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02/06/2022 | FRANCE | N°21/00935

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 02 juin 2022, 21/00935


AFFAIRE : N° RG 21/00935

N° Portalis DBVC-V-B7F-GXB2

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVRANCHES en date du 24 Février 2021 - RG n° 









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 02 JUIN 2022





APPELANTE :



S.A.S. [Adresse 4] (GRANVIDIS)

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représentée par Me Amélina RENAULD, avocat au barreau de ROU

EN





INTIME :



Monsieur [N] [B]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représenté par Me Alexandre LE QUÉRÉ, avocat au barreau de RENNES











DEBATS : A l'audience publique du 04 avril 2022, tenue par Mme PO...

AFFAIRE : N° RG 21/00935

N° Portalis DBVC-V-B7F-GXB2

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVRANCHES en date du 24 Février 2021 - RG n° 

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 02 JUIN 2022

APPELANTE :

S.A.S. [Adresse 4] (GRANVIDIS)

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Amélina RENAULD, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [N] [B]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Alexandre LE QUÉRÉ, avocat au barreau de RENNES

DEBATS : A l'audience publique du 04 avril 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 02 juin 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS [Adresse 4] a embauché M. [N] [B] à compter du 10 juillet 2017 en qualité de directeur commercial et l'a licencié le 10 décembre 2018 pour faute grave après l'avoir mis à pied à titre conservatoire à compter du 22 novembre 2018.

Estimant ce licenciement injustifié, M. [B] a saisi, le 22 juin 2019, le conseil de prud'hommes d'Avranches pour réclamer des indemnités de rupture et des dommages et intérêts ainsi qu'un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied;

Par jugement du 24 février 2021, le conseil de prud'hommes a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS [Adresse 4] à verser à M. [B] : 2 185,74€ au titre de l'indemnité de licenciement, 11 121€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 16 681,50€ d'indemnité compensatrice de préavis (outre les congés payés afférents), 3 521,17€ de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire (outre les congés payés afférents), 2 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS [Adresse 4] a interjeté appel du jugement, M. [B] a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 24 février 2021 par le conseil de prud'hommes d'Avranches

Vu les dernières conclusions de la SAS [Adresse 4], appelante, communiquées et déposées le 13 décembre 2021, tendant à voir le jugement infirmé, à voir M. [B] débouté de toutes ses demandes et condamné à lui verser 5 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de M. [B], intimé et appelant incident, communiquées et déposées le 3 février 2022, tendant à voir le jugement confirmé sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile, tendant à voir fixer les dommages et intérêts à 72 000€ et l'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile à 3 000€, tendant, en outre, à se voir allouer, à ce titre, une indemnité supplémentaire de 3 000€ pour les frais liés à l'instance d'appel

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 mars 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. [B] a été licencié pour avoir eu un comportement sexiste, méprisant et déplacé à l'égard de salariées (mépris pour leur activité et le rayon dont elles ont la charge, réflexions désobligeantes, surnoms, propos humiliants, allusion à leur physique ou à leur âge, bousculade volontaire, convocation à des réunions fictives...) alors que lui incombait, en tant que directeur, une obligation d'exemplarité.

M. [B] soutient avoir fait l'objet d'un licenciement verbal et conteste les faits reprochés, soutenant que les attestations adverses émanent de salariées travaillant sous les ordres directs de Mme [E], en froid avec lui.

' Pour établir l'existence d'un licenciement verbal, M. [B] produit une feuille dactylographiée qui serait la reproduction d'un SMS émanant de M. [D] reçu le 22 novembre à 21H23 -soit le jour où M. [B] a été mis à pied-. Dans cet écrit, l'auteur indique avoir appris avec étonnement que le destinataire ne faisait plus partie de l'entreprise.

Ce document ne présente aucune garantie d'authenticité si bien que ni son auteur ni son destinataire ni sa date ne sont certains. En outre, à supposer qu'il s'agisse de la reproduction fidèle d'un SMS, il ne fait que retranscrire ce que son auteur a compris de la situation sans que cela établisse pour autant que l'employeur aurait indiqué à M. [D] que M. [B] avait été licencié.

En conséquence, l'existence d'un licenciement verbal n'est pas établi.

' La SAS [Adresse 4] produit, pour établir le bien-fondé de la mesure de licenciement, les attestations de cinq salariées.

Mme [Z], responsable du rayon textile, écrit que ses collègues lui ont indiqué que M. [B] tenait de manière habituelle des propos remettant en cause leur travail et l'intérêt du rayon et qu'il trouvait les produits trop chers et moches. Elle indique que lors des réunions 'quasi hebdomadaires' il avait des 'réflexions désobligeantes' et sexistes 'devant mes collègues masculins qui gloussent et se sentent en position de force'. Elle ajoute en avoir assez de 'ses blagounettes stupides et désobligeantes'.

Mme [Y], hôtesse de caisse, atteste que M. [B] l'a surnommée à plusieurs reprises 'la blondasse' devant ses collègues et a dit 'qu'il n'était pas aidé avec quelqu'un comme moi'.

Mme [K], manager du manège à bijoux, indique que lors des réunions d'encadrement, M. [B] 'prend plaisir et ce devant son bon public masculin à nous dévaloriser ma collègue [A] [Z] (...) et moi'. Il répète, dit-elle, que le manège à bijoux ne sert à rien, prend la place de l'alimentaire. Il ne s'intéresse pas à son travail et a dit à deux reprises que 'de toute façon, tout est moche. C'est de la merde et pour les vieux'. Un jour, ajoute-t'elle, M. [B] lui indiqué qu'il y avait une réunion alors que tel n'était pas le cas ; elle l'a vu arriver 'en gloussant tout content de lui ayant prévenu certains collègues que j'attendais seule en réunion pour rien'. Elle indique avoir trouvé cela humiliant. Elle ajoute qu'il est inabordable et agressif. Elle rapporte en outre certains propos tenus par M. [B] ('les femmes c'est fait pour rester à la maison' 'l'autre' 'la blondasse').

Mme [O], assistante qualité, rapporte les propos suivants tenus à son égard par M. [B] : 'qu'est-ce qu'elle me veut celle-là' 'vous vous êtes regardée' 'la blondasse'. Elle indique l'avoir également entendu traiter d'autres collègues de 'blondasses'. Selon elle, M. [B] l'aurait volontairement bousculée sans s'excuser.

Mme [X] rapporte les propos suivants tenus à son égard par M. [B] devant ses collègues et devant des clients : 'vu votre âge', 'c'est la ménopause' 'vous avez dû picoler' 'c'est l'alcool'.

M. [B] ne produit aucune attestation venant contredire celle produites par l'employeur et l'explication qu'il donne concernant les mauvaises relations qu'il aurait entretenues avec Mme [E], supérieure hiérarchique des attestantes, est contredite par trois attestations produites par la SAS [Adresse 4], dont les auteurs (MM. [V], [P] et [T]) indiquent n'avoir jamais perçu d'animosité entre ces deux salariés, M. [P] décrit même leurs relations comme cordiales. M. [T] ajoute que les salariées qui ont attesté ont 'de fortes personnalités' et auraient été à même de refuser de rédiger de fausses attestations si cela leur avait été demandé.

Certains des griefs sont évoqués de manière générale et non circonstanciée (propos dévalorisants, humiliants, sexistes) ce qui ne permet pas d'en connaître la teneur et ne met donc pas la cour en mesure d'en apprécier le caractère fautif. D'autres agissements sont circonstanciés, caractérisent une faute (surnom et propos péjoratifs rapportés par les attestantes) et justifiaient une sanction. Toutefois, M. [B] n'ayant pas fait antérieurement l'objet de rappel à l'ordre ou de sanction, le licenciement prononcé, a fortiori pour faute grave, constituait une sanction disproportionnée.

Le licenciement est en conséquence sans cause réelle et sérieuse.

M. [B] est fondé à obtenir un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied, des indemnités de rupture et, en application de l'article L1235-3 du code du travail, des dommages et intérêts dont le montant est compris, compte tenu de son ancienneté (17 mois) et du nombre de salariés habituellement employés, entre un et deux mois de salaire.

' Les montants des indemnités de rupture et du rappel de salaire alloués par le conseil de prud'hommes et dont M. [B] demande confirmation ne sont pas contestés par la SAS [Adresse 4] ne serait-ce qu'à titre subsidiaire et seront donc retenus.

' M. [B] soutient que le barème prévu à l'article L.1235-3 du code du travail doit être écarté car il ne lui assure pas la réparation adéquate à laquelle il peut prétendre en application de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT (qui dispose que les juges devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée), et de l'article 24 de la charte sociale européenne qui consacre le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée et de la décision du comité européen des droits sociaux en date du 8 septembre 2016 par laquelle ce comité a énoncé que les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.

Eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de la charte sociale européenne révisée, les dispositions de l'article 24 de celle-ci ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

En revanche, l'article 10 de la convention internationale du travail n°158 de l'Organisation internationale du travail est, quant à lui, d'application directe en droit interne. Les dispositions des articles L.1235-3 et L.1235-3-1 du code du travail en réservant la possibilité de réintégration, en prévoyant la possibilité de fixer une indemnité comprise entre un montant minimal et un montant maximal, montants variables en fonction de l'ancienneté et en écartant l'application du barème en cas de nullité du licenciement sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail étant en conséquence compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée, la situation concrète du salarié ne peut être prise en compte que pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail sans qu'il puisse y être dérogé.

M. [B] justifie avoir perçu des allocations de chômage de janvier à octobre 2019 et de juin à octobre et, en décembre 2020, l'allocation de solidarité spécifique. Il indique, dans ses conclusions, avoir perçu de manière constante des allocations de janvier 2019 à décembre 2020 (soit un manque à gagner de plus de 72 000€). Il a retrouvé un emploi le 15 janvier 2021 comme directeur de magasin au Qatar.

Compte tenu de ces renseignements et des autres éléments connus : son âge (43 ans), son ancienneté (17 mois), son salaire moyen (6 404,96€ au cours des 11 derniers mois travaillés avant sa mise à pied au vu des bulletins de paie produits) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 12 800€ de dommages et intérêts.

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2019, date de réception par la SAS [Adresse 4] de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation à l'exception de la somme accordée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter de la date du présent arrêt.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [B] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS [Adresse 4] sera condamnée à lui verser, au total, 2 500€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Confirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS [Adresse 4] à verser à M. [B] : 2 185,74€ au titre de l'indemnité de licenciement, 16 681,50€ d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 668,15€ au titre des congés payés afférents, 3 521,17€ de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire outre 352,12€ au titre des congés payés afférents

- Réforme le jugement pour le surplus

- Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2019

- Condamne la SAS [Adresse 4] à verser à M. [B] 12 800€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Condamne la SAS [Adresse 4] à verser à M. [B] 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00935
Date de la décision : 02/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-02;21.00935 ?
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