La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2002 | FRANCE | N°00/03537

France | France, Cour d'appel de Caen, 27 juin 2002, 00/03537


Si le groupe P, aujourd'hui C, correspond à une réalité économique, il est constitué de personnes morales distinctes, ayant leurs propres organes sociaux, un objet social et une activité spécifique. Aucune conséquence juridique ne peut donc en résulter. La mise en cause de la société C, venant aux droits de la société P doit alors être analysée au seul regard des contrats de référencement. Seul le contrat du 08 mars 1994 est signé "pour le B.A.M discountP " (bureau d'achats marée) par la société L et le simple fait que différentes mentions se réfèrent au B P, à la soci

été P, au supermarchés CH et aux hypermarchés C n'emporte aucune équivoq...

Si le groupe P, aujourd'hui C, correspond à une réalité économique, il est constitué de personnes morales distinctes, ayant leurs propres organes sociaux, un objet social et une activité spécifique. Aucune conséquence juridique ne peut donc en résulter. La mise en cause de la société C, venant aux droits de la société P doit alors être analysée au seul regard des contrats de référencement. Seul le contrat du 08 mars 1994 est signé "pour le B.A.M discountP " (bureau d'achats marée) par la société L et le simple fait que différentes mentions se réfèrent au B P, à la société P, au supermarchés CH et aux hypermarchés C n'emporte aucune équivoque, pour le fournisseur, sur le cocontractant qui est la société L et que c'est par son intermédiaire que l'accès au groupe P est possible. Il convient au surplus de relever que les cahiers des charges 1996/1997 et 1998 ne visent que la société L. Celle-ci est donc le seul cocontractant de la société M . En conséquence, le jugement est confirmé quant à la mise hors de cause de la société P, devenue C. Les dépens engagés en première instance et en cause d'appel par celle-ci demeurent alors la charge de la société M. Si cette dernière invoque des relations commerciales avec le groupe P depuis l'année 1988, elle ne fait référence à aucun justificatif précis et le règlement du 25.11.88 relatif à un achat du magasin C de Quimper d'un montant de 11.394 francs est insuffisant à caractériser une relation d'affaires habituelle. De plus, ce document vise Monsieur Jean M et non l'actuelle société M (qui est une entreprise agricole à responsabilité limitée) laquelle expose d'ailleurs que cette relation commerciale concernait la société LGR (une société à responsabilité limitée), alors qu'elle n'invoque pas venir à ses droits. En tout état de cause, le litige porte sur le non- renouvellement par la société L du contrat de référencement et celle-ci est seule concernée en raison de la mise hors de cause de la société C. Dès lors que par

le référencement la société M avait accès aux clients de la société L notamment pour la commercialisation d'huîtres de marque C et que ce contrat a été reconduit tous les ans jusqu'à octobre 1998, l'existence d'une relation commerciale établie au sens des dispositions de l'article L442-6.5° du nouveau code de commerce est acquise. Il convient alors de rechercher si le non-renouvellement constitue une rupture abusive au sens du texte précité. Le non-renouvellement a pour effet de mettre un terme aux relations commerciales; il constitue à ce titre une rupture au sens du texte précité. Si le premier contrat a été signé le 08 mars 1994, soit après la période des fêtes de fin d'année, les contrats suivants ont été signés, avant celles-ci, les 18 octobre 1996 et 28 novembre 1997. De même, le refus de renouvellement est intervenu par un courrier du 12 octobre 1998. Compte tenu de la spécificité de l'activité ostréicole qui réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires au moment des fêtes de fin d'année, le choix de cette période de renouvellement n'est pas neutre et permet à la société L d'accentuer ses exigences (en termes de prix et d'avantages arrières), déjà importantes par son poids économique équivalent en l'espèce à une position dominante dans sa relation avec un simple fournisseur d'huîtres, du fait des débouchés conséquents que procure son référencement. La saisonnalité de l'activité commerciale de la société M est conforme à celle de son secteur d'activité et se trouve corroborée par sa comptabilité qui démontre que l'évolution de sa trésorerie connaît un pic important sur la période de janvier-février, traduisant des ventes de fin d'année avec un décalage de paiement. Ainsi, pour l'exercice clos au 30 juin 1998, la trésorerie moyenne est de 239.215 Francs alors qu'elle avoisine 2.400.000 francs fin janvier- début février. Par ailleurs, la trésorerie est négative à compter de septembre et jusqu'à

mi-décembre. Ainsi la période de renouvellement du contrat de référencement se situe à la période la plus défavorable pour le fournisseur. Ce choix étant du seul fait de la société L, il ne peut être considéré comme totalement neutre et l'impératif commercial d'une négociation tarifaire juste avant les fêtes de fin d'année ne peut à lui seul le justifier . Dans ces conditions, le refus de renouvellement du référencement par la société L, dont l'effet a été immédiat, a eu pour conséquence de remettre en cause les prévisions d'exploitation de la société M et l'a obligée à rechercher, dans l'urgence, de nouveaux partenaires. L'existence d'une pénurie ostréicole concomitante est sans incidence, en premier lieu, sur le marché spécifique de I 'huître affinée, la pénurie touchant les huîtres creuses et non les autres catégories (fines, spéciales, fines de claires et spéciales de claires), et, en second lieu, sur la qualification de la rupture, son effet pouvant tout au plus amoindrir le préjudice. Le fait que le contrat de référencement stipule la renégociation annuelle des tarifs n'est en rien contradictoire avec la prohibition d'une rupture contractuelle brutale qui engage la responsabilité de son auteur aux termes des dispositions de l'article L 442-6 du nouveau code de commerce. En l'espèce la rupture est brutale comme intervenant de manière et à effet immédiat. Elle l'est encore par sa survenance juste avant la période d'activité maximale. Ces deux éléments caractérisent respectivement sa soudaineté et sa violence. Son imprévisibilité résulte de l'absence de toute négociation et du moindre grief invoqué et donc connu du fournisseur. En effet, la lettre du 12 octobre 1998 ne fait qu'annoncer le fait que le référencement n'est pas renouvelé. Elle n'est nullement motivée et le fait que la société L invoque a posteriori des tarifs supérieurs à ceux de la concurrence demeure sans incidence en l'absence de la moindre négociation tarifaire préalable à la rupture.

Ainsi, la brutalité de la rupture, caractérisée en l'espèce, pouvait être évitée par la société L soit par le respect d'un préavis, soit par le choix d'une autre période de renouvellement du contrat, soit par une négociation tarifaire faite de bonne foi. Faute de l'avoir fait, la responsabilité de la société L est engagée et il convient de déterminer le préjudice subi. La société M sollicite une somme de 457.347,05 euros correspondant à 18 mois de chiffre d'affaires. Néanmoins, la simple référence au chiffre d'affaires et non à la marge est erronée. Par ailleurs, la période de référence de 18 mois ne repose sur aucune donnée objective. Le préjudice effectivement subi doit être déterminé eu égard aux motifs précédents qui permettent de considérer qu'un préavis jusqu'au mois de mars (expirant après la période des fêtes de fin d'année ) aurait été suffisant eu égard à la durée des relations commerciales et la saisonnalité de l'activité. La comptabilité de l'exercice clos au 30 juin 1998 fait apparaître un résultat négatif de 4.209 francs pour une production de 4.282.538 francs. L'exercice suivant clos au 30 juin 1999, relatif à la période de non- référencement, retient un résultat négatif de 154.833 francs et une production vendue de 2.527.774 francs. Les charges ont été ajustées; elles ont diminué de 4.301.827 francs à 2.840.392 francs. Les dettes sont demeurées stables réduites de 100.000 pour le second exercice avec une augmentation corrélative du compte courant associé. Ces éléments permettent de retenir que la société M a été bien gérée dans cette situation critique. Dans ces conditions la diminution du résultat de 150.000 francs apparaît directement imputable à la faute de la société L. Cette première somme est à retenir (22.867,35 euros). La perte du référencement à la veille des fêtes de fin d'année a désorganisé la société M comme le révèle les chiffres précités. L'incidence en terme de résultat a été amoindrie par une saine

gestion. Pour autant, il en a résulté une désorganisation commerciale liée notamment aux difficultés de trésorerie et à la nécessité de trouver de nouveaux débouchés. Le pic de trésorerie de fin d'année est ainsi décalé sur le mois de février pour un plafond de 1.050.000 francs au lieu des 2.400.000 francs de l'exercice précédent et la trésorerie de janvier plafonne à 260.000 francs confirmant tant le décalage que la diminution des ventes. La trésorerie moyenne est passée de 239.215 francs à 84.583 francs. Il doit aussi être tenu compte de la charge des investissements réalisés dans le cadre de la relation commerciale établie; ceux réalisés durant l' exercice clos au 30 janvier 1998 se sont élevé à 1.187.737 francs avec une charge financière totale de 51.601 francs alors que pour l'exercice suivant ils n'ont été que de 144.503 francs, la charge financière demeurant de 34.822 francs. La désorganisation commerciale est encore démontrée par l'augmentation des stocks de 511.000 à 588.600 francs et la diminution de la marge bénéficiaire à concurrence de 5,65 %, cette marge étant devenue négative sur le second exercice. L'ensemble de ces éléments permet dévaluer le préjudice subi de ce chef à la somme de 23.000 euros. La demande reconventionnelle de la société L tendant à la résiliation du contrat de référencement aux torts de la société M en raison du non-respect par celle-ci des obligations du cahier des charges (vente de produits en provenance d'autres producteurs) demeure sans incidence sur la faute de la société L constituée par la rupture brutale des relations commerciales et l'indemnisation subséquente. Elle est de plus artificielle en ce que l'obligation invoquée n'apparaît nullement dans l' audit préalable au référencement et qu'elle ne tient pas compte de la spécificité de I 'huître affinée en claire dont l' appellation n'est pas liée à son lieu d'origine mais à son affinage. Par ailleurs, le cahier des charges faisant obligation de livrer des huîtres provenant

"exclusivement de lieux d'élevage o ù le fournisseur est propriétaire de bassins d'élevage" s'entend comme une obligation d'origine géographique et non une obligation d'élevage personnel du fournisseur. Il convient aussi de relever que le cahier des charges 1996/1997, qui contient la stipulation précitée et celle corrélative d'information en cas de provenance extérieure (page 1/1), précise deux pages plus loin que l'utilisation de la marque collective MA implique que les huîtres commercialisées sous cette marque soient affinées et conditionnées dans le bassin de MA que ces huîtres proviennent obligatoirement de bassins français ( et non du seul élevage du fournisseur). Ainsi, la première stipulation concerne les fournisseurs d'huîtres non concernés par la dénomination précitée et la seconde les seuls fournisseurs de la marque MA, comme la société M. Or, il n'est pas démontré que les huîtres vendues par la société M n'ont pas fait l'objet d'un affinage en ses bassins, dont la capacité dépasse sa production. La demande reconventionnelle est donc rejetée. En application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, il convient d'indemniser la société M par l'octroi de la somme de 6.050 euros. PAR CES MOTIFS -Confirme le jugement quant à la mise hors de cause de la société P, devenue la société C -Infirme le jugement pour le surplus, -Dit que le non-renouvellement du référencement de la société M par la société L est constitutive d'une rupture abusive d'une relation commerciale établie, -Condamne la société L à payer à la société M la somme de 45.867,35 euros, -Condamne la société L à payer à la société M la somme de 6.050 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, -Rejette toute autre demande, -Condamne la société L aux dépens de première instance et d'appel à l'exception de ceux engagés par la société C qui sont à la charge de la société M , -Accorde à la SCP Met à la SCP G, cette dernière pour les dépens

engagés par la société C, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. -


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Numéro d'arrêt : 00/03537
Date de la décision : 27/06/2002

Analyses

CONCURRENCE - Transparence et pratiques restrictives

Le contrat de référencement entre une centrale d'achat et une société ostréicultrice, renouvelé tous les ans à la même période caractérise l'existence de relations commerciales établies au sens de l'article L.442-6-5° du Code de commerce. Le fait qu'un tel contrat stipule la rené- gociation annuelle des tarifs n'est en rien contradictoire avec la prohibition d'une rupture brutale qui engage la responsabilité de son auteur aux termes des dipositions de l'article L.442-6 du même code. En l'espèce, la rupture est brutale en ce qu'elle a effet immédiat et qu'elle est intervenu juste avant les fêtes de fin d'année période où l'activité ostréicole réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires. Ces deux éléments caractérisent sa soudaineté et sa violence. En l'absence de toute négociation et du moindre grief invoqué contre le fournisseur la rupture était également imprévisible. A cet égard, le fait d'invoquer à posteriori des tarifs supérieurs à la concurrence est sans incidence en l'absence de la moindre négociation tarifaire préalable à la rupture


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;2002-06-27;00.03537 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award