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28/04/2022 | FRANCE | N°21/00379

France | France, Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 1, 28 avril 2022, 21/00379


AFFAIRE : N° RG 21/00379

N° Portalis DBVC-V-B7F-GV24

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Cherbourg en date du 27 Janvier 2021 - RG n° 20/00131







COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 28 AVRIL 2022









APPELANTE :



Association AGS - CGEA DE ROUEN

[Adresse 5]

[Localité 8]



Représentée par Me Julie POMAR, avocat au

barreau de CAEN







INTIMEES :



Madame [D] [I] représentée par la SARL Trajectoire, mandataire ad'hoc, [Adresse 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 14118002202...

AFFAIRE : N° RG 21/00379

N° Portalis DBVC-V-B7F-GV24

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Cherbourg en date du 27 Janvier 2021 - RG n° 20/00131

COUR D'APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 1

ARRET DU 28 AVRIL 2022

APPELANTE :

Association AGS - CGEA DE ROUEN

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Julie POMAR, avocat au barreau de CAEN

INTIMEES :

Madame [D] [I] représentée par la SARL Trajectoire, mandataire ad'hoc, [Adresse 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022021001987 du 29/04/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de [Localité 7])

Représentée par Me Elodie AYRAL, avocat au barreau de CHERBOURG

E.U.R.L. RAPID PIZZA, représentée par la S.E.L.A.R.L. SBCMJ SELARL SBCMJ-BRUNO [E] es qualité de mandataire liquidateur, [Adresse 2]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 14 février 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme ALAIN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller, rédacteur

Mme VINOT, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 28 avril 2022 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier

FAITS ET PROCÉDURE

Au terme d'une lettre d'engagement du 1er octobre 2007, l'EURL Rapid' Pizza a embauché Mme [D] [I] à compter de cette date en qualité de caissière.

Le 25 février 2019, l'EURL Rapid' Pizza a été placée en liquidation judiciaire. Le 11 mars 2019, le mandataire liquidateur de l'EURL Rapid' Pizza a adressé à Mme [I] une lettre de licenciement pour motif économique puis l'a informée, le 26 mars 2019, qu'il ne lui reconnaissait pas la qualité de salarié et, qu'en conséquence, les arriérés de salaire et sommes figurant sur le solde de tout compte ne seraient pas prises en charge par l'AGS-CGEA de [Localité 8].

Le 12 juin 2019, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Cherbourg pour voir fixer au passif de la liquidation judiciaire de l'EURL Rapid' Pizza diverses créances au titre de salaires restés impayés et au titre des indemnités de rupture.

Le 14 octobre 2019, le tribunal de commerce de Cherbourg a étendu la procédure de liquidation judiciaire de l'EURL Rapid' Pizza à Mme [I].

La SARL Trajectoire a été désignée comme mandataire ad hoc de Mme [I].

Par jugement du 27 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a condamné Me [E] ès qualités à verser à Mme [I] : 8 707,88€ nets d'arriérés de salaire (outre les congés payés afférents), 11 584,65€ d'indemnité compensatrice de congés payé, 4 841,84€ d'indemnité de licenciement, 3 042,50€ bruts (outre les congés payés afférents) d'indemnité compensatrice de préavis, a ordonné la remise, sous astreinte, d'un solde de tout compte, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi, a déclaré le jugement commun et opposable à l'AGS-CGEA de Rouen.

L'AGS-CGEA de [Localité 8] a interjeté appel du jugement, Mme [I] a formé appel incident.

Vu le jugement rendu le 27 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Cherbourg

Vu les dernières conclusions de l'AGS-CGEA de Rouen, appelante, communiquées et déposées le 9 mars 2021, tendant à voir le jugement réformé, tendant à voir la cour se déclarer incompétente et renvoyer la SARL Trajectoire ès qualités à mieux se pourvoir, à titre principal, devant le tribunal de commerce de Caen, subsidiairement, devant le tribunal de grande instance de Caen, tendant, très subsidiairement, à voir la SARL Trajectoire, ès qualités, déboutée de sa demande au titre du rappel de salaires et de l'indemnité compensatrice de congés payés, et s'en rapportant à justice quant aux indemnités de rupture, tendant, en tout état de cause, à ne se voir déclarer l'arrêt à intervenir opposable que dans les seules limites de la garantie légale et des plafonds applicables

Vu les dernières conclusions de Mme [I], intimée et appelante incidente, représentée par la SARL Trajectoire, mandataire ad hoc, communiquées et déposées le 8 juin 2021, tendant à voir le jugement confirmé en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail, en ce qu'il s'est reconnu compétent et quant à la remise de documents sous astreinte, tendant pour le surplus à voir le jugement réformé, et à voir fixer au passif de l'EURL Rapid' Pizza : 8 707,88€ nets (outre les congés payés afférents) au titre des arriérés de salaires; 11 584,35€ bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, 3 042,50€ bruts (outre les congés payés afférents) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, tendant à voir déclarer l'arrêt commun et opposable à l'AGS-CGEA de Rouen dans les limites de sa garantie légale

Vu les dernières conclusions de l'EURL Rapid' Pizza, représentée par la SELARL [E], sa mandataire liquidatrice, intimée, communiquées et déposées le 17 mars 2021, tendant à voir le jugement réformé, tendant, au principal, à voir la cour se déclarer incompétente et renvoyer la SARL Trajectoire ès qualités devant le tribunal de commerce de Caen, subsidiairement,à voir constater l'extinction de l'éventuelle créance de Mme [I] par l'effet du jugement d'extension de liquidation judiciaire et à la voir déboutée 'quoi qu'il en soit' de ses demandes, tendant à voir déclarer l'arrêt 'commun et opposable' à l'AGS-CGEA de Rouen

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 2 février 2022

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il existe un contrat de travail apparent entre l'EURL Rapid' Pizza et Mme [I] à raison de la lettre d'embauche, de la déclaration préalable à l'embauche, des bulletins de paie établis.

Il appartient en conséquence à l'EURL Rapid' Pizza et à l'AGS-CGEA de [Localité 8] d'établir que ce contrat de travail serait fictif. Elle font valoir que Mme [I], compagne du gérant de l'EURL Rapid' Pizza, occupait un poste sur dimensionné par rapport à la taille de la structure, a laissé impayés plusieurs mois de salaire sans agir, a cumulé un nombre important de jours de congés payés non pris, s'est impliquée dans le procédure collective, a proposé de renoncer à une part de ce qui lui était dû, a repris à son compte une partie de l'activité de l'EURL Rapid' Pizza .

' Mme [I], initialement embauchée comme caissière niveau 1 échelon 1 de la convention collective nationale de la restauration rapide, était employée, au moins depuis janvier 2018, comme assistante de direction. Le nombre de salariés (4) et la taille de l'entreprise ne justifiait pas un tel poste. Toutefois, malgré cet intitulé, Mme [I] était seulement classée au niveau 1 échelon 2 et payée au SMIC horaire. M. [T] salarié de l'entreprise, atteste qu'elle a effectué au fil du temps des tâches diverses : caissière, comptable, livreuse ainsi que des courses pour l'entreprise.

Dès lors, il n'est établi, ni l'existence d'un poste fictif, ni qu'elle aurait été surpayée -ce qui aurait pu caractériser un statut anormal dans l'entreprise- ni qu'elle aurait exercé des tâches de direction.

' Les salaires de Mme [I] sont restés impayés à hauteur de 44,66% en mars et avril 2018, de 14,19% en mai 2018, et en totalité de novembre 2018 à février 2019 générant un manque à gagner de 8 707,88€ nets.

M. [T], salarié de l'entreprise, a attesté 'être dans la même situation que Mme [I] par rapport au non versement de plusieurs de mes salaires'. En l'absence d'éléments chiffrés, il n'est pas toutefois établi que ses créances aient atteint un montant aussi important.

' Le nombre de jours de congés payés acquis par Mme [I] au 28 février 2019 atteignait 165 jours, ce qui correspond à l'accumulation de 5,5 ans de congés payés non pris.

Cette situation est anormale soit parce qu'elle correspond à une absence de congés payés dont la salariée ne s'est jamais plainte soit parce qu'elle suppose que Mme [I] a pris des congés payés qui n'ont pas été décomptés par la société. Elle ne correspond pas, en toute hypothèse, à la situation ordinaire d'un salarié. Mme [I] ne s'explique sur les raison de cette situation.

' Lors de l'audience du 25 février 2019, où était évoquée la révocation du plan d'apurement du passif arrêté par jugement du 10 décembre 2012, le tribunal de commerce a noté que M. [S], gérant de l'EURL Rapid' Pizza avait comparu avec sa compagne Mme [I], tous deux assistés d'un avocat, et qu'ils avaient été entendus en leurs explications.

Hormis cette indication, portée selon Mme [I] par erreur, il n'est pas indiqué par le mandataire liquidateur que Mme [I] se serait impliquée d'une manière ou d'une autre dans la procédure collective mise en place.

' L'EURL Rapid' Pizza, représentée par la SELARL [E], produit un engagement pris par Mme [I], daté du 19 mars 2019, aux termes duquel elle indique ne pas ester en justice si ses salaires, sa prime d'ancienneté et les congés payés dus pour la période du 1er juin 2017 à mars 2019 étaient réglés.

L'EURL Rapid' Pizza prétend tirer de cet engagement la preuve que Mme [I] aurait convenu de la singularité de son statut puisqu'elle renonçait ainsi à 'une partie de sa prétendue créance salariale'.

Il est constant toutefois qu'à cette date, Mme [I] était informée que la mandataire liquidatrice et l'AGS-CGEA de [Localité 8] refusaient de payer ses arriérés de salaire et ses indemnités de rupture. Elle a dès lors légitimement pu préférer obtenir immédiatement une partie de ce qui lui était dû plutôt que d'agir en justice pour essayer d'obtenir le tout. Il ne saurait être déduit de conséquence particulière de ce choix.

' Il ressort du jugement d'extension de la procédure de liquidation judiciaire rendu le 14 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Cherbourg les points suivants :

Mme [I] a débuté, le 15 novembre 2018, alors qu'elle était théoriquement encore salariée de l'EURL Rapid' Pizza, une activité de livraison de boissons et s'est immatriculée au registre du commerce et des sociétés. Elle a exercé cette activité, qui était antérieurement une branche de l'activité de l'EURL Rapid' Pizza, sous l'enseigne 'Rapid'drink' en utilisant le stock de boissons de l'EURL Rapid' Pizza.

Le tribunal a considéré que cette situation, qui ne présentait pas d'intérêt avéré pour l'EURL Rapid' Pizza, caractérisait une confusion de patrimoine entre cette société et Mme [I].

L'EURL Rapid' Pizza, censée être son employeur a laissé ainsi Mme [I] créer une activité partiellement concurrente, avec une enseigne susceptible de créer une confusion avec sa propre activité, alimentée par le stock de l'entreprise sans réagir. Cette situation n'apparaît pas compatible avec l'existence d'un lien de subordination mais peut correspondre à la situation de deux concubins co-gérants de fait d'une entreprise en difficulté dont l'un crée une entreprise pour essayer de poursuivre une partie de l'activité.

Dès lors les éléments significatifs établis (salaires partiellement ou totalement impayés pendant 7 mois pour un total de 8 707,88€ nets, cumul de 165 jours de congés payés non pris sans réclamation de Mme [I] à ces titres, présence et audition par le tribunal de commerce lors de la révocation du plan d'apurement du passif, reprise en nom personnel d'une partie de l'activité de l'EURL Rapid' Pizza avec le stock de l'entreprise ce qui a conduit le tribunal de commerce à étendre la liquidation judiciaire à son égard) conduisent à considérer le contrat de travail comme fictif.

Mme [I] soutient en réplique qu'elle travaillait bien sous la subordination de son compagnon et produit divers éléments pour en justifier (attestation, SMS échangés avec M. [S], jugement).

M. [T], salarié dans l'entreprise, écrit que M. [S] est autoritaire et dirigeait seul l'entreprise. Il en ressort que selon cet attestant Mme [I] ne co-dirigeait pas l'entreprise, en revanche, il ne saurait pour autant en être déduit que Mme [I] agissait sous la subordination de M. [S].

Les échanges de SMS produits (quatre échanges entre le 9 novembre 2015 et le 8 février 2016 entre M. [S] ou l'EURL Rapid' Pizza et Mme [I]) font état de comptes-rendus de Mme [I] et de questions posées par M. [S] ou de demandes de tâches à effectuer (faire un bordereau de virement, passer une annone pour recruter...). Ces échanges sont insuffisants tant dans le fond que dans la forme pour établir l'existence d'un lien de subordination.

Mme [I] justifie que M. [S] a été condamné le 9 décembre 2014 pour agression sexuelle et violences à son encontre entre septembre 2011 et septembre 2014. Ces faits intervenus dans le cadre de la vie privée plus de 4 ans avant la période pour laquelle Mme [I] réclame des rappels de salaire ne suffissent toutefois pas pour en déduire que Mme [I] était sous la subordination de son compagnon dans le cadre de l'entreprise et spécialement pour la période concernée par la demande.

En conséquence, Mme [I] n'apporte pas d'éléments permettant de remettre en cause la fictivité du contrat de travail résultant des éléments avancés par l'EURL Rapid' Pizza et l'AGS-CGEA de [Localité 8].

Dès lors, faute de contrat de travail, il y a lieu, non de renvoyer l'affaire devant un tribunal de commerce (qui aurait été, en l'espèce, celui de Cherbourg et non de Caen), mais de débouter Mme [I] de ses demandes qui, en l'absence de contrat de travail, s'avèrent infondées.

En effet, compte tenu de l'objet de la demande (demandes de rappel de salaire et indemnités de rupture du contrat de travail), le conseil de prud'hommes en première instance était seul compétent pour statuer sur ces demandes. De surcroît même si le tribunal de commerce avait été compétent en première instance, c'est la cour juridiction d'appel du tribunal de commerce qui avait compétence pour statuer sur la demande en application de l'article 90 du code de procédure civile.

DÉCISION

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

- Infirme le jugement

- Statuant à nouveau

- Déboute Mme [I] représentée par la SARL Trajectoire, mandataire ad hoc, de ses demandes

- La condamne aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionelle

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

M. [X] L. [W]


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Chambre sociale section 1
Numéro d'arrêt : 21/00379
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;21.00379 ?
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