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12/05/2022 | FRANCE | N°21/00567

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 12 mai 2022, 21/00567


AFFAIRE : N° RG 21/00567

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWG6

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 28 Janvier 2021 - RG n° F 19/00541









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022





APPELANTE :



La société GIRPAV venant aux droits de la S.A.R.L. BETON VIBRE DE NORMANDIE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domi

ciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me LANDAIS, avocat au barreau de la ROC...

AFFAIRE : N° RG 21/00567

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWG6

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 28 Janvier 2021 - RG n° F 19/00541

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 12 MAI 2022

APPELANTE :

La société GIRPAV venant aux droits de la S.A.R.L. BETON VIBRE DE NORMANDIE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me LANDAIS, avocat au barreau de la ROCHE S/ YON

INTIME :

Monsieur [X] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4] / FRANCE

Représenté par Me Noémie HUET, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 07 mars 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 12 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidentE, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

M. [X] [O] a été embauché à compter du 16 mai 1989 en qualité d'agent de production par la SARL le Béton Vibré. La branche d'activité de cette société relative à la préfabrication de produits en ciment moulé a été rachetée le 24 octobre 2005 par la SARL BVN (Béton Vibré de Normandie), société aux droits de laquelle se trouve, depuis le 30 juin 2021, la SAS GIRPAV.

M. [O] a été promu responsable de production à compter du 1er février 2006. Un avenant du 31 décembre 2018 a prévu un forfait de travail en jours.

Le 7 juin 2019, un salarié, M. [J] [C], est décédé dans un accident du travail. M. [O] a été placé en arrêt de travail du 7 juin au 13 novembre 2019, d'abord pour motif professionnel (accident du travail suite à une tentative de suicide).

La SAS GIRPAV l'a licencié le 2 août 2019 pour faute grave.

Estimant ce licenciement injustifié, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Caen le 21 octobre 2019, en dernier lieu, pour voir dire ce licenciement nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse, pour obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts et pour voir la SARL le Béton Vibré condamnée à lui verser un rappel de salaire pour heures supplémentaires et une indemnité pour travail dissimulé.

Par jugement du 28 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a condamné la SARL BVN à payer à M. [O] 61 753,73€ bruts (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, 19 654,57€ bruts (outre les congés payés afférents) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 98 637,99€ d'indemnité conventionnelle de licenciement, 91 600€ 'au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse', 1 200€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, a ordonné à la SAS GIRPAV de rembourser les allocations de chômage versées à M. [O] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d'allocations, l'a condamnée, sous astreinte, à remettre à M. [O] un bulletin de paie complémentaire, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à la décision, a enjoint à la SARL BVN de 'régulariser la situation de M. [O] auprès des organismes sociaux au bénéfice desquels sont acquittées les cotisations mentionnées sur le bulletin de paie récapitulatif' et a débouté M. [O] du surplus de ses demandes.

La SAS GIRPAV a interjeté un appel du jugement limité aux dispositions du jugement disant le licenciement nul et de nul effet et la condamnant à des indemnités de rupture, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile et à diverses condamnations annexes (remise de documents, condamnation à remboursement d'allocations chômage, régularisation auprès des organismes sociaux...). M. [O] a interjeté appel incident.

Vu le jugement rendu le 28 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Caen

Vu les dernières conclusions de la SAS GIRPAV, appelante, communiquées et déposées le 16 février 2022, tendant à voir le jugement confirmé quant aux déboutés prononcés, à le voir réformé pour le surplus, à voir M. [O] débouté de toutes ses demandes, subsidiairement et à voir ses demandes ramenées à de plus justes proportions, et à le voir condamné à lui verser 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu les dernières conclusions de M. [O], intimé et appelant incident, communiquées et déposées le 22 février 2022, tendant à voir le jugement confirmé en ce qu'il a dit le licenciement nul et quant aux indemnités de rupture allouées, tendant à le voir réformer pour le surplus, tendant à voir la SAS GIRPAV condamnée à lui verser 36 182,06€ d'indemnité pour travail dissimulé, 150 000€ de dommages et intérêts pour licenciement nul, au total 8 140€ en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 février 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur le licenciement

Dans la lettre de licenciement, la SAS GIRPAV indique qu'à l'occasion du décès de M. [C], les salariés lui ont fait part 'des exigences irrationnelles' de M. [O] 'en matière de production au parfait détriment de (ses) obligations en matière de sécurité' notamment :

- avoir chronométré en février 2019 l'équipe de production pour connaître le temps passé à la fabrication d'un moule puis avoir décrété un nombre minimal de moules à fabriquer par jour quels que soient les aléas,

- lorsqu'un dysfonctionnement du matériel était signalée, absence de suite donnée, attente pour procéder à la réparation et appel très rare et en dernier recours à un prestataire extérieur (ainsi en mai 2019, bien que les salariés aient pris des décharges électriques en intervenant sur la machine n°2, conseil inefficace donné de mettre de la mousse et du scotch pour isoler les outils et appel tardif, seulement dans un second temps, à un prestataire extérieur, bricolage ou remplacement par un ancien capteur quand un capteur était défectueux, informé à plusieurs reprises que l'arceau de la télébenne sur laquelle est intervenu M. [C] était cassé)

Les salariés ont indiqué que leurs conditions de travail étaient dégradées par ces incidents accumulés, qu'ils avaient peur de M. [O] à raison de ses accès de colère et de violence et qu'ils étaient traités comme des chiens.

La SAS GIRPAV conclut en indiquant que cette attitude, qui démontre que M. [O] traite avec légèreté la question de la sécurité, est inacceptable et incompatible avec l'emploi de responsable de production et prononce, en conséquence, le licenciement de M. [O] pour faute grave.

' Sur les exigences en matière de production et la méconnaissance de la sécurité générale

Plusieurs salariés (MM. [A], [H] et [F]) confirment que M. [O] a effectivement chronométré une équipe pour établir le temps de production ce qu'au demeurant M. [O] ne conteste pas. M. [A] indique que M. [O] imposait 'des cadences inhumaines'. M. [H] indique que s'ils ne produisait pas le nombre prévu il leur en faisait la remarque, qu'ils se 'faisaient engueuler' et qu'il fallait toujours être à fond. M. [V], intérimaire indique qu'il les avait prévenus que s'ils descendaient en-dessous du rendement atteint lors du chronométrage il leur mettrait un avertissement et préviendrait la société d'intérim.

M. [I] écrit que M. [O] leur mettait la pression pour atteindre la même production que chez Mehat (une autre société du groupe) alors qu'ils n'avaient pas les mêmes machines.

Aucun de ces attestants n'indique toutefois que M. [O] ne tenait pas compte des éventuels aléas rencontrés lors de la production et la SAS GIRPAV n'établit pas que le niveau de production fixé par M. [O] était 'irrationnel'. Il est en revanche établi que cette exigence n'avait pas été imposée par la SAS GIRPAV.

Plusieurs salariés indiquent que cette recherche de performance se faisait parfois au détriment de la sécurité. M. [H] expose que M. [O] lui a demandé de changer des poulies sur la télébenne en équilibre sur des palettes pour gagner du temps. Selon M. [V], tout ce qui prenait du temps au niveau sécurité n'était pas fait pour éviter de perdre du rendement. M. [I] écrit que M. [O] 's'en foutait de la sécurité, ce qui l'intéressait c'était la production'. Il ajoute 'toutes les semaines on faisait de choses dangereuses'. Il indique qu'une fois M. [O] lui a demandé de monter sans sécurité sur une machine qui aller chercher un plateau qui se trouvait à 7 ou 8m de haut et que les machines n'étaient pas consignées quand ils intervenaient dessus.

Un salarié en intérim, M. [D] a, quant à lui, indiqué que M. [O] faisait attention à ce que les salariés respectent des consignes.

' Sur les insuffisances en matière de réparation des matériels

M. [A] écrit que le matériel n'était pas entretenu, que les réparations étaient bricolées, ce qui provoquait des arrêts fréquents des machines. M. [V] indique que M. [O] ne donnait pas de suite quand un problème était signalé, il n'y prêtait pas attention et leur disait 'de faire au mieux'. Selon M. [T], les machines tombaient en panne presque tous les jours et M. [C] essayait de réparer lui-même avant de faire appel à un prestataire, qu'il s'agissait de bricolage. M. [I] écrit que les machines n'étaient pas réparées mais 'bidouillées'. La compagne de M. [C], décédé dans l'accident du travail du 9 juin 2019, indique qu'ils faisaient toutes les réparations possibles eux-mêmes pour éviter de faire intervenir des entreprises extérieures.

M. [F], responsable de maintenance (en arrêt de travail depuis deux mois au moment de l'accident) a indiqué, quant à lui, que dès qu'il voyait un problème de sécurité il mettait la machine hors service et il intervenait. Il précise toutefois que pour certaines interventions il mettait 15MN à réparer alors qu'une entreprise extérieure intervenant pour la même chose 'mettait une heure parce qu'elle intervenait en sécurité'

' Sur l'incident électrique de mai 2019

MM [H] et [V] indiquent qu'ils ont reçu des décharges alors qu'ils travaillaient sur la machine N°2. M. [O] leur a conseillé d'isoler leurs outils avec de la mousse et du scotch ce qui s'est avéré inefficace et leur a dit, que s'ils n'étaient pas contents ils pouvaient selon M. [H] 'prendre la porte', rentrer chez eux sans être payés selon M. [V]. Ils indiquent qu'il n'a appelé un électricien qu'après avoir lui-même reçu une décharge. M. [A] rapporte également cet événement.

' Sur le capteurs

M. [E] indique qu'il était fréquent qu'ils récupèrent d'anciens capteurs pour faire des réparations et que quand un capteur était cassé ils le remplaçaient parfois par un capteur défaillant.

Aucun autre salarié ne fait état de cette pratique. M. [O] indique, quant à lui, qu'il pouvait arriver de remplacer un capteur en le prenant sur une machine à l'arrêt mais qu'il s'agissait d'un capteur en bon état.

' Sur l'arceau de la télébenne

L'expert judiciaire qui est intervenu à la suite de l'accident du travail a noté que l'arceau qui devait servir de sécurité n'était pas fonctionnel, il était cassé depuis longtemps et n'avait pas été réparé.

Plusieurs salariés indiquent que cet arceau a été plusieurs fois cassé et ressoudé. Selon M. [E], il était cassé depuis 4 à 6 mois au moment de l'accident. M. [V] indique qu'il était cassé en septembre 2018, qu'il avait été réparé mais avait cassé à nouveau. M. [F], technicien de maintenance, entendu par les gendarmes le 13 juin, a indiqué qu'il était en arrêt depuis deux mois et que cet arceau n'était pas cassé quand il est parti. Selon M. [H], il était cassé depuis au moins un mois au moment de l'accident.

MM [E] et [H] indiquent que M. [O] était au courant. M. [H] mentionne qu'il le lui avait signalé et qu'il n'avait rien répondu. M. [E] précise : 'on l'avait déjà tous signalé à M. [O]. Soit il nous répondait 'pour le moment ça marche' ou 'on a pas le temps' ou encore 'faites le vous-même''.

' Sur l'attitude à l'égard des salariés

M. [A] indique que M. [O] était colérique, qu'il l'a vu taper violemment dans une armoire électrique, qu'il le traitait somme un moins que rien, qu'il agressait verbalement les salariés et qu'il s'en est pris physiquement à M. [F] en mai 2018. Il ajoute qu'il venait travailler avec la boule au ventre.

Selon M. [H], il ne parlait pas gentiment aux gens.

Selon M. [I] il était violent verbalement mais aussi physiquement et fait état du même épisode concernant M. [F]. Il ajoute qu'il leur disait en permanence qu'ils étaient des bons à rien et leur disait de 'fermer (leur) gueule' car c'était lui le chef. Il précise qu'il rabaissait les gens spécialement les salariés intérimaires et les poussait à faire toujours plus.

M. [V] indique que l'on pouvait parfois lui parler et que d'autres fois on se faisait 'engueuler' pour rien.

M. [T] écrit que tout le monde avait peur de ses réactions et qu'il s'énervait tout le temps.

Selon M. [F], M. [O] le harcelait en permanence en mettant en cause ses capacités. En mai 2018, il lui a crié dessus pendant qu'il réglait une machine en le traitant d'incapable et l'a ensuite secoué en l'attrapant si fort pas les bras qu'il a eu des ecchymoses. Il indique que l'attitude de M. [O] l'a poussé à la dépression et précise qu'il avait peur que M. [O] ne le fasse licencier pour de mauvaises raisons. Il ajoute qu'il envoyait des piques à tout le monde

Mme [U], comptable indique qu'il ne percevait pas le mal-être du personnel, était sanguin et pouvait être dur aves les salariés.

En revanche deux intérimaires, MM [R] et [D] indiquent avoir trouvé M. [O] 'sympa et correct' (M. [R]) avoir eu un bon contact avec lui (M. [D]).

Il ressort de ces différents témoignages que M. [O] privilégiait le rendement à la sécurité, les réparations de fortune rapides et peu coûteuses, était colérique, se montrait parfois insultant voire agressif à l'égard des salariés.

Ces manquements doivent s'apprécier en fonction de ses fonctions et des circonstances.

La fiche de fonction annexée à l'avenant à son contrat de travail signé le 13 décembre 2018 stipule qu'il exerce des fonctions de responsable de production comprenant 'les obligations se rapportant à l'hygiène et la sécurité' sous la responsabilité du directeur d'usine. Les deux parties s'accordent toutefois finalement pour admettre que la délégation dont il avait bénéficié en matière d'hygiène et de sécurité n'était plus applicable à tout le moins depuis cet avenant. Il ne pouvait ni émettre de factures supérieures à 5 000€ ni souscrire de contrats de location supérieurs à 6 mois sans autorisation.

M. [Y], gérant de la SARL BVN, entendu par les gendarmes, a indiqué que le responsable du site a été M. [W] (qui exerçait aussi des fonctions commerciales) et qu'après son départ (30 juin 2017) M. [S] a été embauché le 11 septembre 2017 mais uniquement comme directeur commercial. M. [Y] a indiqué qu'il ne lui a pas paru nécessaire que quelqu'un soit responsable de l'établissement dans son ensemble et a précisé que M. [O] se trouvait sous sa subordination juridique. Il a toutefois admis qu'il ne venait qu'une fois par an environ sur le site et qu'il avait suggéré que des responsables d'autres usines puissent le cas échéant le conseiller (M. [N] puis M. [L]).

M. [W], a précisé dans l'attestation qu'il a établie pour la SAS GIRPAV que, pour l'assister dans sa tâche, il était 'épaulé' par Mme [B] en charge de la partie administrative et comptable et par M. [O] qui avait la charge de l'unité de production. Pour gérer le personnel, celui-ci avait un référent M. [Z]., directeur d'une autre société.

Il ressort des pièces produites que M. [O] pouvait embaucher du personnel intérimaire (plusieurs contrats de mission sont produits signés par ses soins) mais le gérant précise qu'il ne pouvait pas signer de contrats de travail. Contrairement à ce qu'indique M. [O], il a exercé un pouvoir disciplinaire puisque la SAS GIRPAV produit trois avertissements qu'il a décerné le 11 mai 2009 le 29 mars 2010 et le 21 juin 2010.

Il ressort de l'audition de M. [Z],, directeur d'un autre site que les 'dépenses de maintien en sécurité des outils ne sont pas soumis à accord de la direction sauf dépenses conséquentes ou remise en cause des process' mais, ajoute-t'il, tel n'a pas toujours été le cas puisque du temps de l'ancien DAF (avant 2015) 'il fallait faire le moins de dépenses possibles y compris sur la sécurité'. Selon M. [Z], M. [O] a 'malheureusement continué à fonctionner' comme auparavant. Il ne ressort pas de l'audition de M. [Z] qu'une information ait été donnée sur le changement de politique en la matière et la SAS GIRPAV n'apporte aucun élément en ce sens.

Mme [U], comptable, indique que le site, malgré ses bons chiffres, devait fermer fin 2020 ou début 2021. Elle indique que M. [O], qui était au courant, encourageait son équipe à travailler encore plus pour prouver que ' fermer cette entreprise ce serait pas a bonne décision compte tenu du rendement de celle-ci.' La fille de M. [O] indique que son père 's'investissait énormément pour faire avancer la production et pour prouver à son employeur que cette usine (...) méritait d'être sauvée'.

Enfin, M. [O] s'avère avoir travaillé depuis 2016 50H par semaine (sauf jour férié ou de congé pendant la semaine) selon le décompte qu'il a fourni et que la SAS GIRPAV ne remet pas en cause puisqu'elle n'a pas interjeté appel du jugement en ce qu'il a alloué un rappel de salaire sur cette base.

Il ressort de ces éléments que M. [O] n'était pas le responsable de site et dépendait selon son contrat de travail de ce responsable -pourtant inexistant depuis juin 2017-. Il n'avait pas de délégation de pouvoir en matière de sécurité, ne pouvait engager seul que des dépenses inférieures à 5 000€ et ne pouvait recruter que du personnel intérimaire. La politique menée en matière de sécurité dans l'entreprise a été jusqu'en 2015 de dépenser le moins possible et il n'est pas établi que M. [O] ait été informé que cette politique avait changé. Ses fonctions de responsable de production dans un site qu'il savait menacé de fermeture peut expliquer son obsession du rendement. Il a en outre travaillé pendant près de deux ans systématiquement plus de 48H par semaine soit au-delà du maximum légal, de surcroît sans responsable de maintenance au cours des deux derniers mois, ce qui est de nature à avoir influé sur son comportement compte tenu de l'atteinte ainsi porté à sa santé et à l'équilibre entre vie personnelle et professionnelle.

Compte tenu de ces circonstances et de ce contexte, les fautes commises, de surcroît en l'absence de tout antécédent disciplinaire au cours de ses 30 ans d'ancienneté, ne justifiait pas la rupture, a fortiori immédiate, du contrat de travail.

En conséquence, ce licenciement est nul car prononcé pendant une période suspension du contrat de travail pour motif professionnel, pour des fautes qui ne pouvaient être qualifiées de graves au sens du code du travail.

M. [O] est donc fondé à obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts au moins égaux à six mois de salaire.

' Les indemnités de rupture allouées par le conseil de prud'hommes et dont M. [O] demande confirmation ne sont pas contestées par la SAS GIRPAV ne serait-ce qu'à titre subsidiaire et seront donc retenues.

' M. [O] justifie avoir perçu des indemnités journalières du 2 au 27 août, du 4 au 23 septembre et du 8 octobre au 13 novembre 2019, avoir perçu des allocations de chômage du 26 novembre 2019 à juin 2021 et d' octobre 2021 à février 2022. Il a été embauché dans le cadre d'un contrat à durée déterminée du 1er janvier au 31 décembre 2022.

Compte tenu de ces renseignements, des autres élément connus : son âge (48 ans), son ancienneté (30 ans), son salaire (6 521,52€ après réintégration du rappel pour heures supplémentaires), la somme allouée par le conseil de prud'hommes est adaptée et sera confirmée.

2) Sur le travail dissimulé

Il ressort du décompte du temps de travail établi par M. [O] fondant sa demande de rappel pour heures supplémentaires que M. [O] a travaillé (sauf jour de congés payés ou jour férié) 50H par semaine à tout le moins depuis août 2016 et ce jusqu'à son arrêt de travail.

Jusqu'au 13 décembre 2018, ce travail a été effectué sans que soit valablement mis en place un forfait puisque l'avenant du 16 février 2016 se contentait de prévoir que la rémunération mensuelle alloué à M. [O] représentait 'un caractère forfaitaire et tient compte des horaires de service que du temps laissé à votre initiative pour le plein accomplissement de votre mission', ce qui revient pour l'employeur à se désintéresser du temps de travail de son salarié en considérant que le salaire versé couvrait l'ensemble des heures travaillées quel que soit leur nombre. Un tel salaire forfaitaire est illégal et l'employeur ne saurait utilement se prévaloir d'une telle formule pour s'abstenir de tout contrôle du temps de travail.

Le 13 décembre 2018, les parties ont signé un nouvel avenant prévoyant un forfait en jour. La SAS GIRPAV a effectivement organisé un entretien annuel le 3 avril 2019. À cette occasion, M. [O] a souligné l'importance de sa charge de travail en précisant que sa tâche était notamment alourdie par l'absence partielle de M. [C] (en mi-temps thérapeutique) qui n'avait pas pu prendre ses fonctions de chef d'équipe. La réponse du manager a seulement été d'indiquer que 'cette situation conjoncturelle' devait 'se lisser lors de la prise de fonction' de M. [C] sans tenir compte de la doléance plus générale de M. [O] sur sa charge de travail.

Après le 13 décembre 2018, la SAS GIRPAV n'a donc pas contrôlé de manière adéquate la charge de travail de son salarié alors même que celui-ci l'avait alerté le 3 avril 2019 d'une surcharge de travail, ce qui était de nature à remettre en cause la validité du forfait jour. Surtout, elle a, avant cette date, mis en place, au moment où elle investissait M. [O] de nombreuses responsabilités, un système la dispensant de tout contrôle du temps de travail, laissant à l'initiative de M. [O] le temps nécessaire pour 'le plein accomplissement de (sa) mission' sans organiser aucun contrôle du temps de travail ni fixer aucune limite à ce 'temps nécessaire'. Le système ainsi mis en place incitait à la réalisation d'heures supplémentaires que M. [W], responsable de site, sur place jusqu'en juin 2017, était en mesure de constater.

En conséquence, en omettant de mentionner sur les bulletins de paie les heures accomplies, la SAS GIRPAV a sciemment dissimulé une partie du travail accompli par M. [O]. Celui-ci est donc fondé à obtenir, à ce titre, une indemnité.

La somme réclamée, non contestée par la SAS GIRPAV dans son montant (et au demeurant inférieure à 6 mois de salaire) sera retenue.

3) Sur les points annexes

Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2019 à l'exception de la somme accordée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter du 15 février 2021, date de notification du jugement confirmé sur ce point et de la somme allouée au titre du travail dissimulé qui produira intérêts à compter du 17 décembre 2020, date de l'audience devant le bureau de jugement, en l'absence d'éléments sur la date de dépôt des premières conclusions contenant cette demande.

La SAS GIRPAV devra remettre à M. [O], dans le délai d'un mois à compter de la date de l'arrêt, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt. La présente décision fixant les droits de M. [O], il n'y a pas lieu de prévoir la remise d'un nouveau reçu pour solde de tout compte. En l'absence d'éléments permettant de craindre l'inexécution de cette mesure, il n'y a pas lieu de l'assortir d'une astreinte;

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [O] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SAS GIRPAV sera condamnée à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Statuant dans les limites de l'appel :

- Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la SARL BVN (aux droits de laquelle se trouve la SAS GIRPAV) à verser à M. [O] 19 564,57€ bruts (outre les congés payés afférents) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 98 637,99€ au titre de l'indemnité de licenciement, 91 600€ de dommages et intérêts

- Réforme le jugement pour le surplus

- Dit le licenciement nul

- Dit que la somme de 91 600€ est allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et produira intérêts au taux légal à compter du 15 février 2021 et que les autres sommes allouées par le conseil de prud'hommes produiront intérêts à compter du 23 octobre 2019

- Condamne la SAS GIRPAV à verser à M. [O] 36 182,06€ d'indemnité pour travail dissimulé avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2020

- Dit que la SAS GIRPAV devra remettre à M. [O], dans le délai d'un mois à compter de la date de l'arrêt, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt

- Déboute M. [O] du surplus de ses demandes principales

- Condamne la SAS GIRPAV à verser à M. [O] 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamne la SAS GIRPAV aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00567
Date de la décision : 12/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-12;21.00567 ?
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