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20/04/1998 | FRANCE | N°970700

France | France, Cour d'appel de Caen, 20 avril 1998, 970700


Il est constant qu' à la date des faits visés à la prévention M. X... était Conseiller Y... de la commune de Q..., gérant de l'entreprise portant son nom, et associé dans la SARL E... gérée par son épouse. M . L... était également salarié et associé de la SARL E... A la suite des élections municipales de 1989, le Conseil Y... de Q..., après avoir élu Z... M. A..., a élu les membres de la Commission des Travaux. M. Jacques X... Conseiller Y... a été désigné responsable de cette commission composée exclusivement de membres de la majorité municipale. Cette commission a ét

é chargée de faire une étude pour l'implantation d'une salle polyvalente...

Il est constant qu' à la date des faits visés à la prévention M. X... était Conseiller Y... de la commune de Q..., gérant de l'entreprise portant son nom, et associé dans la SARL E... gérée par son épouse. M . L... était également salarié et associé de la SARL E... A la suite des élections municipales de 1989, le Conseil Y... de Q..., après avoir élu Z... M. A..., a élu les membres de la Commission des Travaux. M. Jacques X... Conseiller Y... a été désigné responsable de cette commission composée exclusivement de membres de la majorité municipale. Cette commission a été chargée de faire une étude pour l'implantation d'une salle polyvalente. A la suite de la présentation d'un avant-projet, le Conseil Y..., comprenant M. X..., a décidé de donner suite à ce projet par délibération du 31 août 1990. Le cabinet L... a été choisi en qualité de maître d'oeuvre. Il a été décidé eu égard au budget fixé pour le projet (3.156.116 Frs TTC, par délibération du 27 mars 1991 à laquelle M. X... a pris part), de recourir à la procédure d'appel d'offres restreint. Le 6 mars 1992 par délibération du Conseil Y... à laquelle M. X... a encore participé, les membres de la commission des appels d'offres ont été désignés. Son président était M. A... Z..., les membres titulaires MM L... et P... et Mme B..., tous membres de la majorité municipale. Fin mars et début avril 1992 l'avis d'appel de candidatures pour les 9 lots que représentaient le marché de la salle polyvalente a été publié dans deux organes de presse départementale ou régionale et dans une revue spécialisée, le Moniteur des Travaux Publics. L'examen des candidatures à retenir a été effectué le 5 mai 1992. L'appel d'offres a été lancé le 3 juin 1992, la date du 29 juin 1992 étant fixée pour la remise des offres. Lors de l'ouverture des plis par la commission le 1er juillet 1992, il a été constaté que le montant global des offres les moins disantes s'élevait à 3.326.945 Frs TTC alors que le budget prévisionnel avait

été fixé à 3.156.116 Frs. Pour le lot n° 3 Couverture bardage, l'entreprise E... avait fait une offre à 803.269 Frs TTC alors que l'entreprise D... offrait les travaux pour 700.858 Frs. Le rapport d'analyse des offres qualifiait l'offre D... de globalement intéressante (coût et qualité), reprochant à E... des prix unitaires bien supérieurs à l'entreprise D.... Pour le lot n° 5 Menuiserie intérieure, une seule offre était régulièrement parvenue, celle de l'entreprise X... pour 307.804,23 Frs. Le coût du projet ressortant à un prix supérieur au budget prévisionnel, il a été décidé de déclarer l'appel d'offre infructueux. Le Z... avec le concours du cabinet de maître d'ouvre a alors recouru à la procédure de marché négocié, en soumettant aux deux entreprises les moins distantes pour chaque lot un programme modificatif tendant à des économies et une demande de remise à titre commercial. Cette déclaration d'appel d'offres infructueux et le recours à la procédure de marchés négociés n'ont pas été consignés par délibération écrite ou procès verbal. Pour le lot n° 5, les prévenus ont précisé à l'audience qu'il avait été décidé de consulter une entreprise ayant fait acte de candidature, mais n'ayant pas déposé régulièrement d'offre . Le 17 août 1992 le cabinet L... communiquait à l'entreprise D... et à la SARL E... pour le lot no3 et aux entreprises X... et V ... pour le lot no5, la demande d'offre dans le cadre d'un marché négocié avec le programme modificatif et une demande de remise commerciale . Les offres étaient à remettre avant le 7 septembre 1992. Les entreprises ont été sélectionnées lors d'une réunion le 10 septembre 1992. Neuf entreprises ont été retenues pour un budget total de 3.222.592 Frs supérieur au budget prévisionnel, mais représentant une économie de 104.353 Frs par rapport à l'appel d' offre initial. Le lot n° 3 a été attribué à la SARL E... pour 634.510 Frs. Le lot n° 5 a été attribué à l'entreprise X... pour 284.995 Frs. Par délibération du 25

septembre 1922, le Conseil Y... confirmait le choix des entreprises retenues et autorisait le Z... à signer les marchés. M. JACQUES X... absent a néanmoins voté lors de cette délibération, par le pouvoir qu'il avait donné à M. A... qui en a fait usage. Lors de l'examen des nouvelles offres le 10 septembre 1992, il était apparu que :

-pour le lot n° 5 l'offre de la SARL X... était la moins élevée, 284.996 Frs alors que l'entreprise V... proposait 314.778 Frs. -pour le lot n° 3 l'entreprise D... avait fait une offre datée du 1er septembre 1992 pour 640.113,92 Frs TTC (D61) alors que la SARL E... présentait une offre datée du 3 septembre 1992 pour 634.510 Frs TTC (D61) . L'enquête de police a démontré que cette entreprise avait en réalité fait une première offre datée du 3 septembre 1992 pour 679.345,39 TTC (D61) mais qu'ayant eu entre temps connaissance par M. A... de l'offre D..., elle avait présentée une nouvelle offre à 634.510 Frs TTC datée du même jour. Il est constant que la déclaration d'appel d'offres infructueux et le devis E... de 679.345,39 Frs n'ont pas été transmis à la Préfecture au contrôle de légalité. Enfin la délibération écrite du Conseil Y... du 25 septembre 1992 confirmant le choix des entreprises et autorisant la signature des marchés, visait le résultat de l'appel d'offres lancé le 3 juin 1992 et l'ouverture des plis du 1er juillet 1992, sans faire référence à la procédure de marchés négociés, ni à la réunion du 10 septembre 1992. C... la prescription : Le délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité dans les marchés publics a pour finalité tant de protéger les intérêts de la collectivité publique, que de garantir la liberté et l'égalité d'accès des candidats dans les marchés et les délégations du service public. Cette protection des intérêts particuliers et de l'intérêt général au regard d'infractions complexes procédant généralement d'actes pour partie occultes, conduit à retenir comme point de départ le jour où le délit

est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. En l'espèce la publicité de l'attribution et de l'exécution du marché public, est sans incidence, dès lors qu'il est avéré que certains éléments de la procédure d'attribution des marchés tels que les modalités de recours à la procédure de marché négocié et la conduite de celle-ci, sont restés en tout ou partie occultes. Le jugement sera donc réformé sur ce point. La plainte ayant été déposée le 29 mars 1996 auprès du Procureur de la République, et suivie d'actes d'enquête ou de poursuite, le moyen tiré de la prescription de l'action publique sera écarté. C... le fond : Il est établi et non contesté que la conduite de la procédure d'attribution des marchés litigieux a été entachée de plusieurs irrégularités. Dans le cadre de la procédure sur appel d'offres restreint, les membres de la Commission des appels d'offre ont été désignés le 6 mars 1992 parmi les représentants Ce la majorité du Conseil Y... alors qu'aux termes de la loi du 6 février 1992 d'application immédiate, ils devaient être élus par le Conseil Y... à la représentation proportionnelle au plus fort reste. Le Z... ne pouvait ignorer cette obligation légale et ne peut invoquer l'erreur de droit à propos d'une disposition obligatoire dépourvue d'ambigu'té. D'autre part, la publicité au Bulletin Officiel des annonces de marchés publics obligatoire s'agissant d'un marché supérieur à 900.000 Frs, n'a pas été effectuée. Les prévenus font valoir leur ignorance de la réglementation applicable et la publicité effectuée dans le revue Le Moniteur des Travaux Publics. D..., MM A... et X... ne pouvaient ignorer cette réglementation rappelée dans une circulaire du 12 décembre 1990 de la Préfecture de la MANCHE, qui a été retrouvée lors de l'enquête dans le dossier "Marchés Publics" de la Mairie de Q... . Cette circulaire rappelait l' obligation de publicité dans le Bulletin Officiel des annonces de

marchés publics pour les marchés dépassant 900.000 Frs, et le caractère inopérant d'une publication dans le Moniteur des Travaux Publics, revue non habilitée pour de telles publications. Il convient de relever que le coût total de cette construction excédait notablement le seuil de 900.000 Frs et que de ce fait la publicité effectuée était manifestement insuffisante au regard de l'importance du marché . Contrairement à ce que peuvent soutenir les prévenus, cette irrégularité entache gravement la régularité de la procédure dès lors que la publicité a pu échapper à des entreprises intéressées par des marchés importants et se bornant au vu des obligations légales, à la seule consultation du Bulletin Officiel des annonces de marchés publics. Il est par ailleurs établi qu'aucun registre spécial des offres n'a été tenu. Ces irrégularités ont, par voie de conséquence, vicié la déclaration du caractère infructueux de la procédure d'appel d'offres ainsi que le passage au marché négocié qui en l' espèce n'était possible qu'après constat d' infructuosité à l' issue d'une procédure régulière, conformément aux dispositions de l'article 3122° du Code des Marchés Publics alors en vigueur . Enfin, la procédure de marché négocié à laquelle il a été irrégulièrement recouru, n'a pas été conduite de manière régulière pour assurer l'égalité à l'accès des marchés publics, puisque la publication préalable d'un avis d'information au moins 15 jours avant l'engagement de la consultation écrite, requise par l'article 308 du Code des Marchés Publics dans sa rédaction alors en vigueur n'a pas été effectuée. Ces éléments doivent être rapprochés de la politique suivie à la date des faits par M. A... et non contestée par lui (D37 p3) qui consistait à coût égal ou très légèrement supérieur (2% ) , à favoriser les entreprises implantées sur sa commune. L'aboutissement de cette volonté se constate lorsque M. A..., certes dans le cadre du marché négocié, a délibérément fourni à la SARL E... l'offre du

concurrent pour qu'elle puisse faire le même jour une seconde offre minorée. De plus M. Michel L... conseiller municipal a rapporté, que M. X... avait fait connaître dès l'étude du projet de construction que son entreprise et la SARL E... seraient candidates aux appels d'offre, s'attirant ainsi la remarque de M. A... qu'il ne siègerait plus au Conseil Y... et à la Commission de Travaux traitant de ce projet. Il convient d'observer que M. X... a néanmoins bénéficié de par sa présence tant au Conseil Y... lors des délibérations afférentes au projet de salle polyvalente qu'à la Commission Communale des travaux, d'informations privilégiées notamment sur le budget prévisionnel arrêté, sur les détails de la construction, sur l'importance de chaque lot lors de la présentation par le cabinet L..., auxquelles ses concurrents n'avaient pas accès. Ainsi pour le lot no3, il est établi que suivant une politique de préférence locale non contestée, M. A... Z... de la commune de Q... a sciemment recouru à la procédure de marché négocié à l'issue d'une procédure d'appel d'offres restreint comportant de nombreuses irrégularités de nature à éviter la participation d'autres concurrents et qui a vicié la constatation de son caractère infructueux. Ces irrégularités ont abouti à l'attribution du marché du lot no3 à la SARL E... conformément à la volonté affichée du Z..., représentant ainsi pour cette entreprise un avantage injustifié car procédant d'une rupture dans l'application du principe d'égalité devant les marchés publics. M. A... sera donc déclaré coupable du délit d'avantage injustifié dans les marchés publics pour le lot no3. Le jugement sera réformé en ce qu'il a relaxé M. X..., dès lors que celui- ci membre du Conseil Y... et associé au sein de la SARL E... ne pouvait ignorer les conditions de mise en oeuvre de la procédure sur appels d'offres et les conditions du passage au marché négocié aboutissant à mettre en application la volonté de préférence locale de la municipalité. En

revanche les pièces de la procédure ne démontrent pas que M. L... , nullement lié à cette municipalité, avait eu connaissance des irrégularités affectant la procédure de passation des marchés publics tant sur l'appel d'offres que sur la procédure de marché négocié. Sa seule participation avérée au stade de l'établissement du deuxième devis daté du 3 septembre 1992, a pu lui paraître licite dans le cadre d'un marché négocié que le Z... pouvait alors à ses yeux librement discuter . Sa relaxe sera confirmée. C... la tentative d'attribution d'un avantage injustifié concernant le lot n° 5 les mêmes éléments concernant les irrégularités de la procédure sur appel d'offres doivent être retenus et reliés à la politique de préférence locale reconnue par M. A... D..., contrairement à ce qu'ont pu retenir les premiers juges la déclaration d'appel d'offres infructueux n'était pas un désistement volontaire, mais au contraire un acte indispensable pour pouvoir réaliser la volonté de préférence locale, par le recours au marché négocié. Les éléments constitutifs de l'infraction sont donc établis contre M. A..., et se sont même poursuivis au-delà. Mais les faits postérieurs au 13 août 1992 n'étant pas visés dans la poursuite pour ce lot, la Cour ne peut s'en saisir et statuer complètement La tentative du délit d'avantage injustifié dans les marché publics sera donc retenue contre M. A... C... la peine : Les infractions commises ne constituent que des ruptures dans l'égalité d'accès aux commandes publiques. Aucun enrichissement personnel n'est établi ni même allégué contre M. A... et de surcroît il n'est pas établi que le coût du marché dont a bénéficié la SARL E... excédait les prix du marché. La collectivité publique n'a donc pas subi à cet égard de préjudice manifeste. Enfin il sera tenu compte de la publicité effectuée dans une revue spécialisée. Il sera donc fait une application bienveillante de la loi pénale eu égard à l'absence d'antécédent au casier judiciaire des

prévenus, et aux circonstances de fait de l'espèce. PAR CES MOTIFS LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Reçoit le Ministère Public en son appel ; Vu les articles 460 de l'ancien Code Pénal, 321-1.432-14 du Code Pénal, 7 de la loi 91.3 du 3 janvier 1991 modifié par la loi n° 95.127 du 8 février 1995 Confirme le jugement sur la relaxe de M. L... ; Infirme le jugement pour le surplus ; Rejette le moyen de prescription de l' action publique ; Déclare M. A... coupable de tentative d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics (lot n ° 5) et d ' atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics (lot nO3) ; Déclare M. X... coupable de recel de bien provenant du délit d'atteinte à la liberté d' accès ou à l' égalité des candidats dans les marchés publics commis par M. A... ; Condamne MM A... et X... chacun à 6.000 Frs d'amende avec sursis ; C... la peine d'amende avec sursis : Le Président a averti les condamnés que si dans les 5 années à compter du présent arrêt, ils commettaient une nouvelle infraction et était à nouveau condamné à une nouvelle peine d'amende, cette condamnation serait susceptible d'entraîner l'exécution de la peine prononcée ce jour avec le bénéfice du sursis, sans confusion possible avec la seconde, et qu'ils encourraient alors les peines de la récidive dans les termes des articles 132-8 à 132-11 du Code Pénal ; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 Frs dont est redevable chacun des condamnés.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Numéro d'arrêt : 970700
Date de la décision : 20/04/1998

Analyses

PRESCRIPTION - Action publique - Délai - Point de départ - Atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public - /

Le délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des marchés publics a pour finalité tant de protéger les interêts des collectivités publiques que de garantir la liberté d'accès des candidats dans les marchés et les réalisations du service public. Cette protection des interêts particuliers et de l'interêt général au regard d'infractions complexes procédant généralement d'actes occultes conduit à retenir comme point de départ de la prescription le jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.caen;arret;1998-04-20;970700 ?
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