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03/09/2024 | FRANCE | N°22/03207

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 03 septembre 2024, 22/03207


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 03 SEPTEMBRE 2024









N° RG 22/03207 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZAC







Madame [O] [U]



c/



CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CHARENTE-PERIGORD

























Nature de la décision : AU FOND
















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Grosse délivrée le :



aux avocats



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mai 2022 (R.G. 2021001187) par le Tribunal de Commerce d'ANGOULEME suivant déclaration d'appel du 05 juillet 2022





APPELANTE :



Madame [O] [U], née le [Date naissance 2] 1992 à [Localité 4] (21), ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 03 SEPTEMBRE 2024

N° RG 22/03207 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZAC

Madame [O] [U]

c/

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL CHARENTE-PERIGORD

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mai 2022 (R.G. 2021001187) par le Tribunal de Commerce d'ANGOULEME suivant déclaration d'appel du 05 juillet 2022

APPELANTE :

Madame [O] [U], née le [Date naissance 2] 1992 à [Localité 4] (21), de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY - MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Nicolas BRUNO, avocat au barreau de la CHARENTE

INTIMÉE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUELLE CHARENTE- PERIGORD, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

assistée de Me Katell LE BORGNE de la SCP LAVALETTE AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE:

Par contrat du 21 décembre 2018, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) Charente-Périgord a consenti à la SAS Alma Edition un crédit de trésorerie de 15 000 euros pour un taux d'intérêt de 6 %.

Mme [O] [U], présidente de la société, s'est portée caution personnelle du remboursement de ce crédit à hauteur de 19 500 euros.

Par jugement du 13 février 2020, le tribunal de commerce d'Angoulême a prononcé la liquidation judiciaire de la société Alma Edition.

La banque a déclaré sa créance au passif pour un montant de 20709,68 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mars 2020, le Crédit Agricole a mis en demeure la caution de régulariser les sommes dues par la société.

Le liquidateur a adressé au Crédit Agricole un certificat d'irrécouvrabilité, et, le 16 juillet 2020, la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif.

Après une nouvelle mise en demeure infructueuse du 20 novembre 2020, le Crédit Agricole a fait assigner Mme [U] par acte d'huissier du 12 mars 2021 devant le tribunal de commerce d'Angoulême, pour demander sa condamnation en sa qualité de caution de la Sas Alma Edition à lui payer 19 500 euros en principal.

Par jugement du 19 mai 2022, le tribunal de commerce d'Angoulême a :

Débouté Mme [U] de sa demande de nullité,

Débouté Mme [U] de sa demande fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation,

Condamné Mme [U] à payer à la CRCAM Charente-Périgord la somme de 19 500 euros outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,

Ordonné la capitalisation annuelle des intérêts,

Condamné Mme [U] à payer à la CRCAM Charente-Périgord la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné Mme [U] aux dépens.

Par déclaration du 5 juillet 2022, Mme [U] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la CRCAM Charente-Périgord.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 23 mars 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, Mme [U] demande à la cour de :

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce d'Angouleme du 19 mai 2022 et statuant à nouveau,

A titre principal

' Juger que le document figurant à la pièce n° 1 produite par la CRCAM, en page 35 de celle-ci et intitulé « Fiche de renseignement caution » est frauduleux et par conséquent, nul.

' Juger que la nullité de cet acte entraîne la nullité de l'acte de cautionnement, avec toutes conséquences de droit.

' Juger que l'acte de cautionnement de Madame [O] [U] épouse [F] est nul et de nul effet et que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord ne peut s'en prévaloir,

En conséquence,

' Débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord de l'ensemble de ses demandes,

' Condamner en conséquence la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord à rembourser à Madame [U] épouse [F] la somme totale de 19.500 euros ;

A titre subsidiaire

' Juger que l'engagement de caution de Madame [O] [U] épouse [F] est disproportionné,

' Juger par conséquent que la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord est déchue du droit se prévaloir de l'engagement de caution de Madame [U] épouse [F],

En conséquence,

' Débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord de toutes ses demandes, fins et prétentions,

' Condamner en conséquence la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord à rembourser à Madame [U] épouse [F] la somme totale de 19.500 euros ;

A titre reconventionnel

' Juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord a commis une faute résidant dans le manquement à son devoir de mise en garde,

En conséquence :

' Condamner en conséquence la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord à rembourser à Madame [U] épouse [F] la somme totale de 19.500 euros ;

En tout etat de cause

' Condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord à verser à Madame [O] [U] épouse [F] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

' Condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

' Débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord de sa demande reconventionnelle au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que de celle relative aux dépens.

Mme [U] fait notamment valoir que la fiche patrimoniale est un faux ; que ce document justifiant l'engagement de caution étant frauduleux, l'acte juridique qu'il fonde l'est tout autant ; que la nullité de cet acte entraîne la nullité de l'acte de caution, dont la CRCAM ne peut se prévaloir.

A titre subsidiaire, elle souligne que l'engagement souscrit est disproportionné ; que l'avis d'imposition pour 2017 produit par la banque fait apparaître un revenu de 17 397 euros après abattement ; que l'avis d'imposition pour l'année 2018 s'établit à 8 478 euros avant abattement ; que retenir le revenu de M. [F] n'a aucun sens ; que la valorisation de l'immeuble à 190 000 euros est fantaisiste ; et que le solde au profit du vendeur est de 5 825,98 euros.

Elle sollicite le remboursement de la somme de 19 500 euros déjà versée à la suite du jugement.

A titre reconventionnel, elle expose que la banque a manqué à son devoir de mise en garde ; qu'aucune information ne lui a été fournie ; qu'elle est une caution profane ; que la CRCAM n'a pas pris la peine de l'interroger sur l'état de son patrimoine.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 4 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la CRCAM Charente-Poitou demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris dans l'intégralité de ses dispositions, sauf a l'infirmer/le reformer en ce qu'il a assorti la condamnation de Madame [O] [U] épouse [F] à payer à la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord la somme de 19 500 euros des seuls intérêts au taux légal à compter de sa signification.

STATUANT A NOUVEAU :

Debouter Madame [O] [U] épouse [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Condamner Madame [O] [U] épouse [F] à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord la somme de 19 500,00 euros arrêtée au 16 mars 2020, outre intérêts postérieurs au taux de 9 % sur la somme de 18.709,68 euros, et au taux légal sur le surplus,

Ordonner la capitalisation annuelle des intérêts échus.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Madame [O] [U] épouse [F] à payer à la Caisse Regionale de Credit Agricole Mutuel Charente-perigord la somme de 750 euros, ainsi qu'à tous les dépens.

Y ajoutant,

Condamner Madame [O] [U] épouse [F] à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Charente Périgord la somme de 2 000,00 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre aux entiers dépens d'appel.

Debouter Madame [O] [U] épouse [F] de toutes demandes autres, plus amples ou contraires.

Le Crédit Agricole fait notamment valoir qu'il est bien fondé à solliciter la condamnation de Mme [F] [U] à lui payer les sommes demandées ; que Mme [U] ne conteste pas la validité de son engagement, mais uniquement la validité d'un document annexe, savoir la fiche de renseignement caution datée du 18 septembre 2018 ; qu'elle s'est gardée de déposer plainte pour faux et usage de faux et ne sollicite pas une comparaison d'écritures ; qu'en outre, la signature portée sur ce document est similaire à celle qu'elle a apposée à plusieurs reprises sur la contrat de prêt et ses annexes, et même sur la photocopie de sa pièce d'identité qu'elle communique aux débats ; que le montant porté n'est pas éloigné de ses revenus déclarés ; qu'elle en a approuvé le contenu par l'apposition de sa signature ; qu'aucune nullité n'est encourue ; que quand bien même, l'acte de cautionnement n'en demeure pas moins régulier, un tel document n'étant pas imposé.

Elle ajoute qu'il appartient à la caution de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue ; que les revenus de la caution pour 2017 étaient de 20 691 euros et ceux de 2018 doivent être estimés à 25 200 euros ; que Mme [U] déclarait sur les revenus de 2018 8 478 euros de salaires imposables et son époux commun en biens 21 976 euros de revenus qui doivent être pris en considération, outre pour le couple 3 499 euros de capitaux mobiliers ; qu'elle avait, avec son époux, fait l'acquisition en 2017 d'un immeuble financé au moyen d'un prêt bancaire de 174500 euros ; qu'elle se garde de justifier de la valorisation des parts sociales détenues dans Alma Edition, dont elle était l'associée unique ; qu'elle est défaillante dans la charge de la preuve et qu'il est démontré que l'engagement n'était pas manifestement disproportionné.

Sur le manquement allégué à un devoir de conseil, elle observe que Mme [U] était particulièrement avertie de la situation financière de la société ; que la banque n'avait aucun devoir de mise en garde à son égard ; que le raisonnement qu'elle soutient en termes de taux d'endettement est infondé ; et qu'elle ne caractérise aucune faute de la banque ni un préjudice.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 21 mai 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience du 4 juin 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Il doit être précisé à titre liminaire que le contrat de cautionnement souscrit par Mme [U] le 21 décembre 2018 reste régi par les dispositions en vigueur à la date de sa conclusion, antérieures à celles issues de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 applicables aux seuls contrats souscrits à compter du 1er janvier 2022, à l'exception des dispositions relatives à l'information des cautions.

Sur la demande principale en nullité de l'engagement de caution

2- Mme [U] soutient à titre principal la nullité de son engagement de caution, en faisant valoir que la fiche de renseignement serait fausse, en ce que, pour l'une, entièrement vierge, et, pour l'autre, rédigée et signée d'une autre main que la sienne, et, enfin, ne correspondrait pas à « la situation patrimoniale prouvée » de la caution. Elle soutient alors que la nullité d'un élément contractuel fondamental entraîne la nullité du contrat qu'il fonde.

3- Pour autant, ce raisonnement est en l'espèce inopérant.

En effet, une fiche de renseignement n'est en aucun cas un « élément contractuel fondamental » d'un engagement de caution, en ce sens qu'aucun texte n'exige la rédaction d'une fiche de renseignement pour rendre valide un cautionnement.

La fiche de renseignement n'est pas obligatoire et sa forme n'est pas réglementée.

Un tel document, qui n'est pas un « acte », n'est que l'une des possibilités matérielles qui s'offrent en fait au créancier pour s'enquérir de la solvabilité du candidat caution. La preuve que la banque s'est informée peut intervenir par divers moyens. Ainsi, même une éventuelle nullité d'une fiche de renseignement, à supposer qu'elle puisse être prononcée, ne peut porter à elle seule atteinte à la régularité de l'engagement.

4- Ce seul motif est de nature à entraîner le rejet du moyen.

5- Au surplus, il toutefois doit être souligné que Mme [U] échoue à rapporter la preuve d'un faux dans la fiche de renseignement.

S'agissant de la « fiche de déclaration patrimoine » (pièce n° 1 de la banque), si l'imprimé n'est par renseigné, il doit être observé qu'y figure le paraphe, la date et la signature de Mme [U], qu'elle conteste pas. En tout état de cause, aucune des mentions de ce document, intégré au contrat d'ouverture de crédit, n'est susceptible d'encourir le grief de faux.

6- S'agissant de la « fiche de renseignement caution » du 18 décembre 2018 remplie à la main à l'encre bleue (même pièce de la banque, p. 35), la banque observe à juste titre que la caution se contente de procéder par voie d'affirmations lorsqu'elle prétend que ce document n'aurait pas été signé par ses soins.

7- Il apparaît que Mme [U] n'a pas estimé devoir déposer une plainte pour faux et usage entre les mains des services de police ou du procureur de la République. De même, elle a omis de procéder à une inscription de faux civile, ou encore de demander une expertise en écritures.

8- La banque peut utilement relever que la signature figurant sur ce document est similaire aux autres signatures de Mme [U], notamment sur le contrat de prêt qu'elle a signé en sa qualité de présidente de la société Alma Edition (pièce n° 1), ou encore sur l'accusé de réception de la lettre du 20 novembre 2020 (pièce n° 9), et n'est pas différente en sa forme générale et sa dynamique de celle qu'on peut discerner sur la photocopie de sa carte nationale d'identité (sa pièce n°9).

9- Ainsi, aucun faux n'est établi, rien ne permet de prononcer la nullité d'une fiche de renseignement, et, moins encore, de l'acte de cautionnement. Le jugement rejetant la demande de nullité doit être confirmé.

Sur la demande subsidiaire fondée sur la disproportion alléguée du cautionnement

10- Mme [U] soutient alors la disproportion de son engagement de 19 500 euros, au visa de l'article L. 332-1 du code de la consommation. Elle fait valoir que son avis d'imposition fait apparaître un revenu de 17 397 euros « après abattement », et pour l'année 2018 la somme de 7 630 euros « après abattement », sans d'ailleurs expliciter la raison qui devrait conduire à pratiquer ici un abattement sur ses revenus. Elle estime qu'il serait injustifié de retenir les revenus de son époux, et conteste la valeur de son immeuble retenue par le Crédit Agricole, exposant que le montant d'acquisition était de 162 000 euros et non 190 000 euros, et que le solde au profit des vendeurs s'élève à 5 825,98 euros (sa pièce n° 7).

11- Aux termes des dispositions de l'article L. 343-4 ancien du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 et abrogé à compter du 1er janvier 2022 mais restant applicable aux faits de la cause en raison de la date du contrat, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

12- Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu'elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l'impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.

13- Il appartient à la caution de prouver qu'au moment de la conclusion du contrat, l'engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L'appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l'engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives. Un cautionnement est disproportionné si la caution ne peut manifestement pas y faire face avec ses biens et revenus.

14- En l'espèce, il résulte de la fiche de renseignement caution évoquée ci-dessus, et qui ne peut être écartée pour cause de faux, comme analysé ci-dessus, que Mme [U] a déclaré à la banque des ressources annuelles de 25 200 euros. Ces revenus déclarés le 18 décembre 2018 sont cohérents avec l'avis d'imposition précédent, pour l'année 2017 (pièce 1 précitée, in fine), qui fait apparaître un revenu annuel de 20 691 euros. Ainsi, les seuls revenus annuels déclarés par la caution au moment de la conclusion de son engagement dépassent le montant de celui-ci. Mme [U] ne peut être admise à soutenir ici que sa situation financière aurait en réalité été moins favorable que celle, cohérente, qu'elle avait déclarée à la banque, et elle ne saurait notamment se fonder sur des pièces postérieures à l'engagement, tel son avis d'imposition 2019 sur les revenus 2018.

15- Par ailleurs, la banque peut ajouter sans être démentie que dans son dossier d'analyse de financement professionnel, il apparaissait que M. [F], époux commun en biens de Mme [U], avait des revenus de 16 500 euros annuels. C'est à tort que Mme [U] soutient que « retenir le revenu de M. [F] n'a aucun sens ». La disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, sans distinction et sans qu'il y ait lieu de tenir compte du consentement exprès du conjoint donné conformément à l'article 1415 du code civil, qui détermine seulement le gage du créancier, de sorte que doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs, incluant les revenus du conjoint.

16- Enfin, et même si elle en conteste le montant, Mme [U] ne peut que reconnaître que le couple était, au moment de la conclusion de l'engagement, propriétaire d'un immeuble d'une valeur, aux termes mêmes du décompte non daté d'un notaire qu'elle produit (sa pièce n° 7 invoquée), de 185 000 euros, avec un capital emprunté restant dû de 147 795,39 euros.

17- L'engagement de caution conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes comme en l'espèce, n'a pas à vérifier l'exactitude.

18- Ainsi, aucune disproportion manifeste avec son engagement limité à 19 500 euros ne résulte de l'examen ci-dessus des biens et revenus déclarés par la caution Mme [U].

19- L'engagement n'étant pas disproportionné aux biens et revenus au moment de l'engagement, les considérations sur la situation de la caution au jour où elle est appelée sont sans objet.

En effet, c'est seulement lorsqu'un créancier professionnel entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, qu'il doit établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Sur la demande reconventionnelle en responsabilité de la banque

20- Mme [U] soutient qu'il appartient à tout organisme de crédit sollicitant un cautionnement de respecter un devoir de mise en garde lui incombant ; qu'en l'espèce, aucune information n'a été fournie à la caution alors qu'elle est une caution profane. Elle en conclut que le Crédit Agricole a commis une faute dont elle est recevable à demander réparation, et demande 19 500 euros de dommages-intérêts, sans expliciter ce quantum.

21- Plus exactement, il convient de rappeler que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

22- En l'espèce, force est de constater que Mme [U], sur qui repose la charge de la preuve, omet totalement de démontrer, et même d'expliciter, en quoi le l'ouverture de crédit contractée par la société Alma Edition aurait été excessif au regard de ses capacités. De plus, au vu des éléments de fait examinés ci-dessus au titre de la disproportion invoquée, le cautionnement n'était pas non plus inadapté aux capacités financières de la caution.

23- Il n'y avait alors nullement lieu à adresser une mise en garde préalable à la caution, et la demande de Mme [U] doit être rejetée.

Sur les intérêts assortissant la somme due

24- Le Crédit Agricole forme appel incident sur la disposition du jugement qui, sans s'en expliquer, a limité la condamnation de la caution à payer des intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision. La banque, sans non plus s'en expliquer davantage, demande sa condamnation à lui payer des intérêts de 9 % sur la somme de 18 709,68 euros et au taux légal pour le surplus.

25- Mme [U] omet de répondre à cet appel incident.

26- Pour autant, en l'espèce, il sera relevé que la caution était engagée dans la limite de la somme de 19 500 euros couvrant le principal, les intérêts et, le cas échéant, les pénalités ou intérêts de retard.

27- Il résulte de la combinaison des articles 1134 ancien et 2294 du code civil que la caution qui enferme son engagement dans la limite d'un montant déterminé ne peut être tenue au-delà, et que les accessoires ne peuvent conduire à dépasser cette somme, notamment par application d'intérêts contractuels. La banque n'est fondée qu'à obtenir des intérêts de retard à compter de la mise en demeure.

28- Il y a donc seulement lieu à réformer le jugement sur la date du point de départ des intérêts moratoires au taux légal, qui doit être fixée à celle de la mise en demeure du 16 mars 2020 et non à celle de la signification du jugement.

Sur les autres demandes

29- Partie tenue aux dépens d'appel, Mme [U] paiera au Crédit Agricole la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 19 mai 2022 par le tribunal de commerce d'Angoulême, à l'exception de la date du point de départ des intérêts au taux légal,

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Dit que la condamnation de Mme [U] à payer des intérêts au taux légal a comme point de départ la date de la mise en demeure du 16 mars 2020,

Déboute Mme [U] de l'intégralité de ses demandes, en ce compris sa demande de dommages-intérêts,

Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Charente-Périgord de sa demande de condamnation à des intérêts contractuels supplémentaires,

Y ajoutant,

Condamne Mme [U] à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Charente-Périgord la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette les autres demandes,

Condamne Mme [U] aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/03207
Date de la décision : 03/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-03;22.03207 ?
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