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04/12/2007 | FRANCE | N°06/02537

France | France, Cour d'appel de Caen, 04 décembre 2007, 06/02537


AFFAIRE : N RG 06 / 02537
Code Aff. : ARRET N J V. J B.
ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN
en date du 20 Juillet 2006-
RG no 06 / 88
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
ARRET DU 04 DECEMBRE 2007 APPELANT :

Monsieur Erik X...


... 61330 CEAUCE

représenté par la SCP GRAMMAGNAC YGOUF BALAVOINE LEVASSEUR, avoués



INTIMES :

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE

... 14050 CAEN
prise en la personne de son représentant légal

Monsieur Danie

l Y...



...
Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Normandie 14050 CAEN CEDEX

Monsieur Marc Z...

Caisse de Crédit Agricole m...

AFFAIRE : N RG 06 / 02537
Code Aff. : ARRET N J V. J B.
ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d'ARGENTAN
en date du 20 Juillet 2006-
RG no 06 / 88
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
ARRET DU 04 DECEMBRE 2007 APPELANT :

Monsieur Erik X...

... 61330 CEAUCE

représenté par la SCP GRAMMAGNAC YGOUF BALAVOINE LEVASSEUR, avoués

INTIMES :

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE

... 14050 CAEN
prise en la personne de son représentant légal

Monsieur Daniel Y...

...
Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Normandie 14050 CAEN CEDEX

Monsieur Marc Z...

Caisse de Crédit Agricole mutuel de Normandie... 14050 CAEN CEDEX

Monsieur Jean-Christophe A...

Caisse de Crédit Agricole Mutuel de Normandie... 14050 CAEN CEDEX

représentés par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués
assistés de Me LEBLANC, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience publique du 25 Octobre 2007 tenue, sans opposition du ou des avocats, par M. BOYER, Président de Chambre et Mme BEUVE, Conseiller, chargés du rapport, qui ont rendu compte des débats à la Cour

GREFFIER : Madame GALAND

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

M. BOYER, Président de Chambre,
Madame BEUVE, Conseiller,
M. VOGT, Conseiller, rédacteur,

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2007 et signé par M. BOYER, Président de Chambre, et Madame GALAND, Greffier

Exposé de la procédure et des demandes

Par ordonnance de référé réputée contradictoire en date du 20 juillet 2006, auquel il est fait exprès référence pour l'exposé et la teneur du litige, le Président du Tribunal de Grande Instance d'Argentan
-a fait « défense à M. Érik X... d'utiliser les noms et les photographies de la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, de MM. Y... son Président, Z... son Directeur Général et A... son Directeur Général adjoint, ainsi que les noms ou marques déposés par la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, sur tout support que ce soit, y compris son site Internet ou le site de l'Association de défense contre les abus bancaires, sous astreinte provisoire de 1500 euros par infraction constatée »,
-s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte,
-a condamné M. X... à payer aux demandeurs, unis d'intérêt, la somme de 1500 EUR, en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,
-a condamné M. X... aux dépens.

Les dernières conclusions, auxquelles il est fait exprès référence, ont été régularisées
-le 12 décembre 2006 par M. X..., appelant,
-le 18 mai 2007 par la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de Normandie, et MM. Y..., Z..., A..., intimés.

Le Président a fait rapport de l'affaire à l'audience de plaidoiries.

Motivation

Pour solliciter la réformation de l'ordonnance entreprise, M. X... fait valoir que

-les prétentions de ses adversaires ne sont pas recevables, car mal dirigées à son encontre, en ce que
-le « bulletin satirique de la Communauté de communes de Domfrontais », intitulé « Le Roi Pétaud et sa cour », est une publication d'une Association, certes établie à son adresse, mais sans que soit établi d'autre fait personnel du cité que de l'avoir adressée à M. Y...,
-les éléments incriminés sont des encarts publiés à la demande de l'Association de Défense Contre les Abus Bancaires, dont le cité, qui en est membre, n'en a pas l'initiative individuelle,

-les mesures sollicitées ne peuvent être ordonnées au visa de l'article 809 alinéa 1er du Nouveau Code de procédure civile, en regard de la nature d'interdiction ne comportant aucune limitation temporelle et de manière totalement imprécise, puisqu'elles interdisent l'usage de noms ou photographies, quel que soit le support et le contenu des publications.

Sur ce dernier aspect, M. X... fait spécialement valoir que les supports visés sont des moyens d'expression dont la liberté est garantie par un principe constitutionnel, de sorte que les mesures judiciaires, en référé, sont limitées par leur caractère éminemment provisoire, conservatoire, ou de remise en état.

Les intimés concluent à la confirmation de l'ordonnance entreprise.

Sur la recevabilité de l'action

M. X... laisse sous silence la production, par les intimés, de la réponse officielle de la Préfecture de l'Orne, en date du 29 juin 2006, faisant apparaître que l'autorité compétente n'a pas retrouvé la trace de l'Association dont le siège social serait situé sur son ressort.

L'Association n'étant pas déclarée en préfecture, elle ne bénéficie pas de la personnalité morale ; en conséquence, est recevable, déjà pour ce seul motif, l'action dirigée contre M. X..., dès lors que ce dernier reconnaît en être un membre à l'évidence actif, puisqu'il admet
-avoir pris l'initiative d'adresser tel exemplaire de la publication faite au nom ou pour le compte de l'Association à M. Y...,
-avoir contribué à l'élaboration des textes incriminés (même s'il n'en serait pas individuellement l'auteur).

Sur le bien-fondé de l'action

Principes applicables

Il a été jugé que

-le réseau Internet constitue un moyen de communication audiovisuelle, ce qui permet de rechercher la responsabilité pénale du propriétaire d'un site et de l'auteur des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur ce site, dans les conditions de la loi (Crim., 10 mai 2005, Bull no 144),

-les propos incriminés peuvent relever de la liberté d'expression, sans créer de risque de confusion entre la réalité et l'oeuvre satirique (Ass. Plén., 12 juillet 2000, Bull no 7), lorsque les propos, mettant en cause les produits d'une marque, s'inscrivent dans le cadre d'une émission satirique diffusée par une entreprise de communication audiovisuelle et ne pouvaient être dissociés de la caricature faite du président de la société titulaire de cette marque (en l'espèce, il s'agissait d'une marionnette du dirigeant emblématique d'une société de construction automobile, mise en oeuvre dans l'émission notoirement connue « Les Guignols de l'Info »),

-une publication essentiellement marquée par l'humour et l'esprit sarcastique de ses auteurs ne permet pas au sujet d'une attaque sévère et mordante, restant en référence avec l'objet de la publication, de tirer grief de l'utilisation du droit de critiquer, en toute loyauté, les impressions subjectives ressenties par l'auteur de l'article (Civ. 2, 3 février 1972, Bull no 36),

-pour autant, le droit à l'image d'une personne physique et le respect de sa vie privée (article 9 du Code civil) constituent autant de limites permises à la liberté d'expression, dès lors qu'un trouble manifestement illicite est constaté par le juge, à qui il appartient de déterminer les mesures conservatoires propres à le faire cesser (Civ. 1, 5 décembre 2006, Bull no 534 ; Civ. 2, 12 février 2004, Bull no 65), dans la mesure proportionnée, dans une société démocratique, à l'atteinte portée à l'exercice d'une liberté fondamentale.

Enfin, chacun a droit au respect de la présomption d'innocence (article 9-1 du Code civil), protection qui s'applique aussi aux personnes morales, pénalement responsables de leur fait, dans les termes de la loi.

Application à l'espèce

Si M. X... ne saurait être privé de l'usage de la liberté d'expression, selon son style personnel ou emprunté, en ce que cette liberté fondamentale comporte la faculté d'une attaque polémique ou satirique à l'encontre du « Crédit Agricole » et de ses dirigeants, le respect de ce principe n'inclut pas le droit de commettre des infractions pénales (telles l'injure ou la diffamation), non plus que, sans prudence ni loyauté, de porter atteinte à l'image d'une personne physique, au respect de sa vie privée, ou, aussi pour les personnes morales, à sa présomption d'innocence.

Or, les commentaires portés, relevés sans contestation par le premier juge, parfois en association avec la représentation photographique des animateurs régionaux de l'établissement financier, constituent un trouble manifestement illicite par leur reproduction dans un moyen de communication audiovisuelle, qu'il s'agisse d'une publication « papier » ou sur un site informatique, par un réseau le rendant accessible à un large public (Internet).

En conséquence, l'ordonnance sera confirmée dans son principe, sauf à en préciser la portée selon les dispositions prévues au présent arrêt.

Sur les autres demandes

L'appel n'étant que partiellement fondé, M. X... conservera la charge des dépens, et sera tenu de payer une indemnité équitable aux intimés.

Par ces motifs
La Cour,
statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a fait défense à M. X... d'utiliser, par lui-même ou par l'entremise de tout groupement dont il se réclame, les noms et les photographies de MM Y..., Z... et A..., soit séparément, soit en association avec le « Crédit Agricole », quelle que soit la désignation de cet établissement financier, sur tout support de communication (y compris en publication sur le réseau Internet), lorsque les légendes ou commentaires accompagnant les photographies ou les noms des personnes physiques précitées sont de nature à porter atteinte à leur image, au respect de leur vie privée, ou, également pour le « Crédit Agricole », à leur présomption d'innocence,

Dit que faute par M. X... de satisfaire aux interdictions ci-dessus spécifiées, et ce dès la signification du présent arrêt, chaque infraction constatée sera l'objet d'une astreinte d'un montant de 2000 EUR à la charge de M. X... et au profit du ou des intimé (s) fondé (s) à invoquer la transgression commise, et dont la liquidation incombera alors à la juridiction de l'exécution,

Condamne M. X... à payer à la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel de Normandie, à M. Y..., à M. Z..., et à M. A..., unis d'intérêt, une somme complémentaire de 1000 EUR, en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, l'indemnité fixée en première instance étant confirmée,

Condamne M. X... aux dépens,

Accorde à la SCP Grandsard & Delcourt, Avoués, droit de recouvrement direct dans les termes de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
C. GALAND J. BOYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Numéro d'arrêt : 06/02537
Date de la décision : 04/12/2007
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance d'Argentan


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2007-12-04;06.02537 ?
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