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05/05/2022 | FRANCE | N°20/01599

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 05 mai 2022, 20/01599


AFFAIRE : N° RG 20/01599

N° Portalis DBVC-V-B7E-GSMW

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'AVRANCHES en date du 29 Juillet 2020 - RG n° 19/00021









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 05 MAI 2022





APPELANT :



Monsieur [O] [N]

[Adresse 2]



Représenté par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES




>INTIMEES :



S.A.R.L. VIA

[Adresse 1]



S.A.R.L. VIANO

[Adresse 5]



Représentées par Me Caroline DUPONT, avocat au barreau de CAEN









DEBATS : A l'audience publique du 17 février 2022, tenue par Mme VINOT, ...

AFFAIRE : N° RG 20/01599

N° Portalis DBVC-V-B7E-GSMW

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage d'AVRANCHES en date du 29 Juillet 2020 - RG n° 19/00021

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 05 MAI 2022

APPELANT :

Monsieur [O] [N]

[Adresse 2]

Représenté par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMEES :

S.A.R.L. VIA

[Adresse 1]

S.A.R.L. VIANO

[Adresse 5]

Représentées par Me Caroline DUPONT, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 17 février 2022, tenue par Mme VINOT, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 05 mai 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

M. [O] [N] a été embauché à compter du 30 septembre 2008 par la SARL Via en qualité d'acheteur et vendeur de véhicules automobiles. Le contrat prévoyait un temps de travail de 39H hebdomadaires. Le 2 mai 2014, les parties ont signé un avenant réduisant ce temps de travail à 29H.

A cette même date, M. [N] a été embauché par la SARL Viano en qualité d'acheteur et vendeur de véhicules automobiles à temps partiel (29H selon l'exemplaire du contrat produit par M. [N], 10H selon l'exemplaire produit par la SARL Viano).

Il a été placé en arrêt de travail à compter du 1er décembre 2014.

Le 12 mars 2015, la SARL Viano l'a licencié pour motif économique.

La SARL Viano a décidé de se dissoudre amiablement le 2 février 2015 (mention le 17 mars 2015 au registre du commerce) et a nommé M. [T] comme liquidateur. La société a été radiée le 5 juin 2015 avec effet au 14 avril 2015.

Déclaré inapte à son poste, M. [N] a été licencié le 13 juin 2017 par la SARL Via pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 8 décembre 2015, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avranches d'une requête à l'encontre de la SARL Via et de la SARL Viano tendant à obtenir, notamment, la requalification à temps plein du contrat qui le liait à la SARL Viano, à obtenir sur cette base un rappel de salaire, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour licenciement abusif et tendant à voir la SARL Via condamnée à lui verser un rappel de commissions, à voir résilier le contrat de travail le liant à cette deuxième société et obtenir une indemnité de préavis et des dommages et intérêts.

La SARL Via ayant soutenu que la requête était nulle car la SARL Viano était, selon elle, dépourvue d'existence juridique, M. [N] a obtenu la désignation, le 27 décembre 2017, de M. [T] comme administrateur ad hoc de la SARL Viano et a demandé que ce dernier soit appelé à la cause, ce qui a été fait.

Le 5 septembre 2018, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avranches d'une nouvelle requête contre la SARL Viano prise en la personne de son administrateur ad hoc.

Les deux affaires ont été radiées le 10 décembre 2018 puis réinscrites au rôle le 3 avril 2019 sous le même numéro.

Par jugement du 29 juillet 2020, rendu en formation de départage, le conseil de prud'hommes a prononcé la nullité du licenciement économique notifié par la SARL Viano, a condamné, in solidum, la SARL Via et la SARL Viano à payer à M. [N] : 500€ en réparation du préjudice résultant du non transfert de son contrat de la SARL Viano à la SARL Via, 1 700€ de dommages et intérêts, 800€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, a condamné la SARL Via à payer à M. [N] 3 000€ en réparation des fautes commises dans l'exécution du contrat de travail et a débouté les parties de leurs autres demandes.

M. [N] a interjeté appel du jugement, la SARL Via et la SARL Viano ont interjeté appel incident.

Vu le jugement rendu le 29 juillet 2020 par le conseil de prud'hommes d'Avranches

Vu les dernières conclusions de M. Mouchère, appelant, communiquées et déposées le 9 février 2022, tendant :

- avant toute défense au fond, au principal, à voir la cour se déclarer incompétente pour statuer sur la demande de nullité de la requête introductive du 8 décembre 2015, tendant à voir déclarer irrecevable cette demande de nullité ainsi que 'les demandes de prescription', subsidiairement, tendant à voir le jugement confirmé quant au rejet de ses demandes

- au fond, tendant à voir le jugement confirmé en qu'il a prononcé la nullité du licenciement auquel la SARL Viano a procédé et condamné, in solidum, les deux sociétés aux dépens, tendant pour le surplus à voir le jugement réformé,

- tendant à voir dire nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, le licenciement prononcé par la SARL Viano, à voir condamner in solidum M. [T] ès qualités et la SARL Via à lui verser 15 000€ pour licenciement nul, (subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse), 1 481,82€ bruts (outre les congés payés afférents) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 11 000€ de dommages et intérêts pour 'non respect des seuils de temps de travail', tendant à voir requalifier le contrat avec la SARL Viano en contrat à temps plein, à voir condamner, in solidum, M. [T] ès qualités et la SARL Via, à lui verser 8 426,37€ de rappel de salaire (outre les congés payés afférents), 8 890,90€ d'indemnité pour travail dissimulé, à lui remettre, sous astreinte, une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie rectifiés, tendant à voir 'ordonner la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux',

- tendant, au principal, à voir résilier le contrat de travail avec la SARL Via aux torts de l'employeur, subsidiairement, à voir dire le licenciement nul subsidiairement abusif, à voir la SARL Via condamnée à lui verser 25 395,24€ de dommages et intérêts, 749,52€ (outre les congés payés afférents) de solde d'indemnité de préavis, 3 709,20€ de rappel de commissions (outre les congés payés afférents), tendant à voir requalifier le contrat avec la SARL Via en contrat à temps plein, à voir la SARL Via condamnée à lui verser 2 038,56€ (outre les congés payés afférents) de rappel de salaire, 10 000€ 'pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et en réparation des fautes commises dans l'exécution du contrat de travail', à lui remettre, sous astreinte, une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie rectifiés, tendant à voir 'ordonner la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux'

- tendant à voir les intérêts sur les sommes allouées courir à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et à voir, en application de l'article 700 du code de procédure civile, M. [T] ès qualités et la SARL Via condamnés in solidum à lui verser 4 000€ et la SARL Via seule lui verser 4 000€

Vu les dernières conclusions communes de la SARL Via et de la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc, intimées, communiquées et déposées le 15 février 2022, tendant :

- avant toute défense au fond à voir annuler, subsidiairement réformer, le jugement en ce qu'il les a déboutées de leur demande de nullité de la requête introductive, tendant à voir déclarer cette requête nulle, à voir constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, à voir M. [N] renvoyé 'à mieux se pourvoir' et tendant à voir dire irrecevables les demandes de M. [N] visant à voir la cour se dire incompétente, à voir constater l'absence d'appel incident, et à voir dire irrecevables les demandes de prescription

- au fond tendant à voir le jugement confirmé quant aux déboutés prononcés, subsidiairement, tendant à voir dire prescrite la demande de requalification à temps complet du contrat entre M. [N] et la SARL Viano et la demande de rappel de salaire et d'indemnité pour travail dissimulé en découlant, à le voir réformer pour le surplus, à voir, au principal, dire prescrites les demandes afférentes à la contestation du licenciement prononcé par la SARL Viano, subsidiairement, à voir M. [N] débouté de cette demande,

- tendant à voir M. [N] condamné à verser à la SARL Via 5 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 16 février 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) Sur les nullités et fins de non recevoir

La SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc soulèvent la nullité de la requête introductive du 8 décembre 2015 et l'irrecevabilité subséquente des demandes présentées contre elles.

M. [N] fait valoir que tant cette demande que la demande tendant à voir dire prescrites certaines de ses demandes sont de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état, que, de surcroît, l'appel incident interjeté par les deux sociétés sur ces points n'est pas 'valable'.

' Les objections formées par M. [N] ont déjà été examinées par le conseiller de la mise en état qui, par ordonnance du 7 octobre 2021 (qui n'a pas fait l'objet d'un déféré et qui est donc définitive) a dit que c'était la cour d'appel qui était compétente pour statuer sur la nullité soulevée par la SARL Via et la SARL Viano, que leur appel incident était recevable et emportait effet dévolutif. Il n'y a donc pas lieu d'examiner à nouveau ces demandes, irrecevables à raison de l'autorité de la chose jugée.

' Malgré sa liquidation et sa radiation du registre du commerce, la SARL Viano conserve sa personnalité morale aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas tous liquidés. En conséquence, M. [N] qui s'estime créancier de cette société pouvait agir contre elle malgré la clôture de la liquidation.

La requête déposée le 8 décembre 2015 devant le conseil de prud'hommes et visant la SARL Via 'prise en la personne de ses représentants légaux' était atteinte néanmoins d'une nullité de fond puisque les 'représentants légaux' de la SARL Viano n'avaient plus, alors, le pouvoir de la représenter. Toutefois, la cause de la nullité avait disparu au moment où le conseil de prud'hommes a statué le 29 juillet 2020. En effet, un administrateur ad hoc avait été désigné pour représenter la SARL Viano puis attrait à la cause à la demande de M. [N] lequel a conclu, le 17 janvier 2018, à son encontre, Dès lors, le conseil de prud'hommes a considéré, à juste titre, par application de l'article 121 du code de procédure civile, qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la nullité de cette requête. Il conviendra toutefois de mentionner cette décision, la réponse à cette demande ne figurant pas dans le dispositif du jugement.

La SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc seront donc déboutées de leur demande de nullité de la requête introductive et de la conséquence qu'elles entendaient en tirer sur l'absence d'effet dévolutif de l'appel.

2) Sur la 'solidarité' des deux sociétés

M. [N] invoque une 'solidarité' des deux sociétés, d'une part, parce qu'il estime qu'il se trouvait dans une situation de co-emploi à leur égard, d'autre part, parce qu'il estime que l'activité de la SARL Viano a été transférée au moment de sa cessation d'activité à la SARL Via.

Des explications données par les parties, il ressort les points suivants.

La SARL Via exploite un fonds de commerce de vente d'automobiles à [Localité 3]. Elle a deux gérants MM [T] et [U]. Ces deux gérants ont créé, le 17 septembre 2013, une seconde sociét ,la SARL Viano, pour exploiter un autre fonds de commerce d'automobiles à St Hilaire du Harcouët.

A partir de mai 2014, M. [N] a travaillé exclusivement sur ce site où il était le seul salarié. Il est constant qu'il y vendait des automobiles appartenant à l'une ou l'autre société et effectuait aussi des opérations de cession d'automobiles entre ces deux sociétés. Il disposait d'ailleurs du tampon des deux sociétés. Les gérants étant les mêmes, le pouvoir hiérarchique était unique et s'exerçait indifféremment voire cumulativement au nom de l'une ou l'autre société. Dès lors, même si M. [N] disposait de deux contrats de travail répartissant son temps de travail de manière arbitraire entre ses deux employeurs, la situation réelle a, en fait, correspondu à un contrat de travail unique avec deux employeurs conjoints, pendant la période du 2 mai 2014 au 12 mars 2015.

M. [N] est donc fondé, pendant cette période, à se prévaloir d'une solidarité de ses deux employeurs conjoints quant aux sommes qui pourraient lui être dues.

Il n'y a pas lieu d'examiner le second fondement invoqué par M. [N] au soutien de cette demande de solidarité.

3) Sur les demandes formées contre la SARL Via et la SARL Viano

3-1) Au titre de l'exécution du contrat de travail

3-1-1) Sur la demande de requalification du contrat à temps plein

M. [N] réclame à ce titre des rappels de salaire, pendant la période d'exécution du contrat avec la SARL Viano de mai 2014 à avril 2015, salaires prescrits selon la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc.

' Sur la prescription

M. [N] a introduit son action à l'encontre des deux sociétés par une requête du 8 décembre 2015. Bien que cette requête ait été atteinte d'une nullité de fond, au demeurant réparée avant que le juge ne statue, elle a interrompu la prescription. Dès lors, les demandes de rappel de salaire formées par M. [N] pour la période de mai 2014 à avril 2015 ne sont pas prescrites et sont donc recevables.

' Sur le fond

Il existe deux versions du contrat de travail liant M. [N] à la SARL Viano, l'une mentionnant 29H de travail, l'autre mentionnant 10H de travail. Dans la mesure où parallèlement, le temps de travail prévu dans le contrat initial le liant à la SARL Via a été abaissé à 29 H, que M. [N] ne prétend pas qu'il travaillait 58H hebdomadaires et a fortiori n'en apporte pas la preuve, il y a lieu de retenir que le temps de travail prévu dans ce contrat était bien de 10H, le temps de travail initial de M. [N] (39H) se trouvant ainsi maintenu, après mai 2014, grâce au cumul des deux contrats.

M. [N] fait valoir que la répartition du temps de travail n'est pas prévue dans le contrat, qu'ainsi ce contrat est présumé être à temps plein.

Dans la mesure toutefois où il a été retenu, à la demande de M. [N], qu'il avait travaillé pendant la période de mai 2014 à avril 2015 dans le cadre d'un contrat unique avec deux employeurs conjoints, la mention d'un temps de travail partiel dans les contrats conclus avec chacun des deux employeurs est sans conséquence, puisqu'il est constant que, dans le cadre de ce contrat unique, M. [N] a travaillé 39H et a été rémunéré à hauteur de ce temps complet (sans majoration toutefois des heures supplémentaires mais aucune demande n'est formée à ce titre). Il sera donc débouté de sa demande de rappel de salaire et de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé fondée sur la seule mention d'un nombre d'heures inférieur au nombre d'heures travaillées sur les bulletins de paie.

3-1-2) Sur la demande de dommages et intérêts pour dépassement des seuils légaux

M. [N] réclame des dommages et intérêts pour le non respect des seuils légaux de travail et de repos.

Si la preuve du respect de ces seuils incombe bien à l'employeur, il appartient, à tout le moins, au salarié d'énoncer les manquements dont il se plaint et de préciser quand ces manquements seraient intervenus.

En l'espèce, M. [N] se contente de prétendre que n'étaient pas respecté ses temps de repos hebdomadaires parce qu'il était disponible le dimanche pour des rendez-vous avec des clients, journaliers parce qu'il allait chercher des pièces détachées pendant ses pauses déjeuner et 'pour exemple lorsqu'il était déposé par 6H40 au train de [Localité 4] et rentrait dans la nuit suivante mais reprenait malgré tout son travail à 9H au site de St Hilaire'.

M. [N] ne précise pas quels dimanches il aurait effectivement été amené à travailler et ne donne pas son emploi du temps de la semaine correspondante ce qui ne permet pas d'en déduire le non respect d'un temps de travail hebdomadaire. Le temps de pause obligatoire est de 20MN toutes les six heures, en l'absence de toute précision le fait d'avoir dû, à une fréquence et à des dates non précisées, aller chercher des pièces détachées pendant la pause méridienne ne permet pas d'en déduire le non respect de cette obligation. Enfin, il semble résulter de l'exemple donné que M. [N] aurait pris le train pour son travail un matin à 6H40, serait rentré dans la nuit et aurait travaillé le lendemain matin. La date de ce fait n'est pas précisé. En outre, les seuls éléments donnés ne permettent pas de retenir le non respect du repos quotidien. En effet, seule une fin de travail après 22H aurait porté atteinte à l'obligation d'un repos quotidien de 11H or ce point n'est pas indiqué.

En conséquence, faute d'éléments, M. [N] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

3-2) Sur la rupture du contrat de travail

M. [N] a été licencié par la SARL Viano 'en raison des difficultés économiques dues à la conjoncture actuelle défavorable ayant pour conséquence la liquidation de la SARL Viano'.

Puisque M. [N] était en fait lié par un contrat de travail unique avec deux employeurs conjoints, la liquidation de la SARL Viano et sa cessation d'activité ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement. Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse (et non pas nul, M. [N] n'invoquant d'ailleurs aucune cause de nullité au soutien de cette demande).

' M. [N] réclame une indemnité compensatrice de préavis d'un mois soit un complément par rapport à l'indemnité d'un mois qui lui a été versée.

La SARL Via ne soutient ni que l'indemnité due ne serait que d'un mois, ni que le salarié, alors en arrêt maladie, n'était pas en mesure d'effectuer ce préavis, il sera donc fait droit à cette demande.

Dans la mesure où parallèlement à la rupture de ce contrat, le contrat avec la SARL Via (pour lequel il travaillait 125,60H mensuelles) s'est poursuivi, M. [N] n'est fondé à obtenir une indemnité compensatrice de préavis qu'à hauteur du temps de travail complémentaire (43,40H) pour lequel il était payé par la SARL Viano soit compte tenu du taux horaire (9,77€) un rappel à ce titre de 424,02€ (outre les congés payés afférents) .

' Le préjudice financier occasionné à M. [N] par la rupture du contrat avec la SARL Viano est théoriquement constitué par le manque à gagner en résultant à hauteur de 424,02€ mensuels. M. [N] ayant toutefois été placé en arrêt de travail à compter du 1er décembre 2014 et ce jusqu'à son licenciement par la SARL Via et ne percevant plus alors de salaire, y compris au titre du maintien de salaire, son préjudice financier effectif est inexistant.

Il y a donc lieu de réparer uniquement le préjudice moral lié à ce licenciement qui sera évalué à 1 000€.

Conformément à ce qui a été déterminé précédemment, la SARL Via et la SARL Viano seront condamnées in solidum au paiement de ces sommes.

4) Sur les demande formées à l'encontre de la SARL Via

4-1) Au titre de l'exécution du contrat de travail

4-1-1) Sur les commissions

M. [N] demande un rappel de commissions pour la période de janvier 2011 à décembre 2014.

La SARL Via soulève la prescription des demandes antérieures au 13 juin 2014 (soit antérieures de plus de 3 ans à la rupture du contrat de travail) et soutient, pour le surplus, que cette demande est infondée.

' Sur la prescription

Pour les commissions dues avant le 17 juin 2013, date d'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, une prescription quinquennale a commencé à courir. Cette prescription s'est interrompue le 17 juin 2013 et une nouvelle prescription de 3 ans a commencé à courir.

Lorsque, le 8 décembre 2015, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes (date d'interruption de la prescription comme analysé ci-dessus), aucun rappel de commission n'était prescrit. En effet, le délai écoulé entre le 17 juin 2013 et le 8 décembre 2015 était inférieur à 3 ans et le cumul du délai écoulé avant et après cette date était inférieur à 5 ans, durée de la prescription quinquennale antérieure.

La demande de M. [N] est donc recevable en son intégralité.

' Sur le fond

Le contrat de travail prévoit le versement d'une 'commission brute de 15% sur la marge nette des ventes de véhicules, après sortie de garantie, que vous aurez réalisée, sous réserve que le prix de vente soit encaissé par la société et que celui-ci ne soit pas nettement inférieur à celui fixé par le direction et qu'il n'y ait pas eu d'avantage supplémentaire accordé sauf accord exprès de la direction'.

La commission se calcule donc sur une marge nette ce qui suppose que soient déduits les différents frais supportés par la société -y compris pendant la période de garantie- et que différentes conditions soient remplies (prix encaissé, pas 'nettement inférieur' au prix fixé, pas d'octroi d'avantages non avalisés par la direction). Il n'est pas prévu, en revanche, si la marge sur un véhicule s'avère négative que le salarié en supporte 15% venant en déduction des commissions positives acquises au cours du mois. Or, malgré ses dénégations, c'est précisément ce que la SARL Via a fait à plusieurs reprises au vu des tableaux produits par M. [N] et non contestés par l'employeur.

Ainsi, par exemple, le 16 mars 2011, une Alfa GT a été vendue 13 500€ alors que son prix de revient était de 15 517,02€ ce qui, après déduction d'une TVA négative de 245,82€, a généré une marge négative de 1 7771,20€. Cette marge négative a été imputée à hauteur de 15% à M. [N] et la somme correspondante (265,68€) est venue en déduction du total de ses commissions du mois.

Cette pratique est contraire aux prévisions contractuelles. M. [N] est donc fondé à obtenir un rappel de commissions à hauteur des marges négatives qui ont abusivement amputé son droit à commissions.

Contrairement à ce qu'indique la SARL Via, il n'est pas 'impossible de contrôler le montant' réclamé par M. [N] puisqu'il produit, pour toute la période concernée, les tableaux de commission afférents à chaque mois, tableaux dont la SARL Via ne conteste pas la validité.

Après contrôle, le rappel dû s'élève en :

- 2011 à 1 171,99€ (266,29€ en mars, 4,27€ en mai, 449,4€ en juin, 9,48€ en août, 127,98€ en septembre, 90,31€ en novembre et 112,50€ en décembre),

- 2012 à 1 331,91€ (204,43€ en janvier, 186,03€ en février, 218,46€ en mars, 198,45€ en avril, 94,66€ en juin, 345,63€ en juillet, 40,77€ en août et 43,48€ en décembre)

- 2013 à 418,13€ (52,85€ en janvier, 19,60€ en mars, 109,62€ en avril, 7,09€ en juin, 39,10€ en août, 42,47€ en septembre, 43,73€ en octobre et 93,67€ en décembre)

- 2014 à 283,03€ (104,99€ en janvier, 54,45€ en mai, 55,29€ en juin, 3,49€ en juillet, 64,81€ en novembre)

soit un total de 3 205,06€ bruts (outre les congés payés afférents).

4-1-2) Sur la requalification du contrat à temps plein

Pour les mêmes raisons que celles déjà exposées en ce qui concerne la SARL Viano, M. [N] sera débouté de sa demande de requalification de son contrat avec la SARL Via, à temps partiel depuis mai 2014, et de sa demande de rappel de salaires en découlant.

4-1-3) Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail

M. [N] reproche à la SARL Via de ne pas lui avoir payé toutes les commissions dues malgré ses demandes réitérées, de l'avoir surchargé de travail, il indique avoir subi de la part des gérants des ordres et contrordres, des propos humiliants, agressifs, des brimades, d'avoir faussement été accusé de vol ce qui a dégradé sa santé et conduit un syndrome d'épuisement professionnel reconnu comme maladie professionnelle.

' Il est établi que la SARL Via ne lui a pas payé toutes les commissions dues. La SARL Via admet que son salarié lui a demandé à plusieurs reprises ce paiement , demandes réitérées que la SARL Via qualifie dans ses conclusions d' 'entêtement' et de 'harcèlement' qui ont 'fini par créer des tensions' qui 'se sont accrues avec l'insistance de M. [N]' les 19 , 28 et 29 novembre 2014.

' M. [N] n'établit pas de surcharge de travail. En effet, les attestations qu'il produit indiquent qu'il était présent sur le site de St Hilaire du Harcouët aux heures d'ouverture du garage (soit 31,5H hebdomadaires) et, comme indiqué précédemment, il n'apporte aucune précision permettant de retenir un non respect des seuils légaux de travail ou de repos.

' L'attitude qu'il reproche aux gérants à son égard (ordres et contrordres, propos humiliants, agressifs, brimades, fausse accusation de vol) ne ressort que de se propres déclarations relatées dans ses pièces 26 et 36. Il produit également deux attestations émanant de connaissances qui indiquent qu'il se plaignait de harcèlement moral de la part de ses patrons. Toutefois, ces personnes ne font que rapporter ses propos sans plus de précisions sur le harcèlement qui aurait été subi. Ces éléments ne sauraient suffire à établir la réalité de l'attitude reprochée aux gérants.

' M. [N] produit les attestations de deux amis passés au garage le 29 novembre 2014. Ceux-ci ont indiqué qu'il n'était pas dans son état normal, qu'ils l'ont vu pleurer de manière inexpliquée. Ils lui ont conseillé d'aller consulter un médecin.

Le 29 novembre 2014, M. [N] s'est effectivement présenté à l'hôpital où il a été hospitalisé jusqu'au 1er décembre 2014 suite à un syndrome dépressif dû, selon les indications données aux médecins, à un conflit avec ses employeurs. Il a alors été noté l'absence d'antécédents notables. Il a, à nouveau, été hospitalisé du 12 janvier au 12 février 2015 en hôpital psychiatrique pour un épisode dépressif sévère réactionnel à un burn out qui s'est instauré progressivement suite à une situation conflictuelle professionnelle selon les éléments médicaux produits.

Les arrêts de travail mentionnent comme cause de l'arrêt de travail un épisode dépressif majeur dans un contexte de conflit professionnel.

Le 30 janvier 2018, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Caen a reconnu que le taux d'incapacité de M. [N] était suffisant pour reconnaître l'existence d'une maladie professionnelle (la prise en charge à ce titre par la CPAM ayant initialement été refusée à raison d'un taux d'incapacité inférieur à 25%). La CPAM, suite à ce jugement, a accepté de prendre en charge la pathologie de M. [N] au titre de maladies professionnelles, la commission de recours amiable a rejeté, le 8 novembre 2021, le recours formé par la SARL Via à l'encontre de cette décision. La SARL Via a formé un recours contre cette décision, enregistré le 10 janvier 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Coutances.

La SARL Via a manqué à ses obligations, d'une part, en appliquant des marges négatives non prévues contractuellement, d'autre part, en refusant, de manière réitérée, leur remboursement, enfin, en laissant s'instaurer une situation conflictuelle entre les gérants et M. [N] dont la SARL Via elle-même convient. Cette tension s'est aggravée selon la société elle-même entre le 19 et le 29 novembre 2014 dans les jours voire le jour même où M. [N] a dû être hospitalisé.

Ces manquements ont entraîné un préjudice moral qui justifie, à titre de réparations, l'octroi de 2 000€ de dommages et intérêts.

4-2) Sur la rupture du contrat de travail

Il convient tout d'abord d'examiner la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail puis, le cas échéant, la demande tendant à voir dire le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

' M. [N] motive sa demande de résiliation judiciaire à raison des manquements ci-dessus examinés. Ces manquements sont suffisamment graves, compte tenu de leur répercussion sur la santé de M. [N] durablement affectée par les tensions subies, pour justifier la rupture du contrat de travail. La résiliation du contrat de travail sera donc prononcée aux torts de l'employeur avec effet à la date du licenciement.

M. [N] réclame que cette résiliation produise les effets d'un licenciement 'nul ou abusif'. Puisqu'il ne prétend pas avoir subi un harcèlement moral ou toute autre circonstance susceptible de voir la résiliation du contrat produire les effets d'un licenciement nul, cette résiliation produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

' M. [N] réclame un solde d'indemnité compensatrice de préavis. La société prétend que M. [N] aurait déjà perçu une indemnité de préavis. Toutefois, ni le reçu pour solde de tout compte, ni l'attestation Pôle Emploi ne mentionnent le versement d'une telle indemnité. En conséquence, la SARL Via ne contestant pas le principe même de cette indemnité mais soutenant à tort l'avoir payée, il sera fait droit à la demande pour le montant sollicité.

' La SARL Via employant selon les indications de M. [N] moins de 10 salariés, M. [N] peut prétendre à des dommages et intérêts évalués en fonction de son préjudice.

Il indique avoir perçu des allocations de chômage de son licenciement à sa retraite le 1er février 2020, il en justifie pour les mois d'octobre et novembre 2017 et février 2019.

Compte tenu de ces renseignements, des autres élément connus : son âge (59 ans), son ancienneté (8 ans et 8 mois), son salaire moyen (2 096,54€ au cours des 12 derniers mois travaillés au vu de l'attestation Pôle Emploi et après réintégration des rappels de commissions afférentes à cette période), il y a lieu de lui allouer 18 000€ de dommages et intérêts.

5) Sur les points annexes

' Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la SARL Via et la SARL Viano de leur première convocation en décembre 2015 devant le bureau de conciliation à l'exception des sommes accordées à titre de dommages et intérêts qui produiront intérêt à compter de la date du présent arrêt (rien ne justifiant, comme le réclame M. [N], qu'il soit dérogé au principe posé par l'article 1231-7 du code civil).

' La SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc seront tenues in solidum de remettre à M. [N], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, une attestation Pôle Emploi rectifiée à raison du licenciement prononcé par la SARL Viano.

La SARL Via devra remettre à M. [N] dans le délai d'un mois, un bulletin de paie complémentaire par année, une attestation Pôle Emploi rectifiée. La présente décision n'entraînant pas de modification du certificat de travail, il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'un nouveau certificat de travail.

En l'absence d'éléments permettant de craindre l'inexécution de ces mesures, il n'y a pas lieu de les assortir d'une astreinte.

' La condamnation de l'employeur à des sommes brutes lui impose, d'une part, de verser au salarié le salaire net correspondant, d'autre part, de verser les cotisations incluses dans ce salaire brut aux organismes sociaux. Dès lors, il est inutile d'ordonner, comme le demande M. [N], 'la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux'.

' Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [N] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc seront condamnées, in solidum, à lui verser 3 000€.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Infirme le jugement

- Statuant à nouveau

- Déclare irrecevables les exception d'incompétences et fins de non recevoir soulevées par M. [N]

- Rejette l'exception de nullité de la requête introductive soulevée par la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc

- Condamne in solidum la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc à verser à M. [N] :

- 424,02€ bruts outre 42,40€ bruts au titre des congés payés afférents au titre de l'indemnité compensatrice de préavis avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la SARL Via et la SARL Viano de leur première convocation en décembre 2015 devant le bureau de conciliation

- 1 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Prononce la résiliation du contrat de travail entre M. [N] et la SARL Via avec effet à la date du licenciement

- Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Condamne la SARL Via à verser à M. [N] :

- 3 205,06€ bruts de rappel de commissions outre 320,51€ bruts au titre des congés payés afférents

- 749,52€ brus au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 74,95€ bruts au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la SARL Via et la SARL Viano de leur première convocation en décembre 2015 devant le bureau de conciliation

- 2 000€ de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 18 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt

- Dit que la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc seront tenues in solidum de remettre à M. [N], dans le délai d'un mois à compter de la date du présent arrêt, une attestation Pôle Emploi rectifiée à raison du licenciement prononcé par la SARL Viano.

- Dit que la SARL Via devra remettre à M. [N] dans le délai d'un mois, un bulletin de paie complémentaire par année, une attestation Pôle Emploi rectifiée

- Déboute M. [N] du surplus de ses demandes principales

- Condamne in solidum la SARL Via et la SARL Viano représentée par M. [T] son administrateur ad hoc à verser à M. [N] 3 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile

- Les condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. ALAIN L. DELAHAYE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 20/01599
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;20.01599 ?
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