ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN en date du 07 Septembre 2006-RG no 05 / 00192
COUR D'APPEL DE CAEN PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE ARRET DU 19 FEVRIER 2008
APPELANT :
Monsieur Olivier X...... 50400 GRANVILLE
représenté par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués assisté de Me MORABITO, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
La Société PLASTHOLDING ... 61600 LA FERTE MACE
représentée par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués assistée de la SELARL MONTECRISTO, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
M. BOYER, Président de Chambre, Madame BEUVE, Conseiller, M. VOGT, Conseiller, rédacteur,
DEBATS : A l'audience publique du 20 Décembre 2007
GREFFIER : Madame GALAND
ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Février 2008 et signé par M. BOYER, Président de Chambre, et Madame GALAND, Greffier
Exposé de la procédure et des demandes
Le litige a trait à l'exercice du droit de vote dans la société civile Plastholding, ainsi nommée en 1997, ayant abouti à son absorption, par fusion avec la société civile Holding des Boëles (qui a repris immédiatement le nom de la société absorbée et dissoute).
Les décisions des assemblées générales extraordinaires de ces deux sociétés, en date du 6 septembre 2003, ont été acquises par l'effet de clauses statutaires réservant le droit de vote à l'usufruitier, à savoir M. Michel X..., à la suite de la donation-partage qu'il fit en 1989 à chacun de ses sept enfants, dont Olivier, nu-propriétaire, exerçant par ailleurs des responsabilités dans des sociétés contrôlées, ayant pour objet le soufflage et le moulage d'objets en matières plastiques, activité créée en 1957 par son père.
Sur l'action initiée par M. Olivier X... le 9 février 2005, le Tribunal de Grande Instance d'Argentan, par jugement contradictoire en date du 7 septembre 2006, a ainsi statué : * dit que la clause 21-IV des statuts attribuant à l'usufruitier l'intégralité des droits de vote pour les décisions (des assemblées générales) ordinaires et extraordinaires de la société Plastholding ne contrevient pas aux dispositions de l'article 1844 du Code civil, * déclare valable l'assemblée générale du 6 septembre 2003 portant approbation du projet de fusion entre la société Plastholding et la société Holding des Boëles, * déclare valable la fusion subséquente, * déboute M. Olivier X... de l'ensemble de ses demandes, * déboute la société Plastholding résultant du traité de fusion de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts, * condamne M. Olivier X... à payer à la société Plastholding la somme de 2000 EUR par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, * condamne M. Olivier X... aux dépens.
Les dernières conclusions, auxquelles il est fait exprès référence, ont été régularisées * le 12 février 2007 par M. Olivier X..., appelant, * le 18 juin 2007 par la société civile Plastholding, intimée.
L'ordonnance de clôture est intervenue en cet état, sans discussion, le 28 novembre 2007.
Le Président a fait rapport de l'affaire à l'audience de plaidoiries.
Motivation
Sur les conditions d'acquisition de la décision de fusion absorption
Selon le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société civile Plastholding, au capital de 381 392 EUR, divisé en autant de parts d'un euro, étaient présents ou représentés * M. Olivier X..., votant pour 25 129 parts, détenues en pleine propriété, et participant, sans droit de vote, pour 165 691 parts en nue-propriété, * M. et Mme Michel X..., votant pour 331 382 parts, détenues en usufruit, * M. Michel X..., représentant leur fille Catherine et leur gendre Jean-François Z..., votant pour 24 881 parts en pleine propriété, et participant, sans droit de vote, pour 165 691 parts en nue-propriété.
M. Michel X..., gérant, et présidant l'assemblée générale, a notamment déclaré que * conformément à l'article 21-IV des statuts, les nus-propriétaires n'ont pas le droit de vote, * l'assemblée peut valablement délibérer et prendre ses décisions à la majorité requise des deux tiers du capital social.
L'exemplaire du projet de fusion a été soumis à la discussion des associés, M. Olivier X... donnant lecture d'une note contenant ses observations motivées, en opposition à l'opération de fusion envisagée ; il ressort de cette note, annexée au procès-verbal, l'invocation des dispositions de l'article 578 du Code civil en cas de vote favorable à la fusion par l'usufruitier, alors que cette opération conduirait à priver l'observant, nu-propriétaire, * du contrôle de la société Plastholding dans laquelle il a vocation à détenir plus de 50 % du capital social, et en conséquence, * de la minorité de blocage sur une société contrôlée (Manuplast).
Il est constant que la collectivité des associés a accepté et approuvé en trois délibérations, malgré l'opposition dûment constatée de M. Olivier X... (pour ses droits en pleine propriété),
1. le projet de fusion comportant une augmentation du capital de la société civile Holding des Boëles à concurrence des 381 392 parts de la société Plastholding (la répartition se faisant sur la base d'une part de la société absorbée pour une part de la société absorbante, moyennant un compte « prime de fusion » de 873 547 EUR), le total de l'actif apporté par la société Plastholding s'élevant à 1 255 026 EUR,
2. l'absence d'opération de liquidation de la société Plastholding, son passif (87 EUR) étant entièrement pris en charge par la société absorbante (qui, de son côté, consentait, selon les mêmes règles de vote, à la fusion),
3. le mandat donné au porteur du procès-verbal d'accomplir les formalités y afférentes.
Sur le cadre légal des droits de vote sur des parts dont la propriété est démembrée
Selon les dispositions de l'article 1844 du Code civil (dans le Titre consacré à la société) « Si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices, où il est réservé à l'usufruitier ».
La possibilité légale de déroger, par des statuts, à cette disposition supplétive de la volonté non exprimée des parties, ne saurait porter atteinte au droit de propriété prévu par l'article 544 du Code civil (dans le Livre consacré aux biens et aux différentes modifications de la propriété), au-delà des prévisions de l'article 578 du même Code, selon lesquelles « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ».
En conséquence, M. Michel X..., en consentant donation à ses enfants, a la charge, en sa qualité d'usufruitier, de conserver la substance du droit dont son fils Olivier (notamment) a la propriété, sans pouvoir lui opposer son consentement aux statuts de la société civile, lesquels se renferment sur l'objet spécifique du droit des sociétés, lequel n'est pas d'évincer le droit de propriété lui-même.
Sur l'application à l'espèce
Or, il est constant, par le calcul des parts, que M. Olivier X... détenait 190 820 parts (25 129 en pleine propriété + 165 691 en nue-propriété), avant les délibérations litigieuses du 6 septembre 2003, soit la majorité absolue (190 696 + 1) des 381 392 parts de la société civile.
Par l'effet de la clause statutaire réservant, en toute hypothèse, le droit de vote à l'usufruitier, ce dernier a méconnu les observations critiques du nu-propriétaire et son vote négatif.
Par les délibérations litigieuses, M. Olivier X... a perdu une prérogative essentielle de son droit de propriété sur la société ; en effet, cette société a été absorbée et dissoute dans la société Holding des Boëles, dont il ne conserve pas la propriété à l'identique, puisque, sur le nombre total des parts ainsi porté à 727 997, il ne dispose plus que de 25 129 parts en pleine propriété et de 165 691 parts en nue-propriété, celles-là mêmes qu'il a été contraint, par les délibérations litigieuses, d'apporter à la société absorbante.
En conséquence, la substance même du droit de propriété de M. Olivier X... dans la société civile Plastholding ayant été méconnu par l'abus de droit de vote délibérément commis par l'usufruitier, le jugement sera infirmé, et il sera statué à nouveau, dans les termes spécifiés au dispositif.
Partie perdante, la société intimée sera tenue des dépens ainsi que de payer à l'appelant une indemnité équitable au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
L'appel étant reconnu fondé, la société intimée ne peut prétendre à l'indemnisation d'un préjudice tenant au caractère abusif de l'action engagée à son encontre.
Par ces motifs La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Vu les articles 1844, 544 et 578 du Code civil,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que l'article 21-IV des clauses statutaires de la société civile Plastholding, aujourd'hui absorbée et dissoute, méconnaît les prérogatives essentielles découlant de la propriété et de l'usufruit,
En conséquence,
Dit nulles et de nul effet les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire du 6 septembre 2003, en ce qu'elles ont abouti, par le vote de l'usufruitier, par adoption et transcription du traité de fusion, à l'absorption et à la dissolution de la société civile Plastholding, et ce en méconnaissance des droits de nue-propriété de M. Olivier X... dans cette société,
Déboute la société Plastholding, ainsi actuellement dénommée, de ses demandes reconventionnelles,
Condamne la société Plastholding, ainsi actuellement dénommée, * à payer à M. Olivier X... une somme de 4000 EUR, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, * aux dépens de première instance et d'appel,
Accorde à la SCP Terrade-Dartois, Avoués, droit de recouvrement direct dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
C. GALAND J. BOYER