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03/07/2008 | FRANCE | N°06/01615

France | France, Cour d'appel de Caen, 03 juillet 2008, 06/01615


AFFAIRE : N RG 06/01615
Code Aff. :
ARRÊT N
MH NP




ORIGINE : DECISION en date du 24 Avril 2006 du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG - RG no 01/1168




COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE - SECTION CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 03 JUILLET 2008




APPELANTE :


LA S.A. RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE -SOREDIC-
3 E rue de Paris
35510 CESSON SEVIGNE
prise en la personne de son représentant légal


représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués
assistée de la SCP CLEMENT D

E COLOMBIERES BOULCH, avocats au barreau de CHERBOURG


INTIMEE :


LA S.A.R.L. CAFE-CINEMA DU GRAND BALCON

...

50100 CHERBOURG
prise en la pers...

AFFAIRE : N RG 06/01615
Code Aff. :
ARRÊT N
MH NP

ORIGINE : DECISION en date du 24 Avril 2006 du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG - RG no 01/1168

COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE - SECTION CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 03 JUILLET 2008

APPELANTE :

LA S.A. RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE -SOREDIC-
3 E rue de Paris
35510 CESSON SEVIGNE
prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués
assistée de la SCP CLEMENT DE COLOMBIERES BOULCH, avocats au barreau de CHERBOURG

INTIMEE :

LA S.A.R.L. CAFE-CINEMA DU GRAND BALCON

...

50100 CHERBOURG
prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jean .TESNIERE, avoué
assistée de Me Catherine LAURENT- ANNE, avocat au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame HOLMAN, Conseiller, faisant fonction de Président, rédacteur,
Madame BOISSEL DOMBREVAL, Conseiller,
Madame VALLANSAN, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 22 Mai 2008

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2008 et signé par Madame HOLMAN, Conseiller, faisant fonction de Président, et Mme LE GALL, Greffier

La SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE (SOREDIC) a interjeté appel du jugement rendu le 24 avril 2006 par le tribunal de grande instance de CHERBOURG dans un litige l'opposant à la SARL CAFE DU GRAND BALCON.

* *
*
Aux termes d'un contrat intitulé "bail d'habitation plus tous commerces" des 16 et 23 décembre 1982, M. Y... a donné à bail à la SA "LE GRAND BALCON" une maison à usage d'habitation et de commerce ....

Dans l'immeuble objet de ce bail était également exploitée une salle de cinéma, au rez-de-chaussée et au fond, s'accédant par un couloir situé à gauche de l'immeuble.

Cet acte stipulait que : "La société anonyme LE GRAND BALCON aura droit de passage dans le hall ou couloir servant d'accès au cinéma, pour elle, ses employés, ses clients, ses fournisseurs, à l'exclusion des marchandises notamment les liquides et le charbon, sans pouvoir y laisser rien stationner et à charge de contribuer à son nettoyage".

Ce droit de passage s'exerçait "dans le hall ou couloir servant d'accès au cinéma", couloir situé au numéro 51 de la rue Maréchal Foch.

Par acte du 6 janvier 1984, M. Y... a vendu ledit immeuble à la SCI DU VAL DE SAIRE, dont le représentant légal était M. Joseph Z....

Par contrat du 15 juillet 1986, la SCI DU VAL DE SAIRE a consenti à la SARL SOCIETE NOUVELLE DU CENTRAL CINEMA (SNCC), un contrat de bail à construction aux termes duquel, "les locaux, objet du bail à construction, sont composés de l'ensemble des locaux appartenant à la SCI DU VAL DE SAIRE, rue Maréchal Foch", dont l'objet était la restructuration des locaux et la création d'un complexe de cinq salles de cinéma. Il était précisé dans cet acte au paragraphe : "Désignation des locaux objet du bail à construction" que : "Toutefois, et à titre de condition essentielle et déterminante des présentes, le preneur s'oblige à consentir conjointement avec la SCI DU VAL DE SAIRE une sous-location à titre commercial d'une durée de douze années, renouvelable par périodes de neuf ans en conformité du décret du 30 septembre 1953 et de tous textes subséquents, à la SARL CAFE DU GRAND BALCON, (...), une surface de quinze mètres carrés à prendre dans l'immeuble à l'emplacement de l'ancien couloir de cinéma CENTRAL, à gauche face à la façade, le long du pignon de l'immeuble séparant le cinéma de la pharmacie voisine".

La société CAFE DU GRAND BALCON a donné, par contrat du 4 décembre 1986, la gérance libre à la SNCC de son fonds de commerce de snack-bar.

Par jugement du tribunal de commerce de CHERBOURG du 4 août 1989, la SNCC a été mise en redressement judiciaire, lequel a été étendu à la SCI DU VAL DE SAIRE par jugement du 15 février 1991.

Par jugement du 30 juillet 1991, le tribunal de commerce de CHERBOURG a arrêté un plan de cession totale de l'entreprise à la société SOREDIC.

L'acte de cession de l'immeuble et du fonds de commerce a été régularisé le 2 septembre 1991.

Par jugement du 5 février 1993, le tribunal de CHERBOURG a constaté l'acquisition de la clause résolutoire et ordonné l'expulsion de la SNCC du fonds de commerce de snack-bar.

La SOREDIC a formé tierce opposition contre ce jugement.

Par jugement du 25 mars 1994, le tribunal de commerce de CHERBOURG a déclaré la SA SOREDIC recevable en sa tierce opposition mais l'a déclarée mal fondée et l'a déboutée de ses demandes.

Par acte du 5 octobre 2001, la SARL CAFE DU GRAND BALCON a fait assigner la SA SOREDIC devant le tribunal de grande instance de CHERBOURG aux fins de voir :

- ordonner la cessation de la voie de fait commise par la SA SOREDIC du fait de la construction d'un mur obstruant l'entrée du snack-bar exploité par la société CAFE DU GRAND BALCON,

- ordonner la démolition de ce mur et la remise en l'état initial sous astreinte définitive de 1.000 F par jour de retard,

- ordonner la remise des clés par la SA SOREDIC de l'entrée commerciale, de la porte extérieure menant à la cave et du bureau du siège sociale de la SARL CAFE DU GRAND BALCON dans les cinq jours suivant la décision à intervenir sous la même astreinte,

- condamner la SA SOREDIC à lui payer la somme de 8.000 F en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Après divers recours, par arrêt du 23 avril 2003, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société SOREDIC à l'encontre de l'arrêt rendu le 4 avril 2000 par la Cour d'appel de ROUEN ayant confirmé le jugement du 25 mars 1994.

Par le jugement déféré, assorti de l'exécution provisoire, -laquelle a été suspendue par ordonnance de M. Le Premier Président du 7 novembre 2006-, le tribunal a :

- ordonné à la SA SOREDIC de démolir le mur construit séparant le local réservé à l'exploitation du snack-bar du hall des cinémas, et de remettre les lieux en leur état initial, sous astreinte définitive de 100 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification du jugement,

- ordonné à la SA SOREDIC de remettre à la SARL CAFE DU GRAND BALCON les clefs de l'entrée commerciale principale de l'Odéon Central, les clefs de la porte extérieure de la cave, celles de la porte située entre le sas menant à la cave et au bar, dans un délai de quinze jours après la signification du jugement sous la même astreinte,

- condamné la SA SOREDIC à payer à la SARL CAFE DU GRAND BALCON la somme de 20.000 € de dommages et intérêts pour préjudice commercial avec intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2001, et celle de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* *
*

Vu les écritures signifiées :

* le 20 mai 2008 par la société SOREDIC qui conclut à l'infirmation du jugement, à l'irrecevabilité de l'action, subsidiairement au débouté des réclamations et demande reconventionnellement le prononcé de la résolution du contrat de location-gérance à compter du 7 novembre 1986 outre paiement d'une somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* le 15 mai 2008 par la société CAFE DU GRAND BALCON qui conclut à la réformation du jugement en ses dispositions relatives à la remise des clés et au montant des dommages et intérêts, et demande également remise de la clé du bureau du siège social de la société CAFE DU GRAND BALCON, et paiement des sommes de 30.000 € en réparation du préjudice commercial, 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour

attitude et résistance abusive, à la confirmation du jugement en ses autres dispositions et demande paiement d'une somme complémentaire de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

* *
*

I Sur la recevabilité des réclamations

La société SOREDIC soutient que les demandes de la société CAFE DU GRAND BALCON à son encontre sont devenues sans objet puisque par acte du 22 décembre 2005 elle a cédé l'immeuble litigieux à la Ville de CHERBOURG.

Cependant, aux termes de l'acte de vente (page 5) la société SOREDIC a déclaré "faire son affaire personnelle de toutes les réclamations présentées par la société CAFE DU GRAND BALCON, à quelque titre que ce soit, se rapportant à la période antérieure au transfert de propriété de l'immeuble et a donné son accord pour prendre en charge le coût des travaux de démolition du mur séparant le local réservé à l'exploitation du snack-bar du hall des cinémas et des travaux de remise en état correspondants, dans l'hypothèse où cette démolition serait ordonnée judiciairement". Le départ de la société SOREDIC et le transfert de propriété de l'immeuble ne rendent donc pas sans objet les demandes contre cette société.

L'exception d'irrecevabilité, infondée, sera rejetée.

II Sur l'existence du bail et la validité du contrat de gérance

La SOREDIC soutient que le bail sur lequel la société CAFE DU GRAND BALCON fonde sa demande n'existe plus d'une part comme ayant été résilié à l'amiable, fait dont la société CAFE DU GRAND BALCON a fait l'aveu judiciaire dans ses écritures devant le Tribunal, d'autre part à raison de la disparition de l'objet du bail commercial, enfin au motif de l'absence d'exploitation de l'activité de bar-brasserie.

Il n'est plus contesté devant la Cour que le droit de passage tel que défini dans le bail de 1982 n'existe plus.

Par ailleurs, aux termes du bail à construction daté du 15 juillet 1986, il était prévu la "restauration" comportant la "création d'un complexe de cinq salles de cinéma d'une contenance de ... mille cent cinquante quatre fauteuils, nécessitant une refonte des locaux de la SCI DU VAL DE SAIRE", le coût de l'opération étant arrêté à la somme de 7.402.935 F.

Il a été ainsi opéré une modification totale de la répartition des surfaces, des structures et des volumes.

Cependant, il ne saurait être tiré de ces modifications l'existence d'une résiliation amiable ou d'une disparition de l'objet du bail comme prétendu par la société SOREDIC.

En effet, la clause spécifique du contrat du 15 juillet 1986, ci-dessus précisée, établit la volonté expresse tant de la SCI DU VAL DE SAIRE que de la SNCC de maintenir l'activité de la SARL CAFE DU GRAND BALCON dans les locaux litigieux, conformément aux dispositions applicables au droit de la propriété commerciale.

De même, la signature, le 4 décembre 1986, du contrat de gérance libre, consenti par la société CAFE DU GRAND BALCON à la société SNCC, aux droits de laquelle vient la société SOREDIC démontre la commune intention des parties de poursuivre le bail, support de la location gérance.

Il est d'ailleurs produit aux débats les factures émises par la société SOREDIC pour l'année 1992 ainsi libellées : "loyer suivant bail et avenant de modification du 29 mai 1984", ce qui vaut reconnaissance de la pérennité des relations contractuelles.

Il est constant qu'aucun acte de sous-location n'a été signé en exécution de la clause du contrat du 15 juillet 1986.

Cependant cette constatation faite par la société CAFE DU GRAND BALCON dans ses écrits de procédure ne saurait valoir aveu judiciaire de l'inexistence ou de la disparition du bail alors qu'elle a toujours prétendu qu'en l'absence de régularisation d'un tel acte, le bail s'était poursuivi "selon les conditions initiales".

Par ailleurs, la restructuration, même importante, des locaux, ne peut être assimilée, comme prétendu par la société SOREDIC, à une démolition, laquelle ne peut s'entendre que d'une destruction, et la SOREDIC est en conséquence infondée à solliciter l'application de l'article 16 du bail de 1982, aux termes duquel le bail sera résilié de plein droit sans indemnité" si l'immeuble devait être démoli".

Enfin l'assiette du bail initial si elle a été modifiée n'a pas disparu comme prétendu par la société SOREDIC puisque les surfaces demeurent et qu'il était contractuellement prévu une réaffectation.

Concernant l'objet du bail, la société SOREDIC admet dans ses écritures qu'il était déterminé comme "l'exercice de tous commerces et notamment l'exploitation d'un fonds de commerce de café-hôtel-restaurant".

Or, par arrêts de la Cour d'appel de ROUEN du 4 avril 2000 et de la Cour d'appel de CAEN du 23 octobre 2003, il a été irrévocablement jugé que malgré l'exploitation dans les mêmes lieux, de salles de cinéma, la société CAFE DU GRAND BALCON disposait d'une clientèle spécifique constituant l'élément essentiel d'un fonds de commerce, caractérisant l'existence propre du fonds lui appartenant.

Alors que le bail était "tous commerces", la société SOREDIC est dès lors infondée à prétendre que l'objet du bail aurait disparu au seul motif que l'activité "hôtel-restaurant" a été remplacée par celle de "snack", puisque, nonobstant cette modification économique -qui ne pourrait être discutée que dans le cadre d'un litige relatif à l'application des règles de la despécialisation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce- l'objet du bail tel que ci-dessus défini perdurait.

Par ailleurs, le tribunal a justement considéré que l'article 1723 du code civil n'étant pas d'ordre public, seul le preneur peut s'en prévaloir, ce qu'il s'est abstenu de faire, et que le bail ne peut être considéré comme résilié pour ce motif.

La SOREDIC soutient également que le bail a été résilié de plein droit en conséquence du non paiement des loyers par la société CAFE DU GRAND BALCON.

Cependant, en application des dispositions légales relatives aux baux commerciaux la résiliation d'un bail pour ce motif est régie par une procédure spécifique que le bailleur ne justifie pas en l'espèce avoir mise en oeuvre. Ce moyen est en conséquence infondé.

Enfin, la société SOREDIC soutient que l'action de la société CAFE DU GRAND BALCON, qui avait pour but de lui permettre d'exploiter la clientèle de son fonds de commerce en bénéficiant de "la commercialité d'environnement", de l'apport de clientèle fréquentant les salles de cinéma voisines exploitées par la SOREDIC ne se justifie plus puisque d'une part l'ensemble du complexe de cinémas est resté fermé pendant plus d'un an, et personne n'y avait accès, d'autre part l'immeuble a été vendu et les salles de cinéma sont désormais exploitées par une société tierce locataire du nouveau propriétaire, la Ville de CHERBOURG.

Cependant, il a été irrévocablement jugé par la Cour d'appel de ROUEN que si les chances d'affaires du snack-bar étaient évidemment liées à l'activité du complexe cinématographique, cette activité procurait seulement au dit snack-bar la commercialité d'environnement inhérente à l'exploitation même d'un fonds, que l'inclusion matérielle d'une activité dans une autre qui lui sert de cadre n'est nullement incompatible avec l'existence d'une clientèle propre et que le snack-bar disposait d'une telle clientèle, élément essentiel de son fonds de commerce.

La SOREDIC est donc infondée à prétendre que le défaut d'exploitation consécutif à la fermeture du complexe cinématographique aurait entraîné la disparition du fonds de snack-bar.

Par ailleurs, en exécution de la clause figurant à l'acte de vente du 22 décembre 2005, ci-dessus précisée, le départ de la SOREDIC et le transfert de propriété de l'immeuble ne rendent pas sans objet les réclamations de la société CAFE DU GRAND BALCON à l'encontre de la société SOREDIC.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il doit être considéré d'une part que l'objet du bail initial n'a pas disparu, d'autre part que nonobstant les termes inappropriés du contrat du 15 juillet 1986 "l'immeuble objet des présentes est libre de toute location", la preuve n'est pas rapportée d'une résiliation amiable du bail, mais au contraire de la commune intention des parties de poursuivre l'exécution du bail de 1982 modifié par avenant du 29 mai 1984.

En conséquence le jugement sera confirmé sur l'existence du bail, étant précisé d'une part que contrairement aux allégations de la société appelante, il ne peut être tiré aucune conséquence du défaut de production des actes de vente de l'immeuble daté de 1930, et de l'acte de cession du fonds entre la SNC EDEN CINEMA et la SNCC daté d'octobre 1985, ces pièces étant sans intérêt pour la solution du litige, d'autre part que la société CAFE DU GRAND BALCON, qui était titulaire d'un bail pouvait valablement conclure le contrat de gérance du 4 décembre 1986 et le jugement sera également confirmé de ce chef.

III Sur les demandes de la société CAFE DU GRAND BALCON

La démolition du mur

La SA SOREDIC a fait édifier une cloison séparative entre l'espace restauration et le hall du cinéma.

La SA SOREDIC soutient qu'elle pouvait parfaitement faire édifier une telle cloison dans la mesure où cette cloison est conforme aux normes d'isolation en matière d'incendie et a fait l'objet d'une étude de faisabilité, avant réalisation, à sa demande, et ce alors que la clientèle de la société CAFE DU GRAND BALCON dispose d'un accès indépendant par le numéro 51 de la rue.

Cependant, il a été irrévocablement jugé par arrêt de la Cour de CAEN du 23 octobre 2003 qu'entre janvier et mars 2001 la société SOREDIC a fait édifier un mur dans le hall d'entrée du cinéma et ce non pour permettre -ainsi qu'elle le prétend fallacieusement- l'exploitation en totale indépendance de la société CAFE DU GRAND BALCON puisque le snack-bar est désormais privé de tout accès au public, mais pour mettre obstacle à toute possibilité d'exploitation, et que si le rapport du service de sécurité incendie conclut que ces travaux offrent toute garantie de sécurité pour le public de l'établissement cinématographique, ce fait est étranger aux possibilités commerciales d'exploitation du bar, agissements fautifs, que la société SOREDIC a été condamnée à réparer.

L'édification d'une telle cloison étant constitutive d'une voie de fait, le tribunal a justement ordonné la démolition et le jugement sera confirmé de ce chef.

La remise dés clés

La SARL CAFE DU GRAND BALCON sollicite que lui soit remise la clef des locaux d'exploitation et d'un bureau servant de siège social.

Il résulte des photographies et des actes produits que lors du bail d'origine il n'existait qu'un seul accès à l'ensemble de l'immeuble, situé au numéro 51, et que le numéro 51 bis a été créé lors de la transformation des lieux en 1986, sans ventilation entre les deux lots.

Il a été irrévocablement jugé par les arrêts précités que le numéro 51 bis constitue le seul accès au public desservant l'entrée au hall de cinéma et au snack-bar situé dans ce hall et que la SOREDIC a changé les serrures de la porte d'accès principale et conservé les nouvelles clés malgré les réclamations de la société CAFE DU GRAND BALCON (courriers du 6 novembre, 15 novembre, 22 novembre 1991, 6 mai 1994).

Dans la mesure où l'exploitation du snack-bar est implantée dans l'enceinte des locaux d'exploitation du cinéma, la SA SOREDIC se doit de permettre à son preneur d'avoir accès librement à son commerce, notamment par l'entrée commerciale principale afin de lui permettre d'exploiter son fonds de commerce, les horaires d'ouverture du snack-bar et du cinéma étant différents.

La SA SOREDIC a donc été justement condamnée à remettre les clefs de l'entrée principale située au numéro 51 bis ainsi que les clefs des portes desservies par la porte située au numéro 51, et le jugement sera confirmé de ce chef.

Concernant la clé du bureau, le tribunal a rejeté la demande au motif qu'aux termes du constat d'huissier le siège social de la société CAFE DU GRAND BALCON se situait au numéro 51 alors que le bureau par lui revendiqué se trouve au 51 bis.

Cependant, il a été irrévocablement jugé par l'arrêt du 23 octobre 2003 que concernant, le local situé à mi-étage, la société SOREDIC s'en est déclarée propriétaire pour l'avoir acquis lors de la cession, que cependant, il n'était pas expressément inclus dans l'acte de cession, que l'expert a constaté qu'il constituait le siège social de la société CAFE DU GRAND BALCON et que toutes les archives commerciales, sociales et juridiques y étaient entreposées, situation nécessairement antérieure à la cession puisque postérieurement à cette date la société CAFE DU GRAND BALCON n'a plus eu accès à ces locaux.

Pour ces motifs, la SOREDIC a été condamnée au paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à libération effective des lieux occupés sans droit ni titre par la SOREDIC, dont la société CAFE DU GRAND BALCON était injustement privée.

Sa réclamation en remise des clés de ce bureau est donc fondée et le jugement sera réformé de ce chef étant précisé de nouveau que nonobstant la vente de l'immeuble la société CAFE DU GRAND BALCON reste recevable, en application de la clause figurant à l'acte du 22 décembre 2005, à adresser ses réclamations à la SOREDIC.

Cependant, aux termes de l'article 34 de la loi du 9 juillet 1991, une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire. C'est donc à tort que le tribunal a ordonné des astreintes définitives, le jugement sera réformé sur ce point et les astreintes ordonnées à titre provisoire.

La réparation du préjudice commercial

Il a été irrévocablement jugé par l'arrêt du 23 octobre 2003 que la société CAFE DU GRAND BALCON avait subi, entre le 1er septembre 1991 et le 30 septembre 1997, à raison notamment de l'attitude morose de la société SOREDIC un préjudice commercial consistant d'une part à la dépréciation du fonds, d'autre part à la perte d'exploitation, chiffré conformément à un rapport d'expertise judiciaire, à 62.470 €.

La réclamation objet de la présente procédure porte sur la période postérieure à la construction du mur soit janvier 2001 et plus précisément sur les années 2001, 2002, 2003. La SOREDIC est donc infondée à prétendre que le préjudice réclamé a déjà été indemnisé.

Les commentaires des exercices comptables 2004 et 2005 sont également sans intérêt pour l'objet du litige puisque les réclamations ne portent pas sur ces années, étant précisé surabondamment qu'il ne saurait être reproché à la société CAFE DU GRAND BALCON d'avoir inscrit à son bilan les sommes perçues en exécution des condamnations prononcées à son profit à l'encontre de la société SOREDIC.

De même est étrangère au présent litige la procédure pendante à l'encontre du locataire exploitant actuellement le complexe cinématographique, qui concerne la période postérieure à la vente, alors que la société SOREDIC fait justement observer que l'obligation mise à sa charge par la clause insérée dans l'acte du 22 décembre 2005 est limitée à la période antérieure.

Lors de l'expertise judiciaire ordonnée par le jugement du 5 février 1993 dont les termes ont été repris dans l'arrêt du 23 octobre 2003, l'expert avait déterminé une recette journalière moyenne de 623,54 et, sachant qu'un bar a un rapport net sur sa recette d'environ 30 % avait fixé un bénéfice journalier à la somme de 187,10 F (en réalité 187,06 F) soit un bénéfice mensuel de 5.613 F (en réalité 5.612 F, soit 855,54 €) -non contesté utilement par les appelants, le rapport établi par la société DELOITTE produit en cause d'appel par la société SOREDIC ne comportant aucune critique à cet égard-, soit pour les trois années sur lesquelles porte la réclamation la somme de :

855,54 x 36 = 30.799,44 €.

La demande à concurrence de 30.000 € est donc justifiée et le jugement sera réformé de ce chef.

Les dommages et intérêts pour attitude et résistance abusives

Il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus analysés que depuis septembre 1991 et malgré les diverses décisions de justice rejetant son argumentation, la société SOREDIC multiplie les agissements malveillants, les voies de fait et les procédures dans le seul but de nuire à la société CAFE DU GRAND BALCON et de l'empêcher d'exploiter un fonds qui lui appartient, lui occasionnant un préjudice important qui s'aggrave au fil du temps.

Le préjudice subi de ce chef depuis l'arrêt du 23 octobre 2003 sera évalué à la somme de 15.000 €, et le jugement sera complété sur ce point.

IV Sur l'article 700 du code de procédure civile

Succombant en son appel la société SOREDIC a contraint la SARL CAFE DU GRAND BALCON à exposer des frais irrépétibles qui seront en équité fixés à 6.000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Réforme le jugement en ses dispositions relatives à la remise des clés du bureau, au caractère définitif des astreintes prononcées à l'encontre de la SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE, au montant du préjudice commercial ;

- Ordonne la remise à la SARL CAFE DU GRAND BALCON des clés du local constituant son siège social, et ce sous astreinte telle que prononcée par le tribunal, étant précisé que les astreintes prononcées à l'encontre de la SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE sont des astreintes provisoires ;

- Condamne la SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE à payer à la SARL CAFE DU GRAND BALCON la somme de 30.000 € en réparation de son préjudice commercial ;

- Confirme le jugement en ses autres dispositions ;

Y additant,

- Condamne la SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE à payer à la SARL CAFE DU GRAND BALCON les sommes de 15.000 € à titre dommages et intérêts dommages et intérêts et 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la SA RENNAISE DE DIFFUSION CINEMATOGRAPHIQUE aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

N. LE GALL M. HOLMAN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Numéro d'arrêt : 06/01615
Date de la décision : 03/07/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Cherbourg


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-07-03;06.01615 ?
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