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13/11/2007 | FRANCE | N°06/2098

France | France, Cour d'appel de Caen, Ct0038, 13 novembre 2007, 06/2098


AFFAIRE : N RG 06 / 02098
Code Aff. :
ARRET N
J V. J B.

ORIGINE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 20 Janvier 2003-RG no01 / 3194
Arrêt de la Cour d'Appel de CAEN en date du 1er Juin 2004
Arrêt de la Cour de Cassation en date du 8 Juin 2006

COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
RENVOI DE CASSATION
ARRET DU 13 NOVEMBRE 2007

APPELANT :

Monsieur Christophe X...
... 14150 OUISTREHAM

représenté par la SCP PARROT Y... ROUSSEAU, avoués
assisté de la SELARL AUGER, avocats au b

arreau de CAEN

INTIMES :

Mademoiselle Julie Z...
...

Monsieur Jean A...
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Mon...

AFFAIRE : N RG 06 / 02098
Code Aff. :
ARRET N
J V. J B.

ORIGINE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 20 Janvier 2003-RG no01 / 3194
Arrêt de la Cour d'Appel de CAEN en date du 1er Juin 2004
Arrêt de la Cour de Cassation en date du 8 Juin 2006

COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
RENVOI DE CASSATION
ARRET DU 13 NOVEMBRE 2007

APPELANT :

Monsieur Christophe X...
... 14150 OUISTREHAM

représenté par la SCP PARROT Y... ROUSSEAU, avoués
assisté de la SELARL AUGER, avocats au barreau de CAEN

INTIMES :

Mademoiselle Julie Z...
...

Monsieur Jean A...
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Monsieur Aurélien Z...
... 14200 HEROUVILLE ST CLAIR

Madame Michèle B... divorcée S...
... 14200 HEROUVILLE ST CLAIR

Monsieur Jacques A...
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Madame Simone A... épouse C...
... 14780 LION SUR MER

Madame Suzanne A... épouse D...
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Madame Madeleine A... épouse E...
...

Madame Marie-Louise A... épouse F...
...

Madame Monique A... épouse G...
...

Madame Jacqueline A... divorcée H...
...

Madame Béatrice A... épouse I...
...

Madame Elisabeth A... épouse J...
... 14790 VERSON

Madame Evelyne Z... épouse K...
...

Monsieur Jean-Louis Z...
... 14170 ST PIERRE SUR DIVES

Mademoiselle Marie-Pierre Z...
...

Monsieur Jean-Pierre Y...
...

Monsieur Stéphane Y...
...

Madame Ginette L... veuve A... ès qualités d'héritière de M. Paul A..., décédé
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Madame Séverine A..., ès qualités d'héritière de M. Paul A..., décédé
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Madame Brigitte M..., ès qualités d'héritière de M. Paul A..., décédé
... 50490 BEAUMONT HAGUE

Monsieur Dominique A..., ès qualités d'héritier de M. Paul A..., décédé
...

Madame Sylvie A..., ès qualités d'héritière de M. Paul A..., décédé
22620 PLOUBALZANEC

Madame Nadine N... ès qualités d'héritière de sa mère Madame Marie-Thérèse A... épouse Z... décédée
...

Monsieur Jacky Z... ès qualités d'héritier de sa mère Madame Marie-Thérèse A... épouse Z... décédée
... 14440 DOUVRES LA DELIVRANDE

Monsieur Jacques Z... ès qualités d'héritier de son épouse Mme Marie-Thérèse A... épouse Z... décédée
... 14880 HERMANVILLE SUR MER

Tous représentés par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués

La COMMUNE D'HERMANVILLE SUR MER
Mairie 14880 HERMANVILLE SUR MER
prise en la personne de son représentant légal

représentée par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués
assistée de Me SALMON, avocat au barreau de CAEN

L'ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER DE NORMANDIE
27 rue du 74ème Régiment d'Infanterie-Immeuble Hastings 76000 ROUEN
représenté par son directeur général, Monsieur Gilbert P...

représenté par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués
assistée de la SCP BARON COSSE Q..., avocats au barreau D'EVREUX

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. BOYER, Président de Chambre,
Mme BEUVE, Conseiller,
M. VOGT, Conseiller, rédacteur,

DEBATS : A l'audience publique et solennelle du 04 Octobre 2007

GREFFIER : Madame GALAND, Greffier en chef

ARRET prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2007 et signé par M. BOYER, Président de Chambre, et Madame GALAND, Greffier

* * *

Exposé de la procédure et des demandes

Selon un acte sous seing privé de février 2000, les consorts A... ont vendu à M. X... un ensemble immobilier situé à Hermanville sur Mer au prix principal de 1,4 millions de francs, sous la condition suspensive, notamment, de l'absence d'exercice d'un droit de préemption pouvant exister, le notaire instrumentaire devant procéder, comme il le fit, à la déclaration d'intention d'aliéner.

Par différents actes de septembre 2001, M. X..., acquéreur évincé par l'effet du droit de préemption urbain, exercé le 29 mars 2000 par le Maire de la commune d'Hermanville-sur-Mer a fait citer
-les vendeurs,
-la Commune, prise en la personne de son maire, ainsi que
-l'Établissement Public de la Basse Seine (l'EPBS), acquéreur tenant ses droits de la Commune,
aux fins d'obtenir
* la constatation d'une absence d'exercice du droit de préemption urbain par la Commune (en ce que le Maire a agi seul, sans motiver sa décision, et sans la transmettre au Représentant de l'État dans le département pour être exécutoire),
* l'annulation subséquente de la vente intervenue entre la Commune et les consorts A..., vendeurs, le 10 juillet 2000, ainsi que la vente intervenue les 10 juillet et 2 août 2000 entre cette même Commune et l'EPBS, par voie de conséquence,
* qu'il soit dit propriétaire de l'immeuble litigieux, et que la décision judiciaire vaille titre de propriété pour être publié en tant que tel, en l'absence de la passation, requise, d'un acte notarié,
* la condamnation des défendeurs à lui payer la somme de 50 000 F (7 622,45 EUR), en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, outre les dépens avec droit de recouvrement direct pour son avocat.

Par jugement en date du 20 janvier 2003, le Tribunal de Grande Instance de Caen a débouté M. X... de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamné à des indemnités au titre des frais irrépétibles exposés par ses adversaires, outre les dépens et droit de recouvrement direct pour leurs avocats.

Par arrêt en date du 1er juin 2004, cette Cour, autrement composée, après avoir déclaré recevable l'action de M. X..., a confirmé, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris et a également condamné l'appelant à des indemnités au titre des frais irrépétibles pour les intimés, outre les dépens avec droits de recouvrement direct pour leurs avoués.

Par arrêt (publié) en date du 8 juin 2006, rapportant une précédente décision du 1er février 2006, la Cour de Cassation (troisième Chambre civile) a, en substance,
* cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juin 2004,
* remis, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les a renvoyés devant la Cour de céans, autrement composée,
* condamné, ensemble, la Commune et l'Établissement public foncier de Normandie aux dépens,
* rejeté les demandes des personnes publiques, au visa de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.

Par acte reçu le 6 juillet 2006, M. X... a déclaré reprendre l'instance après cassation.

Les dernières conclusions, auxquelles il est fait exprès référence, ont été régularisées
* le 15 mai 2007, et le 25 mai 2007 (pour des interventions volontaires), par les consorts A... et autres, vendeurs, parties intimées déclarant s'en rapporter la justice sur le mérite de l'appel de M. X...,
* le 5 juin 2007 par l'Établissement Public Foncier de Normandie (anciennement l'EPBS), intimé,
* le 23 août 2007 par M. X..., appelant,
* le 28 septembre 2007 par la Commune d'Hermanville-sur-Mer, représentée par son Maire, intimée.

L'ordonnance de clôture est intervenue en cet état, sans discussion, le 3 octobre 2007.

Motivation

L'acquéreur évincé a un intérêt à agir, devant la juridiction de l'ordre judiciaire, en annulation de la vente, à raison de l'exercice irrégulier du droit de préemption (cf. Civ. 3,20 novembre 2002, Bull. no 234).

Sur la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour statuer sur l'efficacité de l'exercice d'un droit de préemption urbain

Le rapport à la justice de l'Établissement public foncier de Normandie est une contestation, même si elle n'a pas été argumentée.

Les procédés de droit public (préemption ou expropriation) par lesquels l'autorité publique (ou ses délégataires) interfèrent, pour un motif d'intérêt général, dans des relations de droit privé, portant ainsi atteinte aux principes de liberté contractuelle et de droits de propriété individuelle, constitutionnellement garantis, font l'objet d'une régulation partagée entre l'autorité judiciaire et les juridictions administratives, ce qui n'est pas exclusif de recoupements, de compétence ou de règles de droit substantiel, selon l'angle d'accès au juge et / ou selon la matière litigieuse.

En l'espèce, il n'est pas discuté
* que le maire de la commune a notifié le 29 mars 2000, « au notaire des consorts A... », l'intention de la commune d'user de son droit de préemption,
* que, par délibération du lendemain 30 mars 2000, seule transmise au préfet le 4 février 2000, le conseil municipal a décidé de préempter.

L'exercice, par le maire, du droit de préemption urbain de la commune

En l'état actuel de l'articulation entre les deux ordres de juridiction, il n'y a pas lieu de renvoyer l'appréciation de la légalité de la préemption à la juridiction administrative dès lors qu'il n'est plus sérieusement discutable, ni d'ailleurs vraiment discuté (notamment par la commune, qui reprend cette analyse), que « seul le maire bénéficiaire d'une délégation du conseil municipal pouvait prendre la décision de préemption notifiée au vendeur et que seule cette décision devait être transmise au préfet dans le délai de deux mois » (Civ. 3,8 juin 2006, Bull no 144, intervenu dans la présente espèce).

Cette solution découle des articles L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, ensemble l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme, dont il se déduit que « le maire peut, par délégation du conseil municipal, être chargé en tout ou partie et pour la durée de son mandat d'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme » (même arrêt).

En outre, même si les contrats de vente ont été conclus par des personnes publiques dans la poursuite (implicite) d'un intérêt général, il est constant que le Maire, qui, en l'espèce, avait, seul, le pouvoir pour décider d'exercer ou non le droit de préemption urbain, n'a aucunement motivé sa décision, en dépit des termes de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme, ce qui porte une atteinte substantielle au droit privé de propriété,
* justifiant l'annulation d'une telle décision par la jurisprudence constante des juridictions administratives, et / ou
* la constatation de son inefficacité pour le juge judiciaire, gardien naturel de la propriété privée, notamment immobilière, en l'absence de possibilité de sérieuse discussion afférente à l'irrégularité de l'acte (en rappelant que le défaut de motivation de la décision de préemption avait été soulevé dès l'introduction de l'instance).

Les délibérations du conseil municipal

Pour la Commune (conclusions, page 5 / 6), la décision de préemption doit être distinguée des décisions du Conseil municipal du 30 mars 2000

* autorisant le Maire à signer l'acte authentique de vente avec les consorts A..., en ce qu'il s'agit d'un acte détachable au sens de la jurisprudence administrative, dont il appartenait à M. X... de contester la légalité devant la juridiction administrative, ce qu'il n'a pas fait,

* sollicitant l'intervention de l'actuel Établissement Public Foncier de Normandie (l'EPFN) pour procéder à l'acquisition des parcelles litigieuses, tout en s'engageant à racheter ces biens dans un délai maximum de cinq ans et en autorisant également le Maire à signer les documents et conventions relatifs à cette cession.

À l'appui de sa position, la Commune se prévaut de la jurisprudence administrative (CE,26 novembre 2001, Cne La Teste de Buch ; CE,8 février 1999, req. no 168043 ; CE,26 février 2003, Epx Bour).

Mais ces délibérations du 30 mars 2000 s'inscrivent à l'évidence, sans qu'il y ait matière à renvoi préjudiciel pour le constater, dans les suites d'un droit de préemption urbain, irrégulièrement exercé la veille par le maire, ce qui n'est plus vraiment discuté.

Sur l'analyse des suites de l'exercice d'un droit de préemption inefficace

S'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire de prononcer l'annulation d'un acte administratif, en ce qu'il est, au moins, susceptible de se rattacher à l'exercice d'un pouvoir légalement dévolu à l'autorité compétente, il peut lui revenir d'apprécier les conséquences de l'inefficacité de l'acte litigieux, en l'absence de difficulté sérieuse sur l'appréciation de sa validité lorsqu'il s'agit, notamment, de la propriété privée, dont le juge judiciaire est le gardien naturel.

Sur la passation des contrats de vente consécutifs à la préemption irrégulière

Il n'est pas prétendu que la décision de préemption ou les délibérations du conseil municipal ne suffiraient à rendre caduc le compromis de vente initialement intervenu entre les consorts A... et M. X... (cf., après annulation de la préemption par la juridiction administrative, Civ. 3,22 juin 2005, Bull no 142).

Pour autant, la préemption ne forme pas, avec les ventes subséquentes, un ensemble indissociable (CE,26 novembre 2001, Cne La Teste de Buch, déjà cité).

I. Principes applicables

Dans un arrêt d'Assemblée lu le 11 mai 2004, le Conseil d'État, s'agissant de l'office du juge (administratif), après avoir rappelé que « l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu » a immédiatement énoncé la portée de ce principe « s'il apparaît que cet effet rétroactif... est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets ».

Il en déduit la nécessité de « prendre en considération d'une part, les conséquences de la rétroactivité... pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation ».

Reprenant la jurisprudence dégagée par l'arrêt Bour précité, le Conseil d'État, dans un arrêt de sections réunies lu le 31 janvier 2007 (Sarl Maïa, inédit au Recueil Lebon, requête no 277715), a pu préciser sa doctrine, en énonçant « que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter ; qu'ainsi, cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général apprécié au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre-temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toutes mesures afin de mettre fin aux effets de la décision annulée ; qu'il lui appartient à cet égard, et avant toute autre mesure, de s'abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté ; qu'il doit en outre proposer à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial d'acquérir le bien, et ce, à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement sans cause de l'une quelconque des parties les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ;

Considérant que, lorsque le juge administratif est saisi, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il prescrive les mesures qui impliquent nécessairement l'annulation de la décision de préemption, il lui appartient lorsque le bien préempté n'a pas été revendu, après avoir le cas échéant mis en cause la ou les parties à la vente initialement projetée qui n'étaient pas présentes à l'instance et après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, de prescrire à l'auteur de la décision annulée de prendre les mesures ci-dessus définies, dans la limite des conclusions dont il est saisi ; »

Appliquant ces principes au cas lui étant soumis, la juridiction administrative avait ainsi retenu que « le bien objet du litige a, après son acquisition, subi des aménagements substantiels et a été affecté à la réalisation d'une voie publique ; mais eu égard à l'importance de cette voie et au projet des requérants, la remise en cause de la destination donnée à ce bien apporterait à l'intérêt général une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par l'intérêt qui s'attache à la disparition des effets de décision annulée ; que, par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions des requérants tendant à ce qu'il soit enjoint au titulaire du droit de préemption de leur proposer d'acquérir le bien illégalement préempté ; »

Il n'y à pas matière à renvoyer à la juridiction administrative l'appréciation de la balance entre les intérêts en présence, les deux ordres de juridiction ayant égale vocation à connaître des conséquences de l'inefficacité de la préemption, si l'on retient le principe selon lequel ces derniers (intérêt général et intérêt privé) sont aussi légitimes que contradictoires, et qu'il est de l'office de tout juge, pour statuer, d'en rechercher la balance pertinente.

II. Application à l'espèce

La préemption litigieuse avait fait l'objet d'un avis favorable du service des Domaines en date du 22 mars 2000 sur l'indication de l'intention de la commune ainsi résumée :

« Du fait de l'emplacement privilégié des biens, qui sont situés dans la continuité de la mairie et du terrain de sport, la collectivité souhaite acquérir cet ensemble immobilier dans le cadre de l'aménagement et de la revalorisation du centre bourg d'Hermanville sur Mer. »

Les délibérations du conseil municipal en date du 30 mars 2000, certes inefficaces dans le cadre du droit de préemption urbain, déjà exercé par le maire, s'inscrivent à l'évidence dans la poursuite de cet objectif d'intérêt général.

Il est constant que la décision en date du 23 mars 2000, approuvée par l'autorité préfectorale, par laquelle l'Établissement public de Basse-Seine a décidé d'acquérir l'ensemble immobilier litigieux « soit directement, soit dans le cadre d'une négociation amiable avec les propriétaires et leur acquéreur, soit par rachat à la Commune après exercice par elle de son droit de préemption » n'a été obtenue que « sous réserve de l'adoption d'une délibération par le Conseil Municipal d'Hermanville sur Mer, sollicitant l'intervention de l'EPBS et s'engageant au rachat des biens dans un délai de cinq ans ».

La décision de l'EPBS fixait d'ailleurs à cinq ans, au maximum, « le délai de portage affecté à cette opération ».

Il est constant que la vente à l'Établissement public de l'ensemble immobilier acquis, le même jour, par la Commune des consorts A... et autres
* découle de l'exercice de la préemption par son maire, ainsi qu'il résulte notamment de l'exposé figurant sur l'acte de revente à l'EPBS,
* ne constituait qu'un transfert transitoire de la propriété, justifié par un mode d'intervention spécifique de l'autorité publique (cf. pour un bail emphytéotique, CAA Paris, Ville de Paris, lu le 11 juillet 2007, mentionné aux tables du Recueil), dérogeant aux règles civiles de la vente à réméré (articles 1659 et suivants du Code civil),
* n'avait pas pour objet et n'a pas eu pour effet de réaliser d'autre aménagement de l'ensemble immobilier que ceux nécessaires à sa conservation, selon les termes mêmes de la convention relative à la constitution d'une réserve foncière (articles 2 et 3).

Certes, selon la délibération en date du 8 juin 2005 de son Conseil municipal, la Commune « compte-tenu des procédures en cours devant la Cour de Cassation » a demandé le report de cette échéance de deux ans, pour la fixer au 2 août 2007, ce qui a été conclu selon un avenant, en date du 9 juin 2005, à la convention dite de portage du 25 mai 2000.

Dans cette expectative, ici discutable (puisque la Commune pouvait aussi renoncer à poursuivre l'exécution d'une préemption manifestement irrégulière), les biens litigieux n'ont été l'objet d'aucun aménagement particulier ou intégration au domaine public, en dépit de la faculté laissée à la Commune, par la convention dite de portage, de racheter, avant l'échéance, la partie concernée par une éventuelle opération (article 3).

Mais l'attentisme de la Commune, alors que la décision du Maire de préempter n'est pas même motivée, paralyse, en même temps, l'exercice normal par l'acquéreur évincé du droit réel qu'il tient d'une vente dont la régularité n'est pas discutée.

Dans la balance des intérêts légitimes en présence, il sera retenu, en l'espèce, que les ventes litigieuses, consécutives à l'exercice irrégulier du droit de préemption, doivent être annulées par le juge (judiciaire) du contrat, privé en la forme.

On observera, pour le surplus, que l'éventuelle absence de publication de l'assignation de M. X... tendant à l'annulation des ventes de juillet / août 2000 n'a pas été invoquée ; il n'y a pas lieu de soulever d'office la fin de non-recevoir découlant de l'application de cette règle, laquelle n'est édictée qu'en vue de la protection des intérêts particuliers des parties (Civ. 3,7 novembre 2001, Bull no 127).

Sur les autres demandes

Les ventes litigieuses étant annulées, et les vendeurs ne présentant aucune contestation précise afférente à la vente des droits immobiliers consentie à M. X..., sur la base du compromis régularisé en février 2000, les parties seront renvoyées à la régularisation de l'acte authentique subséquent, sous astreinte, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de justification de la publication de l'assignation, de dire que l'arrêt vaudra vente.

En définitive, succombant à la présente instance, la Commune et l'Établissement public seront tenus des entiers dépens, in solidum, ainsi que de payer une indemnité équitable au titre des frais irrépétibles exposés par M. X..., et par les consorts A... et autres (en référence à leurs réclamations).

Par ces motifs
La Cour,
statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Donne acte à Mme Nadine N..., à M. Jacky Z... et à M. Jacques Z... de leurs interventions volontaires,

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 8 juin 2006,

Infirme le jugement en date du 20 janvier 2003,

Statuant à nouveau,

Déclare M. X... recevable en son action devant les juridictions de l'ordre judiciaire,

Dit inefficace l'exercice le 29 mars 2000 par le maire de la commune d'Hermanville-sur-Mer, déjà bénéficiaire d'une délégation du conseil municipal, du droit de préemption urbain lui appartenant à l'exclusion du conseil municipal,

Constate que les ventes intervenues en juillet / août 2000 au profit de la Commune, puis, par voie de conséquence, au profit de l'Établissement public de Basse-Seine (actuellement dénommé Établissement public foncier de Normandie) ne sont que la suite de l'exercice irrégulier par le maire du droit de préemption urbain,

Annule, en considération des intérêts en présence, les ventes précitées,

Dit que les consorts A... et autres, d'une part, et M. X..., d'autre part, devront régulariser, par acte authentique de l'office de Me R..., Notaire associé à Caen, la vente des droits immobiliers dans les termes du compromis de février 2000 et de la déclaration subséquente d'intention d'aliéner, sous astreinte journalière de 100 EUR courant passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, et à l'encontre de tout requis s'abstenant de déférer à la sommation, selon la date fixée par le notaire,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne in solidum la commune d'Hermanville-sur-Mer et l'Établissement public foncier de Normandie à payer
* à M. X..., une somme de 4 000 EUR,
* à Mme Nadine N..., à M. Jacky Z... et à M. Jacques Z..., unis d'intérêt, une somme de 500 EUR,
* aux autres consorts A... et autres, unis d'intérêt, une somme de 500 EUR,
en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile,

Condamne in solidum la commune d'Hermanville-sur-Mer et l'Établissement public foncier de Normandie aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Accorde à
* la SCP Parrot-Lechevallier-Rousseau, Avoués,
* la SCP Mosquet Mialon d'Oliveira et Leconte, Avoués,
droit de recouvrement direct dans les termes de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

C. GALAND J. BOYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Ct0038
Numéro d'arrêt : 06/2098
Date de la décision : 13/11/2007

Références :

ARRET du 21 octobre 2009, Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 21 octobre 2009, 08-11.162, Publié au bulletin

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Caen, 20 janvier 2003


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;2007-11-13;06.2098 ?
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