséquences de la maladie professionnelle de M. [Z] et de la faute inexcusable inscrites au compte spécial,

L'infirme de ces chefs et statuant à nouveau :

Fixe comme suit la réparation des préjudices extra patrimoniaux subis par M. [Z] :

* déficit fonctionnel temporaire : 742, 50 euros,

* préjudice résultant de la souffrance morale : 17 000 euros,

soit la somme totale de 18 542,50 euros, en ce compris la somme de 800 euros en réparation des souffrances physiques endurées ;

Rejette la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément ;

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ne peut exercer son action récursoire à l'encontre des employeurs successifs de M. [Z] ;

Dit sans objet les demandes relatives à l'appel en garantie dirigé à l'encontre de la Direction des constructions navales de Cherbourg représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat ;

Dit irrecevable la demande relative à l'inscription au compte spécial ;

Condamne la Direction des constructions navales de Cherbourg représentée par l'Agent judiciaire de l'Eta t:

- à verser à M. [Z] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- aux dépens d'appel.

Y ajoutant,

- Rejette la demande de la Direction des constructions navales de Cherbourg représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat, tendant à être mise hors de cause.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 3
Numéro d'arrêt : 19/03004
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;19.03004 ?
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