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12/05/2022 | FRANCE | N°21/00614

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 12 mai 2022, 21/00614


AFFAIRE : N° RG 21/00614

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWKM

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de COUTANCES en date du 16 Février 2021 - RG n° 18/00027









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022





APPELANT :



Monsieur [S] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représenté par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES






INTIMEE :



S.A.S. [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée par Me Mathieu VALLENS, avocat au barreau de PARIS









DEBATS : A l'audience publique du 03 mars 2022, tenue par Mme VINOT, Conseiller,...

AFFAIRE : N° RG 21/00614

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWKM

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de COUTANCES en date du 16 Février 2021 - RG n° 18/00027

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022

APPELANT :

Monsieur [S] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMEE :

S.A.S. [V]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Mathieu VALLENS, avocat au barreau de PARIS

DEBATS : A l'audience publique du 03 mars 2022, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme GOULARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 12 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 3 janvier 2011, M. [Z] a été engagé par la société [V] en qualité de responsable administratif et financier, la convention collective nationale de l'ameublement étant applicable ;

Le 23 octobre 2017, il s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire et convoquer à un entretien préalable fixé au 2 novembre 2017 à 11h pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave ;

Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 novembre 2017, il a été licenciée pour faute grave ;

Critiquant la rupture de son contrat et invoquant un manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail, il a saisi le 26 mars 2018 le conseil de prud'hommes de Coutances lequel par jugement rendu le16 février 2021 l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens ;

Par déclaration au greffe du 1er mars 2021, M. [Z] a formé appel de cette décision dont la notification ne figure pas au dossier de première instance ;

Par conclusions remises au greffe le 5 novembre 2021 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, M. [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

*débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes.

*dit que chacune des parties gardera à sa charge les frais exposés par elle.

*mis les dépens de l'instance a la charge de M. [Z].

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société [V] de sa demande au titre du remboursement de la période de mise à pied conservatoire.

STATUANT A NOUVEAU

- A TITRE PRINCIPAL :

- dire que M. [Z] a fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé.

- EN CONSEQUENCE :

- déclarer le licenciement de M. [Z] nul

- condamner la société [V] à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

*24.900€ au titre de l'indemnité de préavis

*2.490€ au titre des congés payés afférents au préavis

* 11.785,33€ au titre de l'indemnité légale de licenciement0 Page 32

* 99.600€ au titre de l'indemnité de licenciement nul

*8.223,85€ au titre du rappel de salaire pour mise à pied conservatoire abusive

*822,39€ au titre des congés payés afférents au rappel de salaire.

SUBSIDIAIREMENT, dire le licencient de M. [Z] sans cause réelle et sérieuse, et

Condamner en conséquence la société [V] à payer à M. M. [Z] les sommes suivantes :

*24.900€ au titre de l'indemnité de préavis

*2.490€ au titre des congés payés afférents au préavis

*11.785€ au titre de l'indemnité de licenciement

*66.400€ au titre de l'indemnité de licenciement abusif

*8.223,85€ au titre du rappel de salaire pour mise à pied conservatoire abusive

* 822,39€ au titre des congés payés afférents au rappel de salaire.

- sur la demande nouvelle de la société [V] tirée de l'article 41 aliéna 5 de la loi du 29 juillet 1881,

- rejeter la demande en ce qu'elle est irrecevable et mal fondée.

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

- annuler et subsidiairement écarter l'avertissement du 5 mars 2012.

- condamner la société [V] à payer la somme de 10.000€ au titre de l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

- dire que les condamnations porteront intérêt légal à compter de la saisine du

1°' juge, à savoir le 26 mars 2018.

- ordonner à l'employeur de remettre au requérant sous astreinte de 50 euros par jour de retard a compter du 30éme jour suivant la noti'cation du jugement à intervenir, les documents de 'n de contrat de travail conformes à votre décision et notamment la recti'cation de la classi'cation de M. [Z].

- ordonner sous cette même astreinte de remettre les bulletins de paie recti'és en fonction du jugement à intervenir et de régulariser les cotisations dues auprès des diverses caisses de protection sociale.

- se réserver la liquidation de l'astreinte.

- débouter la Société [V] de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles et en appel incident.

- dire ce que de droit dans le cadre de l'application de l'article L 1235-4 du code du travail.

- condamner l'employeur à verser à M. [Z] la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner la société [V] aux entiers dépens de la procédure de l'instance et d'appel ;

Par conclusions remises au greffe le 6 août 2021 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la société [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Z] de ses demandes ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de remboursement de la période de mise à pied

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 3195.94 € sur ce fondement ;

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- et sur le fondement de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881,

- ordonner la suppression du passage suivant dans les conclusions de l'appelant : « La Cour doit savoir que les deux frères [V] ont une réputation d'homme violent sur Carentan ayant provoqué plusieurs bagarres du fait d'une arrogance assumée envers les gens de milieu plus modeste' » (conclusions adverses page 14) ;

- condamner M. [Z] à lui payer la somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts ;

MOTIFS

I - Sur le licenciement

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ;

La lettre de licenciement est libellée comme suit :

- vous adoptez un comportement agressif et inadapté professionnellement à l'égard de vos collègues

Or, votre comportement est totalement en inadéquation avec l'image que vous devriez précisément renvoyer.

Ainsi, vous avez déclencher plusieurs altercations sur votre lieu de travail ;

Le 3 octobre dernier, vous vous êtes rendu brusquement dans le bureau de Mme [R] vers 9h00 et l'avez menacée physiquement ;

Vous avez multiplié les allers et retours dans son bureau en pointant votre doigt sur elle ;

Vous avez employé à son égard des termes totalement inappropriés en lui disant qu'elle « perdait la boule » ou qu'elle « était folle » ;

Mme [R] a dû vous faire croire qu'elle passait un appel téléphonique pour que vous cessiez vos agissements ;

Un tel comportement est inacceptable et totalement contraire aux valeurs défendues par notre entreprise ;

Rien ne saurait justifier de tels propos, ni évidement les gestes menaçants dont vous avez usé à son encontre ;

De plus force est de constater que de tels faits ne sont pas isolés ;

Le 16 octobre dernier, alors que vous faisiez un point avec Mme [T] dans votre bureau, vous vous êtres soudainement emporté contre elle en jetant votre crayon sur le bureau et en reculant avec force votre fauteuil ;

Enfin le même jour, vous avez eu une nouvelle altercation avec M. [I] [V] ;

Alors que vous vous trouviez à environ cinq mètres de son bureau, vous vous êtes avancé vers lui avec agressivité en vous exclamant « tu ne connais rien » ;

M. [I] [V] a dû se lever de sa chaise et vous imposer de vous clamer pour que la situation ne dégénère pas ;

De tels accès de colère sont incompatibles avec les fonctions que vous exercez dans l'entreprise ;

La violence dont vous faites preuve, tant à l'oral que par votre gestuelle n'est pas tolérable ;

-D'ailleurs nous vous avons rappelé par le passé qu'il vous appartenait impérativement de modifier votre comportement ;

Au mois de juin dernier, vous vous êtes rendu particulièrement énervé dans le bureau de Mme [T] et avez tapé avec force la main sur la banque d'accueil à côté de son bureau afin de lui demander simplement d'enlever un destinataire d'un courriel ;

De plus le samedi 8 juillet suivant dans la soirée, vous vous êtes permis d'adresser à Mme [R] le courriel suivant : « T'es sérieuse '''' tu crois qu'on est à ta disposition '''' Tu te remets à bosser quand ' « ce qui l'a considérablement choquée ;

L'envoi de tels messages, tant sur le fond que sur la forme, est inacceptable. Il serait d'ailleurs susceptible d'être caractérisé comme un fait de harcèlement ;

Cela vous avait d'ailleurs été rappelé dès le lundi suivant de » cet incident au cours d'une entrevue.

La réitération de ces manquements à la suite de cet entretien démontre votre incapacité à vous remettre en cause et à modifier votre comportement ;

Un tel comportement est d'ailleurs d'autant plus inexcusable que compte tenu de la nature du poste et des fonctions que vous occupez, nous sommes en droit d'attendre de votre part une attitude irréprochable ;

La gravité de ces faits justifie votre licenciement pour faute grave ;

- sur le manque de rigueur dans le cadre de vos fonctions

En plus de vos problèmes comportementaux vis-à-vis de vos collègues, nous constatons un manque de rigueur inadmissible dans le cadre de de l'exécution vos fonctions ;

Ainsi, lors du CODIR du mois d'octobre, vous avez commis une erreur de 350 000 € sur le chiffre d'affaires prévisionnel de mars 2018, que vous avez communiqué ;

Si une telle erreur n'avait pas été découverte rapidement, elle aurait pu entrainer des conséquences considérables ;

De plus, vous donnez des conseils susceptibles de nuire à l'intérêt de l'entreprise : ainsi, vous avez suggéré lors du CODIR du mois de septembre qu'un prêt de trésorerie soit effectué, alors même qu'il s'agissait d'une mise en danger totalement inutile et déplacée de notre entreprise dans le contexte de la croissance actuelle de son chiffre d'affaires ;

Enfin, nous notons que vous n'accomplissez plus certaines de vos missions depuis plusieurs mois ; vous n'avez par exemple pas mis à jour le tableau « Disponible » depuis le mois d'avril 2017, et n'avez pas non plus effectué l'entretien individuel d'évaluation de Mme [T] au titre de 2017 ;

Ces manquements caractérisent un manque d'application et de rigueur inexcusable ;

-l'ensemble des faits qui ont été exposés justifient pleinement votre licenciement ;

Compte tenu de la gravité des faits liés plus particulièrement à votre agressivité vis-à-vis de vos collègues, nous sommes contraints de vous licencier pour faute grave.

(') » ;

- Sur la nullité du licenciement

Le salarié invoque une discrimination sur son état de santé, considérant qu'il souffrait de problèmes de santé et que son employeur avait dit que « s'il avait cette maladie que c'était un faible et qu'il perturbait le trio de direction » ;

Si M. [Z], placé en arrêt de travail du 29 juillet au 4 août 2017, puis du 31 octobre au 19 novembre 2017, a effectivement été licencié pour faute grave pendant son arrêt de travail, il ne produit toutefois aucun élément ou pièce de nature à établir ces propos ;

En outre, il résulte des échanges de SMS entre lui-même et M. [J] [V], président de la société [V], lors du premier arrêt de travail, que ce dernier avait eu, à l'annonce par le salarié d'une intervention chirurgicale faite en urgence, des propos d'encouragement à son égard. Enfin, le salarié produit un SMS du 5 octobre 2017 de l'employeur lui indiquant qu'il avait annulé un de ses rendez-vous précisant « j'ai pris le créneau pour moi, afin d'avancer sur mes projets. Il semble que ton état physique ne soit pas au mieux, c'est donc mieux ainsi. Merci de me rappeler quel était l'objet précis de ta réunion avec [M]. Bonne journée JML », ce à quoi le salarié a répondu : « suis sous traitement de choc aux antibiotiques pour éviter nouvelle opération donc effectivement je ne suis pas au mieux, la bonne nouvelle c'est que j'ai eu les résultats des analyses, il n'y a pas de leucémie ni de diabète comme ils le craignaient, ils m'orientent donc vers un dermatologue ('..) » ;

Ces SMS, celui du 5 octobre 2017 étant en outre antérieur à la mise à pied, dont la teneur conduit à supposer une amélioration de l'état de santé du salarié, ne sont pas de nature à faire présumer que le licenciement est fondé sur l'état de santé du salarié ;

M. [Z] sera débouté de sa demande de nullité du licenciement ;

- Sur la légitimité du licenciement

Le salarié soutient que le licenciement n'avait pour but que de l'évincer du projet de cession de l'entreprise pour un montant de 6 millions d'euros à chacun des trois directeurs, lui-même, Mme [R] et M. [I] [V] (frère de M. [J] [V], président de la société) ;

Toutefois, il ne produit aucun élément ou pièce de nature à établir ce projet contesté par l'employeur. En effet, le salarié, se fondant sur sa pièce n°14, affirme qu'il avait mis en place le projet de financement de rachat de la société. Or, cette pièce correspond aux conditions générales d'octroi du prêt Croissance, extraits du site internet Bpifrance et ne saurait caractériser un projet de prêt aux fins de rachat de la société ;

Par ailleurs, il résulte du courriel adressé par M. [J] [V],aux directeurs intitulé « compte rendu de réunion CODIR [V] du 20 juillet 2017 » que la proposition du premier est d'ouvrir le capital de sa société aux directeurs afin de les intéresser directement aux résultats de l'entreprise, qu'il indique en outre dans ce courriel son souhait de reporter cette proposition d'ouverture dans l'attente des objectifs de chiffre d'affaires du prévisionnel à 3 ans ;

Aucune décision de cession de l'entreprise aux trois directeurs n'est donc établie par le salarié, et à fortiori celle de l'évincer de cette cession ;

La lettre de licenciement vise deux séries de motifs, le comportement du salarié vis-à-vis de ses collègues et l'autre le manque de rigueur dans le cadre de ses fonctions ;

« Un comportement agressif et inadapté professionnellement à l'égard de vos collègues »

- les faits du 3 octobre 2017 contre Mme [R]

L'employeur produit aux débats une attestation de Mme [R], directrice commerciale de l'entreprise, qui indique que M. [Z] avait une attitude agressive régulièrement lorsque les faits étaient contraires à sa volonté. Le 3 octobre 2017, « il entrait dans mon bureau, me menaçant physiquement, il me dit « Tu perds la boule ». En effet, j'ai dû appeler [I] [V] par téléphone, alors absent de la société, pour qu'il revienne et m'aide à tempérer l'attitude du DAF Mr [Z] ». Elle ajoute « ses tremblements et excès de colère étaient extrêmement fréquents. Il répondait à mes mails du vendredi, le samedi à 22h30 en me demandant : Tu te remets à bosser quand.. '''' T'es sérieuse' ''' » ;

Le salarié nie les propos agressifs et tout menace physique soutenant que le témoignage est insuffisant et non circonstancié ;

Si l'attestation de Mme [R] n'est pas suffisamment précise sur les menaces physiques faites à son encontre par le salarié, elle est toutefois suffisante quant au propos tenus ;

- les faits du 16 octobre 2017 :

Concernant les faits contre M. [V], l'employeur produit aux débats une attestation de M. [I] [V] directeur de site de production indiquant que le lundi 16 octobre 2017, à 8h10, M. [Z] est venu dans son bureau pour échanger sur le montant du salaire d'un employé du service bureau d'études , et indique, alors qu'il lui manifestait son désaccord son désaccord sur l'appréciation du montant de ce salaire, que M. [Z] « est entré dans une colère noire et s'est précipité vers moi avec agressivité et tremblements en s'exclamant « tu ne connais rien. J'ai eu peur et j'ai pensé qu'il allait m'agresser physiquement. Je me suis alors levé de ma chaise et je lui ai demandé de se calmer, sans quoi je sortais de mon bureau. M. [Z] a quitté mon bureau » ;

Cette attestation décrit suffisamment l'attitude du salarié telle que visée par la lettre de licenciement, ce dernier n'établissant pas comme il le soutient que M. [V] l'a menacé à l'issue de la discussion « d'un coup de poing dans la gueule ». Par ailleurs, si M. [D] client de la société, indique que lors de réunions M. [V] s'énerve, fait monter la pression et peut se mettre en colère lorsque sa position n'est pas retenue, son attestation n'est cependant pas de nature à établir que le jour des faits reprochés, ce dernier a pu faire preuve lui-même d'agressivité ;

Ce grief est donc établi ;

Concernant les faits contre Mme [T], l'employeur produit aux débats une attestation de Mme [T], assistante de direction dans l'entreprise, qui indique que le 16 octobre 2017, à l'occasion d'un point sur la trésorerie, alors qu'elle lui indiquait que les factures d'un client VIBRAC n'étaient pas encore expédiées, « il s'est énervé en reculant son fauteuil et jetant son crayon sur son bureau, les mains tremblantes » ;

Le salarié indique que ce jour-là, il s'est levé de son fauteuil et que celui-ci monté sur roulettes a reculé. Il relève que Mme [T] avait fait une erreur puisqu'elle n'avait pas encore envoyé les factures au client, et il considère qu'il s'agit moins d'un énervement que d'une expression spontanée ;

A supposer même que Mme [T] ait fait une erreur dans la facturation, ce fait ne peut toutefois ni expliquer ni justifier l'attitude colérique et excessive telle que décrite dans son témoignage ;

Ce grief sera retenu ;

- la réitération de manquements suite à un rappel à l'ordre

La lettre évoque faits de juin et juillet 2017 sur lesquels l'attention du salarié avait été appelé lors d'un entretien du 10 juillet 2017.

Comme l'indique l'employeur, si un fait fautif ne peut plus donner lieu « à lui seul » à une sanction au-delà du délai de deux mois, l'employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique ;

L'attestation de Mme [T] relate qu'en juin 2017, alors qu'ils attendaient les bulletins de salaire en vue de les pointer, M. [Z] « est arrivé à mon bureau, énervé en furie tremblant et il a tapé sa main sur la banque d'accueil à côté de mon bureau en me demandant d'appeler immédiatement le cabinet pour qu'elle enlève l'adresse mail de Messieurs [V] ». Elle ajoute « j'ai compris que M. [Z] ne souhaitait pas que M. [J] [V] constate qu'une prime sur salaire lui avait été versée, prime qu'il s'était octroyée » ;

C'est en vain que le salarié conteste les motifs de son comportement relatés par Mme [T], à savoir la prime qu'il se serait octroyée, ceux-ci vrais ou faux n'étant pas de nature à expliquer ou justifier son attitude. De même, si Mme [T] indique que le salarié a « tapé sa main sur la banque d'accueil près de son bureau » et non a « tapé avec force la main sur la banque d'accueil à côté de son bureau » (lettre de licenciement) importe peu puisqu'elle rappelle bien dans son témoignage que le salarié est « énervé en furie » ce qui implique nécessairement qu'il a tapé avec une certaine violence ;  

Il résulte par ailleurs des échanges SMS entre le salarié et Mme [R] que cette dernière, a proposé le 7 juillet 2017 à 18H10 une disponibilité pour évoquer un dossier le lundi suivant entre 11h30 et 13h30 (M. [I] [V] était également destinataire du message), ce à quoi M. [Z] a répondu : T'es sérieuse '''' Tu crois qu'on est à ta disposition ''' Tu te remets à bosser quand '

Pour justifier sa réponse, le salarié indique que celle-ci a été faite en accord avec M. [V]. Outre qu'un accord de ce dernier ne serait pas de nature à ôter le caractère inadapté de cette réponse, il résulte en tout état de cause des échanges SMS ayant eu lieu entre le salarié et M. [V] à propos du message de Mme [R] que ce dernier lui avait indiqué qu'il pouvait lui répondre que c'était n'importe quoi, précisant ensuite que c'était l'heure proposée qui n'allait pas ;

Ces deux faits sont établis mais ne sont visés dans la lettre de licenciement comme des précédents faits ayant fait l'objet d'un rappel à l'ordre lors d'un entretien du 10 juillet 2017. Or, l'existence de cet entretien contestée par le salarié ne résulte d'aucune pièce, la pièce n°5 visé par l'employeur dans ses écritures correspondant à la lettre de licenciement ;

Une réitération malgré un rappel à l'ordre de manquements similaires à ceux de mois de juin et juillet 2017 ne peut donc lui être reprochée ;

sur le manque de rigueur dans le cadre de vos fonctions

En ce qui concerne l'erreur dans le chiffre d'affaires provisionnel, l'employeur produit un courriel du 2 novembre 2017, adressé par M. [V] au président de la société, faisant état d'une erreur après vérification sur le tableau du 17 octobre 2017 de 350 174 € ;

Le salarié conteste ce grief en indiquant qu'il reprenait les données des autres services ;

Toutefois, à supposer même que ces erreurs soient établies, elles caractérisent une insuffisance professionnelle qui n'a aucun caractère fautif ;

En ce qui concerne le mauvais conseil, l'employeur lui reproche d'avoir proposé lors du CODIR de septembre 2017 la souscription d'un prêt de trésorerie de 600 000 €, sans prendre en compte une facturation exceptionnelle le mois suivant de 1 600 000 € ;

Le salarié confirme cette proposition au vu d'un découvert bancaire de la société de 1 300 000 €, soulignant qu'une facture est en tout état de cause payable à 60 jours en fin de mois ;

Outre que l'attestation de M. [V] qui évoque une facturation exceptionnelle en octobre, n'indique pas si elle était connue lors du CODIR de septembre 2017 et à quelle date exacte elle devait être recouvrée, l'employeur ne contestant pas le découvert bancaire important de sa société, il n'est pas ainsi démontré en quoi la proposition de ce prêt de trésorerie a un caractère fautif ;

S'agissant par ailleurs de l'absence de mise à jour du tableau Disponible depuis plus de six mois, , le salarié produit une liste de fichiers intitulés Disponible dont le dernier est du 24 octobre 2017. Ces éléments sont contestés par l'employeur ce que celui-ci explique en quoi ils ne constituent pas la remise des tableaux reprochée ;

Enfin, concernant l'absence d'entretien individuel de Mme [T], ce dont cette dernière atteste, ce fait correspond à une insuffisance professionnelle et n'a aucun caractère fautif ;

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits d'octobre 2017 relatifs à l'attitude du salarié avec M. [V], Mmes [T] et [R] sont établis, sauf les menaces physiques à l'encontre de cette dernière, et correspondent à un comportement agressif, y compris verbalement, et parfaitement inadapté. Ils ont donc un caractère fautif ;

Pour autant, ils ne peuvent être considérés comme une réitération malgré rappel à l'ordre de comportements similaires envers Mmes [T] et [R] en juin et juillet 2017, faute de preuve de ce rappel à l'ordre ;

De même, l'employeur ne justifie d'aucune sanction antérieure pour un même type de faits, l'avertissement délivré le 5 mars 2012 au salarié compte tenu de ses comportements de responsable administratif et financier, outre qu'il n'est pas motivé, ne peut plus être invoqué à l'appui d'une nouvelle sanction, puisqu'il est antérieur de plus de trois ans à l'engagement des nouvelles poursuites. Cet avertissement sera écarté ;

Dès lors, en l'absence d'antécédent, de la justification du rappel à l'ordre invoqué dans la lettre de licenciement, le licenciement prononcé, qu'il soit pour faute grave ou même fondé sur une cause réelle et sérieuse, pour les fautes finalement retenues à l'encontre du salarié, apparaît au vu de son ancienneté de plusieurs années comme une sanction manifestement disproportionnée ;

Il convient par infirmation du jugement de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Le salarié est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ;

Les parties s'opposent sur le salaire mensuel de référence, 8300 € selon le salarié et 6071.26 € selon l'employeur au vu de l'attestation Pôle Emploi ;

Il résulte de cette attestation établie conformément aux bulletins de salaire produits aux débats que le salaire moyen de référence est de 7710.26 € (salaires + primes) ;

L'indemnité de préavis sera ainsi fixée à la somme de 23 130.78€ outre la somme de 2313.07 € au titre des congés payés afférents ;

L'indemnité de licenciement réclamée par le salarié est l'indemnité légale. L'ancienneté pour déterminer le montant de l'indemnité est calculée selon à la date d'expiration du préavis, soit 10 février 2018, soit une ancienneté de 7 ans et 1 mois. Celle-ci sera fixée à la somme de 13 653.58 € (13 492.95 € + 160.63 €) ;

Justifiant d'une ancienneté (jusqu'à la notification du licenciement) de 6 ans et 10 mois, soit 6 années complètes, dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, M. [Z] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 6 mois de salaire brut ;

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, 49 ans, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, le salarié justifiant avoir retrouvé un emploi de directeur d'usine par contrat à durée indéterminée du 6 septembre 2018 selon un salaire inférieur (3317 € brut par mois), la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 53 900 € ;

II - Sur les autres demandes

sur le remboursement de la mise à pied conservatoire

Il résulte des bulletins de salaire qu'aucune déduction n'a été opérée au titre de la mise à pied, les retenues invoquées par le salarié ayant été débitées puis créditées ;

Il sera débouté de sa demande, et l'employeur sera débouté de sa propre demande de remboursement, le licenciement ayant été considéré sans cause réelle et sérieuse ;

sur la remise des documents de fin de contrat

L'employeur sera condamné à remettre au salarié, dans le mois de la signification du présent arrêt un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de paie, rectifiés conformément au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire faute de circonstances le justifiant d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Sur le manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi

Le salarié fonde sa demande indemnitaire à ce titre sur le fait qu'il a été licencié en raison de ses problèmes de santé et de son hospitalisation ;

Toutefois, au vu de ce qui précède et des motifs retenus pour rejeter la demande de nullité du licenciement fondée sur l'état de santé du salarié, ce dernier n'établit pas davantage une faute de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ;

Il sera débouté de sa demande ;

Sur les demandes fondées sur l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881

La possibilité ouverte aux juges saisis de la cause et statuant sur le fond de prononcer la suppression des discours ou écrits outrageants ou diffamatoires et de condamner à des dommages et intérêts, s'applique aux discours et écrits ayant un lien avec le procès en cours.

Le paragraphe litigieux dont l'employeur demande la suppression est le suivant « la cour doit savoir que les deux frères [V] ont une réputation d'homme violent sur Carentan ayant provoqué plusieurs bagarres du fait d'une arrogance assumée envers les gens de milieu plus modeste' » ;

Ces propos sont toutefois sans lien avec le présent litige, l'employeur indiquant d'ailleurs lui-même dans ses conclusions que « ces accusations gratuites ne concernent uniquement le débat prud'hommal » ;

En outre, et en tout état de cause, à supposer établi le caractère diffamatoire, injurieux ou outrageant de ces écrits, la demande de dommages et intérêts formée par la société pour un préjudice qui serait alors subi par son dirigeant à titre personnel et par le frère de celui-ci, serait irrecevable ;

Il convient de débouter l'employeur de ces demandes ;

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront infirmés

En cause d'appel, la société [V] qui perd le procès sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 2500 € à M. [Z];

Le salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté et l'entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement rendu le 16 février 2021 par le conseil de prud'hommes de Coutances en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant

Déboute M. [Z] de sa demande de nullité du licenciement ;

Ecarte l'avertissement délivré le 5 mars 2012 à M. [Z] ;

Dit toutefois le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société [V] à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 23 130.78 € à titre d'indemnité de préavis,

- 2313.07€ à titre de congés payés afférents,

- 13 653.58 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 53 900 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Déboute M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution du contrat de travail de mauvaise foi ;

Déboute M. [Z] de sa demande de remboursement de la mise à pied ;

Condamne la société [V] à payer à M. [Z] la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La déboute de sa demande aux mêmes fins et de celle en remboursement de la mise à pied ;

Condamne la société [V] à remettre à M. [Z] les documents de fin de contrat, certificat de travail, attestation Pôle Emploi et bulletin de paie rectifié conformément à l'arrêt, dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte ;

Déboute la société [V] de ses demandes fondées sur l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de l'avis de réception de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes ;

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne la société [V] à rembourser à l'antenne pôle emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressé depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations ;

Condamne la société [V] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00614
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.00614 ?
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