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05/01/1999 | FRANCE | N°963691

France | France, Cour d'appel de Caen, 05 janvier 1999, 963691


Pour un plus ample exposé des éléments de la cause et des prétentions des parties, la Cour fait référence au jugement dont appel et aux écritures échangées. l -Sur l'obligation contractée par C... Quand bien même les "conditions générales" du contrat acceptées par l'expéditeur n'en font pas directement mention, l'engagement de la société C... comporte assurément, outre la réalisation de l'acheminement lui-même, le respect de délais précis de livraison. En effet, sur l'enveloppe prépayée dite TED 250 qu'elle vend à l'expéditeur pour réaliser son envoi, il est précisÃ

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Pour un plus ample exposé des éléments de la cause et des prétentions des parties, la Cour fait référence au jugement dont appel et aux écritures échangées. l -Sur l'obligation contractée par C... Quand bien même les "conditions générales" du contrat acceptées par l'expéditeur n'en font pas directement mention, l'engagement de la société C... comporte assurément, outre la réalisation de l'acheminement lui-même, le respect de délais précis de livraison. En effet, sur l'enveloppe prépayée dite TED 250 qu'elle vend à l'expéditeur pour réaliser son envoi, il est précisé au verso à côté des mentions à remplir par ce dernier, en caractères colorés parfaitement apparents, que "C... livre en un temps record documents et marchandises. ..Les délais les plus courts: en France, J + 1 avant 12 heures, tout envoi enlevé ou déposé la veille est livré à domicile le lendemain avant midi n'importe où en France. ..", et au recto en caractères larges "Délais garantis", mentions reprises dans les documents publicitaires de la société C... Alors que la notion de temps prend une importance considérable dans le monde dit des affaires, l'obligation de la société C..., qui est un spécialiste du transport rapide et s'affiche comme tel, obligation de célérité mais aussi de la fiabilité qui en est le complément nécessaire, également exprimée dans lesdits documents publicitaires, s'analyse en une obligation essentielle, contrepartie du surcoût payé par l'expéditeur par rapport à un envoi effectué par les services normaux de la Poste. Le respect du délai ainsi fixé constitue non pas une simple obligation de moyens mais une incontestable obligation de résultat dont le manquement engage la responsabilité de la société C..., sauf à elle à prouver que le retard serait dû à une cause qui lui est le débat porte sur la valeur de la clause de limitation de responsabilité figurant dans les conditions générales du contrat, reprise en petits caractères sur l'enveloppe sus-évoquée, et au dos

du bordereau d'expédition et rédigée en ces termes: "C... s'engage à déployer tous ses efforts pour livrer ses clients dans les délais. Leur non-respect n'oblige C... qu'à rembourser le prix du transport, si le préjudice est justifié." Les parties discutent, dans un ordre différent, des moyens tirés de la faute lourde et de l'absence de cause. L'absence de cause est un moyen qui s'attache à la formation du contrat. La faute lourde est un moyen qui s'attache à l'exécution du contrat. Il convient logiquement d'examiner d'abord ce qui a trait à la formation du contrat puis, le cas échéant, ce qui concerne plus spécialement son exécution. II -Sur l'absence de cause Le contrat passé entre les parties est synallagmatique et l'obligation de chacune trouve sa cause dans l'obligation, envisagée par elle comme devant être exécutée, de l'autre contractant, et, aux termes de l'article 1131 du Code civil, l'obligation sans cause ne peut avoir aucun effet. Ainsi, la cause de l'engagement de la société B..., concrétisé par le paiement d'un prix plus élevé que pour un envoi ordinaire, se trouve dans l'obligation de respect des délais annoncés et de fiabilité du transporteur rapide, obligation essentielle à défaut de laquelle cet expéditeur n'aurait pas contracté. Le contrat doit être analysé dans toutes ses dimensions et, alors même que cet examen se situe au niveau de sa formation, doivent être prises en compte les clauses applicables en cas d'inexécution en ce qu'elles sont de nature à modifier de manière importante les engagements réciproques des parties contractantes. Or, la clause limitative de responsabilité en cas de retard, qui équivaut quasiment à une clause exonératoire de responsabilité en ce qu'elle retire tout caractère contraignant à l'exécution du contrat et réduit l'indemnisation du préjudice au seul prix du transport, fait perdre toute portée et toute valeur à l'obligation essentielle sus définie, anéantissant par là-même la cause de l'engagement de la société B.... L'équilibre

voulu par les parties entre leurs obligations réciproques est de ce fait rompu au détriment de l'expéditeur et au profit du transporteur qui se voit ainsi pratiquement exonéré de toute responsabilité en cas de retard. Sans qu'il y ait lieu à annulation du contrat, ladite clause doit être réputée non écrite, redonnant ainsi tout effet, au sens de l'article 1131 précité, à l'obligation essentielle de la société C... cause de l'obligation remplie par la société B.... III -Sur la faute lourde La clause limitative de responsabilité dont objet étant réputée non écrite sur le fondement de l'absence de cause, il n'y a plus lieu à rechercher si une faute lourde a été commise par la société C... dans l'exécution du contrat. IV -Sur les conséquences du caractère non écrit de la clause limitative de responsabilité Le contrat type messagerie, qui comporte en son article 15 une limitation de l'indemnisation au prix du transport en cas de préjudice prouvé résultant d'un dépassement du délai d'acheminement du fait du transporteur, n'a vocation à s'appliquer, à titre subsidiaire, qu'à défaut, comme le précise son article premier, de convention écrite définissant les rapports entre les parties. Or, en l'espèce, le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité, comme exposé plus haut, qui rend inapplicables les dispositions du droit commun de transport, et notamment celles du contrat type messagerie. La clause limitative de responsabilité étant déclarée non écrite, la société C... doit indemniser la société B... du préjudice par elle subi à raison des retards non contestés, étant précisé que le transporteur n'invoque ni ne démontre de cause de ces retards qui lui soit extérieure, retards dont la véritable origine demeure inconnue. V -Sur le montant du préjudice Un troisième retard a été constaté le 10 novembre 1992, après le jugement du Tribunal de commerce. Bien qu'il se soit produit dans des circonstances identiques aux deux retards qui sont à

l'origine de la présente procédure, il s'agit d'un fait indépendant qui fonde une nouvelle prétention, laquelle doit, aux termes des dispositions de l'article 564 du Nouveau Code de Procédure Civile, être déclarée irrecevable, comme le demande la société C.... Le manquement de celle-ci à son obligation a fait perdre à deux reprises à la société B... la possibilité de participer à des adjudications organisées par l'O... les 23 janvier et 15 mai 1991. La première offre portait sur 50 tonnes de la catégorie jeunes bovins au prix proposé de 274,40 écus pour 100 kilogrammes, la seconde sur 500 tonnes de même catégorie au prix de 269 écus pour 100 kilogrammes. Or, il résulte des bulletins de la Fédération nationale de l'industrie et des commerces en gros des viandes que l'adjudication du 23 janvier s'est réalisée au prix maximum de 274,4 écus pour 100 kilogrammes et celle du 15 mai au prix maximum de 269 écus pour 100 kilogrammes. Un courrier de l'O..., office organisateur des ventes, certifie que, si les deux souscriptions de la société B... étaient parvenues dans les délais, soit avant midi les jours de ces deux adjudications, elles auraient été retenues puisque correspondant en prix et en poids aux critères fixés par la Commission de Bruxelles. Il convient de souligner qu'il ne s'agit pas d'adjudications ordinaires mais que toutes les offres correspondant aux critères fixés sont retenues, sauf à se voir appliquer, le cas échéant, un coefficient de réduction. Il ressort des bulletins hebdomadaires susvisés que, pour la première adjudication du 23 janvier, les offres ont été retenues intégralement, ce qui aurait permis à la société B... d'acquérir les 50 tonnes figurant dans son offre, et que, pour la seconde adjudication du 15 mai, les offres retenues se sont vues appliquer un coefficient de réduction de 80 %, ce qui aurait permis à ladite société d'acquérir 100 tonnes sur les 500 qui figurent à son offre (et non 550 comme l'indique la société B.... Cf. dépôt d'offre

du 13 mai 1991) . Le préjudice est, sur ces bases, certain, directement dû aux retards et parfaitement déterminable, excluant l'indemnisation d'une simple perte de chance. A partir des montants qu'auraient représentés ces achats, la société B...calcule son préjudice de manière précise en déduisant tous ses coûts de production et de commercialisation habituels sur la marge brute résultant de la différence entre le prix d'achat des carcasses et le prix de vente. La marge ainsi dégagée est de 9,58% figurant au bilan comptable. Le résultat découlant de ce calcul, qui n'est pas autrement contesté, constitue le préjudice réel et certain de la société B... Sont ainsi obtenues les sommes de : -1.083.280,44 F X 9,58% = 103.778 F pour le marché du 23 janvier 1991, -2.123.924,40 F X 9,58% = 203.472 F pour le marché du 15 mai 1991, soit un total de 103.778 F + 203.472 F = 307.250 F. S'agissant d'une indemnité pour préjudice subi, les intérêts au taux légal courent normalement à compter de la décision qui en fixe le montant. Toutefois, à titre de réparation complémentaire, il y a lieu d'accorder à la société B... les intérêts sur la somme de 307.250 F à compter de l'assignation originaire du 24 décembre 1991. V1 sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les dépens Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la société B..., et ce à hauteur de 30.000 F pour l'ensemble des procédures. Les entiers dépens doivent rester à la charge de la société C..., déboutée de ses demandes principales. PAR CES MOTIFS -Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 22 octobre 1996, et la Cour d'appel de CAEN ayant été valablement saisie, -Réforme le jugement rendu par le Tribunal de commerce; Dit que l'engagement de la société C... s'analyse en une obligation de résultat ; Déclare non écrite la clause limitative de responsabilité en cas de retard figurant au contrat liant la société B... à la

société C... ; Constate que la société C... ne justifie d'aucune cause étrangère susceptible de l'exonérer de sa responsabilité ; Dit que la société C... doit indemniser la société B... du préjudice lié aux retards de livraison des courriers afférents aux adjudications des 23 janvier et 15 mai 1991 ; -Déclare irrecevable la demande formulée par la société B... au titre du retard de livraison afférent à l'adjudication du 10 novembre 1992, comme étant une demande nouvelle en cause d'appel ; En conséquence, condamne la société C... à verser à la société B... la somme de 307.250 F et ce, au besoin à titre de complément de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 1991 ; -Condamne la société C... à verser à la société B... une somme de 30.000 F pour l'ensemble de la procédure ; -Condamne la société C... aux entiers dépens, de première instance, d'appel et de renvoi, et dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de la SCP G..., avoués.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Numéro d'arrêt : 963691
Date de la décision : 05/01/1999

Analyses

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Obligation de résultat - Transports terrestres - Remise de la marchandise au destinataire

Une société spécialiste du transport rapide est tenue d'une obligation de célérité et de fiabilité qui constitue une obligation essentielle, contrepartie du surcoût payé par l'expéditeur par rapport à un envoi effectué par les services normaux de La Poste Le respect du délai fixé constitue non pas une simple obligation de moyens mais une incontestable obligation de résultat dont le manquement engage la responsabilité de ladite société, sauf à elle de prouver que le retard serait dû à une cause étrangère. La cause limitative de responsabilité en cas de retard, qui équivaut quasiment à une clause exonératoire de responsabilité en ce qu'elle retire tout caractère contraignant à l'exécution du contrat et réduit l'indemnisation du préjudice au seul prix du transport, fait perdre toute valeur à l'obligation essentielle, anéantissant par la même la cause de l'engagement de l'expéditeur, et doit être réputée non écrite


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;1999-01-05;963691 ?
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