AFFAIRE : N° RG 18/02454
N° Portalis DBVC-V-B7C-GET3
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAINT LO en date du 11 Juillet 2018 - RG n° 21500309
COUR D'APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 3
ARRÊT DU 12 MAI 2022
APPELANT :
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 12]
[Localité 9]
Représenté par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN
INTIMES :
Madame [J] [I] veuve [A]
[Adresse 6]
Madame [X] [A]
[Adresse 5]
Madame [V] [A] agissant tant en son nom propre qu'en sa qualité de représentante légale de son fils mineur [C] [Y] [A]
[Adresse 2]
Madame [S] [Z]
[Adresse 7]
Monsieur [R] [L]
[Adresse 10]
Madame [K] [L]
[Adresse 5]
Agissant tant en leur nom propre qu'en leur qualité d'ayants-droit de M. [F] [A]
Représentés par Me Cécile LABRUNIE, substitué par Me BOUDEBESSE, avocats au barreau de PARIS
Maître [G] [T], mandataire ad'hoc de la SOCIETE [15] ([15])
[Adresse 4]
SCP [D] [N], ès-qualités de mandataire judiciaire de la SA [13]
[Adresse 3]
Non comparants ni représentés
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Manche
[Adresse 18]
Représentée par Mme DESLANDES, mandatée
INTERVENANT
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
[Adresse 20]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Non comparant ni représenté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
Mme ACHARIAN, Conseiller,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 03 mars 2022
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 12 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
EXPOSE DU LITIGE
[F] [A], né le 14 septembre 1951, selon ses déclarations à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, a été employé successivement :
- du 21 août 1968 au 3 juillet 1970 par la [14] ([14]) en qualité de charpentier fer,
- du 25 janvier 1971 au 14 avril 1972, puis du 15 octobre 1973 au 31 août 1975 par la société [16] et [17] devenue société [13] en qualité de formeur bord et coque,
- du 1er septembre 1975 au 9 juillet 1976 par la société [15] (société [15]).
Le 17 mai 2013, [F] [A] a renseigné une déclaration de maladie professionnelle au titre d'un carcinome, accompagnée d'un certificat médical initial du 6 mai 2013 mentionnant un carcinome épidermoïde lobaire inférieur droit.
Cette pathologie a été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse) le 27 septembre 2013 au titre du tableau de maladie professionnelle n°30 bis : cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante.
[F] [A] est décédé le 13 novembre 2013.
La caisse a notifié le 7 février 2014 à [F] [A] une incapacité permanente partielle de 100 % et l'attribution d'une rente mensuelle de 1 512,89 euros puis, le 11 avril 2014 à Mme [J] [I], veuve [A], l'attribution d'une rente faisant suite à la prise en charge du décès de son époux.
Par jugement du 11 juillet 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Manche, saisi par les ayants droit de [F] [A] de demandes d'indemnisation au titre de la faute inexcusable des employeurs du de cujus, a :
- déclaré les consorts [A] recevables en leurs demandes,
- rejeté la demande de mise hors de cause de la [14] représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat,
- dit que la maladie professionnelle '30 C' qui a entraîné le décès de [F] [A] est la conséquence de la faute inexcusable de ses employeurs, la [14], représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat, la société [13], anciennement société [16] et [17] et la société [15] prise en la personne de Mme [O], ès qualités de mandataire judiciaire,
- dit bien fondée la demande de versement d'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
- ordonné la majoration maximale de la rente servie à Mme [J] [A] en sa qualité de conjoint survivant,
- fixé les réparations sollicitées par les demandeurs comme suit :
Au titre de l'action successorale :
- 25 000 euros à titre d'indemnité pour les souffrances physiques,
- 60 000 euros à titre d'indemnité pour les souffrances morales,
- 3 000 euros à titre d'indemnité pour le préjudice esthétique,
- 10 000 euros à titre d'indemnité pour le préjudice d'agrément,
Au titre des préjudices personnels :
- 40 000 euros à titre d'indemnité pour Mme [J] [A],
- 15 200 euros à titre d'indemnité pour chacune des enfants de la victime, [X], [V] et [S] [A],
- 3 300 euros à titre d'indemnité pour [R] et [K] [L], petits-enfant de [F] [A],
- 3 300 euros à titre d'indemnité pour [C] [Y] [A], petits-fils de la victime,
- dit que les conditions de prise en charge de la maladie et du décès sont réunies et opposables à la société [13] et à la [14],
- dit bien fondée l'action récursoire de la caisse et condamné la [14] prise en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat et la société [13] à lui rembourser les sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre du livre IV du code de la sécurité sociale,
- débouté la caisse de ses demandes à l'encontre de la société [15],
- condamné la société [13] et l'Agent judiciaire de l'Etat, ès qualités, pour la [14] à verser à Mme [J] [A] la somme de 1 500 euros, à Mmes [X], [V] et [S] [A] la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- débouté les parties de toute autre demande.
Par déclarations des 2 août 2018 et 17 août 2018, l'Agent judiciaire de l'Etat représentant la [14] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 19 juillet 2018.
Les dossiers d'appel ont été joints sous le numéro 18/2454 par ordonnance du magistrat chargé d'instruire l'affaire en date du 13 janvier 2021.
Par arrêt du 16 septembre 2021, la cour d'appel de Caen a :
- ordonné la réouverture des débats à l'audience du 3 mars 2022,
- invité les consorts [A] à mettre en cause la société [15] prise en la personne de son représentant ou d'un administrateur ad hoc qu'il lui appartiendra de faire désigner,
- invité Mme [V] [A] à agir tant en son nom qu'en celui d'ayant droit de son père et de représentante légale de son fils mineur, [C] [Y] [A],
- invité M. [R] [L] à faire rectifier les conclusions déposées en son nom sur la déclinaison de son identité,
- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes présentées dans l'attente des diligences mises à la charge des parties.
A l'audience du 3 mars 2022, la cour a rejeté la demande de renvoi formée par l'Agent judiciaire de l'Etat.
Par dernières conclusions déposées le 2 juin 2021, soutenues oralement à l'audience par son conseil, l'Agent judiciaire de l'Etat, représentant la [14] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré,
A titre principal :
- de mettre l'Etat hors de cause,
A titre subsidiaire :
- de dire que la décision de prise en charge de la caisse lui est inopposable,
A titre infiniment subsidiaire :
- de dire que les conséquences de la reconnaissance de la maladie professionnelle et de la faute inexcusable s'imputeront sur le compte spécial,
En tout état de cause :
- de débouter la succession au titre du préjudice d'agrément,
- de réduire à de plus justes proportions la réparation du préjudice,
- de débouter les consorts [A] de leurs demandes, fins et conclusions,
- de statuer ce que de droit quant aux dépens,
- de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 8 novembre 2021, soutenues oralement à l'audience par leur conseil, Mme [J] [I], veuve [A], Mmes [X] et [V] [A] et Mme [S] [Z], filles de la victime agissant en leur nom et en qualité d'ayants droit de M. [A], MM. [R] [L] et [C] [Y] [A] et Mme [K] [L], ses petits-enfants (consorts [A]), demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré sur les montants alloués au titre des préjudices subis,
- de fixer la réparation desdits préjudices comme suit :
Au titre de l'action successorale :
- 80 000 euros à titre d'indemnité pour les souffrances physiques endurées,
- 100 000 euros à titre d'indemnité pour les souffrances morales endurées,
- 50 000 euros à titre d'indemnité pour le préjudice d'agrément,
- 20 000 euros à titre d'indemnité pour les préjudice esthétique,
Au titre des préjudices personnels :
- 50 000 euros à titre d'indemnité pour Mme [J] [I], veuve [A],
- 35 000 euros à titre d'indemnité pour Mmes [X] et [V] [A], Mme [S] [Z], filles de la victime,
- 10 000 euros à titre d'indemnité pour MM. [R] [L] et [C] [Y] [A], petits-fils de la victime, et Mme [K] [L], petite-fille de la victime,
- de condamner l'Agent judiciaire de l'Etat à verser à Mmes [J], [X] et [V] [A], [S] [Z], [K] [L] et M. [R] [L] la somme de 3 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Selon ses dernières écritures, déposées le 27 mai 2021, soutenues oralement à l'audience par son représentant dûment mandaté, la caisse demande à la cour :
A titre principal : de confirmer le jugement déféré,
A titre subsidiaire :
- de lui donner acte qu'elle s'en rapporte sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,
- de réduire à de plus justes proportions les quantum des réparations sollicitées au titre de l'action successorale et personnelle des ayants droit,
- de dire que les ayants droit bénéficieront, au titre de l'action successorale, de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,
- de déclarer opposables aux différents employeurs (société [13] et la [14]) ses décisions de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de la pathologie et du décès de M. [A],
- de faire droit à son action récursoire,
- de dire que les différents employeurs de M. [A], la société [13] et la [14], seront tenues au remboursement des sommes avancées par elle.
M. [T], désigné mandataire ad hoc de la société [15] venant aux droits de la société [15] ([15]), n'était ni présent ni représenté à l'audience.
Par courrier du 8 octobre 2021, M. [N], liquidateur de la société [13], a fait connaître qu'il ne serait pas représenté à l'audience et s'en rapportait à l'appréciation de la juridiction.
M. [N] ne s'est pas présenté à l'audience pour faire valoir ses prétentions.
Il sera renvoyé aux conclusions pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION
Il sera préalablement exposé que la société [15], employeur de [F] [A], immatriculée au registre du commerce sous le numéro 73B 327 et au répertoire SIREN sous le numéro [N° SIREN/SIRET 8], disposait, selon l'extrait du registre du commerce et des sociétés d'un établissement sis à Cherbourg sous le numéro 74 B 26.
Selon extrait Kbis, la société [15] et travaux porte le même numéro SIREN que la société [15] et dispose d'une immatriculation secondaire sous le numéro 74 B 26.
La société [15], représentée par Mme [O] en qualité de mandataire ad hoc selon ordonnance du président du tribunal de commerce de Cherbourg en date du 4 octobre 2007 puis par M. [T], selon ordonnance du 16 avril 2021, vient donc aux droits de la société [15].
I- Sur la mise hors de cause de l'Agent judiciaire de l'Etat
L'Agent judiciaire de l'Etat soutient, contrairement à ce que prétendent les ayants droit de [F] [A], que ce dernier n'a jamais fait partie des effectifs de la [14].
Il ressort cependant de l'attestation du 30 juin 1970 produite par les consorts [A], rédigée par M. [W], ingénieur des études et techniques d'armement, chef du service du personnel, que [F] [A] a été employé à la [14] ([14]) en qualité d'ouvrier en régie directe, en qualité de charpentier fer du 21 août 1968 au 3 juillet 1970.
La [14] a été chargée de la construction des navires militaires jusqu'en 1991 puis est devenue [14], actuellement représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat.
Les consorts [A] produisent en outre des bulletins de paie libellés au nom du '[Adresse 19]' mais mentionnant, au titre des caisses de sécurité sociale, la [14].
Dans ces conditions, l'emploi de [F] [A], en qualité de charpentier fer au sein de la [14] étant établi, il convient de maintenir en la cause l'Agent judiciaire de l'Etat et de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause.
II- Sur la faute inexcusable
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Les sociétés [16] et [17], devenue [13] et [15], représentée par M. [T], en qualité de mandataire ad hoc, n'ont pas critiqué les dispositions du jugement déclarant leur faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle ayant entraîné le décès de [F] [A].
L'Agent judiciaire de l'Etat ne critique pas plus ces dispositions
Ces dispositions seront donc confirmées.
Conformément aux dispositions des articles L.411-1, L. 431-1, L. 452-2 et L.453-1 du code de la sécurité sociale, la majoration de rente ou de capital prévue lorsque la maladie professionnelle est due à la faute inexcusable de l'employeur, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, ne peut être réduite que lorsque le salarié victime a lui-même commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 453-1 du même code, c'est-à-dire une faute d'une exceptionnelle gravité exposant son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.
Dès lors qu'il n'est ni établi ni argué que [F] [A] aurait commis une telle faute, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a ordonné la majoration maximale de la rente servie à Mme [J] [A], veuve de la victime.
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a ordonné le versement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, le taux d'incapacité permanente partielle accordé à [F] [A] ayant été fixé à 100 %.
III- Sur les réparations sollicitées
A- Sur les indemnités sollicitées au titre de l'action successorale
En application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
Selon l'article L. 452-3 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Il résulte de la réponse donnée le 18 juin 2010 par le Conseil Constitutionnel à une question prioritaire de constitutionnalité (décision n°2010-8) que la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle découlant de la faute inexcusable de l'employeur peut demander sur le fondement de l'article L 452-3 précité devant la juridiction de la sécurité sociale la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par ce texte, mais à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
La consolidation de l'état de la victime a été fixée à la date du 6 mai 2013, une rente pour une incapacité permanente partielle de 100 % lui ayant été attribuée par la caisse à compter du 7 mai 2013.
1) Souffrances physiques et morales endurées
L'article L 452 -3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dispose que la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées. Sont réparables en application de l'article L. 452 - 3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.
Les souffrances physiques et morales endurées, constitutives d'un unique poste de préjudice, doivent être évaluées avant la consolidation fixée au 6 mai 2013.
Les souffrances physiques indemnisables comme ne l'étant pas au titre de la rente correspondent aux traitements et interventions antérieurs à la date du 6 mai 2013 soit : une fibroscopie bronchique du 30 avril 2013 et le début d'une chimiothérapie.
Les souffrances morales endurées sont constituées par l'annonce d'une maladie dont l'issue est fatale, parfois à court terme, de la certitude d'une atteinte corporelle avérée, engageant le pronostic vital, de la réactivation de cette crainte à chaque examen de contrôle, cette angoisse n'étant pas réductible à la notion de consolidation.
Dans ces conditions, il convient, par voie d'infirmation, d'accorder aux consorts [A], la somme de 60 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées par [F] [A].
2) Sur le préjudice esthétique permanent
Les demandes n'ont pas distingué les périodes de préjudices temporaire ou permanent si bien que, compte tenu de la date de consolidation et de celles des examens pratiqués, il conviendra d'indemniser le seul préjudice esthétique permanent.
[F] [A] a subi des interventions chirurgicales, s'est trouvé alité et placé sous oxygénothérapie. Il a par ailleurs été relevé par les médecins et ses amis une perte de poids importante.
Compte tenu de ces éléments, il conviendra, par voie d'infirmation, d'accorder aux consorts [A] la somme de 8 000 euros à titre d'indemnité pour le préjudice esthétique subi par [F] [A] après la date de consolidation.
3) Préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément résulte de l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir. Il appartient à la victime d'accident de démontrer qu'elle pratiquait ces activités antérieurement à l'accident et qu'elle ne peut plus le faire depuis.
Les attestations de MM. [M] et [P], amis de la victime, démontrent que cette dernière pratiquait régulièrement la moto et se rendait à des rassemblements de motocyclistes. Les pièces produites par les consorts [A] corroborent des achats de véhicules ainsi que la participation à ces 'concentrations' de motards.
Ses amis témoignent également de la pratique assidue du jardinage et notamment l'entretien d'un potager pour assurer la confection de plats, de la cueillette des champignons et de la pêche à pied.
Ces pratiques sportives ou de loisirs ont été, selon les attestations produites, interrompues par le diagnostic et l'évolution de la maladie dont est rapidement décédé [F] [A].
Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué aux consorts [A] la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice d'agrément.
B- Sur les indemnités sollicitées à titre personnel par les ayants droit
1) Sur la réparation du préjudice moral subi par Mme [J] [A], veuve de la victime
Les époux étaient mariés depuis quarante ans au moment du décès de [F] [A]. Ils vivaient cependant séparément en maintenant, selon Mme [J] [I], veuve [A], des relations d'amitié et de complicité.
Le certificat du 25 octobre 2013 établi par Mme [B], médecin au service d'hospitalisation à domicile, mentionne que la toilette du patient est réalisée par sa femme, confortant le maintien d'une grande proximité entre les époux.
Compte tenu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à Mme [J] [I], veuve [A] la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral.
2) Sur la réparation du préjudice moral subi par les filles de la victime
Les témoignages versés au dossier et particulièrement le discours d'hommage prononcé par le neveu de [F] [A], font apparaître que les filles de la victime entretenaient avec leur père des liens de proximité si bien qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à Mmes [X] et [V] [A] et Mme [S] [Z] la somme de 15 200 euros chacune.
3) Sur la réparation du préjudice moral subi par les petits-enfants
Il ressort des témoignages précités que [F] [A] était proche de ses petits enfants qui n'ont pu profiter de sa présence et de ses enseignements si bien qu'il convient également de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à M. [R] [L], Mme [K] [L] et [C] [Y] [A], enfant mineur comme étant né le 6 mars 2013, représenté par sa mère, Mme [V] [A], la somme de 3 300 euros chacun à titre d'indemnité pour préjudice moral.
IV- Sur l'opposabilité des décisions de la caisse à l'égard de l'Agent judiciaire de l'Etat
L'Agent judiciaire de l'Etat soutient que les conséquences de la prise en charge de la pathologie et du décès de [F] [A] ne lui sont pas opposables, faute de respect par la caisse du principe du contradictoire durant la procédure d'instruction du dossier et que les conséquences financières de la faute inexcusable ne le lui sont pas plus en l'absence d'une durée d'exposition au risque suffisante du salarié.
A- Sur le non-respect par la caisse du principe du contradictoire
Seule la société [15], dernier employeur de [F] [A] ayant exposé le salarié au risque, tenu au paiement des cotisations de maladie professionnelle, peut se prévaloir de l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle et du décès ou décider de mettre en cause un précédent employeur afin qu'il règle les cotisations relatives à cette maladie.
Tel n'a pas été le cas de la société [15] et il est admis que l'éventuelle inopposabilité de la décision de prise en charge d'une pathologie au titre de la législation professionnelle est sans incidence sur le contentieux de la faute inexcusable et ne peut être invoquée en défense à l'action en reconnaissance d'une telle faute.
La caisse n'avait par ailleurs pas l'obligation de respecter le principe du contradictoire à l'égard des précédents employeurs.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'inopposabilité à l'Agent judiciaire de l'Etat de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle et du décès.
B - Sur le caractère professionnel de la maladie et du décès
Dans ses relations avec les consorts [A], l'Agent judiciaire de l'Etat ne conteste pas la faute inexcusable qui lui est reprochée et ne soutient en défense à cette action aucun moyen sur l'absence de caractère professionnel de cette pathologie et du décès subséquent.
En revanche, dans le cadre de ses relations avec la caisse, il conteste l'opposabilité de la décision de prise en charge de cette maladie et du décès consécutif au titre de la législation professionnelle en indiquant que la durée d'exposition au risque de dix années prévue au tableau de maladie professionnelle n° 30 bis n'est pas atteinte.
Or, si l'employeur peut soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par les ayants droit de la victime que la maladie et le décès n'ont pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester la décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels.
Dans ces conditions, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré bien fondée l'action récursoire de la caisse à l'égard de l'Agent judiciaire de l'Etat.
V- Sur l'imputation des sommes dues sur le compte spécial
Les premiers juges ont exactement relevé que le salarié ayant été exposé au risque successivement dans plusieurs entreprises sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition a provoqué la maladie prise en charge, les conséquences financières de la maladie professionnelle s'imputeront sur le compte spécial.
Toutefois, cette décision ne figurant pas au dispositif de la décision déférée, il conviendra d'ordonner cette imputation au compte spécial.
VI- Sur les dépens et les frais irrépétibles
Partie succombante, l'Agent judiciaire de l'Etat sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à Mme [J] [I], veuve [A], Mmes [X] et [V] [A], Mme [S] [Z], M. [R] [L] et Mme [K] [L] la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé sur ce point.
Il sera rappelé que les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ne sont applicables qu'à la procédure avec représentation obligatoire si bien que la demande formée par les consorts [A] sur ce fondement sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme, dans les limites de la saisine, le jugement déféré sauf :
- à préciser que les sommes allouées en réparation du préjudice subi par [C] [Y] [A] le seront à sa mère, Mme [V] [A] en qualité de représentant légal de son fils mineur, et
- en ce qu'il a alloué aux ayants droit de [F] [A] la somme de 25 000 euros au titre des souffrances physiques endurées et de 60 000 euros au titre des souffrances morales endurées,
L'infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau :
Alloue aux consorts [A] la somme de 60 000 euros au titre des souffrances physiques et morales endurées par [F] [A],
Alloue aux consorts [A] la somme de 8 000 euros à titre d'indemnité pour le préjudice esthétique permanent subi par [F] [A],
Y ajoutant :
Ordonne l'imputation au compte spécial des conséquences financières de la maladie professionnelle prise en charge le 27 septembre 2013 par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche au titre du tableau de maladie professionnelle n°30 bis,
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de la [14] aux dépens d'appel,
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de la [14] à verser à Mme [J] [I], veuve [A], Mmes [X] et [V] [A], Mme [S] [Z], M. [R] [L] et Mme [K] [L] la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande fondée sur l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX