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28/04/2022 | FRANCE | N°21/00713

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 3, 28 avril 2022, 21/00713


AFFAIRE : N° RG 21/00713

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWYI

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pole social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 09 Février 2021 - RG n° 18/00834









COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRET DU 28 AVRIL 2022





APPELANTE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par M. [B], mandat

é





INTIMEE :



Madame [M] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Dominique LECOMTE, substitué par Me DOREL, avocats au barreau de CAEN







DEBATS : A l'audience publique du 07 fév...

AFFAIRE : N° RG 21/00713

N° Portalis DBVC-V-B7F-GWYI

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Pole social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 09 Février 2021 - RG n° 18/00834

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRET DU 28 AVRIL 2022

APPELANTE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par M. [B], mandaté

INTIMEE :

Madame [M] [N]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Dominique LECOMTE, substitué par Me DOREL, avocats au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 07 février 2022, tenue par Mme ACHARIAN, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme GOULARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme CHAUX, Présidente de Chambre,

Mme ACHARIAN, Conseiller,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement le 28 avril 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados d'un jugement rendu le 9 février 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Caen dans une affaire l'opposant à Mme [M] [N].

EXPOSE DU LITIGE

Mme [M] [N] a été victime d'un accident de trajet le 22 novembre 2010, déclaré le 7 décembre 2010 et pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse) au titre de la législation professionnelle, par décision du 10 janvier 2011. Le certificat médical initial fait état d'une entorse du rachis cervical et d'une luxation du coccyx.

A la suite de cet accident, la victime a déclaré deux rechutes, également prises en charge par la caisse les 4 juillet 2014 et 27 septembre 2017.

Le 10 avril 2018, l'assurée a déclaré une rechute de l'accident de trajet survenu le 22 novembre 2010 et déclaré le 7 décembre 2010.

La caisse a refusé de prendre en charge cette rechute au titre de la législation professionnelle par décision du 16 mai 2018 au motif qu'aucune modification de l'état de santé consécutif à l'accident de trajet ne justifie des soins ou une incapacité de travail.

Saisie par Mme [N] et après une mesure d'expertise, la commission de recours amiable de la caisse, par décision du 13 novembre 2018, a maintenu cette décision et confirmé les conclusions de l'expert.

Le tribunal de grande instance de Caen, statuant sur la contestation de cette décision par jugement du 20 septembre 2019, a :

- ordonné une expertise confiée à M. [R], médecin expert,

- dit que la caisse réglera les frais d'expertise,

- dit que les parties seront convoquées à la première audience utile suivant le dépôt du rapport d'expertise,

- réservé les dépens, honoraires et frais liés à l'expertise.

Le rapport d'expertise a été déposé le 18 décembre 2019.

Par jugement du 9 février 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Caen a :

- infirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse qui a maintenu le refus de prise en charge de la rechute déclarée le 10 avril 2018 de l'accident du travail dont a été victime Mme [N] le 22 novembre 2010,

- dit que cette rechute doit être prise en charge au titre de la législation professionnelle ainsi que les arrêts de travail subséquents,

- renvoyé Mme [N] devant la caisse pour être remplie de ses droits, la caisse étant tenue de lui verser les indemnités journalières liées à la nouvelle période comprise entre le 10 avril 2018 et le 11 septembre 2018,

- dit que ces sommes produiront intérêt légal à compter du 13 novembre 2018,

- condamné la caisse à verser à Mme [N] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la caisse aux dépens.

La caisse a interjeté appel de cette décision par déclaration du 9 mars 2021.

Par dernières conclusions déposées le 10 mars 2021, soutenues oralement à l'audience par son représentant dûment mandaté, la caisse demande à la cour :

- d'infirmer le jugement déféré,

- de dire que c'est à bon droit que la caisse a refusé de prendre en charge la rechute du 10 avril 2018, aucune aggravation de l'état de santé n'ayant été constatée par le médecin conseil et l'expert judiciaire,

Subsidiairement :

- d'ordonner une nouvelle expertise,

En tout état de cause :

- de débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 29 juillet 2021, soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [N] demande à la cour :

- de confirmer la décision entreprise en ce qui concerne l'infirmation de la décision du 13 novembre 2018 et la condamnation de la caisse au paiement d'une 'indemnité article 700 à hauteur de 1 500 euros',

- de réformer la décision entreprise s'agissant du rejet des demandes indemnitaires présentées,

Statuant de nouveau :

- d'annuler la décision de la commission de recours amiable du 13 novembre 2018 et celle de la caisse du 10 avril 2018,

- de dire qu'il existe un lien direct et certain entre la rechute déclarée et l'accident du travail du 22 novembre 2010,

- de déclarer la décision commune et opposable à la caisse et de dire qu'il lui appartient de lui verser les indemnités journalières liées à la nouvelle période comprise entre le 10 avril et le 11 septembre 2018,

- de dire que les sommes dues porteront intérêt au taux légal à compter du 10 octobre 2018 et condamner la caisse au paiement des sommes correspondantes,

- de renvoyer la caisse à procéder à l'évaluation des séquelles résultant de cette aggravation, tenant compte des troubles psychiques évoqués par les différents experts précédemment saisis,

- de condamner la caisse au paiement d'une somme de 5 000 euros pour préjudice moral,

- de condamner la caisse au règlement de la somme de 4 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé aux conclusions pour un exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article L. 443-1 du code de la sécurité sociale dispose que toute modification de l'état de la victime, dont la première constatation médicale est postérieure à la date de guérison apparente ou de consolidation de la blessure, peut donner lieu à une nouvelle fixation des réparations.

L'article L. 443-2 du même code prévoit que si l'aggravation entraîne pour la victime la nécessité d'un traitement médical, qu'il y ait ou non une nouvelle incapacité temporaire, la caisse primaire d'assurance maladie statue sur la prise en charge de la rechute.

Il est admis que seules peuvent être prises en compte, à titre de rechute, l'aggravation ou les nouvelles lésions en lien de causalité direct et exclusif avec l'accident de travail et non les troubles qui, en l'absence d'aggravation de l'état de la victime, ne constituent qu'une manifestation des séquelles.

La cour est donc amenée à rechercher, suivant demande de la caisse, si l'état de la victime, depuis la précédente date de consolidation, s'est modifié dans le sens d'une aggravation et si cette aggravation présente un lien de causalité direct et exclusif avec l'accident du travail précédemment pris en charge.

La dernière rechute de Mme [N] a été déclarée consolidée le 22 mars 2018, avant une nouvelle déclaration, le 10 avril 2018.

Le 31 août 2018, le médecin expert de la caisse, M. [Z], saisi à la demande de l'assurée, a répondu non à la mission suivante : 'dire si à la date du 20 avril 2018, il existait une aggravation de l'état liée à l'accident du 22 novembre 2010 et survenue depuis la consolidation du 22 mars 2018 et si cette modification justifiait une incapacité temporaire totale de travail.'

Dans son rapport d'expertise du 6 octobre 2019, M. [R], expert désigné par les premiers juges, indique : 'Mme [N] souffre de douleurs chroniques pelvi-périnéales invalidantes. Il s'en suit une multitude de consultations, examens et traitements pour essayer de contrôler ce syndrome douloureux. La symptomatologie actuelle est la conséquence directe de l'accident du travail du 22 novembre 2010 dont elle a été victime.

[...] on peut soutenir l'affirmation selon laquelle ladite rechute diagnostiquée est en lien exclusif avec l'accident du travail du 22 novembre 2010.

[...] au sein d'une telle symptomatologie intriquée , il est difficile de planter une borne pour fixer une évolution dans un objectif médico-légal ; le Dr [Y] explique la situation : 'la persistance d'une gêne permanente accompagnée du sentiment de ne pas être reconnue dans sa souffrance et son handicap à sa juste proportion réduisent les possibilités d'amélioration à moyen terme'.

On ne peut que constater un continuum conséquence l'accident de 2010.'

Si l'on peut retenir, contrairement à ce qu'ont écrit les premiers juges, que le médecin expert de la caisse et le médecin désigné pour effectuer l'expertise judiciaire n'ont pas constaté l'existence d'une aggravation liée à un syndrome anxio-dépressif dans l'état de Mme [N], d'autres éléments médicaux relèvent le contraire, selon examens réalisés en présence de la patiente.

Ainsi, selon les documents médicaux consultés par M. [R], expert judiciaire, l'assurée a produit en mai 2015 des attestations de membres de sa famille décrivant de bonnes relations et aucun souci dans le cadre familial.

Selon l'expertise, le certificat médical final de rechute, établi le 5 octobre 2015, notait une fragilité psychologique depuis l'accident de voiture.

Le premier document médical mentionnant un syndrome dépressif est le certificat médical de rechute établi le 10 avril 2018 par Mme [T], médecin généraliste, décrivant des douleurs persistantes et un syndrome dépressif réactionnel à cet état.

Il est suivi d'une consultation auprès de M. [Y] [F], psychiatre, et d'une prescription d'antidépresseurs renouvelée jusqu'au 15 août 2018. Ce dernier indique, dans un certificat du 8 juin 2018, suivre Mme [N] en consultation dans le cadre d'une répercussion anxio-dépressive consécutive à des troubles neurologiques sensitifs et moteurs post-traumatiques de la région sacro-coccygienne.

Le 7 mai 2018, M. [S], médecin conseil de la caisse, dans son rapport médical de révision du taux d'incapacité permanente partielle, relève des troubles anxio-dépressifs réactionnels.

Mme [H], rhumatologue, écrit également, le 19 juin 2018, 'suivre en consultation Mme [N] en raison d'une coccygectomie suite accident de trajet du 22 novembre 2010 ayant entraîné une fracture compliquée de douleurs neurologiques dans le territoire des nerfs pudendal droit et gauche et clunéal inférieur droit maintenant. Le tout est associé à un syndrome dépressif réactionnel.'

Le 10 septembre 2018, Mme [T], médecin généraliste, évoque les mêmes douleurs et un syndrome dépressif réactionnel.

Le 21 septembre 2018, M. [Y] [F], médecin psychiatre, écrit : 'l'arrêt de travail de Mme [N] est lié à l'aggravation de l'état anxio-dépressif réactionnel aux symptômes douloureux chroniques dus à son accident de la voie publique de 2010. Cette décompensation ayant entraîné un état dépressif majeur caractérisé au mois de mai 2018 nécessitant pour la première fois la mise en place d'un traitement antidépresseur.'

Ce médecin prolonge le traitement antidépresseur pour trois mois en décembre 2018 ainsi que l'arrêt de travail pour dépression sévère.

Enfin, après d'autres documents évoquant un syndrome dépressif réactionnel, M. [Y] [F], psychiatre, atteste de la façon suivante : 'la rechute du 10 avril 2018 est motivée par la présence d'un état dépressif caractérisé. Sa survenue est due à la majoration progressive de troubles anxieux associés à des ruminations obsessionnelles. Le trouble anxieux avait déjà été signalé dans un certificat du 5 octobre 2015, décrit comme une fragilité psychologique. Bien qu'il n'existe pas à la date de l'accident, il est en lien avec toutes les complications qui en ont découlé. Cependant l'état dépressif caractérisé qui s'est d'ailleurs chronicisé représente un fait nouveau avec un nouveau traitement spécifique, puisque cette patiente n'a aucun antécédent de ce type dans le passé même lointain et constitue une aggravation par rapport à l'état antérieur de consolidation du 22 mars 2018".

Mme [T], médecin généraliste, écrit le 30 avril 2021 : 'Mme [N] présente depuis avril 2018 un syndrome dépressif réactionnel aux douleurs chroniques et au handicap (difficulté à rester en position assise) survenues à la suite de l'accident de la voie publique et du travail du 22 novembre 2010. En effet, l'accident puis les douleurs chroniques (douleurs sacro-coccygiennes, cervicales, lombaires, fessières, sciatalgie droite...) ont d'abord été responsables d'une fragilité psychologique, puis, à partir d'avril 2018, d'un syndrome dépressif nécessitant une prise en charge médicamenteuse et un suivi par M. [Y], psychiatre.'

Il ressort de ces pièces qu'après le premier constat le 5 octobre 2015, d'une fragilité psychologique en lien avec l'accident du 22 novembre 2010, cet état déclaré consolidé au 22 mars 2018 s'est aggravé pour devenir un syndrome anxio-dépressif réactionnel à la douleur causé par les lésions dues à l'accident de trajet.

Il s'agit d'une modification de l'état de l'assurée dont le lien certain et direct avec l'accident initial du 22 novembre 2010 n'est pas contesté par le service médical de la caisse.

En conséquence, il conviendra de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la caisse devra prendre en charge, au titre d'une rechute, la soins et arrêts de travail présentés par Mme [N] à compter du 10 avril 2018.

L'allocation de sommes dues au titre de la rechute étant fondée sur la production des certificats médicaux rédigés en 2021 et produits pour la première fois en cause d'appel, ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

Il est constant que Mme [N] a subi un préjudice moral lié à la nécessité d'agir systématiquement en justice pour faire reconnaître son état et faire valoir ses droits. Ce préjudice est attesté par les certificats médicaux indiquant qu'elle a le sentiment de n'être pas reconnue en qualité de victime. Il est ainsi noté que 'la patiente présente un syndrome d'épuisement psychique réactionnel de par les douleurs physiques chroniques et leur pénibilité quotidienne, les diverses investigations cliniques et soins techniques nécessaires ainsi que les démarches administratives diverses à gérer.'

M. [Y] [F] écrit également, le 24 avril 2019, 'la persistance d'une gêne permanente accompagnée du sentiment de ne pas être reconnue dans sa souffrance et son handicap à sa juste proportion réduisent les possibilités d'amélioration à moyen terme.'

Il conviendra ainsi de condamner la caisse à verser à Mme [N] la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Partie succombante, la caisse sera condamnée aux dépens, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé sur ce point.

La caisse sera également condamnée à verser à Mme [N] la somme de 2 000 euros pour les frais irrépétibles exposés en appel, le jugement déféré étant par ailleurs confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts légaux au 13 novembre 2018 et rejeté la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral,

L'infirme sur ces points,

Statuant à nouveau :

Dit que les sommes dues par la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados produiront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados à verser à Mme [N] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral,

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados aux dépens d'appel,

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados à régler à Mme [N] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 3
Numéro d'arrêt : 21/00713
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;21.00713 ?
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