AFFAIRE : N° RG 19/02268
N° Portalis DBVC-V-B7D-GMBC
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 17 Juin 2019 - RG n° 18/00270
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 30 JUIN 2022
APPELANT :
Madame [Z] [O]
[Adresse 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022019007800 du 10/10/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)
Représenté par Me Chloé DELL'AIERA, avocat au barreau de CAEN
INTIMEES :
[6]
[Adresse 1]
Représentée par M. [I], mandaté
S.A.R.L. [3]
[Adresse 8]
Représentée par Me OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Président de chambre,
Mme ACHARIAN, Conseiller,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 07 avril 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 30 juin 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [Z] [O] d'un jugement rendu le 17 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Caen dans un litige l'opposant à la société [3].
EXPOSE DU LITIGE
Le 22 juin 2017, Mme [Z] [O], engagée dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée saisonnier du 1er mars au 30 octobre 2017 en qualité de gouvernante par la société [3] (la société), a renseigné une déclaration d'accident du travail pour un sinistre survenu le 22 juin 2017 à 17 heures 03, rédigée comme suit : 'mon employeur m'a mandatée pour rapporter un véhicule qu'il avait loué auprès du magasin [7] à [Localité 4]. Ce véhicule devait être ramené avec le plein de carburant. C'est au cours de cette manoeuvre (descente du véhicule) que ma jambe a cédé = entorse cheville et genou droits'.
Cette déclaration était accompagnée d'un certificat médical initial du même jour établi par M. [M], médecin urgentiste à l'hôpital de [Localité 5].
Le 27 juin 2017, la société [3] a également rempli une déclaration d'accident du travail mentionnant les faits suivants : ' nous n'avons aucun élément sur les causes, le lieu, les circonstances de l'accident. Nous avons reçu uniquement un arrêt de travail pour accident de travail sans détail (le 24/06) et doutons sérieusement de la nature de l'accident.
Cet accident intervient suite à plusieurs arrêts liés à un accident domestique (déménagement).'
A la suite d'une enquête administrative, la [6] (la caisse), par décision du 27 octobre 2017, a refusé de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident déclaré par Mme [O].
Saisie par l'assurée, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté cette contestation le 13 février 2018.
Sur saisine de Mme [O], le tribunal de grande instance de Caen, auquel a été transféré le contentieux du tribunal des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, par jugement du 17 juin 2019, a :
- débouté Mme [O] de ses demandes,
- confirmé la décision de la commission de recours amiable rendue le 13 février 2018,
- débouté Mme [O] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [O] aux dépens.
Par déclaration du 23 juillet 2019, Mme [O] a interjeté appel de cette décision notifiée le 25 juin 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 28 mars 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [O] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré,
Statuant à nouveau :
- d'infirmer la décision de la commission de recours amiable en date du 14 février 2018 relative au refus de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident dont elle a été victime le 22 juin 2017,
- d'ordonner la prise en charge de l'accident dont elle a été victime le 22 juin 2017, survenu aux temps et lieu du travail, au titre de la législation professionnelle avec toutes conséquences de droit notamment quant à l'indemnisation des arrêts de travail,
- de constater qu'elle ne forme aucune demande à l'encontre de la société et ne s'oppose pas à la mise hors de cause de celle-ci,
- de condamner la caisse à verser à Mme [C], avocate de Mme [O], la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 2° du code de procédure civile,
- de condamner la caisse aux dépens de première instance et d'appel.
Selon dernières écritures déposées le 3 mars 2022, soutenues oralement à l'audience par son représentant dûment mandaté, la caisse demande à la cour :
- confirmer le jugement déféré,
- de débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes.
Par dernières conclusions déposées le 21 mars 2022, soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société, appelée en la cause en première instance par la caisse, demande à la cour :
- de la mettre hors de cause,
- en cas de décision ordonnant la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont a été victime Mme [O] le 22 juin 2017, de lui déclarer cette décision inopposable,
- de condamner la partie succombante aux dépens.
Il sera renvoyé aux conclusions pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur la mise hors de cause de l'employeur
La société [3] a été appelée en la cause, en première instance, par la caisse si bien que, partie au litige, l'appel a également été dirigé à son encontre.
Toutefois, il est admis que dès lors qu'elle a été notifiée à l'employeur, dans les conditions prévues à l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, la décision de refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle revêt un caractère définitif à son égard de sorte que la mise en cause de ce dernier dans l'instance engagée contre la même décision par la victime ou ses ayants droit est sans incidence sur les rapports entre l'organisme social et l'intéressé.
Dans ces conditions, les demandes à l'égard de la société ayant été en outre abandonnées par la caisse, la société [3] sera mise hors de cause.
II- Sur le caractère professionnel de l'accident
L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il est admis que l'accident du travail est constitué par un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont est résultée une lésion corporelle ou psychologique quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
Ainsi, l'existence de cette lésion fait présumer l'accident qui, s'il survient aux temps et lieu du travail, est présumé d'origine professionnelle.
Il appartient à la victime d'apporter la preuve de la matérialité de la lésion mais également de la survenue du traumatisme initial aux temps et lieu du travail.
La déclaration d'accident du travail établie par la salariée est datée du 22 juin 2017, jour du sinistre déclaré.
Par ailleurs, Mme [O] indique dans cette déclaration d'accident du travail que l'accident est survenu à 17 heures 03, au cours d'un déplacement exécuté pour le compte de l'employeur au centre commercial [7], tout en précisant que ses horaires de travail étaient fixés de 10 heures 30 à 17 heures 03.
Bien que l'employeur, dans sa lettre de réserves du 3 août 2017, mentionne une prise de fonction le 22 juin 2017 à 18 heures, la caisse ne produit que la fin du questionnaire employeur sollicitant l'envoi d'une lettre de réserves et non les réponses à des questions sur le déroulement des faits et l'organisation du travail.
L'assurée, pour sa part, produit une attestation de sa mère, Mme [S] [O], citée en qualité de témoin dans sa déclaration d'accident du travail et que la caisse n'a pas entendue dans le cadre de son enquête administrative.
Aux termes de cette attestation, rédigée selon les formes exigées par le code de procédure civile, par un témoin dont les liens de parenté avec l'assurée ne suffisent pas à faire douter de l'authenticité des faits relatés, Mme [S] [O] écrit : 'le 22 juin 2017 vers 9 heures 30 avant de partir à Argence rendre du matériel que son patron avait emprinté, puis se rendre à son travail, elle m'a demandé d'aller la rechercher le soir au Lecler car elle devait rendre la camionnette vers 17 heures. J'étais sur le parking, garée à côté de la camionnette. [Z] est descendue de celle-ci et a poussé un grand cri et s'est plainte de sa cheville et son genou. Après qu'elle a rendu la clef, on est rentrées à la maison.'
La présence de Mme [Z] [O] est en outre attestée par la production de tickets de caisse établissant l'achat de carburant à 17 heure 03, le 22 juin 2017.
Ces éléments, qui ne sont pas contestés par la caisse autrement qu'en soutenant que la salariée a prévenu son employeur tardivement de cet accident, démontrent que le fait décrit s'est produit aux temps et lieu du travail.
En outre, le fait accidentel soudain est ainsi décrit dans la déclaration d'accident du travail : 'Ce véhicule devait être ramené avec le plein de carburant. C'est au cours de cette manoeuvre (descente du véhicule) que ma jambe a cédé = entorse cheville et genou droits'.
L'enquête administrative, au titre du questionnaire assuré et des circonstances de l'accident relate: 'en descendant de la camionnette suite à une livraison de matériel (retour de la camionnette sur le site de location). Genou et cheville : entorse lors de la pose de la jambe au sol.'
Il ressort de ces éléments que vers 17 heures, alors qu'elle rendait une camionnette louée par son employeur dans le cadre du transport d'objets professionnels, Mme [O], en descendant du véhicule, a ressenti une vive douleur à la cheville et au genou droits.
Le fait accidentel ainsi décrit (douleur au genou et à la cheville lors de l'entrée en contact de la jambe avec le sol à la descente d'une camionnette) est soudain et s'est produit aux temps et lieu du travail si bien qu'il est présumé d'origine professionnelle.
Pour écarter cette présomption, il appartient à la caisse de démontrer que les lésions constatées médicalement ont une origine étrangère au travail.
Sur ce point, la caisse indique que Mme [O], selon son employeur avait été victime d'une précédente blessure au cours d'un déménagement, ce que ne conteste pas l'assurée.
Il apparaît que l'employeur, dans son courrier de réserves, évoque un arrêt de travail prescrit jusqu'au 19 juin 2017 pour une blessure à la jambe causée par la chute d'un canapé lors d'un déménagement.
Toutefois, la caisse ne produit pas l'arrêt de travail en question et ne met pas la cour en mesure de vérifier que ce dernier a été délivré pour des lésions touchant à la fois le genou et la cheville de la jambe droite, l'employeur n'ayant par ailleurs pas été destinataire d'un certificat mentionnant le siège des lésions invoquées.
Une cause étrangère au travail n'est donc pas établie pour l'accident déclaré le 22 juin 2017.
Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement déféré, de constater l'origine professionnelle de l'accident du 22 juin 2017 dont a été victime Mme [O], déclaré par l'assurée le même jour et d'ordonner la prise en charge de celui-ci ainsi que de toutes ses conséquences par la caisse.
Partie succombante, la caisse sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
La caisse sera également condamnée à verser à Mme [C], conseil de Mme [O], la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, sur le fondement de l'article 700 2° du code de procédure civile, le jugement déféré étant également infirmé sur ce point et Mme [O] disposant de l'aide juridictionnelle totale.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Met hors de cause la société [3],
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau :
Dit que l'accident déclaré le 22 juin 2017 dont a été victime Mme [O] le même jour a une origine professionnelle et qu'il doit être pris en charge à ce titre par la [6] au titre de la législation professionnelle, ainsi que toutes ses conséquences,
Condamne la [6] aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la [6] à verser à Mme [C], conseil de Mme [O], la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, sur le fondement de l'article 700 2° du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX