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05/05/2022 | FRANCE | N°21/00361

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 05 mai 2022, 21/00361


AFFAIRE : N° RG 21/00361

N° Portalis DBVC-V-B7F-GVZ2

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG en date du 13 Janvier 2021 - RG n° F19/00063









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 05 MAI 2022





APPELANTE :



Fondation BON SAUVEUR DE LA MANCHE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentée par Me Emilie OMONT, avocat au barreau de CHERBOURG





INTIMEE :



Madame [F] [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Laurent MARIN, a...

AFFAIRE : N° RG 21/00361

N° Portalis DBVC-V-B7F-GVZ2

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHERBOURG en date du 13 Janvier 2021 - RG n° F19/00063

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 05 MAI 2022

APPELANTE :

Fondation BON SAUVEUR DE LA MANCHE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Emilie OMONT, avocat au barreau de CHERBOURG

INTIMEE :

Madame [F] [S]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Laurent MARIN, avocat au barreau de COUTANCES

DEBATS : A l'audience publique du 24 février 2022, tenue par Mme DELAHAYE, Président de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, rédacteur

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 05 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er décembre 2012, Mme [F] [S] a été engagée par la Fondation du Bon Sauveur de la Manche en qualité d'aide-soignante ;

Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie du 3 septembre 2013 au 20 septembre 2015 ;

Le 18 novembre 2014, le médecin du travail a déclaré Mme [S] inapte au poste d'aide-soignante ;

Suite à une reconversion professionnelle, elle a obtenu le titre de secrétaire assistante en juin 2017 ;

Par avis du 3 août 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [S] inapte à « poste soignant » et a conclu « poste en secrétariat » ;

Mme [S] a été affectée à un poste d'employée administrative au sein du Pôle ressources enfance de Cherbourg ;

Se plaignant d'être affectée dans un poste vide de toute fonction et de subir une dégradation de son état psychologique, et alors que plusieurs autres postes disponibles ne lui étaient pas proposé, conduisant à une situation de harcèlement moral, elle a, le 8 juillet 2019, saisi le conseil de prud'hommes de Cherbourg lequel par jugement rendu le 13 janvier 2021, a :

- ordonné à la Fondation du Bon Sauveur la mise en place de la procédure de reclassement conformément aux articles L4121-1, L4121-2 et R4624-32 du code du travail, sous astreinte de 5000 € par semaine à compter du lendemain de la présente notification à l'enclenchement de la procédure ;

- condamné la Fondation du Bon Sauveur à verser à Mme [S] la somme de 10 000 € au titre du harcèlement moral subi ;

- condamné la Fondation du Bon Sauveur à verser à Mme [S] la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- rejeté les autres demandes ;

- condamné la Fondation Bon Sauveur aux dépens ;

Par déclaration au greffe du 9 février 2021, la Fondation du Bon Sauveur a formé appel de cette décision qui lui avait été notifié le 15 janvier précédent ;

Par conclusions remises au greffe le 15 février 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, la Fondation Bon Sauveur de la Manche demande à la cour de :

A titre principal

- annuler le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Cherbourg le 13 janvier 2021,

A titre subsidiaire

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Cherbourg le 13 janvier 2021,

En tout état de cause

- constater que la Fondation Bon Sauveur a proposé à Mme [S] plusieurs postes de travail conformes à ses qualifications et à ses exigences,

- constater que Mme [S] n'a donné aucune suite à ces propositions,

- dire qu'aucune pratique constitutive d'un harcèlement moral n'est caractérisée,

En conséquence

- débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [S] à payer à la Fondation Bon Sauveur la somme de 2 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Mme [S] aux éventuels dépens.

Par conclusions remises au greffe le 14 février 2022 et auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel, Mme [S] demande à la cour de :

- confirmer le jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du harcèlement moral ;

- condamner la Fondation du Bon Sauveur à lui payer la somme de 20 000 €au titre du harcèlement moral subi ;

- condamner la Fondation du Bon Sauveur à verser à Mme [S] la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

MOTIFS

I - Sur la nullité du jugement

L'employeur fait valoir l'impartialité de Mme [Z] [G], qui présidait le conseil de prud'hommes de Cherbourg lorsque la décision frappée d'appel a été rendue, compte tenu de sa qualité de représentante syndicale au sein de l'association l'Espérance, avec laquelle une projet de rapprochement est en cours ;

La salariée réplique qu'il n'est pas établi en quoi Mme [G] aurait manqué à son obligation d'impartialité ;

En l'espèce, dans la perspective d'un rapprochement entre les deux structures, un mandat de gestion a été confié à la Fondation Bon Sauveur par l'association l'Espérance, la première gérant au nom et pour le compte de la seconde plusieurs de ses établissements et services. Par ailleurs, le comité social et économique de l'association l'Espérance au sein duquel siège Mme [Z] [G] en qualité de membre titulaire, a abordé ce projet à plusieurs reprises lors de ses réunions depuis l'été 2000. Si les procès-verbaux des réunions mentionnent des interrogations et quelques inquiétudes des membres élus notamment sur le devenir des personnels de l'association, aucun élément ne permet toutefois de déduire que l'attitude ou les propos de Mme [G] ' qui s'est au demeurant très peu exprimée lors de ces réunions -, seraient de nature à faire douter de son impartialité dans le présent litige ;

L'employeur n'indique pas davantage dans ses écritures les éléments concrets lui permettant de douter de l'impartialité de Mme [G] ;

Il convient ainsi de le débouter de sa demande de nullité du jugement ;

II - Sur le harcèlement moral

La salariée soutient que son maintien à un poste fictif, où elle est isolée, sans tâches à accomplir, avec interdiction de parler aux familles, a aggravé son état de santé alors même que l'employeur en était informé ;

L'employeur rappelle qu'il n'a jamais eu l'intention de l'affecter sur un poste fictif, s'agissant d'une création de poste qui s'est finalement révélé sans objet du fait de la pratique mis en place par les usagers eux-mêmes et de l'existence de points d'accueil dans chacun des services du Pôle ;

Il résulte des pièces produites par la salariée, attestations de Mmes [L], [C], [J] et de M. [Y], salariés de la Fondation et pour certains membres du CHSCT, que le poste de travail de la salariée est isolé, derrière un guichet, avec un téléphone non relié à l'extérieur et un ordinateur dépourvu de logiciel de travail. La salariée indiquant sans être contredite qu'elle n'a aucune tâche à accomplir ;

L'employeur a lui-même admis l'inutilité de ce poste puisqu'il indique dans son courrier du 8 novembre 2018 le supprimer, après avoir relevé que ce poste n'a pas l'utilité escomptée puisque le public se dirige vers les services concernés et que les plannings de rendez-vous sont gérés dans les services ;

Or, il appartenait à l'employeur, lorsqu'il a créé ce poste de s'assurer de son utilité et de prendre tout mesure utile en ce sens, ce qu'il ne justifie pas ;

Par ailleurs, il lui appartenait d'autant plus de prendre ces mesures lorsqu'il a été informée de la situation réelle de travail de Mme [S] ;

Sur ce point, il a été destinataire des alertes de la salariée antérieurement au 24 avril 2018, puisque dans sa lettre qu'il a adressé cette date à la salariée, il indique :

« Enfin nous vous avons signifié que l'essai de fonctionnement d'un poste d'agent d'accueil au Pôle Ressources Enfance n'est pas probant et ne répond pas aux besoins des partenaires sur le site. Cette décision intervient suite au constat établi s'appuyant notamment sur les différentes alertes que vous avez communiquées ces derniers mois. En effet, vous avez indiqué notamment l'absence d'attente des usagers de ce type de prestations. Aussi un réaménagement de l'accueil va être mené et le poste d'agent d'accueil va être supprimé dans les semaines à venir. Aussi, en fonction de l'issue donnée à votre candidature à l'EHPAD de [Localité 4], des recherches de reclassement sur un autre poste seront effectuées » ;

De même, dans sa lettre du 8 novembre 2018, l'employeur rappelle concernant le poste d'agent d'accueil PRE, « après une année à ce poste, un bilan s'est imposé. Vous avez expliqué à plusieurs reprises que vous n'étiez pas occupée » ;

Enfin, l'employeur a été encore alerté par les représentants syndicaux puisqu'à l'occasion de la réunion du comité social et économique le 18 septembre 2018, après que l'employeur ait informé de sa décision de modifier le poste, les représentants syndicaux ont rappelé que cette situation existe depuis longtemps et que la salariée se plaint de ne rien avoir à faire ;

Les faits présentés par la salariée sont donc établies ;

Elle produit également les éléments médicaux suivants :

-une lettre du 6 janvier 2022 du Docteur [D] (Service de santé au travail du CHU de Caen) selon laquelle Mme [S] présente un syndrôme anxio dépressif sévère avec une date de première constatation le 8 décembre 2017, en lien avec son activité professionnelle ;

-un certificat du Docteur [T], neurologue, du 11 octobre 2018, indiquant qu'il a constaté une aggravation de son état de fin 2017 à septembre 2018 et a vu son état s'améliorer depuis 3 à 4 semaines correspondant à la prise en charge de ses problèmes professionnels ;

Ces éléments, affectation et maintien dans un poste de travail sans activité et isolé, et les conséquences sur son état de santé de cette situation, font présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

L'employeur n'apporte aucun élément de nature à établir que ces agissements ou décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Le harcèlement moral est donc établi ;

Au vu de ce qui précède, la situation de harcèlement moral subi a occasionné à la salariée un préjudice sur sa santé et sa vie personnelle que les premiers juges ont justement évalué à une somme de 10 000 € de dommages et intérêts ;

III - Sur le reclassement

La fiche d'aptitude complétée par le médecin du travail le 3 août 2017 a été prise dans le cadre d'une visite de reprise pour maladie ou accident non professionnel, et conclut à une aptitude pour un poste en secrétariat ;

Dans ce cadre, l'employeur a proposé à la salariée par courrier du 30 août 2017 un poste d'employée administrative à temps partiel au sein du Pôle Ressources Enfance situé à Cherbourg, puis à temps complet à compter d'octobre sous réserve de l'avis du médecin du travail, donc aucun élément ne permet de considérer qu'il n'ait pas été favorable ;

La salariée a occupé ce poste à compter du mois de septembre 2017 puis a été à nouveau en arrêt de travail le 12 novembre 2018. Elle n'a pas repris son travail à ce jour ;

Par lettre du 2 mars 2018, l'employeur lui a proposé, suite à sa demande de poste en interne pour un poste de secrétaire à l'EPAHD de [Localité 4], d'effectuer un stage de découverte des pratiques au sein du Pôle Personnes Agées du 26 février au 9 mars 2018, suivi d'un autre période de stage du 16 avril au 11 mai 2018, compte tenu des réserves techniques et relationnelles constatées. Il résulte des fiches d'évaluation produites que ce stage n'a pas donné satisfaction ;

A la suite de sa décision de supprimer le poste d'agent d'accueil PRE Cherbourg, l'employeur, après avoir reçu la salariée, a indiqué, au vu de leurs échanges, rechercher un autre poste de reclassement à [Localité 5] ou à [Localité 4], pour un temps de travail de 70%, voire de 50% ;

Le 24 décembre 2018, un poste d'agent d'accueil/standard de nuit à [Localité 5] lui a été proposé, et par lettre du 24 avril 2019, l'employeur lui a indiqué qu'une visite de reprise serait programmée à l'issue de son arrêt de travail pour apprécier son aptitude à exercer ces fonctions ;

L'employeur a communiqué le 13 mars 2019 les caractéristiques de ce poste au médecin du travail (horaires 6H00 à 13H30 et l'après-midi 13H30-21H). Il n'est produit aucune réponse officielle du médecin du travail celui-ci ayant noté de manière manuscrite sur le courriel, qu'après s'être entretenue avec la salariée, que les horaires sont trop contraignants compte tenu de son état de santé ;

Le 6 janvier 2020, l'employeur a proposé, outre ce poste de [Localité 5], un poste identique à [Localité 4] aux mêmes horaires et pour 75 heures ou 106 heures par mois. Les caractéristiques de ce poste ont été transmis au médecin du travail le 24 janvier 2020, qui a noté le refus de la salariée, compte tenu du faible nombres d'heures et du kilométrage important ;

C'est donc à tort que la salariée soutient qu'aucun poste ne lui a été proposé ;

Aucun élément à ce stade ne permet pas ailleurs de considérer que ces postes, par leurs horaires (début à 6h30 pour les horaires du matin, et fin à 21h pour les horaires de l'après-midi) seraient incompatibles avec l'état de santé de la salariée, la réponse du médecin du travail, sollicité à ce titre par l'employeur, n'est pas produite par les parties, et en tout état de cause, ces postes n'ont pas été acceptés par la salariée ;

Par ailleurs, la salariée a été reçue par l'employeur le 27 janvier 2021 et il n'est pas contredit lorsqu'il indique qu'en suite de cet entretien, il été convenu d'attendre les préconisations du médecin du travail, une visite de reprise étant prévue le 4 février suivant, et n'est pas davantage contredit lorsqu'il indique que la salariée ne s'est pas rendue à cette visite de reprise ;

Il résulte de ces éléments que l'employeur a fait un certain nombre de propositions de reclassement.

Il appartiendra à la salariée de tirer les conséquences qu'elle estime utiles d'un éventuel manquement de l'employeur dans le sérieux de sa recherche ou dans la mise en 'uvre des obligations qui lui incombent mais il ne saurait être enjoint à l'employeur de procéder à un reclassement sur des postes dont rien n'établit qu'il en dispose ;

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il enjoint, sous astreinte, la mise en place de la procédure de reclassement ;

IV - Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.

En cause d'appel, la Fondation du Bon Sauveur qui perd le procès sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. En équité, elle réglera, sur ce même fondement, une somme de 1000 € à Mme [S];

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Déboute la Fondation Bon Sauveur de la Manche de sa demande de nullité du jugement ;

Confirme le jugement rendu le par le conseil de prud'hommes de Cherbourg le 13 janvier 2021 sauf en ce qu'il a ordonné à la Fondation du Bon Sauveur la mise en place de la procédure de reclassement conformément aux articles L4121-1, L4121-2 et R4624-32 du code du travail, sous astreinte de 5000 € par semaine à compter du lendemain de la présente notification à l'enclenchement de la procédure ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant ;

Déboute Mme [S] de sa demande tendant à enjoindre à l'employeur, sous astreinte, de procéder à un reclassement sur des postes dont rien n'indique qu'il en dispose ;

Condamne la Fondation Bon Sauveur de la Manche à payer à Mme [S] la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le déboute de sa demande aux mêmes fins ;

Condamne la Fondation Bon Sauveur de la Manche aux dépens d'appel;

LE GREFFIER LE PRESIDENT

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00361
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;21.00361 ?
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