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29/09/2022 | FRANCE | N°21/01092

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 29 septembre 2022, 21/01092


AFFAIRE : N° RG 21/01092

N° Portalis DBVC-V-B7F-GXMZ

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG-EN-COTENTIN en date du 24 Mars 2021 RG n° F17/00067











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2022





APPELANTE :



S.A.S. HAGUE OPTIQUE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit

siège

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Stéphane BATAILLE, avocat au barreau de CHERBOURG







INTIMEE :



Madame [C] [B]

[Adresse 5]

[Localité 1]



Représentée par Me ...

AFFAIRE : N° RG 21/01092

N° Portalis DBVC-V-B7F-GXMZ

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG-EN-COTENTIN en date du 24 Mars 2021 RG n° F17/00067

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2022

APPELANTE :

S.A.S. HAGUE OPTIQUE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane BATAILLE, avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMEE :

Madame [C] [B]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Thierry YGOUF, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 02 juin 2022

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 29 septembre 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme ALAIN, greffier

Selon contrat de travail à durée déterminée du 13 janvier 2011, renouvelé pour une durée indéterminée le 11 avril 2012, Mme [C] [B] a été engagée par la société Hague Optique en qualité d'opticien collaborateur coefficient 140,la convention collective de l'optique lunetterie de détail étant applicable;

Le contrat précisait que la salariée exercera ses fonctions dans les locaux de [Localité 6] et [Localité 4] ;

Par lettre recommandée du 8 avril 2017, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 19 avril suivant, et a été licenciée le 3 mai 2017 pour insuffisance professionnelle et faute ;

Estimant son licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle a saisi le 29 août 2017 le conseil de prud'hommes de Cherbourg lequel par jugement rendu le 24 mars 2021 a :

- dit que Mme [B] avait fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé ;

- dit son licenciement nul ;

- condamné la société Hague Optique à lui régler la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination, celle de 20 000 € pour licenciement nul, celle de 479.07 € à titre de complément de l'indemnité compensatrice de congés payés et celle de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la délivrance d'une attestation Pole emploi et d'un certificat de travail sous astreinte, s'en réservant le droit de la liquider ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné la société Hague Optique aux dépens ;

Par déclaration au greffe du 16 avril 2021, la société Hague Optique a formé appel de cette décision qui lui avait été notifié le 25 mars 2021 ;

Par conclusions n°2 remises au greffe le 16 mai 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société Hague Optique demande à la cour de :

-infirmer le jugement ;

- dire irrecevables en tout cas mal fondées les demandes de Mme [B], et l'en débouter ;

- condamner Mme [B] à lui payer une somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Par conclusions remises au greffe le 6 octobre 2021 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, Mme [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement ;

- dire et juger que Mme [B] a fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé ou tout du moins que la société Hague Optique a exécuté de manière déloyale le contrat de travail ;

- dire et juger le licenciement nul, tout du moins sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner en conséquence la société Hague Optique à lui verser les sommes suivantes, en deniers ou quittance :

- 6.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé de la salariée ou tout du moins pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement ou tout du moins pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 479,07 € au titre du complément de l'indemnité compensatrice de congé payé ;

- dire et juger que l'ensemble des condamnations pécuniaires sera assorti des intérêts au taux légal ayant commencé à courir au jour de la saisine du Conseil de Prud'hommes ;

- condamner la société Hague Optique au paiement d'une somme de 6.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- débouter la société Hague Optique de ses demandes reconventionnelles ;

MOTIFS

I - Sur les demandes indemnitaires fondées sur la discrimination en raison de l'état de santé et/ou sur l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée invoque des évènements et reproches de son employeur qu'elle estime en lien avec ses absences fondées sur ses problèmes de santé en l'occurrence la nécessité de recourir à une fécondation in vitro, précisant que son conjoint, M. [S] est également salarié de la société Hague Optique ;

Il appartient au salarié qui s'estime victime de discrimination directe ou indirecte de présenter 'des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte'. Ensuite, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination. Enfin, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur 'de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toutes discrimination' ;

La salariée invoque les faits suivants :

- modification de son planning pour la semaine du 21 au 26 octobre 2016 l'obligeant à venir travailler la semaine où elle devait être en congés pour son traitement médical ;

L'employeur adressait à la salariée le planning du mois (répartition hebdomadaire entre les deux sites) entre le 20 et le 30 du mois précédent ;

Le planning du mois d'octobre 2016 a été adressé à la salariée par courriel du 27 septembre 2016 puis a été modifié par un courriel du 10 octobre 2016 ;

Sa pièce n°12 comporte notamment le planning d'octobre 2016 où pour la période du 21 au 26 octobre 2016, Mme [B] travaillait ;

Toutefois la salariée qui ne produit pas aux débats le premier planning d'octobre 2016 n'établit pas qu'elle ait préalablement informé l'employeur de son absence la semaine du 21 au 26 octobre 2016 pour son traitement médical, ce qu'il conteste. Au demeurant, la lecture de son journal intime qu'elle produit elle-même aux débats démontre qu'elle ne l'avait pas informé au moment ou le planning a été modifié. En effet, elle note pour la journée du 11 octobre 2016 : « A 12h30, je lui [M. [K], son employeur] dis j'ai reçu le nouveau planning, je suis désolée, j'ai une programmation qui est prévue entre le 21 et le 24 octobre », elle indique que l'employeur lui répond « sinon on va pas partir », ou que son épouse partira seule » ;

En tout état de cause, il n'est pas contesté que l'employeur a finalement renoncé à la modification du planning et que la salariée a pu suivre son traitement ;

Ce fait non établi ne sera pas retenu ;

- l'envoi du sms le 11 octobre 2016 par lequel son employeur lui demande de venir travailler sur un autre site

L'employeur a adressé à la salariée un sms le 11 octobre 2016 à 12h55 libellé comme suit : « [C] cette après midi, je veux vous voir. Donc vous êtes à [Localité 6] merci » ;

Ce sms envoyé alors que l'employeur venait d'apprendre de la salariée son absence pour traitement médical, et modifiant de manière tardive son site de travail, ne sera toutefois pas retenu, la salariée indiquant elle-même, dans son journal intime, qu'elle n'y est pas allée, qu'elle a appelé son employeur qui lui a dit « qu'il avait des questions à lui poser, que [U] en avait répondu à une partie, qu'on verrait ça vendredi » ;

- reproches faits par l'employeur lors d'un entretien du 14 octobre 2016

La salariée fait valoir que lors de cet entretien, l'employeur lui aurait dit « j'en ai marre de gérer vos traitements » ;

La réalité de cet entretien, contestée par l'employeur et les propos tenus ne sont établis par aucun élément ou pièce, à l'exception du journal intime de la salariée, ce qui insuffisamment probant s'agissant d'un document qu'elle a elle-même rédigé, et ce même si la salariée établit qu'elle a été en arrêt de travail du 14 octobre au 8 novembre 2016 après avoir vu son médecin traitant le jour même ;

Ce fait n'est donc pas établi ;

- retrait de deux jours de repos consécutifs à compter du 14 novembre 2016 au mépris de la convention collective imposant deux jours de repos consécutifs

Il résulte des plannings produits aux débats qu'à compter du 21 novembre 2016, la salariée travaillait les lundis après midi, et avait son jour de congé le jeudi, l'examen des plannings précédents démontrant qu'elle avait son jour de congé le lundi ;

Selon son contrat de travail, la salariée travaillait le samedi, « selon les modalités qui seront définies par le responsable de magasin, notamment en ce qui concerne la fixation de votre deuxième jour de repos hebdomadaire ». Toutefois, il ressort de l'article 23 de la convention collective, dans sa version applicable au litige (ce texte ayant été abrogé par la convention collective du 13 juin 2019), que « l'horaire de travail est réparti sur cinq jours, le 2ème jour de repos étant accolé au dimanche » ;

Dès lors, la salariée qui travaillait le samedi, devait avoir son jour de repos le lundi ;

L'employeur ne prouve par ailleurs par aucune pièce que cette modification repose sur une demande de la salariée de se consacrer davantage à des tâches administratives, le lundi étant un jour moindre d'affluence, même si, comme il l'observe justement la salariée ne s'en est jamais plainte.

- menaces de l'employeur de supprimer les congés de ses collègues à cause de ses absences

Aucun élément n'est produit, ce fait ne sera pas retenu ;

-divulgation par l'employeur auprès de plusieurs personnes des difficultés du couple pour avoir un enfant ;

La salariée ne produit aucun élément ou pièce en ce sens, citant une attestation de M. [T], directeur régional Atol produite par l'appelante. Or, ce témoin indique que lors de ses visites, « le couple [U] [S], [C] [B] n'a jamais fait mystère de leur traitement médicaux concernant leurs difficultés pour pouvoir avoir un enfant », dont il peut être déduit qu'il était informé de cette situation non pas par l'employeur mais par M. [S] et Mme [B] ;

Ce fait n'est donc établi ;

- diminution du nombre d'heures de travail de M. [S], son conjoint

Outre que ce fait concerne la relation de travail entre son conjoint et l'employeur, lequel indique sans être démenti que seule des heures supplémentaires ont été diminuées en raison de l'activité et que ce fait ne concernait pas seulement M. [S] ;

- l'envoi de quatre lettres recommandées entre le 12 mars et le 15 avril 2017

*lettre du 12 mars 2017 adressée à Mme [B] par laquelle l'employeur lui demande, compte tenu de son absence prolongée, de lui adresser les clés d'accès aux locaux de l'entreprise, ceci pour assurer la continuité de l'entreprise lui précisant que les clés lui seraient restituées dès son retour ;

*lettre du 10 avril 2017 qui est sa convocation à l'entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement ;

*lettre du 13 avril 2017 adressée à Mme [B] par laquelle l'employeur lui indique que compte tenu de l'impossibilité d'organiser la visite de reprise à l'issue de son arrêt du travail (10 mars au 15 avril 2017), la suspension de son contrat perdurera du 16 au 21 avril ;

*lettre du 17 mars 2017 adressée à son conjoint lui reprochant d'avoir vendu un échantillon gratuit ;

Outre que la dernière lettre concerne un reproche adressé à son conjoint, les deux premières lettres sont fondées par des difficultés techniques et d'organisation, et la dernière est la convocation à l'entretien préalable qui ne sont au vu de leur objet et/ou des termes employés révélatrices d'aucun reproche ou atteinte lié à l'état de santé de la salariée ;

Au vu de ce qui vient d'être exposé, du fait également que la salariée reconnait elle-même que ses absences nécessaires pour son traitement médical qui ont débuté en 2013 étaient acceptées sans difficulté par l'employeur, et en dépit des éléments médicaux produits par la salariée, les mesures et/décisions reprochées à l'employeur, pour celles qui sont établies, sont sans lien avec l'état de santé de Mme [B], et sont donc même prises dans leur ensemble insuffisantes pour faire présumer l'existence d'une discrimination sur l'état de santé de la salariée ;

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts fondés sur une telle discrimination, et en ce qu'il a considéré que le licenciement prononcé était nul.

- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée invoque les mêmes faits au soutien de sa demande indemnitaire. Au vu de ce qui précède, si la plupart des faits établis ne sont pas davantage de nature à justifier d'une exécution déloyale du contrat de travail, il n'en est toutefois pas de même de la modification des jours de congé, conduisant à priver la salariée de deux jours de repos consécutifs conformément à l'article 23 de la convention collective alors applicable.

L'atteinte au droit au repos qui en est résulté justifie l'octroi de dommages et intérêts qui seront évalués à 1000 € ;

II - Sur le licenciement

La salariée estime que dans sa lettre de licenciement l'employeur a qualifié les mêmes faits de deux manières différentes, des fautes professionnelles et une insuffisance professionnelle, rendant pour ce motif le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

L'employeur estime que le licenciement repose sur l'insuffisance professionnelle de Mme [B] et également un comportement fautif à l'égard de Mme [A] ;

La lettre de licenciement indique « nous avons déploré'la répétition de nombreuses erreurs de votre fait se traduisant par le non-respect des procédures obligatoires de suivi de dossiers appliquées au sein de l'entreprise mais aussi par des difficultés avec la clientèle (clientèle mal renseignée par vos soins). Ainsi : ». La lette énumère plusieurs faits : 7 février, 11 février, 18 février, 22 février, 4 mars, 14 mars 2017 ». La lettre mentionne ensuite que ces faits font suite à une série d'incident de l'année antérieure et évoque deux faits. Elle indique ensuite « ces erreurs qui pour la plupart sont même révélatrices d'une mauvaise volonté de votre part et/ou d'une attitude mensongère ont eu des conséquences préjudiciables aux intérêts de l'entreprise en ce qu'elles ont perturbé la bonne gestion des dossiers et créée des difficultés relationnelles avec notre clientèle ;

Ces faits caractérisent ainsi une insuffisance professionnelle au regard de votre qualification professionnelle et de votre ancienneté dans l'entreprise » ;

« Par ailleurs, le 14 mars 2017 », la lettre évoque alors son attitude oppressante et intimidante envers Mme [A], sa collègue de travail ;

Et l'employeur conclut « l'ensemble de ces faits sont constitutifs de fautes professionnelles et d'une cause réelle et sérieuse de licenciement » ;

Si l'employeur peut fonder son licenciement sur des motifs disciplinaires et des motifs non disciplinaires, il ne peut cependant qualifier des mêmes faits de manière différente. En l'occurrence, si la lettre indique que les faits listés correspondent à des erreurs mais qu'ils sont également révélateurs d'une mauvaise volonté et :ou d'une attitude mensongère, ce qui caractérise un comportement fautif, l'emploi du terme « même » dans la phrase litigieuse démontre cependant que l'employeur n'a pas entendu modifié son analyse des griefs reprochés, et par ailleurs les références à plusieurs reprises des termes erreurs et insuffisance professionnelle dans la lettre révèlent la volonté de celui-ci de ne pas se placer, à l'exception des faits contre Mme [A], sur le terrain disciplinaire ;

Le moyen de la salariée sera donc rejeté ;

sur les griefs relatifs à l'insuffisance professionnelle

Au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen fondé sur la prescription des faits des 7 février 2017 (client [D]) et 22 février 2017 (client [O]) ;

- faits du 7 février 2017

Dans la lettre de licenciement, l'employeur reproche à la salariée d'avoir dû intervenir auprès d'un client M. [D] en raison des mauvais conseils (produits) et renseignements qu'elle lui avait donné ;

Dans ses écritures l'employeur indique que la salariée n'a pas fait à ce client la bonne proposition de devis, et n'a pas appliqué l'offre commerciale existante à l'époque, et produit aux débats une attestation de M. [D] ;

La salariée justifie au vu des relevés informatiques que deux devis ont été proposés à M. [D], l'un avec des verres Essilor de type Varilux (les mêmes que le client avait déjà commandé en 2015) pour un montant de 865 € après application d'une remise de 65 € et l'autre avec des verres Novacel avec un prix plus intéressant que le client a choisi ;

Toutefois, M. [D] indique dans son témoignage que « le 7 février 2017, M. [K] a dû intervenir durant la vente de mes lunettes afin d'avoir la proposition qui me convienne », ce qui contredit le fait que la salariée lui ait elle-même proposé deux devis, et confirme que le dernier devis a été proposé avec l'intervention de l'employeur (M. [K]) ;

Ce grief est donc établi

- faits du 11 février 2017

Dans la lettre, L'employeur reproche à la salariée de ne pas avoir respecté sa demande de clôturer le dossier tiers-payant d'une commande effectuée au nom de [R] [H] (enfant mineur ), en contactant téléphoniquement les parents de ce dernier ;

Il produit une fiche atelier de laquelle il résulte que la salariée n'a pas suivi cette commande et que les clients devaient être prévenus par sms. La salariée indique sans être contredite qu'elle a fait la demande de prise en charge pour la mutuelle le 11 février 2017, et qu'aucune prise en charge n'était prévue. Elle précise qu'elle a informé son employeur qui lui a indiqué qu'il s'occuperait du dossier et qu'elle n'a donc pas été en mesure de clôturer le dossier tiers payant ;

L'employeur ne justifie pas avoir demandé à la salariée d'appeler elle-même les clients, ni que la salariée n'a pas comme elle le soutient procéder à la demande de prise en charge, ce grief ne sera donc pas retenu ;

- faits du 18 février 2017

Dans la lettre, l'employeur reproche à la salariée d'avoir mal renseigné une cliente, Mme [F] sur la possibilité d'un tiers payant, au point que celle-ci a voulu mettre un terme à son dossier ;

Il produit aux débats la réponse positive de la prise en charge de la mutuelle Almerys de Mme [F] du 18 février 2017. Toutefois il ne produit aucune pièce de nature à établir que la salariée ait mal renseigné Mme [F] en lui indiquant qu'aucune prise en charge n'était possible, ce qu'elle conteste, ni que Mme [F] ait envisagé de mettre fin à son dossier ;

Ce grief ne sera pas retenu ;

- faits du 22 février 2017

Dans la lettre, l'employeur indique avoir ce jour là découvert que le dossier tiers payant de M. [O] datant du mois de décembre 2016 n'a pas été suivi correctement ;

Dans ses écritures, l'employeur indique que la salariée a édité en décembre 2016 une facture de 565€ sans assurer le suivi auprès de la mutuelle du client, la Mutame ;

La salariée soutient avoir traité ce dossier durant la semaine du 26 au 31 décembre 2016 en l'absence de sa collègue qui le suivait et avoir fait la demande d'aide exceptionnelle pour ce client auprès de la Mutane ;

En l'occurrence, le courrier de la Mutame du 23 décembre 2016 adressé à M. [O] lui confirme l'accord de prise en charge pour le montant des frais d'équipement optique incluant une aide exceptionnelle de 91.69 € permettant une prise en charge total du coût et lui demande de lui adresser une facture acquittée des soins. Il n'est pas contesté que les mentions figurant sur ce courrier, rapporté par le client à Mme [B], soit le téléphone et le courriel de la personne destinataire de la facture ont été apposées par Mme [B], et qu'il n'est pas démontré par l'employeur que la Mutame n'ait pas été contactée durant la semaine du 26 au 31 décembre 2016 par la salariée. Par ailleurs, le courrier rédigé par M. [O] aux fins d'être dispensé de faire l'avance des fonds et que l'aide soit directement versée à l'opticien date du 23 février 2017, et l'employeur n'établit pas que M. [O] avait été informé seulement à cette date de la nécessité de faire ce courrier, ce que conteste la salariée ;

Dès lors, l'absence de suivi du dossier par cette dernière n'est pas établi ;

- faits du 4 mars 2017

Dans la lettre, l'employeur reproche à la salariée d'avoir commandé un équipement optique sans s'assurer au préalable de la prise en charge de la mutuelle ;

Il est vrai comme l'indique la salariée que la lettre de licenciement ne cite aucun nom de dossier relatif à ce grief. Toutefois, ce grief est datée et précis et est donc matériellement vérifiable, en outre la salariée indique elle-même avoir été informée du nom du dossier ([Z]) durant l'entretien, si bien que la lettre de licenciement est suffisamment précise ;

Il est produit aux débats une fiche livraison établie le 4 mars 2017 par la salariée pour la cliente Lola [Z] mentionnant une commande de 375 €, une prise en charge de la sécurité sociale pour 43.99 € et de la mutuelle pour 331.01 € soit un dû client égale à 0, la fiche mentionnant une date de livraison le 18 mars 2017. L'employeur reproche à la salariée d'avoir mentionné une prise en charge de la mutuelle erronée, puisque la cliente n'avait droit à aucune prise en charge sa dernière commande datant de moins d'un an ;

La salariée indique dans ses écritures qu'elle a attiré l'attention de la cliente que « l'achat de monture et de verre risquait de ne pas être pris en charge par la mutuelle » et précise que « malgré l'alerte, le cliente et M. [K] ont demandé à la concluante de commander l'équipement » ;

Elle ne produit aucun élément en ce sens, et n'a apporté aucune mention sur ce point sur la fiche de livraison alors qu'elle savait que la prise en charge par la mutuelle ne pourrait intervenir, d'autant que la fiche contient une rubrique « observations » qu'elle n'a pas jugé utile de renseigner. C'est donc en vain qu'elle soutient qu'il n'existe aucune procédure de suivi des dossiers, et qu'elle n'a jamais reçu de formation sur la gestion des mutuelles. En effet, elle indique elle-même dans ses écritures que dans le

cadre de ses fonctions elle était chargée de demander la prise en charge des mutuelles et de réceptionner leur réponse pour l'annexer au dossier, ce qui démontre que dans le cas précis de Mme [Z], elle n'a pas procédé à cette démarche préalable ;

Ce grief sera retenu ;

- faits révélés le 14 mars 2017 : selon la lettre de licenciement, l'employeur a été informé par Mme [A], collègue de travail de Mme [B] que celle-ci a en décembre 2016 commis une erreur lors du contrôle de vue d'une cliente, Mme [V] et que ses verres de lunettes ont dû être gratuitement échangés ;

L'employeur produit aux débats une fiche de livraison de laquelle il résulte que Mme [B] qui a géré le dossier de Mme [V] devait livrer les lunettes commandées le 21 janvier 2017. Il ne résulte cependant d'aucun élément d'une part qu'à cette date Mme [V] ait informé Mme [B] d'une gêne visuelle, d'autre part que la salariée avait adapté la prescription médicale de l'ophtalmologue de Mme [V], à fortiori sans en informer ce dernier, et ni enfin que l'employeur ait dû échanger gratuitement les verres de lunette sur la base d'une nouvelle ordonnance de l'ophtalmologue de la cliente ;

Ce grief ne sera pas retenu ;

- sur le dossier [Y]

La lettre mentionne une erreur de saisie de la salariée sur l'ordre de virement malgré les explications données ;

L'employeur fait valoir que le client souhaitait payer en trois fois et que la salariée a signé un ordre de virement le 17 mai 2016 en mentionnant la somme totale alors qu'il fallait mentionner le montant de chaque mensualité ;

La salariée ne méconnaît pas cette erreur, indiquant l'absence d'information de son responsable sur le document à compléter. Toutefois, la lecture même de l'ordre de virement permet de savoir que le montant à compléter concernait les mensualités choisies et non le montant total de la somme due ;

Ce grief est donc établi ;

- sur le dossier [N]

La lettre mentionne une correction pour compenser une méconnaissance technique générant une commande de verres inadaptée et non facturable ;

L'employeur produit aux débats deux extraits du dossier de cette cliente sans qu'il soit permis d'identifier quelles lunettes ont été livrées à la cliente. Toutefois et en tout état de cause, alors que l'employeur confirme comme le soutient la salariée que la prescription de l'ophtalmologue soit des verres progressifs avec une addition de 4.5 est impossible à réaliser car ce type de verre n'existe pas, il ne démontre pas avoir informé la salariée d'une part de la nécessité de commander des verres double- foyer, qui était selon lui la solution adaptée au cas [N], d'autre part d'avoir autorisé la salariée à modifier la prescription médicale en ce sens ;

Par ailleurs, il ne produit également aucun élément justifiant le mécontentement de la cliente et du caractère non facturable de la commande effectuée par la salariée ;

Ce grief ne sera pas retenu ;

Sur les actes fautifs commis à l'encontre de Mme [A]

Selon la lettre de licenciement, la salariée a eu « une attitude oppressante et intimidante générant de l'angoisse », cherchant à mettre Mme [A] en faute, opérant une pression lors de l'établissement des plannings des congés payés ;

L'employeur produit aux débats une attestation de Mme [A] du 30 mars 2017 de laquelle il résulte que celle-ci « angoisse d'aller travailler avec [B] [C] » et préfère travailler seule, que lorsqu'elle part en congés, « [B] [C] fouille partout pour me mettre en défaut, (') m'accuse d'erreurs que je n'ai pas commises » et que « [B] [C] lui met la pression et m'intimide pour les dates de congés » ;

Ce témoignage vise des faits non circonstanciés ne permettant pas à la cour d'apprécier la nature des pressions exercées ou des tentatives de Mme [B] pour la mettre en défaut.

La pression de la salariée pour l'établissement des plannings et congés payés n'est pas davantage fondée par des pièces ;

Il sera par ailleurs observé que Mme [A] était la supérieure hiérarchique de Mme [B] et qu'elles entretenaient des liens hors de leur sphère professionnelle, comme en attestent les échangés de sms produits, et que cette relation s'est rompue en octobre 2016, les mentions du journal intime de la salariée évoque le comportement ambivalent de Mme [A] vis-à-vis de l'employeur ;

Ces reproches ne sont donc pas établis ;

Au vu de ce qui précède, les griefs justifiés sont de mauvais conseils donnés à M. [D], une erreur dans l'ordre de virement et une commande sans vérifier la prise en charge préalable de la mutuelle. L'employeur ne justifie pas d'un préjudice particulier pour ces erreurs, étant relevé que l'ordre de virement a été immédiatement refait en juin 2016 sans qu'il soit justifié d'un préjudice pour le client. En effet, s'il établit que la facture de la commande de Mme [Z] a été établie le 26 décembre 2017 soit plusieurs mois après la livraison, il ne justifie pas l'impossibilité d'établir cette facture dès la livraison, l'impécuniosité de la cliente invoquée dans ses écritures ne résultant d'aucun élément ;

Dès lors, compte tenu de ces éléments, de l'absence d'antécédents, notamment des précédentes erreurs alors que la salariée avait plusieurs années d'ancienneté, le licenciement apparaît une sanction disproportionnée. Il sera considéré en conséquence sans cause réelle et sérieuse ;

Justifiant d'une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, Mme [B] peut prétendre à l'indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, le licenciement ayant été prononcé antérieurement au 23 septembre 2017 ;

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services supérieure à 6 années, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, en l'occurrence elle justifie avoir été embauchée en qualité de technicienne de laboratoire le 20 juin 2018 à 80% et à durée déterminée selon un salaire moindre, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 15 000 € ;

III - Sur les autres demandes

La salariée demande une somme complémentaire au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Il résulte des bulletins de salaire qu'elle a perçu à ce titre une somme de 3832.54 € en mai 2017 (40 jours). L'employeur ne développe aucun moyen pour s'opposer à cette demande correspondant au solde de 5 jours de congés payés ;

Le jugement sera confirmé sur ce point ;

La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence d'allégation de circonstances le justifiant ;

La remise des bulletins de salaire de mai, juin et juillet 2017 sera confirmée, sauf à constater que ceux-ci ont été adressés à l'avocat de la salariée par lettre du 22 avril 2021, si bien que l'astreinte prononcée par les premiers juges sera infirmée ;

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.

En cause d'appel, la société Hague Optique qui perd le procès sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 1500 € à MMe [B] ;

La salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement rendu le 24 mars 2021 par le conseil de prud'hommes de Cherbourg sauf sur l'indemnité compensatrice de congés payés complémentaire, sur les indemnités de procédure et les dépens et sur la remise des bulletins de salaire de mai, juin et juillet 2017 ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant ;

Déboute Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination liée à son état de santé, et de dire son licenciement nul ;

Condamne la société Hague Optique à payer à Mme [B] la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Hague Optique à payer à Mme [B] la somme de 15000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Ordonne à la société Hague Optique de remettre à Mme [B] les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi) et des bulletins de salaire complémentaires (à raison d'un bulletin par année) conformes au présent arrêt, ce dans le délai d'un mois à compter de sa signification, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Constate que les bulletins de salaire de mai, juin et juillet 2017 ont été remis à l'avocat de la salariée ;

Dit en conséquence n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Condamne la société Hague Optique à payer à Mme [B] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande aux mêmes fins ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l'avis de réception de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes ;

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Hague Optique à rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;

Condamne la société Hague Optique aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/01092
Date de la décision : 29/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-29;21.01092 ?
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