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11/09/2007 | FRANCE | N°05/1211

France | France, Cour d'appel de Caen, Ct0038, 11 septembre 2007, 05/1211


AFFAIRE : N RG 05 / 01211
Code Aff. :
ARRET N
A.P.J.B.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 23 Février 2005-
RG no 03 / 4823

COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2007

APPELANTS :

L'Association A4DF
Bibliothèque des avocats-Palais de Justice-Place Fontette 14000 CAEN
prise en la personne de son représentant légal

Monsieur Vincent X...
...... 22000 ST BRIEUC

Monsieur Patrick Z...
... 14000 CAEN

représentés par la SCP MOSQUET MIA

LON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués
assistés de Me MORICE, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Monsieur l'AGENT JUDICIAIRE du...

AFFAIRE : N RG 05 / 01211
Code Aff. :
ARRET N
A.P.J.B.

ORIGINE : DECISION du Tribunal de Grande Instance de CAEN en date du 23 Février 2005-
RG no 03 / 4823

COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIERE CHAMBRE-SECTION CIVILE
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2007

APPELANTS :

L'Association A4DF
Bibliothèque des avocats-Palais de Justice-Place Fontette 14000 CAEN
prise en la personne de son représentant légal

Monsieur Vincent X...
...... 22000 ST BRIEUC

Monsieur Patrick Z...
... 14000 CAEN

représentés par la SCP MOSQUET MIALON D'OLIVEIRA LECONTE, avoués
assistés de Me MORICE, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

Monsieur l'AGENT JUDICIAIRE du TRESOR PUBLIC, représentant l'ETAT FRANCAIS
6, rue Louise Weiss 75013 PARIS

représentée par la SCP GRANDSARD DELCOURT, avoués
assistée de Me DELAS, avocat au barreau de PARIS

Vu la communication de la procédure à Monsieur le Procureur Général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. DALLE, Premier Président,
M. POUMAREDE, Président de Chambre, rédacteur,
Mme CHERBONNEL, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 07 Juin 2007

MINISTERE PUBLIC : Monsieur CORBAUX, Substitut Général

GREFFIER : Madame GALAND

ARRET contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 Septembre 2007 et signé par M. POUMAREDE, Président, pour le Premier Président empêché et Madame GALAND, Greffier

* * *
MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES

Statuant sur la demande de l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z..., en paiement de diverses indemnités réparatrices du dommage causé par le fonctionnement défectueux du Service de la Justice sur le fondement de l'article L 781-1 du Code de l'Organisation Judiciaire (devenu l'article L 141-1 du même Code), dirigée contre l'Agent Judiciaire du Trésor, représentant l'Etat Français, le Tribunal de Grande Instance de Caen par jugement du 23 février 2005 s'est déclaré incompétent « ratione materiae » puis a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, condamnant les demandeurs aux dépens ;

* *
*

Par déclaration faite au Greffe de la Cour le 7 avril 2005, l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... ont interjeté appel de cette décision ;

* *
*

APPELANTS, l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... demandent à la Cour de :

REFORMER le jugement ;

REJETER l'exception d'incompétence soulevée par l'agent judiciaire du Trésor Public ;

DÉCLARER l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... recevables et bien fondés en leur demande ;

DÉCLARER l'Etat français responsable pour faute lourde du fonctionnement défectueux du service de la justice dans l'incarcération des détenus au sein de la maison d'arrêt de CAEN par application de l'article du code de l'organisation judiciaire (devenu depuis l'ordonnance du 8 juin 2006 l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire) ;

CONDAMNER l'agent judiciaire du Trésor Public à verser en réparation du préjudice subi les sommes suivantes :

-60. 000 à Patrick Z...
-15. 000 à Vincent X...
-2. 000 à l'Association A4DF ;

CONDAMNER l'agent judiciaire du Trésor Public à payer à l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... la somme de 6. 000, par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

CONDAMNER l'agent judiciaire du Trésor Public aux entiers dépens ;

AUTORISER la SCP MOSQUET, MIALON, d'OLIVEIRA, LECONTE le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

* *
*

INTIMÉ, l'agent judiciaire du Trésor Public représentant l'Etat français, demande à la Cour de :

CONFIRMER le jugement ;

CONDAMNER l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... aux entiers dépens ;

* *
*

LE MINISTERE PUBLIC requiert qu'il plaise à la Cour :

CONFIRMER le jugement,

SUBSIDIAIREMENT

FAIRE APPLICATION de l'article 339 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

TRES SUBSIIDIAIREMENT

SOLLICITER l'avis de la Cour de Cassation sur la question de droit nouvelle ;

LAISSER les dépens à la charge de l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... ;

* *
*
MOTIFS

Patrick Z...

Le 27 août 1999 Patrick Z... a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Caen ;

Le 14 mars 2001, la Cour d'Assises du Calvados l'a condamné à la peine de 12 ans de réclusion criminelle pour viol agravé. Cette condamnation est définitive ;

Le 2 octobre 2001, il a été informé par l'administration pénitentiaire que par décision du ler août précédent, il était affecté au centre de détention de Caen qu'il a rejoint à la fin de l'année 2004.

Vincent X...

Le 24 septembre 2002, Vincent X... a été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Caen ;

Le 26 novembre 2003, Vincent X... a été mis en liberté après 14 mois de détention provisoire par décision de la Chambre de l'Instruction de la Cour d'appel de Caen.

Le 20 septembre 2006, il a été condamné par la Cour d'assises du Calvados à 10 ans d'emprisonnement ; il a fait appel ; Après avoir rejeté deux de ses demandes de mises en liberté les 10 octobre et 12 décembre 2006, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Caen l'a placé sous contrôle judiciaire par arrêt du 13 mars 2007 dans l'attente d'une comparution devant la Cour d'Assises d'appel de la Manche prévue en septembre 2007 ;

* *

Par acte du 9 décembre 2003, les deux accusés susnommés et l'association A4DF, régulièrement déclarée le 27 août 2003 pour " faire assurer le respect des droits et de la dignité des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires du département du Calvados, pour empêcher la surpopulation carcérale au sein de la maison d'arrêt de CAEN et pour mener toutes actions visant à la réalisation de cet objectif " ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Caen pour obtenir réparation du préjudice causé par le fonctionnement défectueux du service de la Justice qui a permis leur mise en détention malgré les mauvaises conditions carcérales ;

* *
*

Considérant que le Tribunal s'est déclaré incompétent au motif essentiellement que s'agissant en réalité d'incriminer le fonctionnement de l'administration pénitentiaire dans les moyens qu'elle fournit, d'une façon générale, à l'exécution de peines légalement prononcées et alors qu'aucune décision juridictionnelle n'était précisément visée, seule la juridiction administrative pouvait en connaître ;

Que l'Association A4DF, Vincent X... et Patrick Z... soutiennent en substance que la surpopulation carcérale est en partie la conséquence des décisions prises par les magistrats, ce qui suffit à la compétence judiciaire et que la faute lourde, nécessaire à la mise en cause de la responsabilité de l'Etat du fait du mauvais fonctionnement du service de la Justice au sens de l'article L 141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire, est caractérisée par la connaissance que ces magistrats avaient à la fois de ce lien de causalité et des mauvaises conditions carcérales qui en découleraient nécessairement et en ont de fait découlé pour les accusés ;

Que l'Agent Judiciaire du Trésor fait siens les motifs du jugement dont il demande la confirmation estimant qu'il s'agit en réalité de critiquer le fonctionnement du service pénitentiaire et que le caractère administratif de ce service fait obstacle à la compétence judiciaire en vertu du principe de séparation des pouvoirs ;

Que le Ministère Public conclut principalement à la confirmation du jugement puisqu'il s'agit de réparer non les conséquences de décisions de justice, elles-mêmes causées par les crimes reprochés aux accusés, mais le dommage causé par les conditions carcérales relevant uniquement de l'administration et par suite de la juridiction administrative ;

* *
*

Considérant que l'Association A4DF et les deux accusés mettent clairement en cause le processus juridictionnel qui a entraîné leur mise en détention, et assignent pour origine à leur préjudice les décisions prises par des Magistrats avec la connaissance qu'elles seraient exécutées dans des conditions contraires à l'article 3 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés Fondamentales et à la réglementation de l'emprisonnement en France, visant ainsi spécialement la surpopulation carcérale ; que ces décisions émanées de magistrats dans l'exercice de leurs pouvoirs judiciaires participent à l'exécution du service de la Justice ; que, dès lors, l'appréciation de la faute et du dommage pouvant en résulter relève exclusivement des juridictions de l'ordre judiciaire dans les conditions fixées par l'article L141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire ;

Que les premiers juges, dont la décision sera infirmée, se sont dès lors déclarés à tort incompétents au motif inopérant que les conditions carcérales concernent le service public pénitentiaire et par suite, relèvent exclusivement des juridictions administratives ;

* *
*

Considérant que Vincent X..., Patrick Z... demandent réparation à l'Etat du préjudice causé selon eux par les diverses décisions de mise ou de maintien en détention les concernant prises malgré la connaissance qu'avaient leurs auteurs de la surpopulation carcérale ; que cette demande est fondée sur l'article L141-1 du Code de l'Organisation Judiciaire permettant d'engager la responsabilité de l'Etat pour le fonctionnement défectueux de la Justice dû notamment à une faute lourde ;

Que ne saurait constituer une faute lourde le fait de requérir, de prononcer ou de faire exécuter des décisions juridictionnelles comportant un emprisonnement, dès lors que ces actes interviennent pour l'application des lois en vigueur conformément aux principes posés notamment par la Convention de Sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés Fondamentales et la déclaration universelle des droits de l'homme ;

Qu'ainsi l'emprisonnement ne constitue pas en lui-même un traitement inhumain, puisqu'il entraîne une atteinte à la liberté proportionnée aux besoins de la protection des personnes et des biens due par les Etats ; que cette atteinte doit être judiciairement contrôlée ;

Que, garants des libertés individuelles, le Juges ont en effet pour devoir de veiller à la tenue d'un procès équitable et, dans les limites et aux conditions exigées par la loi, d'appliquer aux auteurs des infractions des peines en rapport avec celles-ci et tenant compte de leur personnalité ; qu'ainsi la gravité des faits reprochés et la personnalité du prévenu peuvent elle les contraindre à décider qu'un emprisonnement s'impose et ainsi recourir à une telle mesure expressément prévue par le législateur ; que cette décision d'emprisonnement nécessaire à la sécurité générale ne peut, en l'état des textes en vigueur, dépendre du nombre momentané de détenus dans un établissement déterminé, alors qu'au moment où ils statuent ces éléments restent incertains pour les juges par ailleurs dénués de pouvoir sur le moment, le lieu et les conditions matérielles d'exécution de leur décision ;

Qu'ainsi en est il notamment du délai de transfert dans un centre de détention après une condamnation définitive dont se plaint l'un des accusés ;

Que, par suite, Vincent X... et Patrick Z..., respectivement mis en examen pour viol aggravé et homicide volontaire, tous deux condamnés à de très lourdes peines par une Cour d'Assises, ne sauraient sérieusement imputer leur préjudice au fonctionnement défectueux du service de la justice pour avoir été mis en détention provisoire puis condamnés à des peines d'emprisonnement ferme, l'un d'ailleurs à titre définitif, dans le strict respect des règles que les juges de l'ordre judiciaire ont le devoir d'appliquer, c'est-à-dire selon un processus lui-même indemne de toute faute ; qu'ils seront, avec l'Association A4DF, déboutés de toutes leurs demandes et condamnés aux dépens ;
* *
*
PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement,

STATUANT à nouveau,

DEBOUTE Vincent X... et Patrick Z..., et l'Association A4DF de toutes leurs demandes ;

CONDAMNE Vincent X... et Patrick Z..., et l'Association A4DF aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile ;

LE GREFFIERP / LE PREMIER PRESIDENT EMPECHE

C. GALANDA. POUMAREDE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : Ct0038
Numéro d'arrêt : 05/1211
Date de la décision : 11/09/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Caen, 23 février 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;2007-09-11;05.1211 ?
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