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19/05/2022 | FRANCE | N°21/00692

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 19 mai 2022, 21/00692


AFFAIRE : N° RG 21/00692

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWRB

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 09 Février 2021 RG n° 18/00057











COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 19 MAI 2022





APPELANT :



S.A.S.U. MIROITERIE [K] [J]

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représentée par Me Florence GAUTIER-LAIR, avocat au

barreau de CAEN







INTIME :



Madame [I] [B] épouse [G]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me FELIX, avocat au barreau de PARIS...

AFFAIRE : N° RG 21/00692

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWRB

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LISIEUX en date du 09 Février 2021 RG n° 18/00057

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRÊT DU 19 MAI 2022

APPELANT :

S.A.S.U. MIROITERIE [K] [J]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Florence GAUTIER-LAIR, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

Madame [I] [B] épouse [G]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-France MOUCHENOTTE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me FELIX, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme DELAHAYE, Président de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller, récacteur

DÉBATS : A l'audience publique du 17 mars 2022

GREFFIER : Mme ALAIN

ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 19 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, président, et Mme ALAIN, greffier

Mme [G] a été embauchée en qualité de comptable par la société Moisy (devenue par la suite Miroiterie [K] [J]) pour la durée déterminée du 5 décembre 2016 au 4 juin 2018.

Le 27 novembre 2017, elle a été convoquée à un entretien pour s'expliquer sur des fautes et mise à pied à titre conservatoire.

Le 7 décembre 2017, lui a été notifiée la rupture anticipée du contrat pour faute grave.

Le 30 mars 2018, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Lisieux d'une contestation de la rupture.

Par jugement du 9 février 2021, le conseil de prud'hommes de Lisieux a :

- dit que la rupture du contrat à durée déterminée est abusive

- condamné la société Moisy à verser à Mme [G] les sommes de :

- 17 937,93 euros à titre de dommages et intérêts

- 4 463 euros à titre d'indemnité de précarité

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté Mme [G] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice distinct, remise de pièces, capitalisation des intérêts

- débouté la société Moisy de l'ensemble de ses demandes

- condamné la société Moisy aux dépens.

La société Moisy a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant dit que la rupture est abusive et l'ayant condamnée au paiement des sommes précitées.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 8 juin 2021 pour l'appelante et du 30 août 2021 pour l'intimée.

La société Miroiterie [K] [J] demande à la cour de :

- infirmer le jugement

- débouter Mme [G] de l'ensemble de ses demandes

- condamner Mme [G] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [G] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit la rupture abusive et a condamné la société Moisy à lui payer les sommes de 17 937,93 euros à titre de dommages et intérêts, 4 463 euros à titre d'indemnité de précarité et 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- infirmer le jugement pour le surplus et condamner la société Moisy à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct, ordonner la remise d'un bulletin de salaire et d'une attestation pôle emploi rectifiés sous astreinte et la capitalisation des intérêts

- condamner la société Moisy à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 9 mars 2022.

SUR CE

La lettre de rupture vise trois griefs.

En premier lieu, la lettre de rupture fait état de 'retraits d'argent dans la caisse', expose que des contrôles ont été opérés, que 'il restait dans la caisse selon le dernier relevé la somme de 1 556 euros. Or, le décompte faisait apparaître la somme de 1 187,50 euros. La veille, nous avions comptabilisé la somme de 990,50 euros. Lorsque nous avons évoqué ces faits, vous avez reconnu avoir, selon vos termes, 'emprunté' la somme de 200 euros. Vous affirmez que vous comptiez les rembourser. Vous comprendrez aisément que cette réponse ne peut me convaincre de votre bonne foi. Tout d'abord parce que les 200 euros ne justifient pas l'écart de la caisse, et qu'en tout état de cause il est avéré que vous avez pris de l'argent dans la caisse pour des besoins personnels.'

Dans ses conclusions, la société appelante précise que le 22 novembre un état de caisse avait été fait par Mme [G] à 1 556 euros, que le lendemain il a été constaté par le gérant et son assistante que la caisse ne contenait que 990,23 euros, que lors d'un nouveau contrôle le 24 novembre l'écart s'était réduit de 200 euros, que lors de l'entretien préalable Mme [G] a reconnu avoir prélevé 200 euros à des fins personnelles.

Elle verse aux débats une pièce 18 qu'elle appelle 'journal de caisse' et se présente comme une feuille de recettes et dépenses, pouvant être extraite d'un journal de caisse, datée du 22 novembre et portant la mention d'un solde de caisse de 1 556,67 euros.

Elle verse en outre une pièce 11 qu'elle présente comme un tableau de rapprochement et qui s'apparente à un tableau pour les besoins de la cause portant mention de chiffres représentant le comptage prétendu en monnaie de la caisse du 23 novembre et de celle du 24, tableau dont rien n'établit dans quelles conditions il a été dressé et par qui et qui ne présente aucune apparence de pièce comptable.

Elle produit enfin une attestation de M. [H], chargé d'affaires, qui atteste avoir été présent lors de l'entretien du 4 décembre et affirme que Mme [G] a avoué avoir pris 200 euros dans la caisse sans en avertir ni demander l'autorisation et avoir remis cet argent dans la caisse en précisant qu'il s'agissait d'un emprunt qu'elle avait effectué.

S'agissant de la somme de 200 euros Mme [G] ne méconnaît pas l'avoir retirée afin, soutient-elle, de l'utiliser pour les besoins de l'entreprise et que ces achats n'ayant finalement pas eu lieu elle a remis les fonds dans la caisse.

Si Mme [G] ne fournit pas davantage d'explications précises sur les prétendus besoins de l'entreprise et encore moins de justifications, il n'en demeure pas moins que rien n'établit que les 200 euros n'ont été remis dans la caisse qu'après un contrôle dont elle aurait été informée.

En effet, d'une part, celle-ci justifie qu'elle était en absence autorisée le 23 novembre matin et le 24 novembre et rien n'établit les conditions du contrôle.

S'agissant du prélèvement de sommes en sus de ces 200 euros remis dans la caisse le lendemain, la seule pièce 11 n'en apporte aucune preuve.

Il s'ensuit la simple preuve d'un retrait suivi d'une remise le lendemain.

En deuxième lieu, la lettre de rupture fait état d'un 'comportement excessif', expose que la situation personnelle de la salariée rejaillit de manière intolérable sur sa façon de se comporter et de travailler dans l'entreprise, qu'à deux reprises celle-ci a piqué des crises de nerfs de sorte que les pompiers ont dû être appelés, que les collègues sont confrontés à ces excès qui perturbent tout le monde.

Dans ses conclusions, la société appelante fait état de deux crises les 14 et 27 novembre et verse aux débats trois attestations.

M. [H] atteste avoir vu le 14 novembre Mme [G] lever les bras en l'air en hurlant et se jeter au sol lors d'une conversation avec M. [J] dans le bureau de la comptabilité, avoir vu le 27 novembre Mme [G] très agitée et hurlant dans son bureau en compagnie de M. [J], que Mme [G] pleurait, était très agitée, proférait des menaces de suicide, tenait le propos suivant 'je vais me foutre en l'air en voiture, le premier poteau je le prends'.

Mme [C], assistante, atteste qu'un matin Mme [G] a fondu en larmes en expliquant que ses parents lui avaient retiré ses enfants pendant les vacances, que le 14 novembre Mme [G] s'est mise à hurler, était dans un état d'hystérie, marchait nerveusement, s'est jetée au sol, pleurait, tremblait, avait le regard perdu, disait 'je vais crever', que le 27 novembre Mme [G] s'est mise à hurler, tournait comme un lion en cage, téléphonait à son père, à sa mère, perdait ses moyens, parlait de ses enfants, de son mari, devenait inquiétante, que les pompiers ont été appelés.

M. [L], technico-commercial, atteste avoir été témoin de la scène du 27 novembre, que Mme [G] est devenue très agitée, criait qu'on allait lui enlever ses enfants, qu'elle allait se tuer, hurlait, que ses gestes étaient limite violents avec M. [J] et M. [H] qui essayaient de la calmer.

Ces trois témoignages sont circonstanciés et concordants quant à la teneur du comportement d'énervement intense de Mme [G] pour des raisons manifestement personnelles, comportement qui n'est pas nié par cette dernière qui le lie au fait qu'il lui avait été annoncé le 14 novembre que la rupture conventionnelle qu'elle souhaitait pour changer de région pour le bien-être de ses enfants n'était pas possible en contrat à durée déterminée de sorte que la perspective de perdre son emploi était un drame et qui le lie également aux violences conjugales subies le 29 septembre que son employeur n'ignorait pas dès lors qu'elle en avait conservé des traces deux semaines durant.

Dans ses conclusions, la société appelante évoque en outre le témoignage de Mme [C] en ce qu'il décrirait que Mme [G] arrivait en retard, somnolait, qu'une odeur d'alcool était présente dans son bureau.

Cependant elle n'évoque ce témoignage que très brièvement par deux lignes sans avoir visé ces faits dans la lettre de licenciement et force est de relever que le témoignage de Mme [C] n'indique pas la date des constatations et qu'aucune remarque n'avait été adressée à la salariée sur son comportement préalablement à la rupture.

Il est ainsi établi que Mme [G] en proie à une souffrance personnelle vive et non maîtrisée l'a exprimée à deux reprises sur le lieu de travail, sans que son comportement ait eu pour vocation de perturber le travail ni de nuire à l'employeur et, dans ces conditions, s'il a pu, de fait, apporter un trouble comme toute souffrance exprimée de façon extrême en apporte, il ne caractérise pas un comportement fautif.

En troisième lieu la lettre de rupture expose qu'il a été constaté en consultant l'ordinateur mis à disposition de la salariée qu'il y avait 143 mails non lus sur la messsagerie professionnelle dont de nombreuses relances fournisseurs, que les factures et autres pièces comptables d'octobre et novembre n'étaient pas encore saisies et que ces retards étaient la conséquence du temps consacré à des activités personnelles sur le lieu de travail : mails et fichiers en quantité très importante, appels téléphoniques.

La société Miroiterie [K] [J] verse aux débats une unique capture d'écran supposée prouver que 143 mails étaient non lus, outre trois mails de fournisseurs indiquant ne pas avoir reçu le règlement correspondant aux factures listées.

Si la capture d'écran indique qu'à un moment donné 143 messages étaient 'non lus' il ne s'en déduit pas pour autant que Mme [G] n'en avait pas pris connaissance ni n'en avait traité le contenu (à cet effet, les affirmations de Mme [G] sur la façon de traiter les mails ne sont pas 'ridicules' puisqu'il est techniquement possible de marquer à nouveau comme 'non lu' un mail dont le contenu a été lu) et surtout ce seul élément n'établit pas qu'une tâche professionnelle précise n'ait pas été réalisée dont au surplus il n'est pas indiqué laquelle, seuls trois exemples étant donnés par les mails de fournisseurs datant de septembre et octobre 2017 dont la production n'établit pas qu'il n'avait pas été remédié ultérieurement à la relance.

En toute hypothèse, il est exactement observé par l'intimée que le non traitement de relances en temps utile caractériserait le cas échéant une insuffisance professionnelle et non une faute.

Quant au temps consacré à traiter des problèmes personnels, est produite une pièce 14 consistant en mails manifestement personnels adressés par la salariée à son avocate, un mail d'une ligne le 9 novembre, un mail de renseignements sur sa situation personnelle le même jour, 5 mails le 23 novembre dont trois de simple transmission de pièces, deux de trois lignes chacun, de telle sorte que si une utilisation de la messagerie professionnelle pendant le temps de travail est avérée, d'une part l'existence d'une tolérance à ce niveau n'est pas contestée, d'autre part il n'est pas établi que la salariée ait consacré 'de très nombreuses heures de travail' à gérer ses problèmes personnels.

En conséquence ce troisième grief n'est pas établi.

Il résulte de ce qui vint d'être exposé qu'un seul fait fautif est établi, à savoir le retrait de 200 euros.

Ce retrait ayant été suivie d'une remise des fonds le lendemain, il ne présentait pas un caractère suffisamment sérieux pour justifier un licenciement.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit la rupture abusive.

La rupture d'un contrat à durée déterminée ouvre droit à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal au montant des rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu'au terme du contrat.

Le montant tel que calculé par Mme [G] n'est pas contesté à titre subsidiaire et le jugement sera confirmé sur ce point.

Le droit à une indemnité de précarité n'est pas davantage contesté à titre subsidiaire et le jugement sera également confirmé sur ce point.

Il le sera également sur le rejet de la demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct dans la mesure où il n'est pas justifié de circonstances particulièrement vexatoires et où l'employeur ne saurait être considéré comme ayant commis une violation de lavie privée dès lors qu'il ne s'est pas prévalu du contenu des mails personnels (qu'au demeurant rien n'identifiait comme personnels) pour sanctionner la salariée mais seulement de leur existence et de leur envoi depuis le poste de travail.

La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte en l'absence d'allégation de circonstances le justifiant.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant rejeté la demande de remise de pièces et capitalisation des intérêts.

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du jugement.

Ordonne la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière.

Condamne la société Miroiterie [K] [J] à remettre à Mme [G], dans le délai de deux mois de la signification du présent arrêt, un bulletin de salaire et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt.

Y ajoutant,

Condamne la société Miroiterie [K] [J] à payer à Mme [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.

Condamne la société Miroiterie [K] [J] aux dépens de l'instance d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

M. ALAINL. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00692
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;21.00692 ?
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