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12/05/2022 | FRANCE | N°21/00611

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 12 mai 2022, 21/00611


AFFAIRE : N° RG 21/00611

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWKF

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 28 Janvier 2021 - RG n° F18/00220









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022





APPELANTE :



S.A.S. DISTRIBUTON GUY DEGRENNE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]
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Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me ROCHE, avocat au barreau de PARIS





INTIME :



Monsieur [P] [R]

[Adresse 3]

[Localité 1]



...

AFFAIRE : N° RG 21/00611

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWKF

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 28 Janvier 2021 - RG n° F18/00220

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022

APPELANTE :

S.A.S. DISTRIBUTON GUY DEGRENNE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me ROCHE, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [P] [R]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Karine FAUTRAT, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 03 mars 2022, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme GOULARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller, rédacteur

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 12 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

M. [R] a été embauché à compter du 4 juillet 1988 par la société Guy Degrenne.

Son contrat a été par la suite transféré à la société Distribution Guy Degrenne.

Il a occupé successivement les postes de responsable magasin, manager logistique groupe et, suivant avenant du 1er janvier 2014, le poste de directeur supply chain.

Soutenant que l'embauche, dans le cadre d'une nouvelle organisation, d'un directeur achats et supply chain et d'une personne chargée de la gestion de l'entrepôt groupe avaient pour effet de vider son poste, M. [R] a, le 25 avril 2018, saisi le conseil de prud'hommes de Caen d'une demande de prononcé de la résiliation du contrat de travail.

Au lendemain de l'audience de conciliation, la société Distribution Guy Degrenne a fait part au salarié de son incompréhension quant à l'action en résiliation en contestant une quelconque modification des fonctions.

M. [R] a accepté le principe d'une réunion en réitérant sa position qui était celle de garder ses anciennes fonctions.

En arrêt de travail depuis le 5 mars, il a repris le travail le 24 août.

À la suite d'un entretien du 17 septembre, il a fait part à son employeur de l'impact indiscutable selon lui des changements sur ses missions.

Il a été licencié le 8 octobre 2018 à raison de son refus d'accepter la modification de ses conditions de travail dans le cadre de la réorganisation nécessaire au retour à l'équilibre de l'entreprise et de la campagne de dénigrement à laquelle il se serait livré frontalement auprès de la direction comme de manière plus insidieuse auprès des équipes.

Il a saisi en outre le conseil de prud'hommes d'une contestation à titre subsidiaire du licenciement, de demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, d'indemnité pour repos compensateurs et pour travail dissimulé et de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Par jugement du 28 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Caen a :

- dit que M. [R] n'est pas cadre dirigeant

- prononcé la résiliation ayant les effets d'un licenciement nul pour faits de harcèlement managérial

- dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur l'inconventionnalité du 'barème [K]'

- condamné la société Distribution Guy Degrenne à payer et porter à M. [R] les sommes de :

- 103 787,80 euros bruts à titre d'heures supplémentaires pour la période du 2 mars 2015 au 18 décembre 2018

- 10 378 euros à titre de congés payés afférents

- 45 643,84 euros à titre de repos compensateurs

- 4 564,38 euros à titre de congés payés afférents

- 68 046 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

- 40 000 euros au titre du harcèlement moral

- 245 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul

- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- enjoint à la société Distribution Guy Degrenne de remettre à M. [R] un bulletin de salaire et de régulariser les cotisations auprès des organismes sociaux

- ordonné à la société Distribution Guy Degrenne de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à dans la limite de six mois d'indemnités

- débouté M. [R] du surplus de ses demandes

- rejeté la demande de la société Distribution Guy Degrenne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société Distribution Guy Degrenne aux dépens.

La société Distribution Guy Degrenne a interjeté appel de ce jugement, aux fins d'annulation et à titre subsidiaire d'infirmation des dispositions ayant dit que M. [R] n'a pas la qualité de cadre dirigeant, prononcé la résilaition avec les effets d'un licenciement nul et l'ayant condamnée au paiement des sommes précitées et aux dépens.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 21 février 2022 pour l'appelante et du 14 février 2022 pour l'intimée.

La société Distribution Guy Degrenne demande à la cour de :

- annuler le jugement

- à défaut, réformer le jugement en celles de ses dispositions ayant dit que M. [R] n'est pas cadre dirigeant, prononcé la résiliation ayant les effets d'un licenciement nul pour faits de harcèlement managérial, dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur l'inconventionnalité du 'barème [K]', l'ayant condamnée au paiement des sommes précitées, à la remise de pièces, au remboursement à Pôle emploi et aux dépens et l'ayant déboutée des sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouter M. [R] de ses demandes, ordonner le remboursement des sommes indûment versées en exécution du jugement, à titre subsidiaire fixer les dommages et intérêts pour résiliation ou licenciement à 81 110 euros et le rappel pour heures supplémentaires à 10 219,36 euros

- condamner M. [R] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

M. [R] demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf sur le quantum des dommages et intérêts au titre de la rupture et condamner la société Distribution Guy Degrenne à lui payer la somme de 340 000 euros à ce titre

- condamner la société Distribution Guy Degrenne à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La procédure a été clôturée par ordonnance du 23 février 2022.

SUR CE

1) Sur la demande de prononcé de la nullité du jugement

La demande est formée par l'appelante au visa notamment de l'article 6 §1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suivant lequel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial.

Il est soutenu qu'en l'espèce les conseillers prud'homaux ont adopté une motivation relevant d'un manifeste politique et d'un parti-pris, nourrie de formulations irrespectueuses, injurieuses et excessives et démontrant une opinion déjà arrêtée.

L'appelante met en exergue un certain nombre de passages dont les suivants :

'Que tous les dossiers de réclamation d'heures supplémentaires présentés devant la section encadrement sont tous à l'identique ; qu'un cadre ne réclame jamais dans la vraie vie au travail, ou très peu souvent,le paiement des heures supplémentaires qu'il peut effectuer car il est tellement impliqué dans l'entreprise qu'il fait sienne qu'il donne volontiers de son temps... tant que l'entreprise le le rend bien ; que M. [R] aurait pu aller, comme tous les cadres qui passent devant la section encadrement jusqu'à la retraite et ne rien réclamer si l'entreprise ne l'avait pas meurtri dans sa chair par un management inadéquat et déloyal en tentant de lui enlever une grande partie de ses responsabilités ; que les cadres réclement leurs heures supplémentaires dès qu'il y a accroc au contrat de travail ; qu'il s'agit de la vraie vie des entreprises, même si c'est éloigné du droit du travail' (il convient de relever que ces considérations sont énoncées avant même qu'aient été examinés les éléments présentés par le salarié à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires )

'qu'il n'est pas sérieux de soulever ce moyen [tendant à relever que M. [R] commence presque tous les jours à la même heure] car qu'y a-t-il d'exceptionnel à commencer le travail à la même heure dans la vraie vie au travail, sauf à DGD à démontrer le contraire ce qu'il s'abstient de faire se contentant d'une phraséologie logorrhéenne'

'Que ce n'est guère sérieux [de produire des tableaux aboutissant à un temps de travail diminué de 50%]... il appartient à l'employeur de répondre utilement et non par une pirouette excellienne'

' que l'employeur a beau démentir sur tous les tons, son management inapproprié et déloyal a conduit M. [R] sur la route du burn-out'

'Aucune somme ne peut réparer le préjudice de la perte de l'emploi qui entraîne inéluctablement en tout premier lieu un choc psychologique immense et inquantifiable en euros puis des conséquences financières inéluctables : il n'est que de voir l'accroissement du nombre de dossiers de surendettement devant les ex tribunaux d'instance et l'accroissement de la courbe de chômage' [pour motiver les dommages et intérêts pour licenciement nul]

Ainsi que le soutient l'appelante, cette motivation traduit un certain nombre de parti-pris (tenant au fait que tous les cadres accompliraient des heures supplémentaires, tous souffriraient, un licenciement provoquerait nécessairement des conséquences incommensurables, du surendettement et du chômage) et un rejet de l'argumentation de l'employeur sur la base de présupposés et d'une critique non juridique et inappropriée de celle-ci.

L'appelante soutient en conséquence qu'il s'ensuit un doute sur l'impartialité des premiers juges.

Il convient donc d'annuler le jugement et de constater qu'en application de l'article 562 du code de procédure civile la dévolution s'opère pour le tout.

2) Sur la qualité de cadre dirigeant

Il est constant que sont considérés comme cadres dirigeants les salariés auxquesls sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome, qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou l'établissement et participent à la direction de l'entreprise.

L'avenant du 19 juin 2000 à l'accord d'aménagement du temps de travail relatif au personnel cadre de la société Guy Degrenne stipule que les cadres dirigeants sont les directeurs de site, directeurs de fililales, directeurs marketing, directeurs informatique, directeurs des ventes ayant des fonctions résultant de leur contrat de travail qui correspondent au moins au niveau 20 de la grille de la classification conventionnelle.

L'avenant conclu le 24 février 2014 aux termes duquel M. [R] s'est vu promu directeur supply chain stipulait que 'en tant que membre du comité de direction il a la qualité de dirigeant' et aurait la qualification de cadre position III A indice 135.

M. [R] soutient exactement que nonobstant ces stipulations contractuelles, il convient de s'attacher à la réalité des fonctions occupées pour déterminer si elles correspondent effectivement au statut de cadre dirigeant.

L'employeur fait valoir la liberté de M. [R] dans l'organisation de son temps de travail

et sa large autonomie en produisant simplement un organigramme et les entretiens d'évaluation qu'il ne commente pas particulièrement (lesquels se présentent essentiellement comme des documents pré-imprimés sur lesquels a été cochée une rubrique correspondant à l'atteinte ou non des ojectifs), sans répondre aux éléments avancés par M. [R] établissant que ses demandes de congés étaient soumises au visa de son supérieur hiérarchique, qu'il n'existait pas de délégation de pouvoirs et que les commandes seraient à compter du 27 septembre 2016 passées après validation de la direction financière.

De plus, M. [R] observe exactement que sur les fonctions réellement exercées permettant de mesurer le degré d'autonomie la société appelante ne fournit pas d'éléments.

S'agissant de la rémunération, l'employeur expose que M. [R] disposait d'une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés de l'entreprise, ce dont elle veut pour preuve quatre 'DSN mensuelles', soutenant encore que le niveau de rémunération s'apprécie au niveau de l'entreprise appelante et non du groupe.

Ce faisant, elle n'élève aucune observation en réplique à celle de M. [R] qui soutient que les responsables de service n'appartiennent pas tous à la société Distribution Guy Degrenne mais à d'autres sociétés du groupe et que plusieurs autres membres du Codir (regroupant 15 personnes issues des différentes entités du groupe) sont salariés de la société Guy Degrenne SA, les rémunérations de ces membres du Codir n'étant quant à elle pas connues alors que M. [R] soutient qu'elles étaient bien supérieures à la sienne.

S'agissant de la participation au Codir, seuls quelques ordres du jour sont fournis qui ne permettent pas de conclure que ce cercle de personnes prenait des décisions de direction et d'orientation stratégique de l'entreprise.

Les ordres du jour produits portent en effet sur la présentation de nouveaux arrivants, des points à faire ou des bilans ou synthèses à l'exclusion de toute référence à des décisions déterminantes.

Et alors que M. [R] soutient que ce sont les membres du Comex qui participaient à la gestion de l'entreprise, aucun élément n'est fourni par l'employeur sur ce point.

Quant à la présidence du CHSCT, alors que M. [R] soutient qu'il ne disposait d'aucun pouvoir à cette fin et que cette mission lui a été confiée parceque le directeur des ressources humaines n'était pas salarié de la société, la société appelante ne présente aucune explication.

En cet état, les conditions de reconnaissance du statut de cadre dirigeant ne sont pas remplies, ce qui ouvre droit à M. [R] de réclamer paiement des heures supplémentaires le cas échéant réalisées.

3) Sur les heures supplémentaires

M. [R] verse aux débats un tableau sur lequel il a, pour chaque jour de la période concernée par sa réclamation, fait mention de ses heures d'arrivée et de départ avec indication de son temps de pause déjeuner, certains commentaires étant parfois ajoutés sur l'activité particulière du jour (déplacement à l'étranger, réunions de Codir...).

Il verse en outre aux débats des mails.

Par sa précision, le tableau permet à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments,le fait qu'il ait pu être établi pour les besoins de la procédure, fasse figurer une heure de début de travail quasiment invariable ne l'invalidant pas.

Et les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail ne faisant pas peser la preuve des heures supplémentaires uniquement sur le salarié, il ne peut lui être objecté que ce tableau n'est pas accompagné de pièces de nature à justifier des heures effectués.

Force est de relever que la société Distribution Guy Degrenne n'apporte quant à elle aucun élément de nature à justifier des horaires accomplis et elle ne peut être suivie dans le calcul qu'elle a opéré en retenant les heures du premier mail et du dernier mail de la journée comme heures de début et de fin de la journée du travail alors que l'activité réelle de M. [R] ne consistait pas uniquement à adresser des mails et qu'un travail pouvait être accompli (tel que notamment l'assistance à des réunions de codir) sans qu'il en résulte dans le même temps l'envoi de mails.

En conséquence, le nombre d'heures supplémentaires allégué par M. [R] sera retenu et en l'absence d'autre critique sur le mode de calcul de la réclamation il y sera fait droit .

4) Sur la contrepartie obligatoire en repos

Le droit de M. [R] à son paiement résulte de ce qui a été exposé ci-dessus, le calcul opéré ne faisant l'objet d'aucune contestation à titre subsidiaire.

5) Sur le harcèlement moral

M. [R] soutient avoir subi une mise au placard particulièrement agressive.

Il expose que M. [M] a été embauché en qualité de directeur achat et supply chain sur des fonctions qu'il occupait, que par la suite de nombreuses décisions ont été prises dans son périmètre de responsabilité sans son aval ni même sa consultation, que Mme [J] a été embauchée sur un poste flou consistant à optimiser l'ensemble des flux logistiques du groupe, poste jusque là occupé par lui, qu'alors qu'il était responsable de l'entrepôt il a appris qu'il perdait cette responsabilité, qu'après l'audience de conciliation et la promesse qui lui avait été faite sa déconvenue a été violente puisque la situation n'a pas changé, qu'il n'a plus été convoqué aux réunions importantes du groupe.

Il est constant que par mail du 4 janvier 2018, M. [W], directeur général, a informé un certain nombre de cadres dont M. [R] de l'arrivée au sein du comité de direction de M. [M] au poste de directeur achats et supply chain, indiquant 'son pérmiètre inclut tout le périmètre achats dont il aura la responsabilité directe ainsi que le département supply chain qui reste sous la responsabilité de [P]', le poste de M. [M] étant présenté dans les conclusions de la société Ditribution Guy Degrenne comme l'introduction d'un échelon intermédiaire.

Lors d'une réunion du comité d'entreprise du 15 février 2018, à la question posée de l'arrivée d'une directrice logistique, il a été répondu que Mme [J] prendrait le poste de PCNL manager groupe (production, contrôle et logistique des flux) à partir du 19 février, son rôle consistant à optimiser l'ensemble des flux logistiques du groupe.

Une note d'information adressée à tout le personnel le 22 février a annoncé l'arrivée depuis le 19 février de Mme [J], listant ses fonctions et précisant qu'elle aurait notamment en charge la gestion de l'entrepôt groupe.

M. [R] a été en arrêt de travail à compter du 5 mars et le 27 mars 2018 il a adressé à son employeur une correspondance pour faire part de la violence du procédé consistant de la part de la société à se débarrasser de tous ses cadres 'dirigeants', s'interroger sur la pérennité de son emploi alors que M. [M] avait été embauché en qualité de directeur achat supply chain puis Mme [J] avec une fiche de poste se rapprochant très fortement de la sienne et la responsabilité de l'entrepôt qui était la sienne jusque là, exposer qu'il considère cela comme un retrait de ses fonctions dont sa hiérarchie ne l'avait même pas informé, son poste étant ainsi vidé de sa substance, ce qui l'a profondément atteint et a conduit à son arrêt de travail.

Par lettre du 20 avril il a constaté qu'aucune réponse ne lui avait été adressée et a indiqué qu'il ne pouvait accepter une telle situation de mise au placard.

Il est admis que lors de l'audience de conciliation la proposition d'une réunion de travail a été faite, un déficit antérieur de communication étant reconnu.

Le 23 août 2018 M. [M] a indiqué à M. [R] que la nouvelle réorganisation n'avait rien changé à son quotidien, qu'il s'agissait plus d'un rattachement permettant d'intégrer achats et supply sous la même bannière, que la prise en charge de la préparation magasin par Mme [J] s'est faite dans le but d'améliorer les flux industriels au sein des usines en complément de ses fonctions à lui.

Le 24 août M. [R] a répondu que la nouvelle organisation changeait totalement son contrat de travail et qu'il ne l'avait jamais acceptée.

Ce mail est resté sans réponse.

Le 17 septembre il a listé les missions qui n'étaient plus dans son périmètre et a indiqué qu'il ne pouvait accepter de voir ses fonctions réduites à des missions en total décalage avec sa fonction de directeur supply chain.

En réponse, il a reçu le 3 octobre une convocation à entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.

Sont produits en outre l'organigramme en vigueur en 2017 et celui daté de janvier 2018 qui présente les modifications suivantes : M. [R] antérieurement rattaché à M. [W] comme s'occupant des services clients et logistiques (trois autres organigrammes détaillent les personnes placées sous la responsabilité de M. [R] dans les trois domaines suivants : service clients et support, service approvisionnement et logistique, service logistique) est désormais rattachéen qualité de directeur supply chain management à M. [X] directeur des opérations lui-même rattaché à M. [W] tandis que M. [M] est directement rattaché à M. [W] en qualité de directeur des achats et supply chain.

Si l'organigramme service logistique, qui indique que M. [R] a la responsabilité du manager entrepôt, n'est pas modifié, il convient de relever qu'il est cependant antérieur à l'arrivée de Mme [J] dont il a été indiqué qu'elle était présentée comme ayant la charge de la gestion de l'entrepôt.

M. [R] présente encore un tableau listant tous les membres du Codir figurant à l'organigramme de 2017 et ayant quitté la société et une interview de M. [W] dans le magazine Actu la voix le bocage du 28 décembre 2017 au cours de laquelle ce dernier indique 'il a fallu renouveler aussi une partie de la direction qui était là depuis de nombreuses années et qui, je pense, était usée par la tâche'.

Enfin, il fait état du témoignage de Mme [S], représentant du personnel, en poste dans la société depuis 1988, qui atteste que l'annonce lors d'un comité d'entreprise que l'entrepôt était désormais rattaché à Mme [J] a surpris toutes les équipes et suscité beaucoup d'incompréhension, l'entrepôt étant sous la responsabilité de M. [R] depuis presque 30 ans.

Ces éléments établissent une modification de fonctions dans le contexte d'une réorganisation avec visée de remplacement d'une partie de la direction, ce sans information préalable et sans qu'il soit répondu de manière précise, voire qu'il n'y soit pas répondu, aux interrogations angoissées du salarié à cet égard qui s'est trouvé concomitamment subir un arrêt de travail.

Ils font présumer un harcèlement moral.

Compte tenu de ce qui a été exposé ci-dessus la société Distribution Guy Degrenne ne peut conclure à une absence de modification des fonctions occupées au seul vu des organigrammes, lesquels établissent qu'au contraire elles l'ont été par la création d'un échelon intermédiaire et d'une suppression de la responsabilité de l'entrepôt.

La constance des grilles d'évaluation prérremplies n'est pas une justification suffisante de l'absence de modification alors même qu'une modification de l'organisation est pleinement reconnue par l'appelante et par le témoignage de M. [M] qu'elle produit, ce dernier attestant que M. [R] 'avait toute sa place et son importance dans les changements à opérer', qu'il avait 'besoin de M. [R] pour travailler à l'amélioration des sujets supply chain logistique', que M. [R] avait pour rôle de le seconder sur la partie supply chain dans le contexte de la volonté des actionnaires de faire évoluer l'organisation, témoignage dont il résulte non pas que les fonctions et responsabilités de M. [R] n'ont en rien changé mais qu'au contraire elles ont changé avec l'arrivée de M. [M].

Quant à l'arrivée de Mme [J], il est soutenu qu'elle n'a rien changé dans les fonctions, la qualification, la rémunération et le lieu de travail sans que pour autant une réponse pertinente soit attribuée quant à la perte par M. [R] d'une partie importante de ses missions.

Il est en effet simplement exposé dans les conclusions que Mme [J] a pour fonctions 'esssentielles' un certain nombre de fonctions listées qui ne figurent pas dans le processus supply chain rédigé par M. [R] lui-même 'ou alors à la marge', ce qui est une reconnaissance de 'doublon', outre qu'aucune explication n'est donnée dans les conclusions sur la gestion de l'entrepôt.

En outre cette perte de missions avait été signalée comme violente par M. [R] par une correspondance laissée sans réponse ou lors d'un entretien d'évaluation sans appeler de dénégation.

Il s'ensuit que la société Distribution Guy Degrenne échoue à démontrer que la modification de son organisation n'emportait aucune conséquence quant à la substance des fonctions contractuelles de directeur supply chain, de sorte que cette modification dans le contexte et selon les modalités sus évoquées caractérise un harcèlement moral qui a causé à M. [R] un préjudice moral qui sera évalué à 8 000 euros.

6) Sur la résiliation

M. [R] fait état de son éviction et à cet égard le harcèlement moral ayant été retenu celui-ci caractérise un manquement grave qui rendait impossible la poursuite du contrat et justifie le prononcé de la résiliation qui produit les effets d'un licenciement nul à la date de celui-ci.

En considération de l'ancienneté, du salaire perçu (8 111,25 euros moyenne des 12 derniers mois auxquels s'ajoutent les heures supplémentaires à raison de 3 230,25 euros par mois), de ce que M. [R] a retrouvé un emploi 8 mois après le licenciement pour une rémunération équivalente, les dommages et intérêts seront évalués à 180 000 euros.

7) Sur le travail dissimulé

En l'état d'un débat sur le statut de cadre dirigeant et d'une autonomie d'organisation, l'intention de dissimulation n'est pas établie et la demande d'indemnité à ce titre sera rejetée.

PAR CES MOTIFSS

LA COUR

Annule le jugement entrepris.

Condamne la société Distribution Guy Degrenne à payer à M. [R] les sommes de :

- 103 787,80 euros bruts à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires

- 10 378 euros à titre de congés payés afférents

- 45 643,84 euros à titre de repos compensateurs

- 4 564,38 euros à titre de congés payés afférents

- 8 000 euros au titre du harcèlement moral

- 180 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Distribution Guy Degrenne à remettre à M. [R], dans le délai de deux mois de la signification du présent arrêt, un bulletin de salaire par année conforme au présent arrêt.

Déboute M. [R] de ses autres demandes.

Ordonne le remboursement par la société Distribution Guy Degrenne à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [R] dans la limite de trois mois d'indemnités.

Condamne la société Distribution Guy Degrenne aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

M. ALAINL. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00611
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.00611 ?
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